Sujet : DPS

Audition de : Stéphane Ravion et Pascal Henry

En qualité de : journaliste à l’agence CAPA

Par : Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, Assemblée nationale (France)

Le : 9 mars 1999

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Stéphane Ravion et Pascal Henry sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Stéphane Ravion et Pascal Henry prêtent serment.

M. Stéphane RAVION : Je vous propose de commencer par visionner une cassette audiovisuelle du reportage sur l’" affaire tchétchène " et le rôle joué par M. Bernard Courcelle, réalisé pour Le Vrai Journal de Canal Plus et diffusé le 14 décembre 1997.

(Une cassette audiovisuelle est visionnée.)

M. Stéphane RAVION : Je me suis lancé dans cette enquête sur M. Bernard Courcelle, car on m’avait parlé de son voyage en Tchétchénie et je savais qu’il était déjà chef du DPS. Au fur et à mesure de mes recherches, j’ai rencontré des personnes et j’ai reçu des lettres anonymes qui ont conforté mon travail. Je vous transmets ainsi une lettre anonyme provenant vraisemblablement du Front National, d’un membre ou ancien membre du DPS qui souhaitait se débarrasser de M. Bernard Courcelle. J’en ai vérifié le contenu : certains éléments sont vrais, d’autres faux. Les informations relatives au Groupe Onze, dirigé par M. Nicolas Courcelle - le frère de Bernard -, et sis 9, rue Lantiez, dans le XVIIème arrondissement, sont exactes ; l’histoire de Mobutu et des mercenaires envoyés par le Groupe Onze également.

Je me suis donc intéressé à M. Bernard Courcelle parce qu’il était chef du DPS. Ceux qui connaissent l’émission Le Vrai Journal sont au fait de la ligne éditoriale de la rédaction. Cela fait deux ans que nous nous battons contre le Front National et il était intéressant de se pencher sur les activités annexes d’un Bernard Courcelle.

Nous avons été très rapidement dépassés par l’enquête. Nous nous sommes rendus compte que M. Bernard Courcelle était lié à des personnes qu’il connaissait depuis très longtemps - depuis le conflit en ex-Yougoslavie où il avait livré des armes. Ses contacts étaient nombreux à Zagreb et dans toute la région. Cela nous a été confirmé par les Tchétchènes que nous avons rencontrés et par Mme Marie Bennigsen qui a été en contact avec lui. Il les connaissait aussi depuis Mobutu, à l’époque où ce dernier commençait à fuir. On parle de Fernand Wibaux, mais il s’agit de rumeurs démenties par la suite par le Quai d’Orsay. Des mercenaires serbes ont bien été envoyés au Zaïre et engagés par le Groupe Onze France, dirigé par M. Nicolas Courcelle.

Que trouve-t-on au 9, rue Lantiez ? BCL, pour Bègue Consultants Limited. M. Christian Bègue est, comme par hasard, un des lieutenants de Bob Denard. Ils se sont rencontrés aux Comores. Comme M. François-Xavier Sidos au Front National, M. Christian Bègue travaille main dans la main avec M. Nicolas Courcelle pour l’envoi de mercenaires dans certaines régions du monde. Ces deux personnes figurent bien sur une liste des personnes ayant participé au coup d’Etat des Comores.

MM. Christian Bègue et Nicolas Courcelle sont en Tchétchénie en 1993. On pense au début que c’est pour du pétrole, ensuite pour enseigner à la guérilla tchétchène l’art de combattre - alors que les Tchétchènes n’ont rien à apprendre en ce domaine ! En fait, ils se sont rendus en Tchétchénie pour obtenir un contrat de sécurité sur le pipe-line qui traverse la ville de Grozny. A l’époque, le pipe-line était un enjeu considérable. Le Groupe Onze obtient le contrat pour quelques mois. Parmi les personnes en partance, on trouve MM. Bernard Courcelle, Nicolas Courcelle, Christian Bègue et quelques autres personnes. Ces faits sont confirmés.

A la même époque, M. Bernard Courcelle, qui n’est pas encore au DPS, accueille M. Djokhar Doudaïev, président de la République Tchétchène, au salon du Bourget. M. Bernard Courcelle s’occupe de tout : la sécurité, le logement, ... On peut estimer que cela fait partie d’un contrat de sécurité habituel. En revanche, ce qui l’est moins, c’est la lettre de M. Djokhar Doudaïev, en date du 28 mai 1993, adressée à M. Nicolas Sarkozy, ministre du budget, porte-parole du Gouvernement de la République française. Je vous en livre le contenu :

" Monsieur le Ministre,

" J’ai eu le plaisir de recevoir ici, en République de Tchétchénie, une mission économique et technique franco-américaine organisée par M. Michel Fradin - personnage intéressant comme nous le verrons plus avant - et destinée à dynamiser notre économie pétrolière, les Français s’occupant plus particulièrement de nous construire gazoducs et oléoducs. [...]

" La mission française comportait deux officiers français (CR), Messieurs Bernard Courcelle et Thierry Rouffaud, dont nous sommes enchantés et que je souhaite revoir ici le plus tôt possible et que je verrai à nouveau à Paris lors d’une brève visite au Salon du Bourget [...]

