Présidence de M. Michel VAXÈS, Vice-président

M. Laïd Sammari est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Laïd Sammari prête serment.

M. le Président : Nous accueillons Laïd Sammari, journaliste à L’Est Républicain, journal dans lequel sont parus, en décembre 1998, les premiers articles relatifs au rapport Marion.

Monsieur Sammari, nous vous avons demandé de venir devant notre commission pour recueillir votre point de vue sur la manière dont a été conduite l’enquête sur l’assassinat de Claude Erignac, mais également sur la manière dont la presse a été utilisée par les protagonistes de cette affaire.

M. Laïd SAMMARI : J’ai, en effet, été conduit, à la fin décembre 1998, à publier les principaux extraits du rapport de Roger Marion, contrôleur général à la DNAT, rapport dans lequel il indiquait son sentiment sur les responsables de l’assassinat du préfet Claude Erignac.

J’ai pris connaissance de ce rapport, je l’ai publié pour l’essentiel et je l’ai surtout assorti de commentaires. Pourquoi l’ai-je publié, alors que sa publication pouvait paraître participer d’un sabotage de l’enquête ou gêner les investigations ? Parce que je pensais que l’enquête s’engageait dans une mauvaise direction. Je l’ai publié pour dire : " Attention, nous nous engageons sur une piste ce qui peut avoir des conséquences graves ! "

Dans la mesure où, en tant qu’observateur et journaliste, je n’ai jamais cru à la piste dite " agricole ", il me paraissait important de dénoncer le fait de la suivre. La question qu’il conviendrait de poser aujourd’hui se formule de la façon suivante : si la piste agricole avait été conduite à son terme par les enquêteurs, où en serait-on à l’heure actuelle ? J’avais acquis la certitude que des arrestations devaient se produire au début janvier, au retour du ministre de l’Intérieur aux affaires. Je pense que la DNAT, et notamment M. Marion, avait envie de montrer que les choses avançaient alors que l’on traversait une période où nombre de personnes regrettaient le piétinement de l’enquête. Au surplus, la résolution de cette affaire criminelle était étroitement mêlée à la tentative de rétablissement ou d’instauration de l’Etat de droit en Corse. L’on ne pouvait instaurer l’Etat de droit sans résoudre préalablement cette affaire criminelle.

Si on avait laissé poursuivre cette piste agricole, les coupables présumés ne seraient pas encore identifiés. Je les nomme ainsi, car la présomption d’innocence s’applique également à ces gens qui appartiennent au commando. La meilleure preuve apportée à mes propos tient dans le fait que quelques jours avant l’arrestation du commando, l’on a procédé à l’interpellation, la mise en examen et l’incarcération d’un des principaux responsables de la piste dite agricole : Mathieu-Dominique Filidori, depuis remis en liberté, mais toujours mis en examen, sans que nul ne dispose du moindre élément sur sa responsabilité. Les enquêteurs sont partis interpeller ce commando pour " en finir avec les bonneteries " selon leur expression. Quand M. Marion et ses collaborateurs partent interpeller ce commando, ils n’y croient absolument pas. Peut-être y reviendrons-nous, mais je précise que, sur les trois magistrats instructeurs désignés pour instruire l’affaire, deux n’étaient absolument pas au courant de l’opération qui allait se déclencher : seule Mme Le Vert en était informée.

Il se trouve que les enquêteurs ont eu beaucoup de chance : quelques heures après l’arrestation, l’épouse d’un membre du commando déclarera que, contrairement à ce qu’il avait expliqué, son mari n’était pas avec elle à regarder la télévision, mais qu’il s’était rendu chez des amis. Voilà comment l’enquête est partie. Ensuite, l’exploitation de la liste des appels des portables permettra de se rendre compte que M. Ferrandi a téléphoné à untel juste avant, pendant, et après l’assassinat. Puis l’on interroge un autre et l’on s’aperçoit que lui aussi a téléphoné... Et voilà comment l’on a reconstitué le commando.

Quand la police part arrêter ces gens, elle dispose de noms qui ne sont pas les bons. Nous le savons aujourd’hui ; ils ne détiennent pas le nom du tireur présumé, puisqu’une confusion prévaut dans les noms. J’en profite pour préciser qu’un grave dysfonctionnement des forces de police et de gendarmerie en Corse a été une nouvelle fois démontré à l’occasion de l’arrestation de ce commando. Peut-être vous l’a-t-on déjà dit, mais M. Marion n’a pas voulu mobiliser tous les enquêteurs qu’il aurait pu mobiliser pour procéder à l’arrestation. Dans une affaire criminelle de cet ordre et lorsque l’on mène ce type d’opération, on procède de façon très large. Dès lors que l’on comptait un Colonna, Stéphane en l’occurrence, parmi les membres présumés, il fallait prendre des dispositions pour arrêter tout l’entourage, à commencer par ses frères. Or, on n’a jamais prévu l’arrestation d’Yvan Colonna, que l’on se décide à l’interpeller après un reportage sur TF1 diffusant son interview. Il est alors trop tard, car il a pris la fuite et parce que l’on n’a pas mobilisé les forces de police et de gendarmerie nécessaires pour ratisser large et se donner tous les moyens et les chances d’aboutir.

Le principal problème de cette enquête Erignac, c’est que tout le monde a voulu " sortir " cette affaire selon le jargon policier. Je me souviens d’une anecdote invraisemblable : à mon arrivée à l’aéroport d’Ajaccio le lendemain matin de l’assassinat, je tombe sur un nationaliste que je connaissais et qui me dit : " Tu ne resteras pas longtemps à Ajaccio ; je sais par un copain de la PJ qu’ils ont arrêté les coupables : ce sont des maghrébins ". Durant les trois jours qui ont suivi l’assassinat du préfet, les radios ont expliqué que les auteurs étaient deux maghrébins parmi trois personnes interpellées. Ils furent gardés jusqu’à la venue de M. Chirac le lundi et relâchés ensuite. Pourtant, dans les heures qui ont suivi leur arrestation, on savait très bien que ces trois jeunes malheureux n’y étaient strictement pour rien. Dans la voiture de l’un d’entre eux, a été retrouvé un dossier d’inscription pour devenir auxiliaire de police ! On le savait, mais on les a tout de même gardés. Cela pour expliquer comment, déjà, l’enquête partait.

