Sujet : DPS

Audition de : Jean-Louis Debré

En qualité de : ancien ministre de l’Intérieur

Par : Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, Assemblée nationale (France)

Le : 10 mars 1999

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Jean-Louis Debré est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Jean-Louis Debré prête serment.

M. Jean-Louis DEBRÉ : Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la mission de votre Commission d’enquête concerne les activités du service d’ordre du Front National, le département protection et sécurité, dit le DPS. Certains partis politiques, certaines organisations, certains syndicats possèdent un service d’ordre ; il s’agit, en fait, de militants et sympathisants mobilisables pour encadrer des manifestations, surveiller des réunions et éviter tout débordement ou toute action illégale.

La question est donc de savoir, pour la période pendant laquelle j’ai occupé les fonctions de ministre de l’intérieur, si le DPS n’a pas excédé sa mission, si le Front National n’a pas constitué une organisation paramilitaire, un groupe de combat, voire une milice privée.

Lorsque j’étais place Beauvau, les services du ministère de l’Intérieur tenaient le ministre informé, dans la mesure du possible, de tout incident qui pouvait apparaître lors des réunions du Front National ou lors des déplacements publics du président de ce mouvement. La règle que j’avais fixée était la suivante : chaque fois qu’une infraction était constatée ou pouvait être caractérisée, il convenait de saisir la justice en informant le parquet de ces faits. C’est le procureur de la République qui a l’opportunité des poursuites pénales.

La question que je me suis posée, à propos du DPS, était de savoir si, en dehors de la saisine judiciaire, je pouvais proposer au gouvernement la dissolution de ce service. Je voudrais rappeler, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, que la dissolution administrative est une mesure de police qui ne peut être utilisée que pour des motifs très précis. La dissolution administrative d’une association est prononcée par décret du Président de la République pris en conseil des ministres ; ce décret, présenté par le ministre de l’intérieur, est contresigné par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur.

Plus important, car cela conditionne la réponse à la question précise que vous me posez, les motifs de la dissolution administrative sont prévus et réglementés par la loi du 10 janvier 1936. Ces conditions ont été affinées par la jurisprudence du Conseil d’Etat et sont précises et contraignantes. Contrairement à la dissolution par voie judiciaire, prévue par la loi du 1er juillet 1901, la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées a été relativement peu utilisée. Cette loi a été plusieurs fois complétée et la jurisprudence du Conseil d’Etat, à différentes reprises, a fixé les limites et les contours de la possibilité pour le ministre de l’intérieur de proposer la dissolution d’une association ou d’une milice privée.

Quelles sont ces conditions ? Peuvent être dissoutes les associations qui provoqueraient des manifestations armées dans la rue ; peuvent être dissous ceux qui, en dehors des sociétés de préparation au service militaire agréées par le gouvernement et des sociétés d’éducation physique et de sport, présenteraient, par leur forme ou par leur organisation militaire, la caractéristique de groupe de combat ou de milice privée ; ceux qui auraient pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et d’attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement ; ceux dont l’activité tendrait à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ; ceux qui auraient pour but, soit de rassembler des individus ayant fait l’objet d’une condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter à cette collaboration ; ceux qui inciteraient à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race, une religion ; ceux qui se livreraient sur le territoire français, ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger.

Ainsi, en 1936, Action française, les Camelots du roi et les Croix-de-feu ont été dissous, de même que, au lendemain de la guerre, certaines organisations liées à la collaboration. Pendant la période de la IVe République, de 1947 à 1958, un certain nombre d’organismes militant pour l’indépendance de Madagascar, du Vietnam et de l’Algérie ont également été dissous. Plus tard, en 1962, cela a été le cas pour l’OAS. En juin 1968, onze organisations d’extrême gauche ont fait l’objet de dissolution. De 1968 à 1987, Occident, la Gauche prolétarienne, la Ligue communiste, Ordre nouveau et différentes organisations à caractère séparatiste ou régionaliste qui avaient eu recours à des actions violentes en Bretagne, en Corse, au Pays Basque, voire dans les Caraïbes, ont été dissoutes. A trois reprises, entre 1980 et 1987, un certain nombre de groupements ont été dissous : groupements d’extrême droite, groupements d’inspiration néo-nazi, Action directe et le SAC (Service d’Action Civique).