" Signé : Général J. Dudaev "

On pressent que M. Bernard Courcelle a des soutiens. Il fait écrire une lettre à M. Djokhar Doudaïev pour remercier M. Nicolas Sarkozy de l’envoi de militaires français, alors qu’il n’est plus dans l’armée depuis déjà un certain temps. M. Michel Fradin, qui a permis à M. Bernard Courcelle de faire ce voyage en Tchétchénie, a commencé sa vie au SDECE. Il a ensuite été le bras droit de M. Jacques Soustelle au Paraguay et au Venezuela. Il a créé le haut comité pour la défense civile, qui recrutait parmi ses membres des hauts fonctionnaires et des personnalités haut placées de l’armée, mais aussi ce que l’on appelle des réseaux, des personnes proches de Moon, des trafiquants d’armes, ... M. Michel Fradin a été recherché en Suisse et dans d’autres pays pour une escroquerie portant sur 320 millions de dollars au Turkménistan.

Ce premier voyage ne donne rien. Ils n’obtiennent pas le contrat de sécurité et reviennent bredouilles. M. Bernard Courcelle a réussi à se faire payer de l’ordre de 20 000 dollars en 1993 pour assurer la sécurité.

En juin 1994, M. Bernard Courcelle devient chef du DPS. En 1995, il est élu conseiller municipal Front National à Stains, de même que son ami M. Hubert Signard qui est n° 2 sur la liste municipale - et non M. Hubert Signard de Palissaux comme on l’a entendu dans le reportage, car il s’agit seulement d’un pseudonyme, il se faisait appeler de la sorte, ça fait noble ! Ces deux personnes vont essayer de renouer avec leur pays de prédilection, la Tchétchénie. Cela se fait par l’intermédiaire de M. de Villemarais, qui officie sur Radio Courtoisie. Il est lui-même ancien agent du SDECE en poste en Russie jusque dans les années 1960-1970 et conserve encore beaucoup de réseaux. Il invite M. Bernard Courcelle à venir parler de la Tchétchénie à l’une de ses émissions. M. Bernard Courcelle y rencontre Mme Marie Bennigsen et lui demande de l’accompagner pour son prochain voyage un mois plus tard. M. Bernard Courcelle repart en Tchétchénie au cours de l’hiver 1995-1996. Pour l’anecdote, à l’époque, M. Jean-Marie Le Pen est à Saint-Pétersbourg pour assister au mariage de Jirinovsky, le vitrificateur de la cause tchétchène : d’un côté, Le Pen cire les pompes de Jirinovsky, de l’autre, son fidèle bras droit est avec le pauvre Doudaïev !

En Tchétchénie, M. Bernard Courcelle rencontre des militaires et leur explique qu’il a toutes facilités pour leur procurer des armes. Il ajoute qu’il a déjà fait cela en ex-Yougoslavie et en Afrique. Il dit être un expert. Des lettres de Tchétchènes témoignent de ses propos. Il présente aux Tchétchènes des listes d’armes, dont je dispose. Je cite : snippers en 12-7 et 14-5 mm, missiles Agoti, lance-missiles, projectiles, Kalachnikov AK 47, lance-grenades, obus de mortier, ... Il y en a des pages, certaines même écrites de la main de MM. Bernard Courcelle et Hubert Signard.

Les Tchétchènes, alors aux abois, voient en Courcelle un sauveteur. Ils vont plonger. Ils mettront un mois et demi à deux mois pour réunir la somme d’un million de dollars. Cela se fait dans le clan très fermé des proches de M. Djokhar Doudaïev. Il ne faut pas que le reste de la population le sache. Il y a, à l’époque, beaucoup de tensions en Tchétchénie, beaucoup d’ethnies, de rivalités. Cela se fait en secret.

Le deal est signé. M. Bernard Courcelle a tout arrangé avec M. Djokhar Doudaïev, qui, ne voulant pas se faire berner, envoie M. Ilias Akhmadov dit Mustafa, pour surveiller la transaction. Cette personne a suivi M. Bernard Courcelle dans toutes ses pérégrinations en Europe, jusqu’à Zagreb, puis en Ouganda, où il voit l’end user, un document qui permet d’authentifier les armes et de les faire sortir du pays. Je vous remets ce document qui a été authentifié par Mme Marie Bennigsen et M. Ilias Akhmadov.

Autre élément intéressant : la société Joy Slovakia qui fournira les armes. Il s’agit d’un des autres contacts de M. Bernard Courcelle datant du conflit de l’ex-Yougoslavie. Cette société est dirigée par Marty Cappiau, mercenaire belge très connu des services, qui a vu l’opportunité de s’installer à Zagreb et de devenir le fournisseur patenté des conflits locaux. Suite à cette affaire d’escroquerie portant sur un million de dollars, la société Joy Slovakia s’est illustrée trois mois après en vendant pour vingt millions de dollars d’armes à Lissouba (ancien président du Congo). Cela a été révélé par Le Monde du renseignement.

M. Bernard Courcelle, chef du DPS et conseiller municipal à Stains, et M. Hubert Signard, lui-même conseiller municipal, emmènent M. Ilias Akhmadov, le dépêché de M. Djokhar Doudaïev, dans un périple qui dure au moins trois semaines à travers l’Europe : Bulgarie, Pologne, ... Ils se rendent même à Zagreb, où on lui dit qu’il y trouvera les armes. Or, elles n’y sont pas. Il commence à s’inquiéter. MM. Ilias Akhmadov et Djokhar Doudaïev exigent donc que M. Hubert Signard se fasse prisonnier ou, en tout cas, serve de caution. M. Hubert Signard est emmené par les Tchétchènes en Turquie. Je vous laisse le reçu passager de MM. Ilias Akhmadov et Hubert Signard, preuve qu’ils ont bien pris l’avion ce jour-là et que M. Hubert Signard devait se ranger aux ordres ! M. Hubert Signard reste deux semaines en Turquie. On ignore s’il a été ou non maltraité. Par contre, on est sûr qu’une opération commando a été nécessaire pour le faire libérer.