Par ailleurs, la nouvelle de la nomination de trois juges d’instruction pour cette même affaire constituait, à mon sens, une erreur. D’autant que, très rapidement, l’on a appris que le préfet avait été assassiné avec une arme dérobée aux gendarmes de la brigade de Pietrosella et que, pour cette affaire, une information judiciaire avait déjà été ouverte et confiée à un juge d’instruction antiterroriste, Gilbert Thiel, et que nul n’ignorait que ces deux affaires étaient liées.

Ensuite, on arrête Marcel Lorenzoni, auquel on ne peut imputer quoi que ce soit sur l’assassinat, mais des explosifs ont été trouvés chez lui. On ouvre alors une nouvelle information judiciaire qui servira de prétexte aussi à enquêter sur l’assassinat Erignac ! Cela donnait trois affaires juxtaposées avec plusieurs juges d’instruction. A cela, il faudra ajouter le préfet Bonnet qui s’est malheureusement pris pour un juge d’instruction et qui, de son côté, a mené son enquête. Ajoutons enfin les forces de police diverses qui concouraient. Dans un dossier, vous aviez les gendarmes ; dans l’autre, les gendarmes et la PJ ; dans un autre encore, la DNAT,... Comment dans ces conditions ne pas arriver à de graves dérapages et d’importants dysfonctionnements ? Finalement, je suis persuadé que tous ces gens étaient mus par une bonne foi et une bonne volonté : ils voulaient aboutir. Mais l’on n’aboutit pas dans ces affaires en travaillant chacun dans son coin, chacun avec ses méthodes, sans rendre compte à une seule personne... J’ajouterai à la liste des gendarmes, de la PJ, de la DNAT, les renseignements généraux et certains services qui se sont mis à faire leur travail un peu tard. L’on a malheureusement constaté après cet assassinat le déficit du renseignement en Corse. Les services se sont rendu compte qu’ils ne savaient pas grand-chose sur les mouvements nationalistes, sur les dissidents, les radicaux, les ultras, les modérés, les rentrés dans le rang... Ils ont réalisé ne rien connaître. L’enquête a quasiment démarré de zéro.

M. le Président : Je note l’absence de coordination entre les différents services et la multiplicité des positions individuelles des uns et des autres qui, de votre avis, ont sans doute considérablement gêné l’avancée de l’enquête. Ma première question est inspirée par votre propos de l’instant : comment se fait-il que vous ayez pu être destinataire d’un rapport, alors que vous soulignez d’emblée que la justification de la publication tient dans la direction erronée prise par l’enquête ? S’il y avait eu une fuite à organiser, je ne comprends pas pourquoi elle s’est dirigée vers vous qui aviez cette opinion ?

M. Robert PANDRAUD : Rappel au règlement, monsieur le Président. Je ne pense pas qu’un journaliste puisse faire état de ses sources d’information.

M. le Président : Là n’est pas ma question.

M. Laïd SAMMARI : J’ai été profondément choqué, car, durant l’arrestation du commando, ce ne sont ni les juges d’instruction, ni le parquet qui s’exprimaient, mais le ministère de l’Intérieur.

M. le Président : Vous n’avez pas perdu de vue ma première question : je souhaiterais votre opinion, d’autant que, au moment de la publication, on ne s’était pas donné, selon vous, les moyens de trouver les coupables et que leur arrestation contient une part de chance.

M. Laïd SAMMARI : Une très importante part de chance. Les déclarations de la DNAT sur le thème " cela fait des mois que nous travaillons dessus " ne correspondent pas à la vérité. Nous savons tous - ou presque - que certains noms et certaines personnes du commando étaient déjà en procédure depuis novembre 1998 chez le juge Thiel pour l’affaire de Pietrosella. Quand M. Marion déclare : " On nous a caché des éléments, ce qui nous a fait perdre trois ou quatre mois ", cela est faux. Mais, effectivement, la DNAT n’était pas saisie de Pietrosella. Les gendarmes et le SRPJ d’Ajaccio avaient donc en charge l’enquête et accès à la procédure. Si la PJ avait eu le sentiment que des éléments de cette procédure étaient susceptibles d’intéresser la DNAT dans l’affaire Erignac, elle aurait parfaitement pu les communiquer. On n’a donc absolument rien caché. Simplement, la DNAT a toujours été persuadée qu’il fallait suivre la piste agricole. Par conséquent, tout ce qui ne concernait pas les agriculteurs n’intéressait pas la DNAT.

Je reviens à votre question. Nous sommes très peu de journalistes en France à suivre de longue date et de près les affaires corses. Il se trouve que je suis un de ceux-là. Vous vous étonnez que si une fuite était à organiser, elle passe par moi. Dans d’autres dossiers - l’affaire Elf, Urba... peu importe - certaines informations sont passées par moi, alors qu’il aurait été plus intéressant ou judicieux de passer par d’autres. Mais il y a des personnes qui, quand elles s’attachent à un dossier, le suivent, le travaillent, nouent des relations, essayent de comprendre et, à un moment, se trouvent là où il faut. Au surplus, il était de notoriété, chez beaucoup de gens et notamment les enquêteurs, magistrats, policiers, que j’avais une hypothèse dans cette affaire et que je n’ai pas cru un seul instant à la piste agricole, comme je ne crois pas encore aujourd’hui que l’affaire Erignac soit bouclée.

M. le Président : Cette fuite ne fut pas la seule révélation par la presse. Les fuites, en tout cas les révélations dans la presse, il y en eut d’autres. Nous évoquions celle de l’un de vos confrères dans Le Monde au mois de février 1999. J’avoue - quelques-uns de mes collègues partagent ma conviction - que celle-ci m’a ébranlé. A l’époque où nous l’avons lue, nous ne connaissions pas l’issue de l’affaire, et l’on avait le précédent de la publication de L’Est Républicain, mais, dans Le Monde, on lit presque nommément le groupe d’assassins présumés de l’affaire Erignac !

Quelle est votre appréciation des choses ?

