Présidence de M. Raymond FORNI, Président

M. Jean-Paul Frouin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Jean-Paul Frouin prête serment.

M. Jean-Paul FROUIN : J’indiquerai à titre liminaire que la Corse a été pour moi une expérience forte. Néanmoins, cette expérience étant relativement ancienne, j’en appelle à votre indulgence quant à certaines imprécisions ou certains oublis.

Je ferai volontiers, monsieur le Président, quatre observations sur les principes que j’ai tenté d’appliquer pour mener mon action dans le domaine particulier de la sécurité.

Je vous ferai également part de mon sentiment en ce qui concerne l’institution très originale de préfet adjoint pour la sécurité en Corse. Puis, je vous parlerai des relations que j’entretenais avec les autorités de justice. Enfin, je vous ferai part de mes souvenirs critiques concernant les forces supplétives, les renforts qui, à l’époque, étaient présents de façon permanente sur l’île, et dont la présence n’était pas sans effet sur l’organisation et le fonctionnement - l’attitude, le mode opératoire - des forces de sécurité classiques, qu’il s’agisse de la police ou de la gendarmerie.

Tout d’abord, les quatre principes sur lesquels je me suis appuyé dans le domaine de la sécurité.

Premier principe : la banalisation. J’emploie ce terme non pas dans un sens péjoratif, mais simplement pour dire que les forces de sécurité et les moyens appliqués, tant en ce qui concerne les effectifs que leur organisation et leur mode de fonctionnement, devaient être utilisés, me semble-t-il, de la façon la plus classique possible, la plus proche possible de ce qui est pratiqué dans les autres départements.

J’ai constamment veillé à ce que les services, tant dans leur organisation que dans leurs activités, qu’il s’agisse de la police ou de la gendarmerie, se situent dans le cadre normal des missions qui sont les leurs, c’est-à-dire de façon identique à ce qui se passe sur le reste du territoire. J’ai le sentiment que ni pour l’opinion locale - qui est à la fois susceptible et attentive à ce qui se passe - ni pour les forces elles-mêmes, il n’était bon de laisser s’établir, peu ou prou, le sentiment que l’ensemble des activités relatives à la sécurité s’exerçait de façon automatique dans un cadre qui aurait été d’exception. Aucun texte, hormis ceux qui concernent le préfet adjoint pour la sécurité, ne prévoyait de dispositions sortant de la norme, et j’ai toujours eu pour principe de faire en sorte que les choses apparaissent le moins possible comme exceptionnelles.

Deuxième principe : le respect de l’échelon départemental. Cette observation n’est pas neutre, s’agissant de la Corse, et je ne me prononcerai pas sur la bidépartementalisation qui n’est pas à l’ordre du jour et qui n’entre pas directement dans la mission de votre commission. Cependant, j’ai toujours considéré que le territoire départemental constituait le cadre normal d’exercice des compétences de la police et de la gendarmerie et que le préfet de région intervenait comme préfet du département de la Corse-du-Sud. Le respect absolu des compétences et de l’autonomie d’action du préfet de la Haute-Corse a toujours été présent à mon esprit.

Au reste, ce principe n’était pas toujours très facile à mettre en œuvre, dès lors qu’il existait un préfet adjoint pour la sécurité, dont la seule institution introduit dans le dispositif une forme d’ambiguïté sur laquelle je m’exprimerai dans un instant.

Troisième principe : ne pas négliger, dans le domaine de la sécurité, les tâches les plus classiques, telles que la police de la route, la police des jeux, la police des débits de boisson la sécurité des lieux scolaires, la petite délinquance urbaine, le stationnement, etc. J’y voyais deux raisons. La première, c’est qu’il fallait éviter une espèce de focalisation un peu obsessionnelle des services et de leurs patrons, de l’ensemble des forces de sécurité, sur le terrorisme et le nationalisme. La seconde raison, c’est que j’ai toujours eu la conviction qu’il était nécessaire de déployer un effort permanent, allant au-delà du simple domaine pédagogique, pour faire comprendre à l’ensemble de la population résidant sur cette île que l’Etat de droit constitue un tout homogène auquel tous les citoyens doivent être sensibilisés et auquel ils doivent participer.

Quatrième principe : puisqu’il existait un préfet adjoint pour la sécurité, il fallait respecter son rôle. J’ai constamment veillé à ce qu’il puisse exercer ses fonctions notamment dès lors que j’avais acquis la conviction que les informations circulaient correctement et que les risques d’ambiguïté, qui n’étaient pas minces, étaient évacués dans la majorité des cas.

