(Résumé de la partie publique de l’audition)

EXPOSE DE M. DEVILLE

M. Devillé a commencé à s’intéresser à L’OEuvre après la publicité de plus en plus large donnée à un certain nombre de plaintes émanant d’anciens membres, tant en Belgique qu’à l’étranger, et surtout après l992. Il estime que l’on peut conclure avec certitude, sur la base de ces témoignages, que L’OEu-vre est une secte. C’est ainsi que la personnalité des membres est, pour ainsi dire, anéantie par le recours à des techniques de dépersonnalisation et d’infantilisation, ce qui est d’autant plus grave lorsqu’il s’agit de mineurs ou d’enfants. Les victimes de ces pratiques en gardent des séquelles pour le restant de leur vie. Beaucoup d’anciens membres ont encore besoin, aujourd’hui, d’aide psychologique ou d’accompagnement. Un certain nombre d’éléments spécifiques qui se retrouvent dans L’OEuvre démontrent clairement qu’il s’agit d’une secte :

==== Rôle du confesseur

Dans l’Eglise catholique, le confesseur est tenu de manière très stricte au secret de la confession. Ce n’est pas du tout le cas au sein de L’OEuvre. Le membre y est tenu d’écrire sa confession sur des " feuillets de confession ", qui sont remaniés par la mère supérieure. Leur contenu peut ensuite être confessé par le membre. Cette démarche a pour but de susciter une bonne impression auprès du confesseur, en vue du recrutement. Elle permet par ailleurs également d’interroger le pénitent, une fois recruté, de manière approfondie. Il s’agit donc de toute manière d’une violation grave du secret de la confession.

==== Impossibilité d’avoir des conversations ouvertes

La seule forme de communication qui subsiste se situe entre les membres et le conseiller personnel qui leur est attribué. L’information est monopolisée au sommet de L’OEuvre : les membres communiquent vers le haut mais ne savent rien des autres membres ni des anciens. Ils sont totalement coupés du monde extérieur.

Le droit à l’information est pourtant un droit fondamental, qui est étroitement lié au droit de nouer et d’entretenir des relations de confiance (maintien des contacts avec sa famille), au droit au délassement (écouter et regarder des émissions de radio et de télévision), bref, au droit d’avoir un comportement ouvert et d’avoir des relations sociales, relations dont l’absence se traduit, dans notre société, par la fragilité, l’isolement et le désarroi.

==== Manque de relations fondamentales avec les autres

Les témoignages ont fait apparaître que les membres ne peuvent entretenir de contacts avec leur famille, même lorsqu’il s’agit de proches comme les frères et soeurs, et que L’OEuvre dissimule même ses membres à leur famille. Le mouvement se replie dans les " catacombes ", au sujet desquelles on ne sait rien. Il est souvent impossible, pour la famille, de savoir où résident les membres.

Les membres n’ont pas davantage la possibilité de confier leur détresse à des tiers ; il leur est même défendu de se rendre chez un médecin. D’après L’OEuvre, être malade est un péché.

Les membres de L’OEuvre sont également obligés de rompre les liens avec leur famille, sous le prétexte que la mère naturelle est mauvaise et que L’OEuvre leur en fournit une nouvelle (et meilleure).

Le monde de L’OEuvre est un monde d’isolement prude, moral et psychologique (L’OEuvre est la " lumière blanche "), par opposition au monde extérieur, qui est mauvais, même si l’Eglise est présente dans ce monde. L’Eglise est toutefois ouverte et tolérante. Il est également frappant de noter à quel point les dirigeants de L’OEuvre s’intéressent, de manière systématique, aux faux pas, même insignifiants, que les membres ont pu commettre dans le passé, et les utilisent pour faire en sorte que les membres aient toujours d’eux-mêmes une image négative. L’OEuvre décide elle-même qui peut devenir membre ; les personnes extraverties (que l’on peut mieux connaître) font de meilleures recrues que les personnes introverties.

Selon certains témoignages, L’OEuvre pratiquerait également l’exorcisme et le magnétisme.

==== Violation du secret des lettres

L’intervenant signale que des pratiques telles que l’ouverture de la correspondance adressée aux membres, le refus de lettres recommandées, la non-communication de lettres destinées aux membres (lettres provenant de la famille), la censure de lettres adressées à l’extérieur, etc. sont des pratiques courantes au sein de L’OEuvre.

