Sujet : DPS

Audition de : Gilles Sainati

En qualité de : secrétaire général du syndicat de la magistrature

Par : Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, Assemblée nationale (France)

Le : 17 février 1999

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Gilles Sainati est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Gilles Sainati prête serment.

M. Gilles SAINATI : Avant tout, je souhaiterais rappeler dans quel contexte le syndicat de la magistrature peut avoir des informations sur le DPS. Je représente un syndicat de magistrats de gauche, faiblement implanté dans les tribunaux de grande instance (TGI) de villes où le Front National est au pouvoir. Nous avons en effet très peu de magistrats syndiqués dans le Sud-Est. Cependant, nous avons une longue histoire de lutte contre toute forme de discrimination et d’organisation antirépublicaine. Ainsi, nous soutenons depuis un an M. Albert Lévy, substitut à Toulon, qui a connu les déboires que l’on sait en matière de lutte contre le Front National et qui a fait l’objet de procédures qui peuvent paraître parfois bizarres.

Lorsque j’ai reçu votre convocation concernant le DPS, je me suis rapproché de nos syndiqués implantés dans les TGI de communes gérées par le Front National, ou par des personnes qui lui sont proches, pour voir si dans ces TGI, on pouvait constater une manifestation d’une organisation comme le DPS. Effectivement, sur Toulon notamment, le DPS intervient en marge, ou à côté, de la police municipale. Ces personnes interviennent en uniforme bleu lors de congrès ou de manifestations publiques du maire de Toulon, par exemple. Il a été constaté qu’existait un risque de confusion grave entre les services de police nationale, les CRS, les services de police municipale - qui ont un statut particulier - et cette organisation, service d’ordre du Front National.

Il est possible aussi que des procédures judiciaires aient pu permettre de constater ces faits à l’occasion d’investigations policières. Mais je n’ai pas d’informations précises en la matière. Et même si j’en avais, elles seraient couvertes par le secret de l’instruction. Néanmoins, je pense que, pour savoir s’il y a ou aurait eu des informations allant dans ce sens, la Commission parlementaire pourrait utilement se rapprocher à ce sujet de la direction des affaires criminelles et des grâces.

Concernant le DPS en lui-même, se posent différents problèmes.

Premièrement, nous avons un regard critique vis-à-vis des services privés de sécurité, qui fournissent depuis maintenant de nombreuses années des prestations commerciales. Ne serait-ce qu’à ce stade, on sait déjà qu’il existe des problèmes de confusion grave au moment des interpellations par ces services privés, notamment relatifs aux difficultés d’articulation avec l’arrivée de la police nationale en cas d’interpellation sur des faits délictueux. D’après les informations que nous avons recueillies sur le DPS, le problème est encore plus grave. En effet, le DPS est une milice privée ayant des visées politiques, qui, d’après ce que nous avons pu noter, dans un premier temps - en tout cas, jusqu’en 1997 -, conduisait manifestement des actions qui étaient du ressort de la police nationale, actions d’arrestation notamment ainsi que d’autres sur la légalité desquelles on peut s’interroger.

D’autres syndicats de magistrats pourront certainement vous apporter des éléments. En tout état de cause, voilà tout ce que le syndicat de la magistrature peut vous dire sur le DPS. Mais notre syndicat, je le rappelle, est faiblement implanté dans les villes du Sud-Est, où l’on observe effectivement une organisation structurée du DPS, comme à Toulon ou à Nice, villes dans lesquelles on pourrait constater des phénomènes du même type.

M. le Rapporteur : Avant tout, monsieur le secrétaire général, nous vous remercions d’être venu. Les autres organisations syndicales de la magistrature n’ont pas cru devoir le faire parce que, semble-t-il, elles ne connaissaient pas le DPS et n’en avaient jamais entendu parler. Nous en avons pris bonne note.

