M. Facon fait, dans un premier temps, valoir qu’il est policier français. Toutefois, il tient à s’exprimer devant la commission à titre privé.

Son expérience en la matière débute par une amitié issue d’une rencontre, au début des années septante, avec M. Jean-Marie Parent, aujourd’hui décédé. Officier de renseignement pour l’armée française, il a été, dans les années 1957-1958, amené à s’intéresser aux sectes, à la suite d’un événement important ayant touché la vie politique française. Il y avait eu, au sein de l’armée française, une conspiration portant le nom de grand " O ". S’intéressant à cette conspiration, Parent avait découvert qu’elle re-celait des racines occultistes en la personne de Rolande Renoux, qui affirmait à l’époque être mandaté par de hauts dignitaires secrets, templiers, pour assurer la défense de l’Occident, en visant à préparer les sentiers du " Grand monarque ".

Lorsqu’il a été démobilisé, Parent a continué à s’intéresser au phénomène sectaire à titre personnel. C’est ainsi qu’il a été amené à s’intéresser, avec le témoin, à des groupes templiers créés de toute pièce par Luc Jouret et Jo Di Mambro. Pour ce faire, Parent a utilisé des " observations agissantes ", c’est à dire qu’il est allé voir ce qui se passait à l’intérieur de certains de ces groupes. Il s’est rendu compte très tôt que les mouvements qui allaient aboutir à la création de l’Ordre du Temple Solaire reposaient sur une idéologie extrémiste. Ses fondateurs rêvaient, en ef-fet, de poursuivre l’oeuvre du Troisième Reich.

Cette idéologie était très ancrée mais enrobée par une autre idéologie, a priori beaucoup moins dangereuse, celle de la spiritualité. Pour ce faire, des textes manipulés étaient utilisés. L’action était basée sur un fonctionnement élitiste. L’existence d’une hiérarchie invisible, " les maîtres invisibles ", était également évoquée.

Un ouvrage français paru à ce propos fait état d’une hiérarchie secrète en Europe. Elle pratiquerait parfois, lorsqu’elle le juge utile, l’action directe. Elle se réunirait dans des capitales européennes comme Bruxelles, Copenhague, Londres, ... Cette hiérarchie étudierait les pays dans lesquels elle se trouve et leur attribuerait une note de fonctionnement. Si la note est en accord avec le plan préétabli, la hiérarchie " accompagne " la vie politique locale. Si elle va à l’encontre de ses intérêts, elle la corrige.

Selon M. Facon, il s’agit là d’une idéologie extrêmement dangereuse, explicitée sous couvert de se-crets et de rituels, qui veut que le grand maître ait toujours raison. Celui-ci reconnaît qu’il fonctionne à partir d’ordres donnés, de manière clandestine, par une hiérarchie secrète, appelée " Haut Conseil ", " Agartha " ou encore " les Compagnons de Maha ".

Cette terminologie se retrouve au sein de l’Ordre du Temple Solaire.

Selon leurs thuriféraires, ces maîtres disposent de structures, notamment à Zurich, Rome et Londres, dans lesquelles on trouve des cellules d’accueil, où des dirigeants de certaines organisations pseudo-initiatiques européennes viendraient se recycler, se ressourcer et suivre des séminaires. Au terme de ceux-ci, on leur donnerait des ordres qu’ils appliqueraient une fois de retour dans leurs organisations. C’est ainsi, par exemple, que Jo Di Mambro rencontrait régulièrement des membres de la loge P2.

Leur idéologie est de se substituer aux gouvernements des pays d’accueil et de substituer leur législation, à savoir celle du profit et du plus fort, à la législation existante.

Parent avait réussi à pénétrer l’Ordre Rénové du Temple (ORT) et à se glisser dans l’entourage d’un de ses maîtres, le fasciste Julien Origas. Celui-ci rédigeait, tous les mois, des notes de synthèse politiques à l’intention de ses maîtres de Zurich et de Rome.

Ensuite, Origas s’est rendu régulièrement à Bruxelles, qu’il disait être une place utilisée par les maîtres, dès 1945, pour permettre à l’Occident de se défendre contre la " barbarie communiste et slavo-mongole ". Il déclarait que les maîtres y venaient régulièrement plancher sur l’avenir de l’Occident. Ces maîtres étaient connus des gouvernants officiels et étaient très liés avec les financiers européens et américains.

Même si ces propos sont quelque peu emprunts d’exagération et de mythomanie dans le chef d’Origas, il faut cependant constater, dans son sillage, la présence d’individus qui l’observaient et l’aidaient. Selon Origas, ces structures bruxelloises se sont ralliées, dans les années 1952 à 1958, aux réseaux " scarabée ", réseaux cycliques, dormants pendant un certain temps et actifs lorsqu’on décidait de les réactiver.