M. Laïd SAMMARI : Avez-vous relu cet article depuis le 6 février dernier ?

M. le Président : Oui, je l’ai relu tout à l’heure.

M. Laïd SAMMARI : N’avez-vous pas été frappé par le nombre d’erreurs ?

M. le Président : Certes, et notamment sur les localisations.

M. Laïd SAMMARI : Que dit cet article ? A sa lecture, il m’a fallu trois minutes pour mettre des noms sur les personnes. J’ai compris que celui qui s’était recyclé dans les voitures était Ferrandi, que j’avais d’ailleurs rencontré à l’époque. Il était indiqué qu’il était le patron, alors qu’il n’était que chargé du parking du concessionnaire. On parlait d’un ancien légionnaire : aujourd’hui, il n’existe plus dans l’affaire. La seule chose intéressante dans cet article a trait aux enseignants ; à l’époque, on savait déjà qu’il s’agissait de Castela et d’Andreuzzi. Aujourd’hui, en l’état de l’enquête judiciaire, il n’est en aucun cas démontré que ces deux personnes soient impliquées dans l’assassinat du préfet. A ce jour, un commando incomplet reconnaît les faits et avance pour se justifier la refondation et de pseudos arguments politiques, mais les enseignants n’en font pas partie. De même l’on parlait des agriculteurs qui auraient pu jouer le rôle de commanditaires : ils ne sont plus là. L’article se trompe sur la localisation, sur les commanditaires, sur la désignation de certains membres ayant participé à l’exécution. Si l’on porte un regard attentif, on s’aperçoit que l’article s’est trompé sur presque toute la ligne.

Je veux bien procéder à une relecture avec vous et noter tout ce qui présente une faille. Mon avis sur cet article est qu’il a tenté de réunir des éléments qui pouvaient être détenus par le préfet Bonnet, d’autres par les gendarmes et d’autres encore par la DNAT. Cela prouvait que chacun travaillait dans son coin et que quelqu’un s’est amusé à trouver une cohérence entre tous ces éléments.

Si le 6 février, l’on était persuadé que cet article contenait des éléments décisifs pour boucler l’enquête, pourquoi ne pas avoir bougé ? En fait, l’on bouge, parce qu’un jour la fille ou l’épouse de Bonnet menace de préciser ce qui a été fait ou pas dans l’enquête. A ce moment, l’on souhaite en finir avec ces " bonneteries " en démontrant que ces gens n’ont rien à voir avec cette affaire. On arrête Filidori, puis trois jours après, l’on arrête ce commando. Coup de chance !

M. le Rapporteur : Comment expliquez-vous autant de violations du secret de l’instruction dans toute cette affaire ? La seule violation ayant donné lieu à l’ouverture d’une enquête par le parquet concerne le rapport Marion. Pourquoi sur cette affaire et pas sur les autres ?

M. Laïd SAMMARI : Oh ! c’est très simple. La section des juges d’instruction antiterroristes compte quatre magistrats. L’un d’eux, le juge Thiel, est une brebis un peu égarée ; il n’a pas été coopté par les autres. Il n’était pas souhaité ; il a toujours été considéré comme un élément incontrôlable. Il a été imposé pour des raisons x ou y, mais n’a jamais été accepté. Il n’a pas du tout les mêmes méthodes de travail que les autres ; il travaille beaucoup et pense que certaines méthodes ne sont pas forcément les bonnes. La manière qui consiste, dès que l’on dispose d’un renseignement anonyme ou dès que le doute porte sur quelqu’un, à l’interpeller, le transférer à Paris et le garder quelques mois, même en l’absence de charges, ne constitue pas à ses yeux la bonne méthode.

Quand j’ai publié cela, les gens se sont dit : " Si Sammari publie cela dans l’Est Républicain, c’est forcément le juge Thiel ! N’était-il pas juge d’instruction à Nancy, où Sammari travaille... ? ".

M. le Rapporteur : L’avocat de Mme Erignac aussi est à Nancy.

M. Laïd SAMMARI : En effet. C’était bête comme choux : " Le juge Thiel lui avait donné le rapport. ". L’enquête était rondement menée !

Des pressions ont été exercées sur le procureur qui n’a pas tout de suite vu arriver la patate chaude. On lui a demandé d’ouvrir l’instruction, pensant que Sammari allait être mis en examen avec, à sa suite, le juge Thiel. Le but de la manœuvre était très simple : une fois la mise en examen du juge Thiel obtenue, on l’éjectait des affaires corses ! Voilà quelle était la manœuvre scandaleuse. C’était aller un peu vite en besogne et prendre le juge Thiel pour un imbécile. Imaginez le juge Thiel me donner le rapport, alors que nos liens sont connus et alors qu’il existe cinquante-deux façons d’obtenir une pièce de procédure ! Pourquoi ne sont-ils pas parvenus à leurs fins ? Sans doute parce que le juge Thiel ne s’est pas laissé faire. Il a réagi et mes confrères n’ont pas été dupes. Considérez que je pouvais être utilisé comme une simple boîte aux lettres à un moment donné, c’était faire l’impasse sur tout ce que je faisais par ailleurs. La Corse n’occupe pas tout mon temps - loin de là !

M. le Rapporteur : Comment expliquez-vous que le juge Thiel, qui travaillait semble-t-il en confiance avec les gendarmes, ait décidé d’interrompre sa collaboration ?

M. Laïd SAMMARI : C’est très simple ; c’est d’ailleurs moi qui ai annoncé le dessaisissement - en novembre je crois. Le juge Thiel s’est rendu compte qu’il était doublé par les gendarmes. Il a compris qu’ils livraient parallèlement certains éléments au préfet Bonnet. Je compte parmi ceux qui ne croient pas du tout que le préfet Bonnet ait bénéficié d’un informateur. Je ne le crois pas du tout. Il disposait d’un préposé, d’un coursier, le colonel Mazères, qui avait parfaitement compris que le juge Thiel prenait son temps, mais qu’il avançait bien dans sa procédure. C’est dans sa procédure qu’apparaît Ferrandi. Un jour on le saura, car cela sera public à l’audience.

Je vais même vous révéler une information que vous ignorez peut-être : préalablement au dessaisissement des gendarmes, le juge Thiel avait décidé de procéder à l’interpellation de Ferrandi et de certains autres. Savez-vous comment il trouve Ferrandi ? Sur Pietrosella, le témoignage des gendarmes indiquait que le véhicule qui avait servi au transport était un C35 Citroën. Après des recherches, ils ont trouvé que la sœur de Ferrandi travaillait dans une entreprise qui utilisait ce type d’estafette. Comme, par ailleurs, l’on filait Castela depuis longtemps au sujet des attentats de Vichy et Strasbourg, mais sans pour autant les relier à l’assassinat de Claude Erignac, sa filature a permis de savoir qu’il avait rencontré Ferrandi qui, dès lors, devenait un élément essentiel dans la procédure.

M. le Rapporteur : Quel était l’objectif de Bonnet dans cette affaire ?

M. Laïd SAMMARI : Bonnet était comme tout le monde. Dès qu’un fonctionnaire arrivait en Corse, il pensait rester deux ou trois ans et partir en ayant pris du galon !