==== Conséquences sur les droits en matière de sécurité sociale

Par suite de leur infantilisation et de leur dépersonnalisation, les membres cèdent une partie impor-tante de leurs revenus ou de leur patrimoine à L’OEuvre. Certains " frais " leur sont par ailleurs imputés et il arrive souvent que les membres ne soient pas rémunérés pour le travail qu’ils prestent au service du mouvement. Aucune cotisation sociale n’est en outre versée en faveur de ces membres.

On leur dit que la société veillera sur eux plus tard. On ne peut que constater que les questions financières sont toujours entourées du plus grand secret. Si des comptes détaillés sont demandés aux membres en ce qui concerne leurs dépenses, leurs revenus vont, quant à eux, directement aux dirigeants, par le biais de procurations. C’est ainsi qu’ont été cités d’innombrables exemples de successions échues à des membres, mais qui, en fait, ont été captées par les dirigeants de L’OEuvre.

==== Avoirs des membres

Ceux-ci sont immédiatement accaparés par L’OEu-vre, qu’il s’agisse de futurs héritages ou d’objets ayant une valeur sentimentale, tels que des photos, etc. L’OEuvre possède beaucoup de richesses et de biens placés à l’étranger, alors que les membres n’ont aucun loisir et n’ont plus la moindre parcelle de responsabilité personnelle. Les choses sont même allées si loin que certains malades étaient privés de soins (les médicaments étaient gérés par la mère supérieure, qui les " administrait " ou en consommait parfois).

==== Mentalité

L’attitude de L’OEuvre est celle d’une institution qui monopolise la vérité et présente le reste du monde (y compris l’Eglise) comme étant mauvais, ce qui est une caractéristique typique des sectes. Trois règles de base dominent l’attitude de L’OEuvre vis-à-vis de ses membres : ne pas réfléchir, ne pas discuter et ne pas critiquer. Ce sont là des caractéristiques anti-démocratiques que l’on retrouve également dans les idéologies totalitaires. L’intervenant estime que toute la philosophie de L’OEuvre doit d’ailleurs être considérée comme totalitaire : les membres subissant d’ailleurs des pressions (par exemple, on doit être mort à 50 ans, sinon on n’a pas assez travaillé, la sexualité est une faiblesse, etc.) de sorte que ceux qui veulent quitter le mouvement se trouvent devant un dilemme (le monde extérieur est mauvais).

==== Sentiments

Les sentiments sont dictés au sein de L’OEuvre : les membres ne peuvent montrer leurs sentiments et il est interdit d’en parler ; les membres ne sont pas autorisés à voir les faire-part annonçant le décès de leurs parents ; en cas d’hospitalisation, les membres sont invités à renoncer " volontairement " aux visites de leur famille.

==== Conclusion

M. Devillé estime que l’on peut, sans la moindre difficulté et de manière incontestable, définir L’OEuvre comme étant une secte. Des caractéristiques tel-les que la dépersonnalisation, l’infantilisation et la manipulation sont présentes au sein de L’OEuvre. Les membres ont, soi-disant, la liberté de prendre des décisions mais il s’agit, en fait, de décisions " toutes faites " : on décide ce que les dirigeants souhaitent que l’on décide, on décide ce que les dirigeants veulent que l’on décide. Ce sont eux qui détiennent la vérité.

L’OEuvre ne peut être assimilée à un couvent, car les couvents acceptent aussi d’autres groupes et admettent la diversité de la société. L’OEuvre prétend faire preuve d’ouverture, mais ce n’est qu’une appa-rence : il y règne une obsession du secret et la vie du mouvement est régie par de nombreuses règles non écrites (c’est ainsi que la mère supérieure a quotidiennement une vision sur les règles à imposer). On ne peut pas non plus perdre de vue que Rome ne reconnaît pas L’OEuvre.

Le règlement d’ordre intérieur se fonde sur une obéissance inconditionnelle. Les membres sont, en permanence, contrôlés, manipulés et isolés, de sorte que la plupart d’entre eux traversent une crise d’identité. A cela s’ajoute encore l’exploitation financière. L’OEuvre a une conception dualiste du monde : il y a L’OEuvre, une communauté quasi idéale, et, en dehors d’elle, il y a le reste du monde, et aussi l’Eglise, qui est mauvais. A l’extérieur, L’OEuvre se présente toutefois comme humaine, amicale et inoffensive.