Pour nous, la question est de connaître le fonctionnement du DPS et ses agissements coupables, mais aussi de voir s’il correspond aux dispositions prévues par la loi du 10 janvier 1936 et, remplit, semble-t-il, les critères cumulatifs dégagés par la jurisprudence. C’est, du moins, la position de la direction des libertés publiques du ministère de l’Intérieur. Aussi aurai-je quelques questions à poser au juriste que vous êtes.

Quel est votre sentiment, lorsque des membres du DPS, je n’ose dire " arrêtent " mais saisissent un manifestant ou un punk, comme cela s’est passé il y a quelques mois à Carpentras, et le remettent aux services de police ? N’est-ce pas curieux de leur part mais aussi de la part des services de police qui prennent ce jeune sans rien dire ? Par ailleurs, que savez-vous, ou que croyez-vous savoir du rôle de M. Bernard Courcelle dans l’arrestation des meurtriers du malheureux Brahim Bouarram ?

M. Gilles SAINATI : Sur cette dernière question, je ne saurais vous répondre, faute d’informations.

Sur la première question, les collègues avec lesquels j’ai pu discuter hier, lors d’un déplacement à Toulon pour faire le point sur le sujet, confirment ce que vous venez de dire, c’est-à-dire que le DPS intervient lors de manifestations publiques et se permet des arrestations. Cela pose d’ailleurs un problème de ports d’armes de sixième catégorie, puisqu’il aurait été constaté que ces membres du DPS étaient équipés de menottes, instrument réservé à la police nationale dans le cadre d’une arrestation et du code de procédure pénale. Ces échos nous sont revenus de manière précise, de Toulon notamment. De ce point de vue, il n’y a aucune ambiguïté : il y a une confusion complète avec les pouvoirs de police nationale : le fait d’arrêter quelqu’un relève de la puissance publique et du code de procédure pénale, qui prévoit les formes juridiques de l’interpellation. A aucun moment, il n’est prévu qu’une milice privée ou une société privée puisse la pratiquer.

C’est en cela que je disais tout à l’heure que les problèmes posés par le DPS ont un lien avec le statut des sociétés de surveillance. Lorsque l’on assiste à des interpellations et à des arrestations dans des grandes surfaces faites par des sociétés privées de surveillance, se pose toujours initialement le problème de légalité dans la procédure. Certes, tout citoyen peut remettre quelqu’un dont il pense qu’il a commis un délit ou une infraction à l’autorité publique, la police nationale ou la gendarmerie. Encore faut-il que cette dénonciation soit faite dans des formes légales, c’est-à-dire sans violence préalable. Tout le problème est là : l’arrestation avec des menottes ou par la force pose problème parce que, par la suite, on peut douter toujours de l’existence de l’infraction, qui aurait pu être dénoncée.

Il y a donc, à mon avis, utilisation par le DPS d’une force publique dont ils n’ont pas à user. C’est l’une des choses les plus précises que l’on peut reprocher au DPS.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : : Vous avez dit que dans les villes comme Toulon, il existait une " force " qui pouvait, par l’uniforme qu’elle portait, entraîner des confusions avec la police municipale.

M. Gilles SAINATI : Et avec la police nationale.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : : Aujourd’hui, il existe des outils pour punir cela, le port de l’uniforme de la police constituant un acte répréhensible. Pourquoi ces personnes, que l’on voit porter ces uniformes, ne sont-elles pas punies comme elles devraient l’être ? Par peur, par négligence ? Comment l’expliquez-vous ?

Vous êtes allé à Toulon très récemment. Pensez-vous, à travers les propos de vos collègues, qu’il y ait une réelle complicité entre les forces de la police nationale et ces personnes ? Avez-vous des éléments qui peuvent nous éclairer à ce sujet ?

En dehors des villes où le Front National est implanté, avez-vous, par l’intermédiaire des syndiqués de votre mouvement, quelques faits à nous livrer, qui auraient pu remonter de constatations faites, par exemple, à l’occasion de manifestations qui ont pu avoir lieu ici ou là ?