J’ai rencontré récemment un haut policier en Corse qui, arrivé de fraîche date, me dit : " Plus qu’un an et demi ! " Devant mon étonnement, il ajoute : " Il faut au moins que je reste deux à trois ans ". Tous ceux qui vont là-bas ne pensent qu’à repartir. Il en va de même des gendarmes, des policiers, des douaniers ou des gens des impôts. On se sert de la Corse comme d’un tremplin. Il est vrai que les conditions de travail y sont particulières. Bonnet a aussi compris qu’instaurer l’Etat de droit ne pouvait pas se faire sans résoudre l’affaire Erignac. L’assassinat d’un préfet n’est pas chose banale ! Une seule chose comptait : résoudre l’affaire qui avait été élevée au rang de " cause sacrée ", l’expression n’est pas de moi.

J’ai annoncé, quelques jours après l’assassinat, que le gouvernement allait taper très fort et tous azimuts, mais, au départ, je ne pense pas que l’on ait eu simplement l’idée d’instaurer l’Etat de droit. L’on s’est dit : " on va tellement les secouer et les déranger qu’à un moment donné, l’un d’entre eux va parler de l’assassinat d’Erignac ".

Là réside, à mon sens, la première erreur commise ; on est parti en tous sens, n’importe comment et le résultat a été que les Corses qui, dans leur immense majorité, après l’assassinat, étaient scandalisés et révoltés, ont eu l’impression qu’on les prenait tous pour des assassins. Nul ne pouvait traverser en dehors des clous et tout était prétexte à sanctionner et à punir. Je suis désolé de ne pas participer au racisme anti-corse. Je connais de nombreux Corses qui ont l’envie de travailler normalement, de s’en sortir, qui souhaitent un emploi normal et sont prêts à payer leurs impôts. Mais, à partir du moment où ils ne peuvent plus écouter la radio ni lire le journal sans entendre que tous les Corses sont de redoutables bandits racketteurs, l’on comprend leur exaspération.

M. le Président : Telle n’était pas cependant la teneur du premier rapport de la commission d’enquête sur la Corse où il était clairement indiqué que l’on ne confondait pas l’immense majorité des Corses qui souhaitaient vivre tranquillement et les grands délinquants.

M. Laïd SAMMARI : Je me rends en Corse depuis vingt-deux ans et peut-être dix fois par an. Je connais beaucoup de monde et je ne fréquente pas que des voyous ou des nationalistes. Je connais des gens dont on est venu, un beau matin, défoncer la porte au prétexte qu’ils figuraient sur l’agenda de tel nationaliste auquel ils avaient vendu une voiture et se sont retrouvés présumés dangereux terroristes. De tels cas sont nombreux.

Je connais une discothèque dans le sud de l’île qui a vu arriver quarante gendarmes qui pensaient qu’elle servait à blanchir l’argent de la mafia et venaient saisir la comptabilité. Les gérants ont précisé : " Si vous vouliez la comptabilité, il suffisait de la demander, nous vous l’aurions donnée ! ". On a assisté, pour rien, à un déploiement impressionnant de forces.

N’oublions pas une vérité simple : comment prétendre instaurer l’Etat de droit alors que l’on a donné autant de moyens à cette section antiterroriste et que l’on décide de transférer à Paris tout ce qui pouvait, de près ou de loin, toucher aux dossiers de terrorisme ? J’avoue ne pas comprendre.

Je citerai un exemple qui m’a particulièrement choqué. En 1996, M. Dewez, PDG de la société Spérone, porte plainte pour racket. Est-ce là un dossier politique ou un banal dossier de droit commun ? Pour moi, la réponse ne fait pas de doute : il fait partie de la seconde catégorie. Personne au niveau politique n’a revendiqué cette tentative d’extorsion de fonds. Pourtant, l’affaire a immédiatement été dépaysée. Cela signifie en premier lieu que l’on humilie la justice insulaire.

M. le Rapporteur : La justice insulaire est-elle en capacité de traiter ces affaires ?

M. Laïd SAMMARI : Qui nomme les magistrats en Corse ?

M. le Rapporteur : C’est aujourd’hui un constat.

M. Laïd SAMMARI : Si l’on pense que des magistrats qui postulent à un poste en Corse ne sont pas compétents ou n’ont pas le profil requis, on ne les nomme pas !

M. le Rapporteur : Ils sont inamovibles pour une partie d’entre eux.

M. Laïd SAMMARI : Ils ont inamovibles seulement au siège et une fois qu’ils sont en place ! Aujourd’hui, se composent des pôles financiers, par exemple à Paris, boulevard des Italiens. Il ne suffit pas de frapper à la porte pour être nommé. Il faut demander, passer devant le CSM, la Chancellerie donne son avis sur le profil des candidats. Nul n’est nommé simplement parce qu’il se présente. Si pendant des années, en Corse, l’on s’est contenté de nommer des magistrats pour la plupart originaires de l’île, cela relève de l’autorité de l’Etat, ce n’est pas un problème corse ! Si l’on pense qu’ils n’étaient pas compétents, il ne fallait pas les nommer. Il existe par ailleurs toujours moyen de sanctionner les gens. J’ai toujours entendu dire que tel magistrat n’a pas voulu faire son travail parce qu’il a eu peur, ou qu’un autre a rendu service à son cousin dans un dossier ! L’Etat n’a qu’à utiliser les procédures qui existent. Il y a peu, un magistrat a été suspecté récemment à Lille pour ses liens avec le milieu. Une information a été ouverte, il a été mis en examen, incarcéré et provisoirement écarté de la magistrature. Il existe des procédures ; je ne vois pas où est le problème. En revanche décider de " dépayser " tous les dossiers à Paris, c’est humiliant ! Ce n’est pas ainsi que l’on peut instaurer un véritable Etat de droit.

M. le Rapporteur : Ne sont " dépaysés " que les dossiers liés au nationalisme !

M. Laïd SAMMARI : C’est faux.

M. le Rapporteur : Dans l’affaire Spérone que vous avez évoquée, les personnes mises en cause sont tout de même connues.

M. Laïd SAMMARI : Certes, mais comprenez la contradiction. Il a été expliqué que ces gens n’avaient rien de nationalistes, mais se servaient de la casquette nationaliste pour se livrer à des actes criminels ou de droit commun. Voilà ce qui nous est expliqué depuis mars-avril 1996. C’est donc bien un dossier de droit commun. Qui revendique le racket pour financer la cause nationaliste ? Personne.