TEMOIGNAGES D’ANCIENS MEMBRES DE L’OEU-VRE (MMES COCHET, DECOCK, BRABANTS-MARTENS, VAN BULCK, ACHTEN-WYNANTS)

Au cours de la séance publique, cinq témoins ont été entendus. Tous avaient quitté L’OEuvre depuis quelque temps, après en avoir été membres parfois pendant plus de vingt ans.

==== La formation

La plupart de ces témoins sont entrés fort jeunes dans la communauté après avoir suivi des cours à l’asbl Paulusheem (aide aux familles). D’après les témoins, les cours ressemblaient fort à des séances de lavage de cerveau, en ce sens qu’il s’agissait, avant tout, de poser des questions sur les candidats eux-mêmes, de sorte que L’OEuvre entrait en possession d’informations très personnelles.

Au début, les élèves pouvaient retourner à la maison après quinze jours, les fois suivantes, à des inter-valles de plus en plus longs (une fois par mois, tous les deux mois, tous les six mois, etc.). On interdisait strictement aux aspirants membres de révéler quoi que ce soit concernant l’institution (" parce que le monde extérieur, est étranger à ce milieu, n’y comprendrait quand même rien "). L’internat était particulièrement sévère.

La formation n’était cependant pas sanctionnée par un diplôme. L’intention initiale, qui était de créer des humanités sociales, n’a jamais été concrétisée, parce que la mère supérieure redoutait un contrôle extérieur (autorités laïques et religieuses).

Les " familles catacombes " jouaient également un rôle lors du recrutement (des familles dont les en-fants deviendraient automatiquement membres de L’OEuvre).

Les possibilités de délassement étaient rares et modestes.

Ces témoins mettent également l’accent sur les trois piliers de L’OEuvre : ne pas raisonner, ne pas discuter et ne pas critiquer. Ils prétendent que des techniques d’hypnose (axée sur une pensée unique) ont été appliquées.

Les vêtements, bijoux, objets de famille, photos et nécessaire de correspondance étaient confisqués dès l’admission.

==== La dirigeante

En ce qui concerne les contacts avec la mère supérieure, Julia Verhaeghe : les conversations étaient généralement axées sur l’apologie de L’OEuvre et de sa dirigeante et le dénigrement des familles et des parents des élèves. Lorsque des parents donnaient des signes d’opposition, on allait même jusqu’à placer les futurs membres sous la surveillance et l’autorité d’un membre de L’OEuvre, tandis que l’on continuait à critiquer les parents. En effet, ceux-ci étaient possédés du démon et l’aspirant membre devait se libérer de son passé et de ses liens familiaux (photos, lettres et autres, étaient déchirées).

En tout état de cause, la fondatrice exerçait une fascination sur les jeunes candidats et tout était mis en oeuvre pour préserver la mystique qui entourait sa personne. Elle était honorée avec le plus grand soin.

La mère supérieure serait fascinée par la vie et les oeuvres de grands dictateurs comme Hitler et Staline, qu’elle considérerait comme une source d’inspiration. Elle exige en tout cas de ses membres une obéissance religieuse et une abnégation inconditionnelles.

==== Les membres et la sécurité sociale

Les anciennes membres auditionnées n’ont jamais été rémunérées pour les activités qu’elles ont exercées (comme infirmières, aides pastorales, etc.).

En fait, le sommet de L’OEuvre ne faisait que profiter du travail des membres : exploitation financière, instructions et absence de toute justification.

Les conditions de travail au sein de la communauté ont été décrites comme relevant de l’esclavagisme, surtout lorsqu’il s’agissait des soins personnels à la mère supérieure, qui était particulièrement exigeante. Celle-ci avait d’ailleurs aussi des visions quotidiennes qui devaient être consignées et qui servaient de ligne de conduite pour la " politique " de L’OEuvre.

En tant qu’" employeur ", L’OEuvre n’était pas en règle vis-à-vis de différentes législations sociales (pas d’assurance contre la maladie ou les accidents, pas de cotisations de pension, etc.). Les membres n’avaient pas de véritable statut social, ce qui provoquait de sérieux problèmes lorsqu’ils quittaient le mouvement et les obligeait à demander le minimum de moyens d’existence. Les membres n’étaient d’ailleurs jamais inscrits dans la commune où ils résidaient.