Le 31 mai 1996, les Tchétchènes versent 600 000 dollars sur le compte n° CO-63 5246 de la banque SBS à Genève ; dix jours avant, le 21 mai, ils avaient déjà versé 400 000 dollars à la Zagreba Banka en Croatie. Tout était enregistré au nom de la société Fordfield Incorporated que dirigent les contacts de M. Bernard Courcelle.

Parmi les personnes qui pratiquent ce trafic, outre MM. Marty Cappiau et Bernard Courcelle, on trouve M. Bernard Stroiazzo Mougin, celui qui a écrit " La manipulation Kerbala ", l’homme de l’affaire Luchaire - l’Irangate à la française -. Il a fait de la prison. Il s’est toujours dit agent du SDECE, ce qui le couvrait. En réalité, c’est une personne qui a sans doute livré des armes pour le compte de la France. Quoi qu’il en soit, c’est lui qui va transporter l’argent en Afrique du Sud. C’est un très bon ami de M. Bernard Courcelle.

Le 17 décembre 1997, soit trois jours après le reportage, M. Bernard Courcelle envoie un communiqué à la presse :

" Front National, Département protection sécurité, direction centrale.

" Accusé d’avoir trempé dans un trafic d’armement, je tiens à préciser que je ne me suis rendu en Tchétchénie, en 1996, que pour permettre à des journalistes français de rendre compte de la guerre qui y faisait alors rage. Je démens avec indignation avoir été partie avec quelque marché d’armes que ce soit. Je charge mon avocat d’engager dès maintenant les poursuites judiciaires qui s’imposent. "

Dix jours plus tard, M. Bernard Courcelle affirmait dans Le Canard Enchaîné avoir bien fait partie de cette opération et avoir proposé des listes d’armes aux Tchétchènes. Il précisait n’avoir pas vu la couleur de l’argent. Dans les trafics d’armes, il est très rare de trouver trace de chèques et de virements et de leurs signataires. Mais à quoi sert-il à une personne qui essaye de clore son deal et propose de son propre chef des armes à M. Djokhar Doudaïev de se rendre dans un pays en guerre si elle n’est pas payée ? Pour l’heure, on ignore donc si M. Bernard Courcelle a touché de l’argent. Mais il a organisé le trafic, il en a été la tête pensante.

Parmi les personnes importantes dans l’entourage de M. Bernard Courcelle au cours de cette période, citons M. Nicolas Courcelle - son frère -, qui dirige le Groupe Onze. Les membres du Groupe Onze se rendent en Tchétchénie lors du premier voyage pour assurer la sécurité du pipe-line. On trouve notamment M. Thierry Rouffaud. C’est un ancien agent du service action de la DGSE, l’un des derniers sortis d’Aspreto. L’ex-capitaine Paul Barril le connaît très bien. M. Thierry Rouffaud officie aujourd’hui aux Etats-Unis, où il a créé le pendant du Groupe Onze : le Groupe Onze International, 2950 France avenue, North Robinsdale 55422, Minnesota, domicilié à Nanterre sans doute pour les besoins de transactions financières. Le Groupe Onze International est dirigé par M. Thierry Rouffaud et une certaine Diane Roazen. Il a été beaucoup cité pour avoir recruté des mercenaires revenant du Zaïre pour le DPS. Aux anciens mercenaires sans le sous revenant à Paris, on disait : " Embarque-toi dans le DPS, cela te fera toujours un peu d’argent. " La preuve, je ne l’ai pas. En revanche, pour avoir enquêté sept mois durant sur cette affaire et pour disposer de tous les documents de l’enquête, nous avons rencontré, avec M. Pascal Henry, de multiples personnes qui se sont occupées du service d’ordre de M. Bruno Mégret à Vitrolles - par exemple, M. Philippe Marie, qui a créé des sociétés de sécurité. Ces personnes ont reconnu que le Groupe Onze a toujours servi à recruter des personnes pour le DPS. Le Groupe Onze n’est pas une société de sécurité, c’est une société de mercenariat ! Il est partout en Afrique (Monde du renseignement et Lettre du continent, mai 1999).

M. Pascal HENRY : En fait, le Groupe Onze fait à la fois de la sécurité classique - sous la forme de protection de personnes par exemple - et des opérations extérieures plus discrètes.

M. le Président : Avez-vous rencontré M. Bernard Courcelle ?

M. Stéphane RAVION : Je l’ai eu au téléphone à plusieurs reprises, mais il n’a jamais voulu me répondre devant la caméra, ni m’écrire une petite lettre expliquant ce qu’il avait fait en Tchétchénie. Il a seulement publié un communiqué où il déclarait avoir emmené une équipe de journalistes pour rendre compte des atrocités de la guerre.

M. Jacky DARNE : Où en êtes-vous de votre enquête ? Continuez-vous à rechercher le million de dollars ? Quelles sont vos perspectives ?

M. Pascal HENRY : Il y a une fin à l’affaire tchétchène ; c’est la mort de M. Djokhar Doudaïev !

M. le Président : On nous a laissé entendre que M. Bernard Courcelle était quasiment en service commandé pendant l’" affaire tchétchène ".

M. Stéphane RAVION : Je vous ai apporté la lettre de M. Djokhar Doudaïev, en date du 28 mai 1993, remerciant M. Nicolas Sarkozy de l’envoi de deux éminents militaires français !

M. le Président : On peut penser que M. Bernard Courcelle a continué ses activités et ses liens avec la sécurité miliaire en étant au DPS.

M. Pascal HENRY : Il subsiste toutefois une ambiguïté. La DPSD, service de sécurité du ministère de la défense, le surveillait très largement. Elle se posait des questions, car il n’en était plus officiellement membre. Des membres de la DPSD nous ont dit qu’ils étaient " chargés de le cadrer " pour être au fait de ses activités réelles. Il y avait donc une confusion dans la mission.