M. Gilles SAINATI : A Toulon, des constatations précises ont pu être faites. En revanche, dans des villes où se sont tenues des manifestations telles que des meetings du Front National et où il y a eu intervention de ce service d’ordre qui, semble-t-il, se déplace systématiquement lorsqu’ont lieu des meetings, il n’y a pas eu de constatations identiques à ce qui a pu être observé sur Toulon. Ailleurs qu’à Toulon, ces forces ne se sont pas déployées pour procéder à des arrestations, mais sont restées cantonnées dans les endroits où avaient lieu les meetings. La police nationale, qui était autour, a pu travailler normalement, selon les formes réglementaires.

Nous en venons à votre deuxième question : comment se fait-il que dans des villes comme Toulon, on assiste à ce type de débordements ? Je suis incapable de répondre de manière définitive à cette question. Nous nous la posons justement à propos d’une certaine porosité du corps judiciaire aux idées du Front National. Cette réflexion, récente, est en cours dans notre instance. On peut évidemment se la poser pour la police nationale. Il est vrai que, souvent, les personnes qui sont responsables de police municipale sont d’anciens commissaires de police à la retraite ou qui, après une carrière d’un certain nombre d’années, s’occupent de police municipale. Compte tenu des liens qui existaient antérieurement entre ces personnes, anciens membres de la police nationale ou de la gendarmerie, et celles qui sont encore en poste, on peut dire que souvent, les procédures qui devraient être mises en place ne le sont pas et donc sont vouées à un échec certain. A Toulon, c’est peut-être le cas.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous êtes affirmatif ?

M. Gilles SAINATI : C’est le fruit d’une réflexion élaborée après une observation de plusieurs mois. Effectivement, on se pose la question ; on peut penser que, peut-être, ce serait une explication. Elle paraît assez cohérente, puisque, dans la police municipale que l’on connaît, on a souvent d’anciens officiers de police nationale. Ainsi, le responsable de la police municipale de Toulon, dont je n’ai plus le nom en tête, est un ancien commissaire de police. Or, on sait très bien que la police municipale de Toulon est très proche des unités du DPS. Un effet de corps peut certainement jouer et expliquer que les collègues en poste dans la police nationale ne fassent pas la même chose que dans d’autres villes.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : En est-il de même des magistrats ?

M. Gilles SAINATI : Pour les magistrats, nous avons eu l’affaire concernant M. Albert Lévy. Nous avons été surpris de la procédure tout à fait aberrante dont il était l’objet, mais elle est en cours et nous n’avons pas à la commenter davantage. Il y a eu aussi cette fameuse insulte raciste et antisémite d’un avocat général près la Cour de cassation. On peut d’ailleurs s’interroger sur ce qu’il fait à ce niveau de la hiérarchie judiciaire après avoir formulé de tels propos, sachant, en outre, qu’il est connu pour être membre d’un syndicat très à droite dans la magistrature.

De telles réflexions, qui sont très graves, nous poussent à penser qu’il existe une porosité claire et nette entre les idées du Front National et une partie, infime peut-être mais, en tout cas, significative, de la magistrature.

M. le Président : D’après le syndicat de police que nous avons reçu hier, le CRS qui avait salué ostensiblement Mme Catherine Mégret lors du congrès de Strasbourg du Front National n’avait pas fait l’objet d’une procédure disciplinaire suffisamment rigoureuse. Pensez-vous que ce phénomène de porosité qui existe manifestement dans la police, et dont vous dites qu’il existe dans la magistrature, ait des effets sur le traitement judiciaire des affaires ?

M. Gilles SAINATI : Il est clair que cela a des effets. Actuellement, le parquet, par l’intermédiaire des procureurs de la République, a un pouvoir important d’appréciation de l’opportunité des poursuites. Le principe d’opportunité des poursuites a pu jouer dans le cas que vous citez. Il ne faut pas généraliser ni être alarmiste mais nous pensons que cela a pu jouer dans certains cas.