Il disait également que le temple où il se rendait régulièrement était situé dans un immeuble de la chaussée de Charleroi, à Bruxelles, où l’on procédait à des rituels tantriques et où l’on tenait également des séminaires politiques.

Il est à signaler que Luc Jouret se réclamait aussi de la chaussée de Charleroi, où il aurait été initié au tantrisme. Le témoin déclare avoir été mis en possession de documents selon lesquels Jouret a été officiellement intronisé au sein de l’OTS en 1982. Pourtant si Luc Jouret arrive à l’OTS en cette année, il ne peut être devenu une année plus tard le patron de l’ORT, ce qui fut pourtant bien le cas. M. Facon explique cette trajectoire par la fréquentation de la chaussée de Charleroi dès 1976. Di Mambro fréquentait également cet endroit entre 1970 et 1976. Ce temple au-rait fonctionné jusque début 1991 et n’était pas installé dans une librairie ésotérique.

Il s’agit en fait d’une série de personnages dont l’idéologie d’extrême droite est très ancrée et qui n’ont qu’une connaissance occultiste très fragmentaire. Cependant, ils sont très forts en matière de manipulation mentale.

L’intervenant fait valoir que la trajectoire de l’Ordre du Temple Solaire illustre parfaitement le fonctionnement sectaire. C’est une vaste entreprise d’escroquerie morale, financière et spirituelle. De plus, on n’hésite pas à y recourir au meurtre collectif. M. Facon est d’avis que ce qui s’est passé au sein de ce groupe est interpellant : il faut, en effet, voir comment on peut éviter ce genre de glissements vers des règlements de compte de type mafieux, au nom d’une idéologie cependant respectable (les Templiers ont, par exemple, fait construire les cathédrales gothiques).

En réponse à une question en ce sens, le témoin indique qu’il ne croit pas à la théorie du passage ou de la survie éternelle pour des gens comme Jouret ou Di Mambro, qui étaient plutôt pragmatiques et jouisseurs. Ils ne pouvaient d’ailleurs donner de la spiritualité, puisqu’ils n’en étaient pas détenteurs. Que des gens se soient suicidés est tout à fait possible mais on admet désormais qu’il y a également eu des exécutions.

M. Facon confirme également qu’il est convaincu que l’OTS existe toujours. Il aurait des éléments à apporter en ce sens mais ce faire l’amènerait à sortir de son devoir de réserve. Il indique cependant qu’il est désormais prouvé qu’il existerait une loge-mère installée à Zurich. Elle aurait été en liaison avec un cercle ultra-clandestin au sein de l’OTS.

L’orateur est cependant convaincu qu’il existe des ordres templiers convenables. Il y a, en effet, des gens tout à fait sincères qui se réfèrent à des réalités qu’ils estiment être d’ordre supraterrestre. Ces réalités sont les maîtres, les " connaissants " et les anges. Ces personnes ont des références spirituelles qui ne débouchent pas sur des attitudes coercitives mais qui les poussent, au contraire, vers le partage et la tolérance.

Aux yeux de M. Facon, il y a secte, là où il y a un groupement qui ne respecte pas la législation en place, qu’il juge profane, et des dirigeants qui n’intègrent pas cette législation dans leur approche du sacré.

Interrogé sur une émission diffusée par TF1, où l’on voit un des ordres templiers, avec au sein de celui-ci des officiers de l’OTAN, se réunir en grand apparât, M. Facon confirme qu’il s’agit là d’une organisation secrète. D’ailleurs, la fascination pour l’ésotérisme templier de la part de certains hauts dirigeants n’a, selon lui, rien de nouveau.

Les journalistes qui ont réalisé le reportage ont indiqué qu’ils avaient eu un contact avec un général prêt à témoigner sur ces réseaux au sein de l’OTAN. Ce dernier a ensuite estimé ne pas devoir s’exprimer. L’orateur ajoute que certains personnages présents dans la cathédrale en cape templière sembleraient occuper des fonctions importantes au sein d’un parti politique européen.

Quant à l’existence de réseaux dormants, le témoin indique que ceux-ci existeraient en France sous le nom des réseaux " Rose des vents " et que Origas en faisait partie. Il n’en faisait d’ailleurs pas mystère.

Se référant à l’Ordre des Chevaliers du Temple, du Christ et de Notre-Dame (OCTCND), l’intervenant précise qu’il a été créé par des personnes que Parent connaissait très bien. L’un des buts poursuivis était de créer un " leurre " qui attirerait certains fascistes, afin de voir comment ils se livraient à certaines techniques de captation. Un résultat a été obtenu en 1985-1986, puisque Jouret et Di Mambro furent à la base d’une opération visant à poser des micros dans une salle de réunion. Ils se sont ainsi livrés à des vols de documents et ont essayé d’orchestrer une manoeuvre d’intoxication envers l’ADFI (Association de défense des familles et de l’individu).