M. Stéphane RAVION : Nous nous sommes ensuite polarisés sur les enjeux. Nous avons senti que M. Bernard Courcelle et son équipe étaient des personnes aguerries à ce type d’opérations, à ce genre de montage, à ces mécanismes financiers. On les appelle des agents d’infiltration.

J’ai présenté l’enquête à une personne de la DGSE pour lui demander ce qu’elle en pensait. Je ne pourrai pas, bien sûr, vous livrer son nom. Elle a bien compris l’affaire et m’a même donné des noms. M. Michel Fradin est répertorié dans un fichier secret défense (SD), auquel cas il échappe à toute recherche et toutes interventions, ce qui implique un agrément de haut niveau. M. Michel Fradin, je vous le rappelle, a emmené la première fois la mission américano-française. C’est un intermédiaire de commerce non spécialisé, patenté, que l’on retrouve partout.

M. Robert GAÏA : Etait-il classé en SD ou l’est-il encore aujourd’hui ?

M. Stéphane RAVION : Il l’est aujourd’hui encore.

Ensuite, M. Thierry Rouffaud : il est probablement un honorable correspondant (HC) de la DGSE. Diane Roazen est une des collaboratrices de Roger Tamraz, l’homme qui a financé la campagne de Bill Clinton avec le pétrole du Caucase. Diane Roazen, Roger Tamraz, Edouard Kennedy : c’est ce que Fradin appelle " l’équipe Clinton ", en voyage en Tchétchénie ! Marty Cappiau, le vendeur d’armes, se cache derrière la société Joy Slovakia. Avec Diane Roazen, cette Américaine en relation avec M. Thierry Rouffaud, il a monté le Groupe Onze International. Bernard Stroiazzo Mougin est quant à lui l’homme de l’affaire Luchaire.

Cette équipe a eu des contacts et certainement traité des marchés avec plusieurs autres groupes. D’abord, un groupe bien soudé autour de Larry R. Hone, alias Larry R. Clark, Américain, installé dans le Minnesota et l’Oregon, avec des sociétés à Miami et Bangkok : East Asian Operation, Evergreen International, PIDR. On y trouve : Danièle Turpini, mariée Capon, Française installée à Pékin et à Genève, avec la société Indo-suisse Consultants ; Yves Masial et Danièle Landau, Français, installés en Afrique du Sud - j’ai procédé à vérification ; Guy Salace, Français, installé à Fribourg - j’ai également vérifié. Deuxièmement, une équipe de trafiquants tous azimuts, comprenant : Günter Linehauser, installé à Fribourg, grand marchand d’armes ; Sarkis Saganalian, connu pour avoir été consultant Sofma en France ; Hermann Saraillan, ingénieur de haut niveau installé à Genève ; Etienne Labattu, d’Ora Conseil, tombé pour escroquerie dans un faux trafic d’armes. Troisièmement, une holding de neuf ou dix sociétés réparties entre Paris, Monaco, les Caraïbes, le Luxembourg, la Suisse, l’Océan indien et Virgin Islands. Enfin, un avocat d’affaires français, Yamatala, que l’on suppose d’origine syro-libanaise et qui a souvent servi d’intermédiaire dans les marchés avec Mobutu - il avait un magnifique filon d’arnaques avec la vente ou l’exploitation de zones forestières diamantifères.

Toutes ces personnes ont été étroitement mêlées à des opérations complexes de financements occultes et de marchés d’armement, dont une affaire sur un cargo italo-croate auprès duquel celui de Bob Denard fait figure de barquette de maternelle !

La personne qui nous a livré ces renseignements est un haut cadre de la DGSE, toujours en poste, sur les opérations Est et Est asiatique. Il connaît bien cette bande. Il termine son envoi par : " Bonne chance et, pour le décryptage, attention à la nitroglycérine ! "

M. Jacky DARNE : Votre enquête est-elle connue ?

M. Stéphane RAVION : Non, car cela n’est rien par rapport à ce qui suit.

MM. Bernard Courcelle et Thierry Rouffaud sont des anciens des services. Quand on entre à la DPSD ou à la DGSE, c’est comme à la CIA ou la NSA, on n’en sort jamais.

M. Pascal HENRY : Et l’on s’en sert !

M. Stéphane RAVION : M. François-Xavier Sidos, chef direct de M. Bernard Courcelle, monte des opérations de mercenariat pour la France. Ils font tous partis d’un milieu aguerri à ce type d’opérations.

Dans un second temps, nous avons été intéressés par la mort de M. Djokhar Doudaïev. Pendant très longtemps, on nous a dit qu’il y avait un téléphone satellite, emmené par l’équipe Courcelle. On sait que M. Djokhar Doudaïev a été repéré par son téléphone satellite et qu’un missile russe a atteint son repère. Trois jours après, on assistait à la naissance de l’AIOC, le plus grand consortium pétrolier du Caucase. M. Djokhar Doudaïev voulait garder son indépendance, c’est-à-dire l’or noir du Caucase, son faire-valoir auprès des Russes. En éliminant M. Djokhar Doudaïev, la British Petroleum et un certain nombre d’autres sociétés anglo-saxonnes et russes ont acquis le marché du Caucase. Cent cinquante kilomètres de pipe-lines traversent la Tchétchénie et descendent jusqu’à Bakou.

Nous sommes allés aux Etats-Unis. On nous a dit de nous polariser sur Diane Roazen de la CIA. Nous avons trouvé des archives superbes ! Diane Roazen a rencontré M. Michel Fradin au temps des Contras au Nicaragua, à l’époque où M. Jacques Soustelle était en Amérique latine, environ trois ans avant qu’il ne tombe pour une histoire d’un million de dollars sur un barrage au Paraguay.