M. le Rapporteur : Comment expliquez-vous cette porosité de l’institution judiciaire à l’égard d’une formation d’extrême-droite ? J’explique ma question : les douaniers, par exemple, sont moins " poreux " que les magistrats ou les policiers. On a même parfois le sentiment que l’armée, dont, pourtant, certains éléments sont très à droite, est moins " poreuse " que l’institution judiciaire. C’est une question que l’on peut se poser en tant que citoyen. On vous pensait, vous, magistrats, mieux protégés que les policiers, par exemple.

M. Gilles SAINATI : Je ne sais pas si pour la gendarmerie nationale, une des composantes de l’armée, le problème ne se pose pas de manière identique.

Tout d’abord, je pense que cela peut s’expliquer par un climat général. Il y a encore quelques années, les personnes qui tiennent maintenant de tels propos ouvertement à l’audience ne l’auraient pas fait. Cela se produit même dans des endroits où le Front National n’est absolument pas implanté, ou très peu. Par exemple, je suis juge d’application des peines à Montpellier et nous avons eu récemment des substituts qui, à l’audience, ont tenu des propos négationnistes. Nous sommes très surpris. J’ai essayé d’y réfléchir : comment se fait-il que ces personnes puissent tout à coup, tenir ce genre de propos en public, et à l’audience en plus, lors de réquisitions publiques ? C’est bien un problème de climat général : si ces personnes avaient peut-être déjà ces idées, maintenant, elles les énoncent tout haut, alors qu’il y a encore quelques années, elles se seraient censurées. C’est un premier point, mais un point qui vaut pour tous les corps de l’administration.

En deuxième lieu, il est important de noter que, dans la magistrature, ces attitudes peuvent être observées dans des régions précises, globalement dans le Sud-Est de la France. On objectera que l’affaire mettant en cause le procureur général près la Cour de cassation a eu lieu à Paris. Il convient cependant de rappeler que ce dernier appartient à l’Association Professionnelle des Magistrats (APM), qui regroupe des personnes très à droite, dont les réflexions, à mon sens, sortent parfois du cadre de la République. En tout état de cause donc, il serait intéressant d’étudier les mouvements dans la magistrature. Comme vous le savez, les magistrats du siège sont inamovibles. Mais les magistrats du parquet ne bougent pas beaucoup non plus, certaines personnes faisant l’intégralité de leur carrière dans le ressort d’un même tribunal, ou dans une même région. En l’occurrence, sur Nice, Toulon et Grasse, il est intéressant de noter qu’il y a très peu de mouvements ; les magistrats sont en place depuis de très nombreuses années. Finit alors par s’installer cette espèce de - je ne dirai pas connivence - mais de porosité que l’on constate. Si l’on est déjà sensible à des idées extrémistes ou très à droite, en restant plus de quinze ans dans des fonctions importantes dans un tel environnement, on finit par devenir extrémiste ou très à droite.

C’est une explication qu’il serait facile de vérifier, les mouvements de magistrats étant parfaitement connus : il suffit de voir, dans les TGI de cette région, s’il y a eu beaucoup de mouvements de personnes aux postes importants. Les premières constatations devraient vous permettre de voir qu’un nombre important d’entre elles est en poste depuis plus de dix ans, si ce n’est au même poste, en tout cas, dans une région un peu élargie entre Toulon, Grasse, Draguignan. Je suis magistrat du siège, donc par définition inamovible, mais je pense qu’il faut avoir le courage de changer au moins de fonction et d’essayer, dans son parcours de carrière, de bouger pour ne pas rester dans un climat qui peut parfois être détestable. S’agissant des régions que j’ai citées, elles sont tout de même suffisamment connues pour avoir, en matière politique, des opinions majoritaires très antirépublicaines.