Au surplus, l’on ne peut démontrer que le dépaysement à la section antiterroriste soit un gage d’efficacité. Prenons l’affaire Spérone 1 : elle remonte à 1994, soit cinq ans. Qui peut expliquer pourquoi ce dossier n’est toujours pas audiencé ?

M. le Rapporteur : C’est une question que l’on pose également. L’on nous répond qu’il y aurait eu des difficultés de procédure au sujet de Spérone 1.

M. Laïd SAMMARI : Mais non, il n’y a pas eu de problèmes de procédure, c’est un secret de polichinelle ! On arrête un commando de quatorze hommes, armés comme des porte-avions. On est en pleine négociation, la énième. On explique alors aux juges antiterroristes - et il n’y a qu’à eux que l’on peut dire de telles choses - que le moment est mal venu : on les relâche donc. Mais ensuite, même si on change de politique, on ne peut plus les reprendre. On ne peut donc résoudre cette affaire. On a très peur de l’audiencer et de la régler, car on redoute d’entendre à la barre expliquer que les personnes ont été relâchées parce qu’on négociait alors avec les émissaires de tel gouvernement.

M. le Rapporteur : La DNAT n’était pas en charge de cette affaire qui fut réglée sur le plan local.

M. Laïd SAMMARI : La DNAT n’est qu’un outil. Cette affaire était confiée aux gendarmes, mais peu importe ! Les gendarmes n’auraient pas fait mieux que la DNAT et vice versa. Jusqu’en 1996, savez-vous à quoi jouaient les policiers et les gendarmes en Corse ? A se passer les affaires ! Personne ne voulait récupérer ces affaires ingérables qui ne permettaient pas de réaliser une enquête normale, conforme à ce qu’un gendarme ou un policier apprend : des constatations, des indices... S’il reçoit des coups de fil de la hiérarchie, il ne comprend plus rien, surtout si le lendemain on lui demande de repartir.

Les gendarmes ne voulaient donc pas de ces affaires. Dès lors que survenait un plasticage, ils envoyaient quelqu’un dans une cabine téléphoner anonymement à la PJ, en espérant que cette dernière allait s’en saisir. L’on peut en rire, mais c’est ainsi que cela se passait.

M. le Rapporteur : Depuis la fin 1996, les choses ont un peu changé.

M. Laïd SAMMARI : Il faut rendre justice à Alain Juppé. A partir de mars ou avril, il a décidé que c’en était fini. A partir de là, les choses ont commencé à changer. Ils n’ont pas mis les mêmes moyens que l’actuel gouvernement certes, mais c’est de là que date le changement. L’on a compris à ce moment qu’il se passait quelque chose. M. Juppé a mis les points sur les " i " lorsqu’il est venu en Corse en juillet 1996.

M. Robert PANDRAUD : Nous avons été témoins d’une violente opposition entre M. Marion et M. Dragacci sur leurs méthodes, sur leurs comportements. Les connaissez-vous ?

M. Laïd SAMMARI : Bien sûr. M. Marion a une forte personnalité, mais ce pourrait être M. Dupont, peu importe. Mais je ne pourrai jamais accepter l’idée que l’on puisse, par tous les moyens, se constituer une carte de visite. Je ne peux pas accepter, par exemple, le comportement que son service a manifesté à l’égard des policiers locaux. Aujourd’hui, on sait tous que le SRPJ d’Ajaccio est devenu une annexe de la DNAT. Le SRPJ n’existe plus. Du reste, il faut se poser la question de savoir ce qu’il adviendra des services locaux entièrement démembrés et humiliés si la DNAT se retire de la Corse. Il n’en restera rien ! Ne parlons pas des gendarmes - l’épisode de la paillote pose un autre problème -, mais c’est grave, car l’on a réfléchi sur le court et non sur le long terme. Dans vingt ans, nous nous retrouverons ici pour évoquer les mêmes sujets : j’en suis persuadé.

M. Georges LEMOINE : J’ai écouté avec intérêt et beaucoup d’attention vos explications. J’avais l’impression par moment, d’être dans un monde qui n’avait rien de commun avec celui qui nous a été décrit jusqu’à présent ; j’avais le sentiment - peut-être cela tient-il à votre talent - d’être dans un opéra d’Offenbach. Nous étions bien loin de la Corse.

Je reviens sur l’une de vos remarques à propos de la publication du rapport : " Je n’ai jamais cru à la piste agricole ". Vous étiez habité de ce que l’on l’appelle " une intime conviction ".

M. Laïd SAMMARI : Oui, mais elle était fondée sur des éléments, que, du reste, je veux bien développer si cela vous intéresse. Pour en parler, il faut tout d’abord avoir lu le rapport Marion. J’ai l’habitude des procédures, des rapports de police, des rapports judiciaires. Celui de Marion était tout sauf un rapport. Un rapport judiciaire de synthèse a pour objet d’être transmis à un magistrat, qui est ensuite amené à prendre une décision. C’est le type de rapport qui peut conduire à l’arrestation de personnes, autrement dit à des actes graves. La liberté individuelle est quelque chose d’important. Le rapport Marion ne comportait aucun élément pouvant constituer un début de preuve. Dès lors, ce rapport, pour moi, ne valait rien !

Pourquoi ce rapport part-il de la piste agricole ? Dès le début de l’enquête, puisque l’on était dans le désert, il a été décidé d’auditionner l’un des responsables de l’administration agricole. On lui a demandé ce qu’il savait, on l’a interrogé sur ses relations avec le préfet. Il a indiqué qu’il était très inquiet, très soucieux, car les agriculteurs semblaient de plus en plus virulents au sujet de l’apurement de la dette agricole. Les enquêteurs partent de ce fait et se livrent à un travail de documentalistes pour rechercher sur les quinze dernières années tout ce qui a trait aux agriculteurs. Ils constatent, en effet, que ceux-ci ont toujours été virulents. Et pour cause ! Il suffisait qu’ils manifestent, cassent, brûlent un peu pour obtenir l’annulation de leurs dettes. Pourquoi donc ne pas réitérer leur démarche !

Parmi ces personnes, ont été repérés des anciens ou actuels militants nationalistes assez durs, violents, notamment Filidori, passé devant la cour de sûreté de l’Etat. Ce n’est pas un saint et je ne suis pas son avocat !

L’on est donc parti sur cette piste. Pourquoi ? Parce que l’on n’a rien d’autre. M. Chevènement a piqué une colère noire après cet assassinat. Il a demandé des rapports aux renseignements généraux pour s’apercevoir qu’il n’en existait aucun.