M. Michel Fradin, " l’opérateur tchétchène ", connaissait Diane Roazen depuis 1980. Diane Roazen a joué un rôle primordial dans cette opération, nous a-t-on dit. Elle a poussé à la fois Rouffaud et Courcelle à rencontrer M. Djokhar Doudaïev et à lui faire des cadeaux. Un premier téléphone satellite a été détruit en sortant d’une jeep, le second est arrivé à bon port. Il n’a jamais été retrouvé, le missile l’ayant fait exploser. A ce moment-là, il n’y avait pas trois téléphones satellite ni deux, mais un seul. Nous n’avons pas de preuves, sinon des témoignages, de Mustapha, d’Iasak Manof, etc...

M. Pascal HENRY : Nous avons quelques indications sur les sociétés françaises ayant fourni le téléphone.

M. Stéphane RAVION : On peut notamment citer Géolink, qui est une société très implantée en Afrique. Géolink était connue pour avoir livré des téléphones satellite en cadeau à de grands chefs d’Etat, Mobutu compris, mais en gardant les " bretelles ", ce qui permettait d’écouter leurs conversations. C’est ce qui s’appelle un cadeau empoisonné !

Cette affaire ennuie tout le monde car elle implique les services secrets. Diane Roazen est connue de Roger Tamraz, lui-même de la CIA, qui a financé la campagne de Clinton. Ils étaient tous deux dans le Caucase.

M. Pascal HENRY : Géolink est accréditée secret-défense. On la cite parce que tel est l’état de notre enquête. Nous n’avons pas de preuve formelle et définitive. On a parlé des numéros de série, on a posé des questions, on pense que Géolink a fourni le matériel livré par le Groupe Onze à M. Djokhar Doudaïev. Mais ce n’est pas établi ; autrement, nous en aurions fait un sujet.

M. le Président : Parlez-vous de liaisons avec les services français ou avec la CIA ?

M. Pascal HENRY : Nous n’avons pas la réponse. Tout cela reste dans le flou. On comprend l’influence des services. Chacun joue son rôle, du fait d’un enjeu financier évident, les uns et les autres se rendant réciproquement des services.

M. Stéphane RAVION : Que va faire un Bernard Courcelle lors de son premier voyage en Tchétchénie, sinon vendre des armes et essayer de rencontrer M. Djokhar Doudaïev ? Sur les photos, on constate que M. Bernard Courcelle rencontre alors des Américains proches de Diane Roazen et de Thierry Rouffaud au Royal Monceau, le jour où M. Djokhar Doudaïev arrive au salon du Bourget. Au Royal Monceau, M. Djokhar Doudaïev réserve un étage, M. Bernard Courcelle s’occupant des présentations. Je détiens un document en anglais. M. Thierry Rouffaud y est executive officer du Groupe Onze International. Il explique son contrat avec les Tchétchènes et avec Diane Roazen.

M. Thierry Rouffaud, agent DGSE du service action, va créer sa propre société aux Etats-Unis. Les services s’inquiètent. Selon eux, M. Thierry Rouffaud est considéré comme " ayant pris parti contre les intérêts français lors de négociations pétrolières à l’étranger ". C’est ce qui apparaît dans son dossier tenu à jour par les services.

M. Robert GAÏA : Vous posez la question de l’argent. Y a-t-il un lien avec le chèque d’un million de deutsche marks retrouvé chez M. Frédéric Jamet, suite au casse chez Petrossian ?

M. Stéphane RAVION : Il n’y a pas de lien direct.

M. Robert GAÏA : C’est donc autre chose.

M. Stéphane RAVION : C’est le même réseau.

M. Pascal HENRY : Nous n’avons pas d’éléments précis. Au début, on nous avait déclaré que c’était très directement lié. Il y a sans doute des liens, mais ce ne sont pas des liens directs.

M. Robert GAÏA : M. François-Xavier Sidos est-il totalement intégré au dispositif ? Quant à Gilbert Lecavelier et à Marchiani, appartiennent-ils au réseau ?

M. Stéphane RAVION : M. Gilbert Lecavelier a commencé à nous mettre des bâtons dans les roues le jour où nous avons sorti cette affaire. Tant qu’il s’agit de taper sur la tête de Courcelle, il est très heureux. Après l’ancien capitaine de gendarmerie Fabre, qui assurait la direction du DPS, il devait avoir le poste. Il en rêvait. Finalement, M. Bernard Courcelle a été nommé à sa place. Amer, il a commencé à être très virulent contre M. Bernard Courcelle et a balancé un certain nombre d’affaires, surtout au sujet du Zaïre. Il était très au courant du sujet, car il connaissait très bien M. François-Xavier Sidos. C’est ainsi que, dans différents livres, ceux de Verchave ou Denard, ils s’en sont donné à coeur joie par la suite.

M. Robert GAÏA : On nous a dit que M. Gilbert Lecavelier est venu faire une contre-enquête sur le DPS lors de l’assassinat de M. Poulet-Dachary à Toulon, envoyé directement par M. Jean-Marie Le Pen. Il y a des images. N’êtes-vous pas au courant ?

M. Stéphane RAVION : Non, je ne peux pas vous répondre sur cette question précise.

M. Robert GAÏA : Et Marchiani ?

M. Stéphane RAVION : Il est intéressant de lire la lettre de Jacques Guillet, lorsqu’il était conseiller diplomatique de M. Charles Pasqua au ministère de l’Intérieur en 1993. Il écrit à M. Michel Fradin, " conseiller économique " :

" Monsieur le Conseiller économique,

" M. Charles Pasqua, Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire, a bien reçu votre mémorandum concernant l’Etat de Tchétchénie et il en a pris connaissance avec grand intérêt.