M. le Président : C’est M. Bartoloméi que l’on fait bouger dans le Sud-Est...

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Notre débat porte davantage sur la prégnance des idées extrémistes dans la magistrature, que sur le DPS proprement dit, mais il est intéressant d’avoir votre point de vue sur le contexte dans lequel peut évoluer le DPS.

Vous disiez que désormais, dans ces régions, l’on entend, tenus en audience publique, des propos que l’on entendait pas il y a quelques années. Peut-on aller jusqu’à penser que c’est une forme de propagande, simplement de la provocation ou encore le contexte de ces villes, qui fait que les gens se sentent moins " critiquables " que dans un autre milieu ?

M. Gilles SAINATI : Je ne parlais pas seulement des TGI des villes gérées par le Front National ou qui en sont proches puisque, comme je le disais, cela s’est également produit à Montpellier et l’on ne peut pas dire que M. Georges Frèche soit très proche des idées du Front National ! Deux de nos substituts - cela a été dit dans la presse, il n’y a donc pas de secret particulier - y ont récemment tenu à l’audience des propos absolument étonnants, carrément négationnistes, pour d’ailleurs requérir une relaxe dans un dossier où il y avait matière à condamner... Le tribunal n’a pas suivi le procureur mais il n’en reste pas moins que ces propos ont été tenus en audience publique par une personne qui est procureur de la République. Nous sommes surpris parce que, le connaissant un peu depuis quelques années, nous nous demandons ce qui s’est passé tout à coup. Je ne pense pas qu’il s’agisse de propagande ; ce sont des choses qu’il devait penser - on est surpris de l’apprendre - et qu’il dit publiquement désormais. Même s’il ne faut pas être affirmatif tout le temps, - tout est gris et non pas noir ou blanc - de fait, il y a actuellement, dans la magistrature en France, des personnes qui sont très sensibles aux idées d’extrême-droite. On les retrouve dans un syndicat, l’APM, qui a connu une scission. Il y a maintenant, semble-t-il, deux syndicats de ce type. Je ne sais pas ce qu’il en est exactement mais, en tout cas, l’histoire récente, et notamment l’affaire concernant M. Albert Lévy, montre qu’au plus haut niveau de ce syndicat, des propos antisémites ont été tenus. Il doit donc bien y avoir, au sein de l’APM, des personnes qui tiennent ce type de propos, cette affaire ne faisant, finalement, que retracer l’ambiance générale d’un syndicat, qui ne se présente d’ailleurs pas comme tel puisque cette organisation s’intitule " l’association professionnelle des magistrats ".

M. André VAUCHEZ : Vous nous orientez sur un sujet auquel je ne m’attendais pas. Il est vrai que - c’est un fait scientifique - les milieux interviennent sur l’homme, dès lors que celui-ci oublie de penser. Il serait bon que nous nous interrogions dans cette enceinte pour savoir comment mettre fin à de telles dérives.

Pour ce qui est du DPS, ce qui nous intéresse, c’est d’avoir des preuves. Vous citez des villes comme Toulon, mais je pense, hélas !, qu’il y en a d’autres, et que le DPS a fait des coups de force sur l’ensemble de la France. Avez-vous connaissance de personnes ayant été manipulées, bousculées, ... par le DPS, qui auraient porté plainte et dont la plainte aurait conduit à un jugement ?

M. Gilles SAINATI : Nous sommes un syndicat de magistrats. Nous ne pouvons pas procéder à ce genre de recensement.

M. André VAUCHEZ : Je ne parle pas de recensement, mais de cas dont vous auriez eus connaissance.

M. Gilles SAINATI : Très honnêtement, je ne peux vous donner de réponse. Je pense que cela doit exister. La personne qui pourrait vous répondre de manière tout à fait objective est le directeur des affaires criminelles et des grâces à la Chancellerie puisque, compte tenu de l’organisation des parquets, de tels cas doivent remonter au niveau des affaires criminelles et des grâces.