M. le Rapporteur : M. Squarcini était en poste depuis longtemps. Lui et ses services ont travaillé.

M. Laïd SAMMARI : Le problème, c’est que l’on ne travaille pas normalement en Corse ; on ne recensait pas les personnes, on ne procédait pas à une analyse. Comme en mai 68, lorsque les événements ont éclaté, on est tombé des nues. Personne n’était préparé, personne ne les avait pressentis. Il en a été de même pour l’assassinat de Claude Erignac. Si un véritable travail de renseignement avait été réalisé à l’époque, on aurait pu concevoir des doutes, on aurait pu imposer une protection ; or, il n’en a rien été. Claude Erignac allait pêcher, jouait au tennis, partait courir, se promenait seul. Aucun élément ne permettait d’appréhender une possible action violente. Pourtant, certains communiqués du FLNC historique étaient très parlants à l’époque. Ils n’ont jamais été pris au sérieux.

Je vais vous faire part du premier fait qui m’ait surpris. A partir du deuxième semestre1996, une vague d’arrestations est intervenue : on a arrêté des dirigeants nationalistes, de nombreux militants ; on a véritablement voulu les secouer. Comment n’avoir pas pensé alors à une possible réaction ! Il faut comprendre une chose : lorsque l’on arrêtait les chefs, on n’arrêtait pas ceux chargés des basses œuvres. Certaines personnes ont aujourd’hui quarante ans, n’ont jamais travaillé de leur vie ; elles ont toujours été, si j’ose dire, des " porteurs de valise ", des " porte-flingues ". Elles ne savent rien, n’ont rien appris. Du jour au lendemain, ces gens se sont retrouvés quasi-orphelins. On n’a pas imaginé une seconde qu’il pourrait se passer quelque chose de grave. Jamais ! Alors, on n’a rien, seule cette piste " agricole ". On bâtit une sorte de raisonnement sur la sémantique plus ou moins intellectuelle pour enfin déclarer : " C’est eux ! C’était écrit noir sur blanc ! ". En outre, M. Chevènement, après son accident, exigera des résultats. Pourquoi a-t-il programmé son voyage en Corse ? Le moment était venu enfin d’annoncer que l’enquête avançait véritablement. Le nombre de fois où on a annoncé la progression de l’enquête ! Souvenez-vous, entre les mafieux, les maghrébins et ceux venus de l’étranger ! Un jour, M. Chevènement a déclaré : " Ce sont des gens qui voyagent beaucoup ". Les pistes furent nombreuses et à un moment donné il faut en finir avec le ridicule, d’autant que la date anniversaire de la mort de Claude Erignac approchait. Nous sommes dans un pays où l’on considère qu’une enquête, aussi grave et importante soit-elle, doit donner des résultats au bout d’un an. Ce fut là l’erreur. On a fait peser une pression extraordinaire. Un parmi d’autres fut plus malin : Marion ! Marion, un peu opportuniste, malin, qui a su tirer la couverture à lui. Au moment du dénouement, personne ne lui a fait remarquer : " Hier, vous disiez que c’était les agriculteurs ; aujourd’hui vous nous expliquez que cela fait des mois que vous saviez que c’était eux ! ". Personne ne lui a dit. Non ! On a sablé le champagne avec lui, on l’a promu et on va en faire le grand patron.

M. Georges LEMOINE : Que pensez-vous du GPS ?

M. Laïd SAMMARI : A l’époque de sa création, j’avais discuté avec les gendarmes. Ils m’avaient dit, sans que j’y prête véritablement attention, que, de toute façon, il fallait une force spéciale, une unité spéciale, au cas où on leur demanderait de faire des mauvais coups. Je les ai questionnés : " Ah ? Et pourquoi pas vous ? ". Ils m’ont répondu : " On ne fera jamais ça ! On a connu Bonnet, il était préfet délégué à la sécurité. Tout était possible ". J’ai revu ces gendarmes il y a peu. L’un m’a dit : " Ce qu’il leur a demandé, il n’aurait jamais pu nous le demander à nous, jamais. Contrairement aux journalistes et aux hommes politiques, nous n’avons pas été surpris de ce qui s’est passé ". J’ai répondu : " Mais c’est une paillote ". Ce à quoi il a rétorqué : " La paillote était un élément parmi d’autres ".

M. Georges LEMOINE : Croyez-vous que la direction de la gendarmerie était informée de ce qui se passait avec le GPS ?

M. Laïd SAMMARI : Non. Le préfet Bonnet a reçu carte blanche du pouvoir. Que lui a-t-on expliqué si ce n’est : " Débrouillez-vous comme vous voulez dans ce guêpier, nous on veut des résultats, c’est tout ". A l’époque, la résolution de l’assassinat de Claude Erignac était le principal résultat attendu, car on savait que le reste réclamerait du temps : il faut une volonté, il faut changer les hommes, toutes choses qui ne pouvaient se réaliser en peu de temps. Si une responsabilité est à rechercher, elle est politique. Je ne pense pas que M. Chevènement, M. Richard ou M. Jospin se demandaient tous les matins comment M. Bonnet allait s’y prendre pour faire rentrer les impôts, faire en sorte que le domaine public maritime ne soit pas violé, pour que l’on ne construise pas des pontons là où il ne fallait pas. Ils avaient certainement d’autres soucis ! Ils étaient bien contents d’avoir trouvé quelqu’un qui avait la tête haute et qui disait n’avoir peur de rien ni de personne.

Pour moi, l’affaire Bonnet se résume en une phrase : Bonnet a compris qu’avec les voies de droit traditionnelles que l’on connaît, on ne pouvait régler les choses en Corse. Il a simplement voulu les régler à la Corse.

Je ne suis pas entré dans le détail de la réponse. Si j’en ai un jour l’occasion, je vous expliquerai pourquoi je ne suis pas satisfait de l’enquête à l’heure actuelle. Il est une question à se poser, classique certes, que l’on se pose rarement : à qui cet assassinat a le plus profité ?

M. Roger FRANZONI : A qui ?

M. Laïd SAMMARI : Je n’ai pas pour habitude de lancer des accusations.

Je me souviens dans quel état se trouvait le mouvement nationaliste au moment de l’assassinat. Début 1998, il ne représentait quasiment plus rien. La chose la plus grave pour les nationalistes à l’époque et que l’on n’a pas, à mon sens, ressentie, c’est que, pour la première fois, la population insulaire se démarquait ouvertement des nationalistes. C’était la première fois que je rencontrais des personnes qui disaient publiquement, ouvertement : " On en a marre de vos histoires ". C’est la première fois que le mouvement nationaliste s’est senti réellement menacé. Un mouvement nationaliste peut avoir le monde entier contre lui. S’il a sa population avec lui, il est satisfait. On connaît des exemples dans le monde actuellement.