" Il m’a chargé de vous en remercier bien sincèrement et considère que de telles contributions sont de nature à faciliter la compréhension de notre politique à l’égard de pays de l’ancienne URSS.

" Le Ministre d’Etat a pris bonne note de vos remarques et m’a chargé d’attirer l’attention des décideurs techniques sur les conséquences de telles décisions, ce qui ne manquera pas d’être fait. [...] "

En fait, ils se sont vus à quatre ou cinq reprises. J’ai téléphoné à M. Bernard Guillet, mais il ne m’a jamais rappelé. " M. Michel Fradin, conseiller économique ". S’agit-il d’un titre ? M. Michel Fradin était-il conseiller économique français ou conseiller économique de l’Etat tchétchène ?

M. Michel Fradin était aussi en relation avec la CECRI, société de Jean-Paul Chirouze et du général Challe. Il s’agit du réseau Pasqua. A l’époque, M. Michel Fradin fait également procéder à une estimation sur des ventes d’armes. Il passe par la SEERI, société européenne d’études et d’ingénierie pour les réalisations internationales. Il demande à Chirouze et à feu le général Challe de fournir des armes pour le Turkménistan et le Caucase.

M. Robert GAÏA : M. François-Xavier Sidos est bien le patron de M. Bernard Courcelle ?

M. Stéphane RAVION : Oui. Dans l’organigramme du Front National, M. François-Xavier Sidos est directeur des opérations spéciales. Il est au cabinet de M. Jean-Marie Le Pen et c’est lui qui gère M. Bernard Courcelle. M. Bernard Courcelle et M. François-Xavier Sidos se connaissent très bien ; ils font partie du même réseau.

M. Robert GAÏA : M. François-Xavier Sidos a la mainmise sur tout ce qui est mercenaire, ce qui n’est pas le cas de M. Bernard Courcelle ?

M. Stéphane RAVION : Tout à fait. Mais M. François-Xavier Sidos est rallié à la cause frontiste, ce qui n’a jamais vraiment été le cas de M. Bernard Courcelle. C’est très important. M. Bernard Courcelle - tout le monde le dit ; il le dit lui-même - n’a jamais vraiment été Front National.

M. le Président : Ils l’utilisent ?

M. Stéphane RAVION : Je pense qu’ils l’utilisent.

M. Robert GAÏA : M. Marc Bellier fait-il bien partie du réseau Fradin-Chirouze ?

M. Stéphane RAVION : Oui. Dans le cadre d’autres dossiers, j’ai noté qu’il était très proche des anciens de l’OAS, et plus proche de M. Gilbert Lecavelier que de M. Bernard Courcelle. En fait, Courcelle n’a pas beaucoup de médailles. M. Bernard Courcelle a bien joué un rôle aux Comores. Bob Denard a eu très peur, parce qu’il a senti que ses troupes étaient plus ou moins approchées par l’Etat français pour l’évincer et que M. Bernard Courcelle était pressenti pour le remplacer. C’est un fait avéré. On trouve cela dans les livres de Verchave et de Denard. Les personnes en poste peuvent en parler.

Lorsque vous assumez ce type de mission, alors que vous ne faites plus partie de l’armée, qu’est-ce qui vous empêche de refaire des missions ? Pourquoi un conseiller municipal à Stains se rendrait-il en Tchétchénie pour faire du trafic d’armes ? Qu’est-ce que cela lui rapporte ? Un million de dollars, ce n’est rien pour un trafic d’armes. Habituellement, on fait du trafic d’armes pour 20 ou 30 millions de dollars. Joy Slovakia a vendu pour 20 millions de dollars d’armes à Lissouba. Prendre le risque de se faire tuer en Tchétchénie pour un million de dollars, c’est bien cher payé.

M. le Président : Comment expliquez-vous donc la situation ?

M. Stéphane RAVION : Je pense que M. Bernard Courcelle était aux ordres.

M. le Président : Pour l’assassinat de M. Djokhar Doudaïev ?

M. Stéphane RAVION : Je n’irai pas aussi loin. Je pense que M. Bernard Courcelle était en mission commandée ou manipulé par la DGSE, dans le cadre d’une opération non couverte ou d’une opération d’infiltration.

M. Robert GAÏA : Alors que, semble-t-il, M. Bernard Courcelle a aidé à l’élimination de M. Djokhar Doudaïev, M. Jean-Marie Le Pen se trouvait au même moment avec Jirinovsky. Quelle était la mission ?

M. Stéphane RAVION : Je pense que M. Bernard Courcelle est complètement indépendant du Front National. M. Jean-Marie Le Pen fait ce qu’il veut alors que M. Bernard Courcelle peut être " rappelé sous les drapeaux ", pour ce type d’opérations.

M. Robert GAÏA : Vous déconnectez l’opération tchétchène du Front National et du DPS ? Cela fait plaisir à tout le monde de dire qu’ils sont au DPS, mais telles ne sont pas vos conclusions ?

M. Stéphane RAVION : Oui et non ! Car entre le Groupe Onze et le Front National c’est la théorie des vases communicants. M. Bernard Courcelle est élu conseiller municipal Front National, il est le chef du DPS et il fait du trafic d’armes en Tchétchénie. Il est entouré de M. Hubert Signard, militant et élu municipal du Front National, et de M. Nicolas Courcelle, qui recrute pour le DPS. Sa soeur est mariée avec M. Christian Bègue, présent en Tchétchénie. C’est une histoire de famille...

