" L’avion de Habyarimana a obtenu auprès de certains experts et de certains médias la même importance que le nez de Cléopâtre. On n’a pas hésité à nous dire que les trois jours qui ont immédiatement suivi sa chute ont changé, sinon la face du monde, du moins "ont fait basculer l’histoire". Plus précisément, on a voulu y voir, et certains continuent à vouloir y voir la cause du génocide des Tutsis.

Dans certains milieux on estime que lorsqu’on connaîtra celui qui a descendu cet avion, on saura du même coup qui est responsable de ce génocide. Le 28.3.00 l’Agence France Presse nous annonce que l’ONU ne possède pas de rapport, mais une note personnelle (a confidential internal memorandum, in which one person expressed his thoughts) d’un avocat nommé Michael Hourigan qui a travaillé un moment pour l’ONU ; que l’ONU envoie cette note au président du tribunal qui jugera s’il faut la communiquer aux défenseurs des accusés rwandais. Les notes personnelles d’un avocat confiées, même par écrit aux archives de l’ONU, n’avaient pas plus de poids que les hypothèses accusatrices qui les avaient précédées ; mais elles jouissaient, depuis 30 jours, par la grâce médiatique et via le National Post, du statut mensonger de "rapport de l’ONU" ; le National Post y avait ajouté une couche en parlant de plusieurs "enquêteurs" (investigators) là où nous trouvons le seul Hourigan (one person), en situant ses sources au sein de l’armée du FPR et en mettant en cause le chef de cette armée. L’effet de sensation était assuré, le mal qu’on voulait ainsi faire était déjà fait, ceux qu’on voulait accuser étaient accusés, ceux dont on veut salir l’honneur par la suspicion internationale étaient atteints sans que l’on puisse rattraper quoi que ce soit par n’importe quel démenti. D’ailleurs une bonne partie de la presse du mercredi matin 29.3.00 ne se privera pas de maintenir les trois feuillets de "notes personnelles" de Hourigan au rang de rapport de l’ONU et d’échafauder tout un montage avec tous les problèmes que connaît le Rwanda (Le Soir du 29.3.00). Tout un faisceau d’indices qui commandent l’intime conviction que, Habyarimana vivant ou pas, le génocide tutsi constituait, aux yeux des Hutus extrémistes et d’un grand nombre de citoyens ordinaires, la condition sine qua non de la conservation du pouvoir et même de la survie. (...)

Plus récemment encore, la planification du génocide tutsi avait été annoncé avec un luxe de détails à la communauté internationale et à la Minuar (Mission des Nations Unies au Rwanda) à Kigali, allant jusqu’à préciser les troupes qui en seraient le fer de lance, les caches et les quantités des armes et même la performance horaire dans le massacre des Tutsi.

Les porte-parole des tueurs, sur les ondes de RTLM et dans les enceintes des négociations d’Arusha ont annoncé l’apocalypse, sans convaincre, il est vrai, une communauté internationale saisie d’une myopie étrange au point de se demander deux ou trois ans plus tard, dans des enquêtes surréalistes, si le génocide, si souvent et si clairement annoncé, pouvait être prévu. On aura remarqué également, dans les propos de Kayibanda, la thèse chère à certains milieux, missionnaires notamment mais non exclusivement, des représailles spontanées ; elle sera plus ou moins améliorée, mais elle ne disparaîtra pas ; elle tendrait non seulement à renverser la responsabilité en faisant des Tutsis les auteurs de leur propre malheur, mais encore elle servirait, pour certains, à dédouaner les responsables aujourd’hui détenus à Arusha ou qui courent encore le monde ; elle pourrait combler de joie la cohorte menée par le même Reyntjens en conduisant les responsables politiques de Kigali devant le TPIR . Il serait illusoire d’imaginer que la bourrasque d’aujourd’hui sera la dernière ou la plus violente ; il ne s’agit, au demeurant, que de trois feuillets de notes personnelles, sans contenu nouveau (on a accusé le FPR dès 1994, en se basant sur les déclarations de ses membres) avec une mise en scène qui se veut plus prestigieuse.

(Servilien M Sébasoni, 30 mars 2000, cité par Liaison-Rwanda)