M. le Rapporteur : Sans vouloir interpréter ses propos, Mme Erignac a parlé de commanditaires. Vous semblez vous inscrire dans cette analyse.

M. Laïd SAMMARI : Totalement, depuis le premier jour.

On explique que des dissidents du mouvement traditionnel nationaliste ont fait le coup. Castela nous a été présenté comme le maître à penser. Peut-on me démontrer que Castela est un dissident du FLNC ? Personne ne l’a démontré. J’ai posé la question cet été à des militants de A Cuncolta independentista : " Saviez-vous que Castela était un dissident ? ", il me fut répondu : " Castela n’a jamais été un dissident, cela n’existe pas chez nous ".

- " Ah, bon ? Il n’y a pas de dissidents chez vous ? "

- " Non, c’est comme partout : ils étaient dissidents quand ils attendaient une place et que cela n’a pas marché. "

- " Et quelle place espérait-il ? "

- " Castela était l’un des seuls intellectuels du mouvement. Après le départ d’Aquaviva de la direction de U Ribombu, il pensait que la place devait lui revenir. Or, il a été pris de vitesse par un autre, Pieri. Il ne l’a jamais admis. C’était cela la dissidence. "

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : A partir de quel moment avez-vous eu le sentiment que le préfet Bonnet se livrait à une contre-enquête et est-ce après avoir constaté certains dysfonctionnements concrets ?

Deuxièmement dans ce contexte : GPS, moyens spéciaux, comportements spéciaux, vous semble-t-il qu’il y ait eu écoutes illégales ?

Troisièmement, les dysfonctionnements entre la police et la gendarmerie, que ce soit entre l’échelon national et l’échelon local, sont-ils à l’origine des départs récents de M. Barret et de M. Barbeau ? Quel est, selon vous, l’origine du conflit entre M. Bergougnoux et M. Barret ? Est-ce une conséquence de la méfiance manifestée par certains collaborateurs du ministre de l’Intérieur envers les services de police ?

Quatrièmement, dans le conflit qui oppose M. Marion à M. Dragacci, comment arrive-t-on à une telle violence entre les hommes au point que l’un " balance " l’autre, en portant des accusations extrêmement graves ?

M. Laïd SAMMARI : Au sujet du préfet Bonnet, je ne parlerai pas de contre-enquête. M. Bonnet, je pense, s’est comporté comme beaucoup de préfets ont pu se comporter, y compris sur le continent, s’agissant de dossiers sensibles en raison d’une sorte de méfiance quasi naturelle envers les magistrats. Or, dans cette affaire, par comparaison avec d’autres affaires judiciaires, le pouvoir s’est véritablement impliqué. Il s’agissait d’une affaire d’une extrême importance. Il fallait la résoudre. Dans ce cadre, le pouvoir n’a, je pense, jamais véritablement fait confiance aux magistrats en place, pour des raisons politiques que vous devinez tous. Je ne pense pas que ce pouvoir ait d’ailleurs approuvé la création de cette section particulière. C’est l’une des raisons. Par ailleurs, je pense que M. Bonnet ne se livrait pas à une enquête, mais essayait surtout de se valoriser aux yeux de ses patrons : vis-à-vis du ministère de l’Intérieur, tant qu’il y avait Jean-Pierre Chevènement et, quand il ne fut plus là, auprès de Matignon. L’erreur fut de lui donner carte blanche. Voyez le nombre d’interviews que donnait M. Bonnet ! Il se prononçait sur tout, à tort et à travers, en permanence. N’eut-il pas été du rôle de l’autorité de lui signifier que sa place était le Palais Lantivy, non les couloirs de l’instruction ou ailleurs ? Personne ne l’a fait.

M. le Rapporteur : Pardonnez-moi de vous interrompre, mais sur l’enquête...

M. Laïd SAMMARI : Oui, on lui a fait des réflexions, mais trop tard, ses pratiques avaient alors pris des proportions telles que le mal était fait.

Souvenez-vous de l’épisode de la fraude fiscale. Etait-il dans le rôle d’un préfet d’indiquer publiquement qu’untel se serait livré à une vaste fraude fiscale ? La justice, la police, les services fiscaux sont là pour cela. Il a cherché à se valoriser, d’autant mieux qu’il avait à sa botte le colonel Mazères auquel il avait promis que les étoiles qui lui manquaient pour devenir général ne seraient qu’une formalité le moment venu. Il piochait tout ce qu’il pouvait, à gauche, à droite : auprès des gendarmes qu’il avait à sa botte, des services fiscaux auxquels il pouvait demander ce qu’il voulait et des renseignements généraux, traditionnels informateurs du préfet et du pouvoir. Il a simplement cherché à se valoriser sans peut-être mesurer le mal qu’il faisait. Au départ, M. Bonnet n’entretenait pas de mauvaises relations avec les magistrats ; il était même en très bons termes avec M. Bruguière, qui, lorsqu’il se rendait à Ajaccio, était hébergé à la préfecture - les autres allaient coucher au Napoléon. Il n’avait pas de mauvaises relations, jusqu’à ce qu’il comprenne que M. Bruguière n’était pas le meilleur cheval dans cette enquête.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Il avait donc les mêmes informations que Mme Erignac. Quand elle s’est plaint que les choses n’avançaient pas, il est passé à la vitesse supérieure.

M. Laïd SAMMARI : Ce n’est pas cela. M. le préfet Bonnet n’est qu’un fonctionnaire, un homme de dossiers. Il n’a pas l’habitude de la procédure judiciaire, des enquêtes criminelles. Cela ne s’improvise pas. Je ne peux m’improviser demain plombier ou ingénieur des mines. Je peux essayer de bricoler un robinet. Le résultat ne sera pas forcément à la hauteur !

M. Georges LEMOINE : Pourquoi avoir inventé un informateur ?

M. Laïd SAMMARI : C’était valorisant.

M. Georges LEMOINE : C’était risqué.

M. Laïd SAMMARI : Pourquoi ? Qui peut vérifier ce type d’information ?

J’en viens à la deuxième question de M. Donnedieu de Vabres : bien sûr, des écoutes illégales sont pratiquées. Mais le problème n’est pas là, car tout le monde sait qu’à un moment, il ne sert plus à rien d’écouter les gens. Et même si on les écoute, il y en a tant à écouter, sans compter l’énorme travail de décryptage que ça ne sert à rien ! Cela ajoute au climat, rien de plus.