En 1977, M. Bernard Courcelle est à Coëtquidan, au sixième RPIMA. En 1985, il quitte l’armée. Il est en réserve active jusqu’en 1992 ou 1993 - on ne sait pas. Dès 1979, il rejoint un réseau de mercenaires. En 1987, il travaille pour le Groupe Onze jusqu’au 3 octobre 1988. Paul Barril va avec Bernard Courcelle aux Comores pour remplacer Bob Denard. Il assure la protection de Mme Simone Veil en 1989, pour les élections européennes. Pour un frontiste ! Chef du DPS à partir du 1er mai 1994, il crée les groupes-choc, en référence au Onzième Choc.

M. Nicolas Courcelle, dit " Chabet ", fait ses études au collège militaire d’Aix-en-Provence. Il est alors responsable FNJ dans les Yvelines. En 1980, il s’engage dans la Légion étrangère. Il est au deuxième REP à Calvi, puis au troisième REI à Cayenne. Son contrat est résilié, à sa demande, c’est-à-dire qu’on le " vire ", et pour se faire virer de la Légion... ! On trouve une intervention de Tixier-Vignancourt le 9 octobre 1981, mais il est quand même rayé des rôles de la Légion. Il aurait commandité une opération à Madagascar, à l’époque des grandes fuites de capitaux liés aux prêts consentis par le FMI sur Madagascar, pour " buter " Lecavelier. On comprend pourquoi celui-ci a quelque désir de vengeance... !

M. Christian Bègue, alias lieutenant Etienne, possède une société, BCL, sise 9, rue Lantiez, dans le XVIIème arrondissement de Paris, à la même adresse que le Groupe Onze. C’était un lieutenant de Bob Denard aux Comores. Né le 6 mars 1959, il se marie, le 26 mars 1990 à Ille-sur-Têt dans les Pyrénées-Orientales, avec Mme Marie-Gabrielle Courcelle - soeur de Bernard -, elle-même employée du Groupe Onze. C’est le réseau de Bob Denard ; tous ont servi sa cause, excepté Bernard Courcelle qui, à un moment donné, a voulu faire du zèle avec Paul Barril pour virer Denard - mais cela ne s’est pas fait. En 1989, M. Christian Bègue est lieutenant de Bob Denard dans la garde présidentielle aux Comores. En 1992, il est embauché par le Groupe Onze. En 1994, il crée BCL, à la même adresse, avec M. Olivier Castarède, très proche de M. Jean-Claude Nourri, néo-nazi notoire.

La création du Groupe Onze International avait pour objectif de créer une unité d’élite pour protéger M. Djokhar Doudaïev et assurer la sécurité des différents sites pétroliers en Tchétchénie. Cela fait quatre cents ans que les Tchétchènes sont en guérilla ; on ne leur apprend pas à se battre. Au reste, le Groupe Onze fut très mal accueilli par les Tchétchènes. On en a rencontrés sur place qui nous ont dit cela.

M. Robert GAÏA : Serait-il intéressant d’auditionner Mme Marie Bennigsen ?

M. Stéphane RAVION : Mme Marie Bennigsen pourra bien vous parler des Tchétchènes, de ce qu’ils pensent aujourd’hui de cette histoire et des différents éléments intervenus sur place. Aujourd’hui domiciliée à Londres, elle travaille pour la revue East Asian Survey. Accréditée secret-défense pour les relations avec le Caucase, je ne sais si elle pourra témoigner devant votre Commission.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Puisque des armes n’ont pas été livrées, elles sont restées quelque part ?

M. Stéphane RAVION : Ou bien elles n’ont jamais existé. Les armes ont été vues en Ouganda, mais peut-être ont-elles suivi un trajet autre par la suite. M. Bernard Courcelle avait indiqué qu’elles seraient parachutées en Tchétchénie, ajoutant qu’il avait déjà réalisé une opération similaire en ex-Yougoslavie.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Peut-on envisager qu’il y ait des armes en France, disséminées chez des membres du DPS ?

M. Stéphane RAVION : Les réseaux sont très structurés et chaque personne sait ce qu’elle doit faire. Les armes ne restent jamais en France. De même, l’argent passe sur des comptes numérotés en Suisse, sans nom. Nous avons pu avoir connaissance des numéros des comptes parce que les Tchétchènes souhaitent récupérer leur argent. Ils ont même mis la tête de M. Bernard Courcelle à prix, qui a eu très peur, de même que M. Hubert Signard. Ce dernier s’est réfugié dans les Baux de Provence, où il s’est terré pendant six mois car il craignait la mafia tchétchène à Paris. Je rappelle qu’il est élu de la République, conseiller municipal à Stains.

Les réseaux ne sont donc pas en France. Le trafic d’armes a pour théâtre la Croatie, les pays d’Afrique très peu contrôlés : l’Ouganda, le Togo, l’Afrique du Sud, qui sont des plaques tournantes de trafic d’armes.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Pensez-vous que, derrière ce trafic, il pourrait y avoir des ramifications avec les milieux de la drogue ou des sectes ?

M. Stéphane RAVION : Les réseaux comptent aussi des gens très bien - tel M. Larry Hone, qui dirige Evergreen International. Mais ces personnes n’ont aucun mal à traiter avec d’autres comme, par exemple, M. Günter Linehauser, installé à Fribourg, qui est un grand marchand d’armes que l’on a rencontré dans d’autres enquêtes...

M. Pascal HENRY : ... On le voit en Lybie...

M. Stéphane RAVION : ... ou avec M. Georges Starckman, grand trafiquant d’armes français ayant fait de la prison.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vous avez évoqué la secte Moon...