A l’âge de 50 ans, les membres n’avaient pas encore rempli leurs obligations vis-à-vis de la communauté et lorsqu’ils atteignaient 60 ans, ils étaient censés s’en remettre à l’Etat et faire appel à des mécanismes comme le revenu garanti ou l’aide sociale. L’OEuvre n’avait donc aucun souci à se faire.

Une ancienne membre avait été recrutée en tant que collaboratrice " indépendante ", ce qui impliquait qu’elle devait travailler quelque part au dehors. Par la suite, elle a acheté en son nom propre une propriété destinée à être utilisée par L’OEuvre (propriété qu’elle devait toutefois mettre à la disposi-tion de celle-ci par testament). A la fin de sa carrière en professionnelle, elle a dû se mettre entièrement au service de L’OEuvre. Elle a parfois avancé de l’argent, qui ne lui a jamais été remboursé.

==== Dépersonnalisation

Le processus de destruction de la personnalité commençait dès l’adhésion officielle (qui allait, par ailleurs, de pair avec la signature d’un certain nombre de documents vierges). Cette adhésion impliquait la fin d’un mode de pensée normal et réaliste, ainsi qu’une disponibilité permanente au profit de la communauté. Les contacts avec le monde extérieur étaient totalement exclus : il était interdit de correspondre avec la famille ou des amis, d’écouter les nouvelles à la radio ou de regarder les programmes à la télévision.

Les parents avaient rarement des nouvelles de leurs enfants et vice versa. Les parents ignoraient même généralement où leurs enfants séjournaient : ces derniers voyageaient beaucoup, résidaient souvent dans des centres de L’OEuvre situés à l’étranger et ne pouvaient informer leur famille de leur lieu de séjour (on parle même d’" enlèvement "). Un témoin parle même d’une interdiction de voir sa famille pendant 10 ans.

Certains membres ont été forcés de rédiger un testament suivant un modèle bien déterminé. Ils étaient souvent " invités " à écrire une lettre à leurs parents afin d’exiger leur part d’héritage à l’avance. Si les parents refusaient, c’était le signe d’une intervention du diable. Les membres devaient également souvent signer des documents vierges en faveur de L’OEuvre.

==== Atteintes à la santé des membres

L’intégrité physique des membres était également menacée : un certain nombre de témoins ont vu leur santé décliner pendant leur séjour à L’OEuvre. C’est ainsi que l’on n’avait apparemment pas le droit de recevoir des soins médicaux, parce que la maladie n’était pas autorisée. La maladie était surtout le fruit de l’imagination et l’oeuvre du diable. Un témoin a même parlé d’une personne qui s’était gravement brûlée dans la cuisine et qui ne pouvait pas se faire soigner. Les médicaments n’étaient même pas administrés aux malades. Dans certains cas, il a même été question de gestes déplacés et de harcèlement sexuel.

Quand un membre était hospitalisé ou affaibli pour cause de maladie, L’OEuvre tentait d’abuser de ces circonstances en lui faisant signer des procurations en blanc, afin de désigner l’association elle-même comme bénéficiaire en cas de succession.

Quand des parents ou des proches des membres de L’OEuvre décédaient, il n’était pas permis aux membres d’assister aux funérailles. Plus grave encore : on leur cachait que leurs parents étaient malades, de sorte qu’ils ne pouvaient même pas leur rendre visite. Des témoins se sont, par la suite, sentis culpabilisés parce qu’ils trouvaient qu’ils avaient démérité. Il leur était par ailleurs également interdit d’exprimer leurs sentiments.

==== La relation avec l’Eglise catholique

L’OEuvre n’a, en réalité, rien à voir avec l’Eglise catholique ni avec sa mission. Elle est au-dessus de la société et des religions. Ses dirigeants font, en fait, ce qu’ils veulent sans être soumis à une quelconque forme de contrôle. Il n’existe apparemment pas de lois qui leur interdisent de se livrer à de telles expériences. Certains avocats relèvent même jusqu’à dix infractions dans les agissements de L’OEuvre.

Selon certains témoins, de hauts dignitaires, tant dans la société civile que dans la hiérarchie de l’Eglise, se sont laissés soudoyer pour obtenir des avantages au profit de L’OEuvre.

Des membres auraient également dû se rendre souvent à l’étranger afin de placer des montants importants sur des comptes étrangers.