Ces conditions posées par la loi, ces cas que je viens de citer, ont très souvent donné lieu à un contentieux. Le Conseil d’Etat est compétent pour examiner les recours pour excès de pouvoir formés contre ces décrets et il veille à ce que les conditions posées par la loi de 1936 soient respectées et que le décret soit juridiquement fondé.

Les conditions prévues par la loi de 1936 n’ayant jamais été réunies pendant que j’étais ministre de l’intérieur, je n’ai pas proposé au gouvernement la dissolution administrative du DPS. Je vous rappelle qu’à cette époque, le ministre de l’intérieur était confronté à des attentats islamistes et corses, ainsi qu’à des attentats commis par les indépendantistes du Pays Basque ; le problème du Front National n’était donc pas sa première préoccupation - même s’il était une préoccupation.

Je fais donc appel à ma mémoire et je vais essayer d’être aussi précis que possible. Je crois me souvenir - il faudrait que le ministère de l’Intérieur vous confirme ces propos - que, lors d’une réunion du Front National, dont je ne peux pas vous donner la date exacte, mais que je situe en octobre 1996, à Montceau-les-Mines - réunion organisée, me semble-t-il, par M. Bruno Gollnisch - des incidents se sont produits. C’est le seul moment où je me suis posé la question de savoir, en dehors de la saisine judiciaire - je crois me souvenir que, paradoxalement, M. Bruno Gollnisch notamment avait déposé plainte - si les conditions posées par la loi de 1936 étaient réunies et pouvaient me permettre de proposer au gouvernement la dissolution administrative du DPS. Il m’est finalement apparu que les conditions, telles que je les ai énumérées et qui sont cumulatives, n’étaient pas réunies et que la dissolution risquait d’être annulée par le Conseil d’Etat. Si je me suis interrogé, ce n’est pas uniquement parce que, à l’époque, les médias avaient diffusé des images qui m’avaient préoccupé et qui me donnaient le sentiment que l’on était passé de l’acceptable à l’inacceptable. Ce n’est pas non plus à la suite des articles de presse, mais parce que j’avais dû recevoir un rapport des services. Telles sont les informations que je puis vous fournir en ce qui concerne ce meeting d’octobre 1996. Je vous remercie.

M. le Président : Monsieur le ministre, je vous remercie. D’abord une question qui a beaucoup occupé les travaux de la Commission : vous parlez d’un " rapport des services "...

M. Jean-Louis DEBRÉ : ... un rapport ou une note.

M. le Président : L’avez-vous demandé ? La presse, plusieurs témoins affirment qu’après les événements de Montceau-les-Mines - et ce que vous venez de dire le confirme -, vous vous êtes posé la question de savoir si les conditions énumérées par la loi de 1936 étaient réunies afin de proposer la dissolution du DPS et que vous avez demandé - à l’IGPN ou aux renseignements généraux - un rapport sur l’activité du DPS. Or personne ne semble l’avoir trouvé dans les services. Vous venez de parler d’un rapport ou d’une note qui aurait conduit à votre décision : pouvez-vous être plus précis à ce sujet ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Lorsque vous êtes ministre de l’intérieur, vous recevez de nombreux rapports de vos services. Je suis incapable de vous donner l’origine de ce rapport ou de cette note. Etait-ce une note du préfet, des renseignements généraux ou d’un autre service ? Je ne sais plus. Ce que je puis vous affirmer, c’est que l’information est remontée.

Pour être tout à fait honnête, il me semble que j’ai demandé aux services du ministère si les conditions de la loi de 1936 étaient réunies à l’occasion de ces événements. Même si je ne suis plus un juriste, je sais cependant par ma formation qu’on ne dissout pas comme cela. Si donc je me suis interrogé sur cette dissolution, c’est probablement parce que j’avais demandé qu’on me fournisse des renseignements.