M. le Président : En tant que syndicat, je crois que vous vous êtes prononcés pour la dissolution du DPS ?

M. Gilles SAINATI : En effet. Le choc est frontal entre le syndicat de la magistrature et le Front National puisque celui-ci nous a assignés en justice, arguant du fait que nous ne serions pas un syndicat et n’aurions pas droit à l’article L.122-4 du code de travail. Nous sommes assignés devant le TGI de Paris depuis le mois de septembre. Mais ceci est en marge de la question qui vous occupe.

Pour ce qui est de la dissolution du DPS, je rappelle que, d’une part, nous n’avons jamais été favorables aux sociétés privées de surveillance dont nous estimons qu’elles devraient être régies par un statut particulier très précis. D’autre part, nous sommes pour la suppression d’une société de surveillance qui a des idées antirépublicaines et une idéologie tout à fait contraire à ce que l’on devrait appliquer et vivre en France. Nous sommes donc pour la dissolution de ce type d’organisation de fait - il est en effet difficile d’identifier une structure, au sens juridique du terme.

M. le Président : La question qui est posée à notre Commission, c’est d’examiner, au regard de la loi de 1936, si les critères dégagés par la jurisprudence pour la dissolution d’autres organisations sont réunis dans le cas du DPS. Vous proposez la dissolution ; quelle est votre opinion sur cette question qui fait manifestement débat ?

M. Gilles SAINATI : La première chose serait de recenser les faits et les procédures qui ont été jugées définitivement, qui permettraient de constater des agissements contraires aux lois de la République. C’est un premier point ; nous ne l’avons pas fait, parce que nous réagissons surtout à l’actualité, quand nous avons des informations.

Concernant plus précisément la dissolution, dès l’instant que nous avons une organisation de fait qui, tout d’abord, est armée - puisque l’on a tout de même constaté des ports d’armes de sixième catégorie et des choses qui posent problème -, qui, ensuite, pratique des arrestations arbitraires, qui aboutissent à une confusion claire et nette avec les services de police nationale, et qui enfin, est proche d’une organisation ayant une idéologie raciste et antirépublicaine, nous estimons que la conclusion que l’on pourrait tirer, c’est que cette organisation ne devrait pas exister. Tout cela nécessite cependant de mener une instruction plus précise et de mettre en parallèle tous ces faits.

Il ne faut pas se cacher que, dans le cas d’une éventuelle dissolution du DPS, ses membres iraient ailleurs, notamment dans les polices municipales qui leur sont très proches. En effet, il y a souvent un lien, et des échanges de services, entre les polices municipales de ces villes et le DPS.

M. le Rapporteur : On peut effectivement se poser la question de savoir si les critères cumulatifs sont retenus ou non. On peut aussi se poser la question de savoir si le DPS est plus utile tel qu’il est, pour contenir les agissements d’extrémistes encore plus extrémistes que lui, même si l’on n’en a pas le sentiment quand on le voit se retirer chaque fois que des skinheads s’en prennent à des journalistes ou des militants antifascistes. Ainsi, soit on le garde comme soupape de sûreté, soit on demande sa dissolution, tout en sachant bien que, s’il était dissous de façon administrative ou judiciaire, telle l’hydre, il se reconstituerait dans la semaine qui suit.

M. Gilles SAINATI : Cela dit, la dissolution revêt un caractère symbolique important qui ne peut pas être nié et entraîne une déstabilisation de ce type d’organisation, qui peut aboutir à calmer les choses par la suite.

M. Robert GAÏA : Vous évoquez la nécessité d’être vigilant s’agissant des sociétés de sécurité et de se pencher sur la législation qui les régit. Quelles seraient, selon votre syndicat, les grandes lignes d’une législation plus dure dans ce domaine ?