Cela m’amène à parler du rôle du préfet adjoint pour la sécurité. Je pense qu’il s’agit là d’une institution ambiguë et dont la seule existence risque d’amplifier inutilement certains aspects de la politique de sécurité.

Il s’agit d’une institution ambiguë parce que ce préfet est adjoint auprès de chacun des deux préfets de département, ce qui est un élément de complication. Sauf erreur de ma part, je ne connais pas d’autre fonctionnaire d’autorité qui, dans notre organisation administrative, se trouve ainsi rattaché à plusieurs préfets. Cela peut poser certains problèmes de coordination dont les chefs de service - dont il ne faut pas a priori suspecter la loyauté et le dévouement - peuvent profiter ou être les victimes, ne sachant pas toujours qui obéit à qui.

En effet, les chefs de services départementaux ont affaire, dans le domaine de la sécurité comme dans tout autre domaine, qu’il s’agisse des routes, de l’action sociale ou de tout autre action publique, à leur préfet de département, mais aussi, pour ce qui concerne le domaine de la sécurité, au préfet adjoint pour la sécurité. Dans certains cas, cette double présence physique pouvait conduire à certaines ambiguïtés ou difficultés de coordination.

D’une façon plus générale, j’ai le sentiment que plus qu’une véritable division du travail, l’institution pouvait conduire à une sorte de " dramatisation " parfois inutile, donnant à certaines parties de l’opinion l’impression qu’il existait un dispositif d’exception.

Cette institution n’était pas non plus sans poser des problèmes aux directeurs de cabinet, parfois en termes de marginalisation - en général non délibérée d’ailleurs - parfois en termes de conflits ou de différends, qui ne " font pas toujours très clairs " dans le paysage administratif. Il m’est arrivé de le vivre à deux ou trois reprises, sans parler des problèmes de communication avec une presse écrite ou audiovisuelle dont vous connaissez l’omniprésence - en termes géographiques, d’éventail des opinions couvertes et en termes de production quotidienne et hebdomadaire -, qui possède d’importants moyens d’investigation et de contact et qui pouvait donc être amenée à jouer de la multiplicité des services ou du moins des autorités en charge de la direction des services de sécurité.

Par ailleurs, il s’agit d’une institution qui risque d’amplifier inutilement certains aspects de la politique de sécurité, parce que le préfet adjoint pour la sécurité est tenté, par nature, de s’occuper plutôt des événements " lourds ", notamment ceux qui touchent au terrorisme et au nationalisme, laissant au préfet de département et à son directeur de cabinet - mais avec les mêmes interlocuteurs du côté des autorités de police ou de gendarmerie - le soin de traiter tout ce qui concerne la délinquance plus classique et le maintien de l’ordre. Ce distinguo ne m’est pas apparu toujours comme très sain, dès lors que l’on admet que la sécurité, la prévention et la répression de la délinquance constituent un tout qui ne se partage pas en termes d’autorité.

Concernant mes relations avec les autorités de justice, plus exactement avec le parquet, je dirai qu’elles étaient bonnes, fréquentes sans être abusivement fréquentes. Je n’ai pas vécu mes relations avec la justice à Ajaccio de façon différente de celles que j’ai pu connaître dans les trois autres départements où j’ai exercé les fonctions de préfet.

Quant aux structures parisiennes, au risque de vous surprendre, je n’ai jamais eu de contacts directs avec elles, laissant le soin aux autorités en charge des enquêtes d’établir ces contacts et ayant moi-même les contacts nécessaires avec le SRPJ. Pour le reste, les relations s’établissaient dans le cadre normal qui préside au déroulement habituel des enquêtes. Existait-il des tensions dans les relations avec le parquet ? Je n’en ai pas souvenir.

Je dirai enfin quelques mots sur un point qui m’apparaît comme important et qui concerne les effectifs de renfort par rapport aux effectifs locaux.

Je ne vous apprendrai rien en rappelant l’importance numérique des effectifs de police et de gendarmerie présents sur l’île. Je ne voudrais pas citer de chiffres erronés mais j’ai gardé à l’esprit la présence permanente d’une compagnie républicaine de sécurité et d’un escadron de gendarmerie dans le seul département de la Corse-du-Sud ; il en était de même en Haute-Corse. Cette présence permanente était en partie justifiée par l’éloignement, les difficultés de transport et de logistique, l’importance des gardes statiques, la nécessité de disposer de renforts en période estivale, les besoins de surveillance des quatre aérodromes qui sont des points sensibles. Il est certain que cette présence a un coût élevé. Je ne trahirai aucun secret en indiquant que la Cour des comptes a dénoncé avec pertinence et précision le coût financier de la présence des forces supplétives sur l’île - sans parler de l’efficacité relative de celles-ci, en raison notamment de l’extrême brièveté des rotations ou des séjours.