Mme Odile SAUGUES : Monsieur le ministre, vous avez parlé d’une frontière entre l’acceptable et l’inacceptable ; il ne s’agit pas seulement d’une impression. Cela doit être étayé par des faits précis. Vous ne disposiez donc pas de faits suffisamment précis pour proposer cette dissolution ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Madame, sachez que mes sentiments à l’égard du Front National n’ont jamais varié. Je n’ai jamais, ni directement ni indirectement, eu la moindre complaisance avec cette formation politique, pour des raisons qui tiennent à ma famille et à mes origines, et parce qu’elle véhicule des idées auxquelles je suis totalement étranger et dans lesquelles je ne me retrouve pas. J’ajouterai que, localement et électoralement, ma circonscription est contiguë à Dreux, je sais donc ce qu’est le Front National, qui a toujours été mon adversaire. En revanche, il n’a pas toujours été l’adversaire de mes opposants socialistes... Jamais donc vous ne trouverez de ma part une phrase de complaisance à l’égard de ce parti.

Par conséquent, j’étais extrêmement déterminé à ne rien laisser passer. Je savais ce qu’il avait pu faire dans le passé et je connaissais les agissements de cette organisation lors de la campagne électorale à Dreux - mais ces événements étaient intervenus avant ma nomination au ministère de l’Intérieur. Je veillais donc à ce qu’il reste dans la légalité, et s’il avait dépassé " l’acceptable ", le " tolérable ", je ne l’aurais pas ménagé. Prenons ce mot dans son acception juridique : je n’aurais pas toléré qu’il se mette dans l’illégalité, c’était d’ailleurs ma responsabilité. Je ne dis pas que le gouvernement m’aurait suivi, mais je considérais qu’il aurait été de ma responsabilité de saisir le gouvernement. Néanmoins, si pendant cette période, le Front National a fait parler de lui, je ne me souviens pas cependant d’autres manifestations particulièrement violentes qui m’auraient permis de proposer la dissolution du DPS.

M. Gérard LINDEPERG : Monsieur le ministre, il serait intéressant que l’on approfondisse le dossier de Montceau-les-Mines, car il est, à certains égards, très significatif. Bien entendu, on pourrait prendre d’autres exemples.

M. Jean-Louis DEBRÉ : D’autres exemples ? Pouvez-vous en citer d’autres qui ont eu lieu pendant que j’étais au ministère de l’Intérieur ?

M. Robert GAÏA : Wagram.

M. Gérard LINDEPERG : Oui, la réunion qui s’est déroulée salle Wagram et qui s’est terminée à l’Arc de Triomphe, par exemple.

Plusieurs témoignages de journalistes, présents à Montceau-les-Mines ou au meeting de Wagram, ont fait état de la défaillance de la police. Ils parlent même d’une " quasi-substitution " du DPS à la police d’Etat, l’uniforme et l’équipement des membres du service d’ordre prêtant à confusion, à tel point que certains témoins ont pu être, au début, abusés.

S’agissant de la saisine judiciaire, je n’ai pas bien compris si, après ces événements, la justice avait ou non été saisie et à partir de quels faits. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Par ailleurs, y a-t-il eu une enquête administrative sur l’attitude de la police à Montceau-les-Mines ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Mes instructions étaient précises et sans ambiguïté : chaque fois qu’un service de police, à l’occasion d’une réunion, d’une manifestation ou d’un déplacement, relevait des faits susceptibles de constituer une infraction, il devait saisir le procureur de la République. Je suis incapable de vous dire, car cela ne dépendait pas de ma responsabilité, la suite donnée à ces saisines. C’est le procureur de la République qui a l’opportunité des poursuites pénales, les services de police apportant des faits que le ministère de l’Intérieur estime relever d’une qualification pénale et pouvant donner lieu à des suites judiciaires. Il n’appartient pas à la police ou au ministère de l’Intérieur de se substituer au procureur de la République du lieu où a été commise ou relevée l’infraction.

Mais il ne s’agit pas précisément de la question qui m’a été posée. Il m’a été demandé si, à l’occasion de la réunion de Montceau-les-Mines, en dehors de la saisine judiciaire, je m’étais interrogé sur la dissolution administrative, prévue par la loi de 1936, du DPS.

M. Gérard LINDEPERG : Y a-t-il eu une enquête sur l’attitude de la police, dès lors que plusieurs témoignages font état, d’une part, d’un retard de l’arrivée des forces de l’ordre, et, d’autre part, d’une quasi-substitution du DPS à la police d’Etat.