Le secret de la confession n’a nullement été respecté. On ordonnait quand et auprès de quelle personne déterminée il fallait aller se confesser. Dans certains cas, on dictait même à l’avance ce que l’on devait confesser et un contrôle était ensuite exercé par la mère supérieure.

Quitter la communauté semblait impossible, sur-tout à cause de l’angoisse profonde à laquelle chacun était en proie (retour vers le monde diabolique, le monde du péché). On s’était, en outre, coupé du mon-de normal. Dès que la communauté était au courant de l’intention qu’avait un membre de partir, celui-ci était durant des mois, la victime de tracasseries (coups de téléphone, calomnies, ...).

==== Conclusion

Selon les témoins, L’OEuvre est sans aucun doute une secte sur base des critères suivants :

 destruction de la personnalité ;

 interdiction de tout contact avec les parents/la famille ;

 appropriation des héritages et des biens ;

 pratique consistant à dicter des lettres ;

 présentation manichéenne du monde (L’OEuvre est bonne, le reste est mauvais) ;

 utilisation de techniques telles que le lavage de cerveau ;

 " enlèvement " de membres, qui sont généralement recrutés à un très jeune âge (la famille ignore où quelqu’un réside) ;

 aucun statut social ;

 idée fausse que L’OEuvre a pour mission secrète de réformer l’Eglise catholique.

Ces faits ont été très largement confirmés par 3 témoins entendus à huis clos.

QUESTIONS

1° Apparemment, diverses infractions ont été commises : cessions forcées de biens, vol, captation d’héritages, non-paiement de salaires, trafic international de fonds, défaut coupable d’assistance, travail au noir, enlèvement de mineurs, violation du secret des lettres, obstacle à l’exercice des droits civils, etc. A-t-on cependant effectivement déposé plainte ou engagé des poursuites et, le cas échéant, y a-t-il eu des condamnations, et dans la négation, pourquoi n’y en a-t-il pas eu ? Pourquoi les familles n’ont-elles jamais déposé plainte, si les membres ne l’ont pas fait eux-mêmes ?

M. Devillé répond qu’aucune plainte formelle n’a encore été déposée et que, par conséquent, aucune condamnation n’a encore été prononcée. Le fait que l’on ait pas porté plainte peut être dû aux lavages de cerveau pratiqués en profondeur, dont les effets peuvent durer de 10 à 20 ans.

L’OEuvre se situe dans les milieux religieux : les familles d’anciens membres ont déjà eu des discussions avec des ecclésiastiques de Rome, mais elles n’ont apparemment pas encore eu l’idée d’entrepren-dre des démarches au sein de la société civile. Ce ne serait d’ailleurs pas si facile, vu les ramifications internationales (le siège central se trouve en Belgique).

Apparemment, les membres peuvent difficilement déposer plainte : ils n’ont pas d’argent et ne peuvent rémunérer un avocat, ils sont découragés (ils ne sont pas de taille à se mesurer à L’OEuvre), ils n’osent pas, ils ont perdu leur personnalité et l’idée d’obéissance domine, même après avoir quitté la communauté.

2° La détresse dans laquelle se trouvent de nombreux membres est-elle une conséquence de la manipulation mentale ?

Il est un fait que les membres sont manipulés durant des années et sont, par conséquent, traumatisés. Il est très grave qu’une telle chose ait pu arriver, mais il est peut-être très difficile de le prouver, parce que les membres n’osent probablement pas en parler. Cela devient dangereux quand ce genre de tendances prévaut au sein de la société.

Il est particulièrement regrettable que l’on puisse apparemment opérer au sein d’institutions connues, sans que celles-ci ne soient au courant (par exemple, recrutement de membres parmi des adolescents dans les collèges).

3° L’OEuvre spécule apparemment sur une certaine confusion avec l’Eglise catholique. Quelle est la réaction de l’Eglise ? L’OEuvre est-elle une secte au sein de l’Eglise catholique ou veut-elle sincèrement servir la société ?

Selon l’orateur, l’Eglise catholique ne sait pas bien quel comportement adopter à l’égard de L’OEuvre. Elle a également besoin de plus amples informations. En 1988, une analyse détaillée a été remise à la Conférence épiscopale. Consulté, le Vatican a répondu qu’il s’agissait d’une association pieuse et charitable et qu’il n’était donc plus nécessaire d’examiner le problème plus avant.