Quant à la situation des forces classiques, permanentes, de police sur l’île, je dirai qu’elle se caractérisait par une moyenne d’âge élevée, une très forte corsisation des emplois, sauf pour les postes de direction, et un absentéisme très supérieur à la moyenne observée sur le continent. De ce point de vue, le préfet adjoint pour la sécurité et moi-même étions arrivés à la conclusion de l’opportunité de mettre en place des brigades anticriminalité, constituées à partir d’éléments locaux éventuellement renforcés, avec, dans le même temps, le souci d’améliorer la qualité des personnels permanents. Nous nous sommes aussi efforcés d’organiser le commandement dans la stabilité et dans la durée, compte tenu des rotations assez rapides des personnels de direction, cette remarque concernant aussi bien les forces de gendarmerie que le services de police.

M. le Président : Monsieur Frouin, vous avez été préfet de Corse jusqu’en décembre 1994 : pourquoi avez-vous quitté la Corse et, à ce moment-là, la préfectorale ?

M. Jean-Paul FROUIN : Tout simplement parce que, par curiosité, je souhaitais faire autre chose. Sans avoir préparé un plan de carrière très précis, je souhaitais connaître le fonctionnement de l’Etat depuis la " salle des machines ", je souhaitais passer quelque temps dans un corps de contrôle. La possibilité d’être nommé conseiller maître à la Cour des comptes s’étant offerte, je l’ai saisie et je n’ai pas regretté ce choix. Je désirais aussi travailler un jour dans le privé ; j’exerce actuellement les fonctions de vice-président dans un groupe à vocation agro-alimentaire.

M. le Président : Je vous ai posé cette question, car l’on aurait pu imaginer qu’une espèce d’usure frappe les préfets qui ont occupé ce poste en Corse.

M. Jean-Paul FROUIN : Je ne dis pas que ceci exclut cela ! Puisque vous parlez d’usure, il est vrai qu’il s’agit d’un poste où l’activité est dense, dans tous les sens du terme, d’un poste usant de façon taraudante. Il existe une espèce de sentiment stendhalien dans la vie d’un non-insulaire en Corse, de " Je t’aime moi non plus ", faite à la fois de gentillesse hospitalière et de chausse-trappes permanentes qui, très souvent, échappent aux Corses. Mais cela relève de l’ethnographie !

M. le Président : Certes, mais également d’une psychologie qui peut influer sur certaines personnes qui exercent des responsabilités en Corse. Le palais Lantivy a sans doute des avantages, mais il a également beaucoup d’inconvénients. Nous y avons passé une douzaine d’heures, nous nous sommes posé la question de savoir comment l’on pouvait y vivre quinze jours ! Comment avez-vous pu y passer un an et demi ?

M. Jean-Paul FROUIN : C’est à ma femme qu’il conviendrait de poser la question !

M. le Président : En résumé, vous considérez la fonction de préfet adjoint pour la sécurité comme inutile. Vos remarques vont nous aider dans notre mission qui consiste à proposer des réponses aux interrogations sur les dysfonctionnements que l’on a pu observer sur l’île. Je crois que vos rapports avec M. Lacave étaient excellents.

M. Jean-Paul FROUIN : Tout à fait, nous avions des relations amicales et de confiance.

M. le Président : Nous avons eu l’occasion de rencontrer M. Antoine Guerrier de Dumast et M. Francis Spitzer, qui a beaucoup souffert. Beaucoup de nos interlocuteurs partagent votre opinion sur la fonction de préfet adjoint pour la sécurité ; cette institution apparaît comme inutile et vous avez raison de dire qu’elle aggrave la vision que l’on peut avoir des problèmes corses.

M. Robert PANDRAUD : Monsieur le préfet, ne pensez-vous pas que l’une des erreurs a été de créer deux départements en Corse, en accordant la plénitude des pouvoirs de police aux deux préfets ? Ne serait-il pas imaginable de confier ces pouvoirs au seul préfet d’Ajaccio et de lui attribuer, compte tenu de la surcharge de travail, un directeur de cabinet qui suivrait les problèmes de sécurité sans que cela pose des problèmes de hiérarchie ?