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je n’ai pas souvenir d’une telle attitude. Je ne puis que vous répéter ce que je vous ai déjà dit : il m’a effectivement semblé qu’il y avait un problème puisque j’ai demandé des informations.

Si vous souhaitez plus de précisions, je vous encourage à vérifier dans les archives du ministère de l’Intérieur. Je tiens d’ailleurs à votre disposition le bordereau que les Archives nationales envoient aux ministres pour attester qu’ils ont déposé toutes leurs archives - en effet, il a été dit dans la presse, à cette époque-là, que j’étais parti avec toutes les archives ! Je vous conseille donc d’interroger les services du ministère de l’Intérieur pour savoir, d’une part, si un rapport a été remis au ministre, et, d’autre part, si, à l’occasion de ces événements, une enquête a été demandée à l’inspection générale des services. Pour ma part, je n’en ai plus le souvenir, ayant, lorsque j’étais ministre de l’intérieur, demandé beaucoup de rapports comme c’est habituellement le cas de la part d’un ministre.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Monsieur le ministre, quand on est un ancien ministre de l’intérieur, on se doit d’avoir de la mémoire, notamment lorsqu’il s’agit de faits importants. Je vous poserai une question très simple : est-il supportable, pour un ministre de l’intérieur, de savoir que, dans certaines manifestations, une seconde police se substitue à la police nationale et peut même se trouver directement derrière elle - nous pourrons vous citer des exemples précis - ? Est-il supportable de laisser opérer sur le territoire national, une véritable police " bis " ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Puisque vous mettez en cause ma mémoire, je crois maintenant me souvenir que les événements de Montceau-les-Mines ont eu lieu le 25 octobre 1996 ; vous voyez que j’ai bonne mémoire !

Pour moi il n’y a qu’une police, la police nationale. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours été très réservé quant à la privatisation des services de police et des polices municipales. Pour moi, ancien ministre de l’intérieur et simple citoyen, il n’est pas acceptable qu’il y ait d’autres polices. Pour moi, il n’est pas acceptable que certains aient recours à des méthodes qui relèvent du nazisme.

Si je n’ai pas voulu être précis tout à l’heure, c’est non pas parce que je n’ai plus de mémoire, mais parce que je ne voudrais pas être pris en défaut sur la question de savoir si j’ai ou non demandé un rapport : si je vous réponds que j’ai demandé ce rapport et qu’il n’y en a pas, et si je vous dis que je n’en ai pas demandé et que vous en trouvez un, je ne veux pas que vous me disiez que j’ai menti. C’est la raison pour laquelle je vous conseille d’aller vous-mêmes chercher aux archives du ministère de l’Intérieur. En effet, quand un ministre demande un rapport sur les agissements de ses fonctionnaires, une note portant trace de cette demande est nécessairement établie.

Enfin, sachez, madame, que je n’accepte pas, et que je n’accepterai jamais, qu’il y ait des polices parallèles. Mais nous sommes dans un Etat de droit, et, pour dissoudre une organisation quelle qu’elle soit, il convient de respecter la loi. La pire des choses aurait été que je propose au gouvernement la dissolution du DPS, qu’il y ait un recours pour excès de pouvoir et que le décret soit annulé. Cela aurait été aller à l’encontre de la République et de l’idée que je me fais de la République et de la liberté.

M. Robert GAÏA : Monsieur le ministre, nous ne sommes pas là pour vous faire un procès en " républicanisme ".

Je voudrais revenir sur quatre événements.

Premièrement, les événements de Montceau-les-Mines, où l’on a pu voir des personnes vêtues d’un uniforme pratiquement identique à celui des CRS, munies de boucliers et de casques. Nous avons reçu les responsables de la police et des organisations syndicales et leur avons demandé pourquoi la police n’était pas intervenue ; il nous a été répondu qu’elle intervenait sur ordre du préfet. Comment expliquez-vous que la ville ait été tenue par des personnes en uniforme qui n’étaient pas des fonctionnaires de police et que le préfet n’ait pas déclenché une action autre que la saisine judiciaire ? Il y a eu un vide, et les policiers que nous avons auditionnés ont souligné leur impuissance en indiquant que le maintien de l’ordre relevait du préfet.