M. Stéphane RAVION : Oui, au sujet de M. Michel Fradin.

M. Pascal HENRY : Je ne crois pas qu’il faille globaliser. Il s’agit là de ventes d’armes pour raisons politiques avec des services rendus pour le compte d’Etats. Il y a certainement des trafiquants d’armes, mais ce n’est pas ce qui ressort de l’enquête.

M. le Président : Nous nous interrogeons sur l’armement du DPS. Même si les armes ne sont pas en France, j’imagine que M. Bernard Courcelle ne rencontre pas de problèmes pour s’approvisionner.

M. Stéphane RAVION : " Bob ", qui a été mercenaire et a fait partie du Groupe Onze, n’a jamais voulu en parler à l’écran car il m’a dit se faire tuer s’il le disait. Il a été viré de la mairie de Toulon parce qu’il avait commencé à parler des conditions dans lesquelles cela se passait. Il m’a dit off, dans plusieurs entretiens, que des personnes se promenaient avec des armes sur elles.

M. Robert GAÏA : Il ne pèse guère dans le dispositif.

M. Stéphane RAVION : En effet, mais il est l’un des seuls à avoir accepté de parler. Avec les autres, il faut utiliser des caméras cachées, seul moyen de savoir ce qui se passe au sein du DPS et de les coincer. M. Philippe Marie, par exemple, qui a participé à la création du " DPS bis " de M. Bruno Mégret, est un vrai professionnel. Ces personnes viennent pour la plupart de l’armée où elles ont conservé des liens. Elles peuvent se procurer des armes, c’est très facile pour elles.

M. le Président : Avez-vous subi des pressions ou des menaces ?

M. Stéphane RAVION : Pas vraiment de la part de M. Bernard Courcelle. Ils nous ont dit de faire un peu attention où l’on mettait les pieds, mais comme toujours dans ce genre d’enquête. Après avoir vu M. Michel Fradin, nous avons eu quelques petits ennuis...

M. Pascal HENRY : Après trois ans d’enquête sur le Front National, on ne sait plus si les menaces proviennent de M. Bernard Courcelle ou du Front National en général, de proches et d’" allumés ". Déterminer d’où provient la menace réelle est difficile.

M. le Président : Ces menaces ont donc existé ?

M. Stéphane RAVION : Dans mes précédentes enquêtes sur le Front National, oui. J’ai été fiché. J’avais par exemple révélé l’histoire de la bibliothèque d’Orange liée avec des néo-nazis allemands, les héritages Le Pen, les salaires, Ecotec, à savoir les loyers des Le Pen payés par une société bidon. J’ai eu alors beaucoup de problèmes. On m’a envoyé une bombe lacrymogène dans le visage un soir alors que je rentrais chez moi, on m’a un peu frictionné les côtes. Et M. Samuel Maréchal, gendre de M. Jean-Marie Le Pen, a fini par me dire : " Ecoute, Ravion, je ne pourrai plus assurer ta sécurité sur les lieux du Front National. " J’aurais alors pris un mauvais coup. J’en ai parlé avec M. Michel Soudais à l’époque et j’ai préféré ne plus fréquenter les lieux de rassemblement du Front National. Vous comprendrez pourquoi.

M. le Président : L’affaire tchétchène nous intéressait. Nous avons cru comprendre que vous confirmiez les liens avec la DPSD...

M. Pascal HENRY : La personne que M. Stéphane Ravion et moi-même avons rencontrée venait juste de démissionner de la DPSD. Elle a monté depuis une société de sécurité. C’est une personne qui, politiquement, n’est pas très marquée. Elle nous a très clairement déclaré qu’elle était chargée de cadrer Courcelle lorsqu’il était à la DPSD.

M. Stéphane RAVION : Elle nous a dit : " On a un peu peur de M. Bernard Courcelle. C’est quelqu’un d’impulsif et on craint qu’il ne fasse des bêtises. " Il fallait donc cadrer M. Bernard Courcelle et son opération d’infiltration.

M. le Président : Puisque vous avez suivi le Front National pendant trois ans, avez-vous des éléments sur le DPS ?

M. Stéphane RAVION : J’ai été un des premiers à parler des unités mobiles d’intervention (UMI). Au DPS, trois ou quatre personnes sont prêtes à le confirmer si vous arrivez à les coincer. Les membres des UMI portent un badge DPS avec écrit, au revers, " UMI ". Ils portent un casque, des habits de CRS, une matraque pour assurer le service d’ordre. En cas de problème, s’ils sont pris, la carte UMI doit être jetée. Ils ne doivent jamais dire avoir appartenu à un service d’ordre. C’est un système hors la loi, une milice secrète privée.

M. Robert GAÏA : Quelles autres preuves avez-vous ?

M. Stéphane RAVION : Les UMI figurent bien dans des papiers des services.

M. Robert GAÏA : Existe-t-il un vademecum, un manuel de formation ou une doctrine d’emploi pour le DPS ?

M. Stéphane RAVION : Non. Par contre, on nous a expliqué par le menu comment devait agir un bon garde des UMI.

M. Robert GAÏA : Aucun document n’a donc circulé sur ce sujet ?

M. Stéphane RAVION : Non.

Il est à noter que le sigle UMI était écrit au stylo à bille sur le badge que j’ai conservé.

Lorsque nous nous sommes rendus à Strasbourg pour Le Vrai Journal, nous avons vu trois membres casqués du DPS. Cela faisait penser aux événements de Montceau-les-Mines. Les personnes qui forment cette milice sont habillées comme des CRS, elles ont le goût des CRS, mais ce ne sont pas des CRS ! C’est une milice !

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.