M. Jean-Paul FROUIN : Ce qui me paraît pouvoir faire l’objet de critique, dans cette institution, c’est son caractère original, mais je suis favorable, au rattachement aux deux préfets d’une autorité relativement autonome, non soumise à un corps extrêmement hiérarchisé et dont les missions seraient définies de façon précise. Le schéma que vient de décrire monsieur Pandraud me convient. Sans aller jusqu’à dire qu’il faut que ce soit un préfet, il faut un directeur de cabinet relativement avancé dans la carrière et le poste doit être considéré comme un poste de responsabilité élevé.

M. Robert PANDRAUD : Que ce soit un poste de préfet ou de sous-préfet de première catégorie, je veux bien, mais pas un directeur de cabinet sortant de l’ENA.

M. Jean-Paul FROUIN : Je suis tout à fait d’accord avec votre façon de voir les choses.

M. le Président : Monsieur le préfet, vous avez été nommé par M. Pasqua - vous aviez donc sa confiance. On a beaucoup parlé des " réseaux Pasqua ",notamment en Corse. Avez-vous eu à souffrir d’actions parallèles à celles menées par l’Etat, au travers de ces réseaux d’amitié, de connaissances, de relations ?

M. Jean-Paul FROUIN : J’avais le sentiment de ne pas être bridé dans l’exercice des responsabilités normales qui sont celles du préfet de Corse. J’ai eu des relations constantes, fréquentes, mais non quotidiennes, avec le membre du cabinet du ministre en charge des problèmes de la Corse. Cela ne m’a gêné en aucune façon ; cela m’a même plutôt aidé, car lorsqu’on a un dossier à traiter à l’échelon ministériel, il n’est pas mauvais d’avoir un interlocuteur parisien qui lui-même a des contacts interministériels.

Quant aux " réseaux Pasqua ", monsieur le Président, je n’ai pas eu à en souffrir, je n’ai pas eu à en connaître quotidiennement. Il se trouve que j’ai exercé la fonction de préfet dans trois départements d’origine de ministres en exercice ; ces ministres avaient bien évidemment des relations privilégiées avec des interlocuteurs locaux, dont je n’ai pas plus eu à souffrir en Corse que dans les trois départements de la Meuse, de l’Yonne et de la Haute-Savoie.

M. le Président : Mais confirmez-vous l’existence de ces réseaux, de ces relations parallèles qui ne passaient pas forcément par la voie administrative normale et qui permettaient de dialoguer avec les gens sur place ?

M. Jean-Paul FROUIN : Comme il y en a d’autres dans d’autres départements !

M. Le Président : M. Pasqua, lorsque nous l’avons interrogé sur ce point, a souri à l’évocation de ces réseaux, mais nous aimerions en savoir un peu plus.

M. Jean-Paul FROUIN : Si M. Pasqua n’a pas pu vous en dire plus, ce n’est pas moi qui vais le faire.

Je vous ai dit comment s’organisaient les relations et ai indiqué que je n’avais pas vu de différences notables avec celles qui s’étaient instaurées dans les postes où j’avais servi précédemment.

M. Le Président : Avez-vous le sentiment que la stratégie mise en œuvre à l’époque consistait à mettre " la pédale douce " sur la répression du terrorisme lié au nationalisme qui pouvait, d’une certaine manière, gêner l’action de certains services, notamment de ceux chargés de la sécurité ? Certaines autorités judiciaires - cela a été écrit et confirmé -conseillaient à leurs subordonnés de faire preuve de circonspection à l’égard des dossiers concernant le terrorisme corse.

M. Jean-Paul FROUIN : C’est ce qui a été écrit par un membre du parquet et je n’ai pas de commentaire à formuler sur la déclaration de tel ou tel magistrat.

S’agissant de la stratégie, elle était très simple. J’étais chargé, d’une part, d’élaborer un contrat de plan - c’est-à-dire d’aborder les problèmes économiques insulaires les plus fondamentaux de la façon la plus efficace qui soit - et, d’autre part, de faire appliquer la loi avec les moyens dont je disposais en tant que préfet de la Corse-du-Sud, puisque les problèmes de sécurité relèvent de la compétence départementale comme je l’ai rappelé.

M. le Président : Mais vous ne pouviez ignorer, monsieur le préfet, que la lutte contre le terrorisme, à l’époque comme dans les périodes qui ont suivi, n’était pas un succès sur le plan judiciaire. Les auteurs des attentats et des assassinats étaient rarement interpellés ; les enquêtes n’aboutissaient jamais.