Deuxièmement, s’agissant de la réunion qui s’est tenue à Wagram, de nombreux témoins nous ont affirmé qu’il n’y avait aucun car de police, ce soir-là, devant la salle Wagram, mais que des membres des renseignements généraux se trouvaient dans la salle. Or, entre le moment où M. Bruno Gollnisch propose de se rendre sous l’Arc de Triomphe et le moment où le fonctionnaire de police qui protège la flamme du soldat inconnu est bousculé, il se passe une demi-heure, alors que les forces de police sont stationnées au Grand Palais, à cinq minutes ! Les renseignements généraux nous ont pourtant affirmé qu’ils avaient averti la préfecture de police par flash.

Troisièmement, concernant les événements de Dreux du 17 novembre 1996, plusieurs témoins font état, une fois encore, de membres du DPS en uniforme et casqués se trouvant juste derrière le cordon de police qui protégeait des manifestants.

Enfin, quatrièmement, le 11 novembre 1995, le DPS a procédé à des interpellations à Carpentras, avec contrôle d’identité et remise d’individus et de leurs papiers d’identité à la police !

D’après les syndicats de policiers que nous avons auditionnés, le directeur général de la police nationale leur avait affirmé que vous aviez demandé une enquête aux renseignements généraux suite aux événements de Montceau-les-Mines. Mais, indépendamment de cette enquête, nous sommes obligés de constater qu’il y a eu une défaillance, non pas des services de police, mais des préfets qui étaient sous votre autorité.

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je vous ai dit que Montceau-les-Mines avait été le seul moment où je me suis posé la question de savoir si les conditions exigées par la loi de 1936 étaient réunies.

Vous me confirmez le fait que j’ai demandé un rapport sur ces événements. De la même façon, je crois me souvenir que, chaque fois qu’il y a eu un fait important concernant les activités du Front National et du DPS, je demandais des informations, pour vérifier à la fois si les conditions n’étaient pas réunies pour proposer la dissolution et s’il y avait dysfonctionnement de l’Etat.

La responsabilité du maintien de l’ordre relève des préfets. Il est vrai que ces derniers ont tendance à se couvrir derrière la hiérarchie, mais ils n’appellent pas le ministre de l’intérieur toutes les cinq minutes pour lui demander ce qu’ils doivent faire, notamment pendant une manifestation. Ils ont une responsabilité et lorsque la manifestation est prévue, ils ont des forces de police à leur disposition. S’ils estiment qu’elles ne sont pas suffisantes, ils saisissent l’administration centrale - le directeur de la sécurité publique, le directeur général de la police, voire le ministre de l’intérieur -, et si les renforts demandés sont très élevés, la responsabilité de leur envoi relève du ministre.

A Montceau-les-Mines, le préfet, ou le sous-préfet, a peut-être demandé des renforts de police. Je ne peux pas vous l’affirmer. Il conviendrait, là aussi d’aller chercher ces renseignements dans les archives du ministère car la demande de renfort est, en effet, faite par télégramme à la direction centrale.

Pour ce qui concerne les événements qui se sont déroulés sous l’Arc de Triomphe, je crois que des plaintes pour violence ont été déposées. Par ailleurs, je ne crois pas que les conditions nécessaires à la dissolution du DPS étaient réunies. Il s’agissait, en outre, non pas de membres du DPS, mais du Front National.

Qu’à chaque fois que le Front National intervient, il y ait des problèmes, c’est évident et je crois me souvenir qu’à chaque réunion, les autorités compétentes demandaient du renfort.

M. Robert GAÏA : Tel n’est pas l’objet de ma question, monsieur le ministre. Vous avez dit tout à l’heure qu’après les événements de Montceau-les-Mines, vous vous étiez posé la question de l’acceptable et de l’inacceptable au regard de la possibilité de dissolution. Mais peut-on se poser la même question quand le préfet laisse faire ce qui apparaît comme inacceptable ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je ne peux pas vous laisser dire que les préfets ont laissé faire.

M. Robert GAÏA : Oui, mais c’est ce qui s’est passé !

M. Jean-Louis DEBRÉ : C’est votre interprétation ! Il conviendrait de reprendre les rapports du ministère de l’Intérieur pour savoir quand les renforts ont été demandés, quand ils ont été envoyés, comment ils se sont rendus à l’Arc de Triomphe, sur quel mot d’ordre, etc. C’est toujours très simple de refaire le film après !