M. Gilles SAINATI : Premièrement, les employeurs de sociétés de sécurité qui embauchent des salariés doivent faire une déclaration dans un délai de trois mois. Or, en tant que juge d’application des peines, je me pose des questions lorsque je vois des probationnaires être embauchés dans ce type de sociétés. Pourquoi cela peut-il fonctionner comme cela ? Tout simplement parce que des employeurs, au mépris de la législation sociale, utilisent ce type de personnes pendant trois mois, le temps qu’il faut pour déposer la demande d’agrément auprès de la préfecture. C’est ainsi qu’il existe dans ces sociétés un turnover important de personnes qui échappent à l’obligation d’agrément. On ne voit pas s’ils ont un casier judiciaire.

M. le Président : Mais l’agrément est pour la société.

M. Gilles SAINATI : Oui, mais il y a ensuite sur chaque salarié que l’employeur embauche une petite enquête administrative, ce qui paraît logique. Et l’on constate là un turnover très rapide, ce qui fait que ces sociétés embauchent des gens en dehors de tout cadre légal. Je ne parle même pas des personnes qui sont embauchées à la sortie des boîtes de nuit de manière complètement illégale. C’est un premier point important : s’agissant de la déclaration à la préfecture, il y a un vide juridique qui aboutit à des pratiques qui sont contraires à la loi et sont finalement sources d’insécurité. En effet, voir des gens qui ont été condamnés pour des violences volontaires entrer dans une société de surveillance, cela pose problème, ne serait-ce que quant à leur capacité à se maîtriser ou à se contrôler.

Le deuxième problème concerne leur intervention aux côtés des forces de l’ordre, lorsqu’ils interviennent, par exemple, dans les grandes surfaces. Nous sommes surpris de voir ce type de situations, de plus en plus fréquentes, dans lesquelles les sociétés privées de surveillance interviennent lorsqu’elles ont l’impression qu’une infraction est constituée. Parfois, cela donne lieu à des méprises importantes puisqu’elles font venir les services de police nationale ou de gendarmerie pour que la personne soit mise en garde à vue - c’est ce qui se passe -, alors que les faits qui ont été ainsi révélés n’étaient absolument pas fondés. Se pose donc un problème d’articulation entre l’intervention de ces sociétés pour la défense d’un espace commercial privé et la procédure pénale elle-même.

Se pose également le problème du port d’armes. La plupart des membres de ces sociétés ne porte pas d’armes, mais des jets ou des bombes lacrymogènes qui sont tout de même assez invalidantes. Des procédures de plus en plus nombreuses font état de situations où ils en ont fait usage parce que la personne qu’ils interpellaient leur résistait au motif que, n’étant pas de la police, ils n’avaient pas à la traiter comme ça. Une rixe s’en suivait, au cours de laquelle ils utilisaient ces jets. Ce sont là des violences qui interviennent en l’absence de tout cadre légitime.

Se pose donc, d’une part, le problème du contrôle de ces sociétés qui se sont développées de manière anarchique et, d’autre part, celui du port d’armes ou, en tout cas, celui de l’utilisation de la force par ces personnes. Or, ces espèces de débordements sont assez fréquents.

M. Robert GAÏA : Hier, le secrétaire général du syndicat des commissaires s’interrogeait à propos des bases juridiques des fouilles opérées par les membres de ces sociétés. Avez-vous, en tant que syndicat de la magistrature, écrit quelque chose au sujet d’une législation qui serait nécessaire ? Vous demandez, si j’ai bien compris, un agrément préalable, de même type que pour les polices municipales ?

M. Gilles SAINATI : Tout à fait.

M. Robert GAÏA : Par le procureur ?

M. Gilles SAINATI : Oui.

M. Robert GAÏA : Avez-vous un texte à ce propos ?

M. Gilles SAINATI : Je regarderai si nous avons un texte à ce sujet mais, de toute façon, nous pourrions vous l’écrire sans aucun problème parce qu’il est vrai qu’il faut absolument une législation plus précise en la matière.

M. le Président : Monsieur, nous vous remercions.