Il est très important de bien examiner la signification des messages de Rome : il s’agit en effet souvent de décisions et d’avis de personnes qui ont un lien direct ou indirect avec L’OEuvre.

Pour le reste, il n’y a jamais eu d’autre réaction de la part de l’Eglise.

M. Devillé pense que l’on peut probablement considérer que L’OEuvre est une secte implantée au sein de l’Eglise catholique plutôt qu’une secte implantée dans la société. L’Eglise catholique fait évidemment partie intégrante de la société, de sorte que L’OEuvre a, indirectement, un lien avec la société. Il semble que L’OEuvre infiltre le monde des hauts dignitaires de l’Eglise afin, de pouvoir exercer, par ce biais, une certaine influence sur la société.

4° Les membres de L’OEuvre ont-ils le même statut que les religieux ?

L’Eglise ne reconnaît pas à L’OEuvre le statut de congrégation monastique.

5° Pourquoi n’a-t-on posé des questions concernant L’OEuvre que dans l’évêché de Gand ?

L’OEuvre était peu connue jusqu’il y a quelques années. L’organisation apprécie la discrétion. Depuis la fin des années 1980, quelques anciens membres ont contacté certains évêchés et une enquête a été ouverte notamment à Tournai, sans résultat, il est vrai. Une deuxième enquête, qui était apparemment plus approfondie, a été menée dans l’évêché de Gand, mais on a quand même hésité à ébruiter le dossier.

Si les seules critiques sont venues de Gand, c’est probablement parce que L’OEuvre avait l’intention d’acquérir une maison dans cette ville. Ce projet s’est heurté à l’opposition de l’évêché. L’OEuvre aime en effet acquérir des maisons dont se dégage un certain rayonnement, qui ont une valeur symbolique et qui contribuent à rehausser l’image de l’association (cf. la " Newman house " à Oxford). Aussi cherche-t-elle à acquérir de vieux couvents, des maisons ayant appartenu à d’anciennes congrégations, etc.

6° Quelle réaction les témoins attendent-ils de la commission d’enquête parlementaire ?

Les témoins ont parcouru un long chemin et sont surtout préoccupés par l’avenir. Il faut protéger les jeunes des pratiques sectaires et veiller à la transparence des groupes et des associations. Si des personnes habitent effectivement au sein d’une communauté, leurs droits élémentaires, tels que le droit au secret des lettres, doivent être garantis.

7° On dit que L’OEuvre n’autorise pas la critique et que les membres doivent accepter une série d’axiomes. N’est-il cependant pas normal que, lorsque l’on devient membre d’une association, on en accepte les règles ; sinon, il faut la quitter ?

Il est, certes, permis de devenir membre d’une association, mais il est normal que l’on sache à l’avance quelles en sont les règles. Il s’agit d’une véritable manipulation. Les règles de L’OEuvre n’apparaissent pas vraiment comme telles. Elles peuvent toujours être modifiées de façon unilatérale (par exemple, suite aux révélations de la mère supérieure), mais il faut quand même les accepter inconditionnellement à l’avance.

8° Comment se déroule le recrutement des jeunes (internats) ? Comment le recrutement a-t-il évolué depuis les années 1950 ?

L’OEuvre a-t-elle vraiment appliqué une politique de recrutement active (elle ne recherchait certainement pas des membres importants) ? Le recrutement de membres se faisait auparavant par le biais de l’aide aux familles, alors qu’à présent, il s’effectue davantage par le biais des écoles (sessions, retraites). C’est un danger réel, parce que les jeunes esprits sont très accessibles aux idées propagées. Un témoin affirme que c’est son médecin qui l’a envoyé à l’établissement de L’OEuvre de Villers-Notre-Dame pour " pouvoir mieux se reposer ".

9° Existe-t-il des données concernant le nombre de membres et de familles-catacombes ?

Le nombre des membres de L’OEuvre a bien augmenté, en tout cas au niveau international. A l’origine, on ne recrutait que des femmes, mais, à présent, on recrute de plus en plus d’hommes, surtout parmi les prêtres et dans les communautés de frères (une première ordination aurait récemment eu lieu en Autriche, ce qui est impossible selon le droit canon, puisque L’OEuvre n’est pas reconnue).

En Belgique, L’OEuvre compterait environ 150 membres. La liste des " familles-catacombes " n’est pas disponible. Parfois, les familles ne se rendent pas compte de leur statut.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be