En fait, la vocation de l’OCTCND, qui n’est pas achevée, a été de constituer un observatoire pour certaines personnes et d’en attirer d’autres. Le piège a d’ailleurs fonctionné à un certain moment.

Revenant sur le caractère exemplatif de la situation de l’OTS, M. Facon indique qu’il comprenait des gens qui ont interféré avec des réseaux Galdio ou qui étaient dans leur mouvance ou qui étaient dans la mouvance de la collaboration française, de l’espionnage ou encore de la réalisation de l’eurodroite entre l’Italie, la France, l’Allemagne, ...

Suite à un glissement vers la mythomanie et l’excès, ces personnes ont abouti à une situation criminelle, qui n’aurait peut-être pas vu le jour s’ils avaient respecté des normes plus sévères pour la sécurité de leur organisation.

Selon le témoin, les démocraties ont ainsi été directement confrontées à une situation de déstabilisation. Derrière l’aspect mythomaniaque de Di Mambro et jouissif de Jouret, il y a, en effet, une réalité d’extrême droite.

A un certain moment, dans les années 1970, des penseurs et de théoriciens politiques de cette mouvance ont, en réponse à la situation Est-Ouest, utilisé la stratégie de la tension, afin de créer un mouvement de sympathie envers un régime fort. On peut se demander si, par les phénomènes sectaires, ils ne sont pas en train de créer un nouveau plan de déstabilisation.

Revenant à la situation en Belgique, M. Facon ajoute que Parent lui a rapporté des propos tenu par Origas selon lesquels, à un certain moment, Bruxelles " utilisait la manière forte pour détruire ". Il ajoutait qu’en Belgique, les maîtres avaient décidé de mettre un terme à la " vermine " communiste et s’étaient alors débarrassés de Lahaut.

Interrogé sur l’activité actuelle de l’OTS dans no-tre pays, M. Facon indique que les dernières informations dont il a eu connaissance concernaient le rôle de Dominique Bellaton, ancienne maîtresse de Di Mam-bro. En 1994, elle serait en effet venue à plusieurs reprises en Belgique, afin de rencontrer à Bruxelles des gens capables d’organiser un massacre. Les mê-mes démarches auraient été effectuées dans la région parisienne. Le contrat ne semblait pas viser plus de deux ou trois personnes et valait 2 millions de francs. Certains témoins évoquent la suppression d’un trésorier. Il semble ainsi que l’on ait recherché un pistolet 22 LR. Or, Alberto Jacobino, l’homme qui avait les clés des coffres clandestins de l’OTS est mort à Cheiry. Un 22 LR a été utilisé ...

Toutefois, M. Facon se demande si Dominique Bellaton, tout comme d’autres, agissant de façon si visible, n’a pas servi de leurre ou d’appât. A ses yeux, deux machines intérieures auraient cohabité pour la préparation de ces liquidations : une machine artisanale, qui livrait son nom de façon grossière là où elle passait pour acquérir du matériel et puis des gens clandestins, plus professionnels, qui ont fait le travail.

Aux yeux de l’intervenant, rien n’a vraiment changé. Dans certains milieux ésotériques, " Maha " est plus que jamais agissant ou laisse entendre qu’il l’est. On effectue de plus en plus de rituels l’intégrant lui, ainsi que les " Maîtres du Monde ", les " Invisibles ". Certains prétendent même qu’un jour, on saura que Jouret et Di Mambro étaient des héros et qu’ils se sont sacrifiés pour la cause de Sirius, de Maha ou encore des maîtres invisibles, préparant ainsi le retour du Grand Monarque.

Le témoin estime que cela n’est guère innocent et que d’aucuns essaient peut-être d’utiliser l’affaire de l’OTS pour fondamentaliser certains mouvements ésotériques.

D’ailleurs, l’ORT continue toujours, avec son grand maître et son conseil secrets. Il existe aussi un grand maître secret au sein de l’OTS. l’Ordre comporte d’ailleurs sept cercles intérieurs, dont on n’en connaît que deux. Les cinq autres fonctionnent toujours.

Même si l’on surveille ses membres, l’Ordre n’est pas dissous. Selon M. Facon, sa structure cousine fonctionne encore à Bruxelles et à Rome. Cousine signifie qu’il n’existe pour eux qu’une grande famille : la famille templière installée en Belgique, en France, en Italie, ...

Interrogé sur l’importance numérique des adeptes ou sympathisants de l’OTS dans le monde, l’intervenant fait valoir qu’on a parlé de 400 à 500 personnes.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be