M. Jean-Paul FROUIN : Je ne suis pas d’accord. Prenez l’affaire de Spérone...

M. le Président : On ne peut pas dire que cette affaire soit une réussite sur le plan de l’élucidation !

M. Jean-Paul FROUIN : Quatorze personnes ont tout de même été arrêtées en flagrant délit !

M. le Président : Certes, mais elles n’ont jamais été condamnées !

M. Jean-Paul FROUIN : Je n’étais pas chargé de l’instruction ! Je puis simplement vous dire que, dans cette affaire, quatorze personnes ont été arrêtées. Il en va de même pour d’autres affaires dont les responsables ont été déférés à la justice ; à elle de faire ensuite son métier.

Quant aux statistiques d’élucidation des crimes commis, elles peuvent faire l’objet de nombreux commentaires. La criminalité était importante, c’est vrai.

M. le Président : En tant que citoyen, vous portez bien un jugement sur cette absence de résultat. L’affaire de Spérone est l’exemple type des dysfonctionnements que l’on pouvait constater en Corse, au sein même des forces de sécurité : affrontement entre services de police et de gendarmerie, dysfonctionnements aussi au niveau des procédures qui étaient faites dans des conditions telles que la justice était parfois privée de possibilités de condamnation.

M. Jean-Paul FROUIN : Monsieur le président, je dépose non pas en tant que citoyen, mais en tant que préfet de Corse entre le mois de janvier 1993 et le mois de décembre 1994.

Dans l’affaire de Spérone, les forces chargées de la sécurité ont accompli leur travail, aussi bien dans le domaine du renseignement que pour appréhender les auteurs des faits. Les intéressés ont été transférés sur le continent au bout de quatre ou cinq jours, et la procédure a suivi son cours en dehors des compétences qui étaient les miennes. Mais lorsque des faits étaient constatés, les conséquences en étaient tirées.

Je peux vous en donner un autre exemple : celui d’un responsable connu qui, alors qu’il s’exerçait au tir le long d’une route départementale, a été appréhendé par les forces de police et déféré à la justice. Le métier de préfet s’arrête là.

Mme Catherine TASCA : Monsieur le préfet, je souhaiterais revenir sur la fonction de préfet adjoint pour la sécurité. Avez-vous eu l’occasion, pendant votre mission en Corse ou au moment où vous l’avez quittée, d’exprimer aux autorités ministérielles votre point de vue sur cette institution ? Par ailleurs, savez-vous si ces mêmes autorités se posaient la question du bien-fondé de cette institution ?

M. Jean-Paul FROUIN : Non, je ne sais pas si une réflexion était en cours à l’échelon central sur le bien-fondé du maintien de cette institution. En revanche, il est vrai que j’ai eu l’occasion, lors des contacts que j’avais avec le ministère de l’Intérieur, de livrer mon sentiment à ce sujet.

M. Robert PANDRAUD : Les interrogations sur le bien-fondé de cette institution se sont posées dès sa création ! De nombreux ministres pensaient que cette institution était inutile et superfétatoire. Mais personne n’a jamais voulu prendre le risque de la supprimer, car cela aurait amené des commentaires disant que l’on diminuait la sécurité. C’est de cette façon que les institutions se perpétuent !

S’agissant de l’affaire de Spérone, il ne faut pas tirer sur le pianiste, monsieur le Président ! Que penseriez-vous d’un préfet qui se ferait communiquer les procédures judiciaires et qui donnerait ouvertement son avis ?

Quant aux " réseaux Pasqua ", vous savez très bien que tous les ministres ont des contacts dans les départements. Que n’entend-on pas quand un ministre se rend dans un département et ne va pas passer une demi-heure au sein de la fédération départementale de son parti ! Il le fait, ne serait-ce que pour les militants et les électeurs, même si c’est une corvée supplémentaire dans un programme souvent chargé. Alors est-ce un réseau ? En 1986, lorsque M. Pasqua a voulu désigner un préfet de région, il ne l’a pas choisi au sein de son équipe mais essayé de trouver une personne remplissant les meilleures conditions. Il a donc nommé un procureur de la République, d’origine corse, et proche du Président de la République de l’époque ! Il ne l’avait rencontré qu’une fois ! Ça a été la plus grande catastrophe que l’on ait jamais vu !

M. Le Président : Qu’est-ce qui été mis en cause : sa qualité de Corse ou de magistrat ?

M. Robert PANDRAUD : De magistrat et le fait qu’il soit proche du Président de la République.

M. le Président : Quel était votre interlocuteur au ministère de l’Intérieur, monsieur le préfet ?

M. Jean-Paul FROUIN : Un conseiller technique officiel du cabinet du ministre, qui est aujourd’hui préfet de la Savoie, M. Bisch.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr