L’été est peut-être plus propice aux découvertes. Les chaleurs et les torpeurs estivales nous amènent sans doute à regarder les choses d’un autre œil. Ainsi, au bout de cinq ans, cinq longues années après le génocide, une pièce de théâtre et une émission de radio viennent remplir cette espace trop souvent béant, entre la douleur du souvenir et la nécessité de l’analyse.

Bouleversant, c’est très précisément l’émotion que Rwanda 94 vient de nous apporter, une pièce, proposée par Groupov et son metteur en scène Jacques Delcuvellerie (dont nous proposons une interview dans ce numéro), durant le festival d’Avignon. Avec près de 5 heures de spectacle, la pièce prend son temps pour nous faire toucher du doigt toute la douleur d’un peuple qu’on a voulu rayer de la carte. Parfois doucement, plus loin au pas de charge, Groupov bouscule les ronrons festivaliers, et apporte sur scène, les éléments palpables d’un théâtre engagé dans son temps que n’aurait sans doute pas renié Jean Vilar.

Autre moment fort, en cette fin d’été. France Culture prend également son temps. Pas loin de 10 heures d’émission consacrées au Rwanda et proposées par Madeleine Mukamabano dans le cadre des Carnets de voyage. Là aussi, tranquillement, les interviews et les impressions de voyage s’enchaînent méthodiques et systématiques : rescapés, bourreaux, paysans, Ministres... restituent pièce après pièce, émission après émission, le puzzle du génocide et les conséquences de celui-ci sur la société rwandaise d’aujourd’hui.

Il aura donc fallut 5 années pour que les prémices d’une reconnaissance apparaissent. 5 ans aussi et surtout, pour que les rescapés retrouvent leur parole et la revendiquent même, comme Yolande Mukagasana pendant la pièce Rwanda 94, et puissent enfin se soulager de ce qui les ronge de l’intérieur.

Pourtant, ce combat de la reconnaissance et les solutions pour répondre de façon adaptée aux conséquences du génocide n’est pas pour autant fini. Le négationisme et l’éthnisme n’ont toujours pas baissé la garde.

En France, où de faux "réfugiés" accusés d’être impliqués dans le génocide ne sont toujours pas inquiété par la justice ; où les responsables politiques et militaires français les plus souillés dans cette complicité de génocide n’ont eu de compte à rendre à personne et enfin, où des "experts africanistes", se permettent de donner au gouvernement le droit d’inhumer l’un des scandales majeurs de ce siècle (voir page 2). En France toujours, où une grande ONG se sert du génocide pour une campagne publicitaire à la déontologie douteuse (voir page 8). Au Rwanda, où les rescapés du génocide affrontent la misère et doivent côtoyer tous les jours leurs bourreaux, impunis et puissants. Au Rwanda encore, où le gouvernement semble privilégier toujours les mêmes, en contradiction avec les idéaux du FPR, ceux d’une meilleure justice entre les hommes des milles collines. Au Congo voisin enfin, où les combats ont continué malgré l’accord de paix signé à Lusaka ; où les petits chefs de guerre jouent leur propre carte au détriment des Congolais.

Aussi, même si la parole "redonnée" et la réflexion "libérée" forme une première reconnaissance des souffrances de tout un peuple, il faut rester vigilant. Ils sont encore nombreux ceux qui voudraient nier les droits des victimes à retrouver leur mémoire collective et individuelle, et à retrouver la place qui leur est due dans la société rwandaise. (T.L.)