M. Robert GAÏA : Certes, monsieur le ministre, mais les forces de police ont mis une demi-heure pour se rendre de la salle Wagram à l’Arc de Triomphe ; c’est un fait précis. Cela ne nous a pas été dit par une seule personne, mais également par les services de police.

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je vous conseille de demander au ministère de l’Intérieur de vous fournir l’ensemble des rapports. Et interrogez les gens non pas sur des " on-dit " et des approximations, car, dans de telles situations, personne ne regarde sa montre pour savoir s’il s’est écoulé vingt ou trente-cinq minutes. En revanche, il existe des rapports de police qui relatent précisément les faits.

M. André VAUCHEZ : Monsieur le ministre, nous avons affaire à un service d’ordre très particulier ; quand le Front National organise une manifestation, le DPS est présent et il est quelquefois très difficile de faire la différence.

Vous vous êtes interrogé sur une éventuelle dissolution du DPS après les événements de Montceau-les-Mines : vous avez donc dû, à ce moment-là, énumérer les conditions qui étaient réunies et celles qui ne l’étaient pas, au regard de la loi de 1936. Il est vrai que ces conditions se cumulent. Mais doivent-elles toutes se cumuler, en particulier pour ce qui est de l’intégrité du territoire ? Le DPS et le Front National ne sont pas favorables à un partage du territoire ; les conditions ne seront donc jamais réunies ! En revanche, à chaque manifestation, un des critères de la dissolution existe ; par exemple, le fait qu’un groupe de personnes se confonde avec la police, comme à Strasbourg. Quelles sont, à votre connaissance, la ou les conditions qui n’ont jamais été réunies ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Il m’est impossible de répondre à cette question ! Le problème était le suivant : je ne voulais pas que le décret prononçant la dissolution fasse l’objet d’un recours et soit annulé.

Je me souviens avoir demandé une note aux juristes spécialistes de la loi de 1936 et de la jurisprudence du Conseil d’Etat, pour déterminer si, à l’occasion des événements de Montceau-les-Mines, les conditions de la dissolution étaient réunies sans risque d’annulation pour excès de pouvoir. Or, ils m’ont répondu qu’elles ne l’étaient pas ou qu’elles n’étaient pas suffisamment caractérisées pour que l’on puisse se prononcer en faveur de la dissolution.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Faut-il attendre que des violences se produisent pour intervenir ? Pourquoi autorise-t-on le Front National à avoir un service d’ordre armé, casqué, blindé, derrière la police nationale, alors que dans les partis démocratiques, les services d’ordre sont en général bon enfant ? Que se passerait-il si tous les partis souhaitaient posséder un service d’ordre plus musclé, tel que celui du Front National ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je vous répondrai par une question : pourquoi, après les événements de Mantes-la-Jolie, le Front National et le DPS n’ont-il pas été dissous ? Nous vivons dans un Etat de droit, dont les règles sont posées par la loi. Bien sûr, nous pouvons changer la loi. Mais la police et le ministère de l’Intérieur doivent l’appliquer.

Il est vrai qu’en tant que ministre de l’intérieur, j’ai été parfois choqué quand, dans le cadre du financement public des partis politiques, il fallait donner des subventions à des partis révolutionnaires - de droite comme de gauche, d’ailleurs - qui ne songent qu’à " casser " l’Etat. C’est une faiblesse de la démocratie, mais je préfère encore ce système au système totalitaire.

M. le Président : Monsieur le ministre, je vous poserai une dernière question relative aux sociétés privées de gardiennage liées au Front National. Vous êtes-vous préoccupé de cette question - demande de rapports ou de notes - et avez-vous pris des dispositions en la matière lorsque vous étiez ministre de l’intérieur ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je me suis préoccupé de ces organismes de sécurité, de gardiennage, de convoyage de fonds, et notamment des conditions - très minimes - qui sont posées pour le recrutement des membres de ces sociétés. Je crois même avoir été à l’origine d’un décret qui a modifié les conditions de recrutement de ces agents de surveillance. Je me suis particulièrement intéressé à certains de ces organismes qui se sont développés en Corse.

M. le Président : Monsieur le Ministre, nous vous remercions.