Barret-Bergougnoux : Barret c’est un peu Bonnet au ministère de l’Intérieur. Il a cru qu’il pouvait gérer une affaire criminelle. M. Barret s’est retrouvé en première ligne au moment de l’accident de M. Chevènement, parce qu’il n’y avait plus personne. Barret c’est l’oreille de Chevènement, Bergougnoux la police. D’une certaine façon, M. Barret, suite à la mise en cause de M. Bonnet, est désavoué. Il ne lui reste rien d’autre à faire qu’à partir, surtout que M. Barret, tout comme M. Chevènement, ne sont pas des personnes faites pour la police. C’est trop compliqué.

Les relations Marion-Dragacci. Dragacci était l’empereur de la police en Corse tant que Marion n’était pas là. Dès lors qu’il est arrivé, un des deux hommes était de trop. Il était facile pour M. Marion, investi comme il l’était par Paris, de " savonner la planche " à M. Dragacci, que je ne défendrai pas, parce qu’il avait fait son temps. Par ailleurs, je ne pense pas que laisser des fonctionnaires en poste chez eux soit une bonne chose. Je regrette que l’on n’ait pas su trouver le moyen d’utiliser les connaissances de M. Dragacci sur le milieu nationaliste, car s’il en est un que l’on ne peut accuser d’avoir pactisé avec les nationalistes, c’est bien lui.

M. le Président : Au sujet des commanditaires, vous dites que la question reste ouverte. D’un autre côté, dans la dernière période, on a observé que les milieux nationalistes n’ont pas condamné les auteurs présumés de l’assassinat de M. Erignac. Rapprochez-vous ces deux événements, lourds de signification ?

Par ailleurs, je voulais dire qu’aujourd’hui, nous n’entendons pas un représentant d’une institution, ce qui apporte beaucoup de fraîcheur au déroulement de la séance.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : M. Sammari est à lui seul une institution !

M. le Président : En tout cas, j’apprécie cette audition très intéressante.

Dernière question : sachant l’objet de la commission d’enquête, quelles sont les réflexions que vous souhaiteriez nous faire partager au sujet de cette deuxième commission d’enquête, afin de participer à améliorer l’institution politico-judiciaire en Corse ?

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Dans le même sens : l’Etat de droit implique que chaque centimètre carré du territoire national soit géré de la même manière. Et pour autant les artistes, la jeunesse et les milieux associatifs restent très réfractaires. Demeure une certaine mythologie, une esthétique du nationalisme, de la violence. Qu’en pensez-vous ?

M. Laïd SAMMARI : Je vais tout d’abord essayer de répondre à la première question.

Quand on connaît un peu la Corse, on ne peut pas vraiment parler des nationalistes. Par exemple, ceux qui s’expriment au nom de Corsica nazione ou de la Cuncolta ne contrôlent pas forcément tout. Il se peut très bien que des politiques du mouvement nationaliste s’expriment sur un sujet sans savoir qu’au moment même où ils se prononcent, des éléments de l’organisation clandestine armée commettent des actes en contradiction avec leur discours. Lorsque M. Jospin s’est rendu récemment en Corse, je ne crois pas une seule seconde que les élus à l’Assemblée territoriale avaient connaissance que, dans la nuit précédant l’arrivée du Premier ministre, des attentats étaient commis. Pourquoi ? Il faut savoir qu’une grande frustration de ne pouvoir apparaître habite certains militants armés et clandestins. Ces gens-là n’ont pas non plus toujours la même vision des choses. Les élus de l’Assemblée sont des personnes qui rêvent de faire de la politique comme ceux du RPR, de l’UDF, du PR, du PS. Il y en a beaucoup qui rêvent de cela. Talamoni rêve d’être demain l’équivalent de Rossi d’aujourd’hui. Derrière, des gens peuvent ne pas être d’accord et exprimeront leur désaccord, par exemple en plastiquant.

Vous parlez des commanditaires. Le sujet est délicat : je n’ai pas pour habitude de lancer des accusations. Suite à cet assassinat, la seule question que je me suis posé est celle-ci - elle est classique - et c’est généralement la seule question qu’il faut se poser : à qui profite le crime ? Qui peut faire cela ?

Les mafieux ? Je n’y ai jamais cru. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a jamais eu la mafia, telle qu’on la connaît. En plus, la mafia n’aime pas le désordre ; la mafia n’est pas intéressée à voir doubler les forces de police, activer les services fiscaux. Ce n’est pas son genre !

Les Corses n’ont jamais accepté la mafia chez eux, ils n’en ont pas besoin. Pour que la mafia s’implante, il faut que la situation s’y prête. Que voulez-vous faire en Corse, sur une île bordée de mille kilomètres de côtes, où l’on ne peut construire un immeuble de deux étages ? Quel intérêt ? Où est la spéculation ? Où voulez-vous blanchir ? Que voulez-vous contrôler ? Quel casino, quelle salle de jeux ? Il n’y a rien, rien !

M. le Rapporteur : En plus on se fait racketter !

M. Laïd SAMMARI : Du continent, on voit la Corse environ deux mois par an, juillet et août. Le reste du temps, on ne sait ce qu’est la Corse. Pour l’apprécier, pour se rendre compte et comprendre, je vous invite à vous y rendre au mois de janvier.

Deux mois durant, les Corses voient plein de touristes fortunés, des stars, des sacs à dos par milliers, et pendant dix mois ils voient leurs chèvres, leurs vaches, leurs montagnes... C’est terrible ce que je dis là. Le contraste est fort. Ces gens-là ont dix mois pour ressasser leur rancœur, pour fomenter de mauvais coups. C’est cela la Corse, c’est avant tout un problème économique. Sans doute est-ce une vérité évidente, mais tel est le problème de la Corse alors que nous n’en voyons que les plages l’été, les bateaux, sans imaginer les dix autres mois de l’année. Allez à Porto-Vecchio au mois de janvier et cherchez un restaurant ! Si on n’y est pas allé, on ne peut parler de la Corse. On ne peut comprendre que, de Corse, il est plus difficile de se rendre sur le continent.

M. Roger FRANZONI : Problèmes économiques, démographiques. Il y en a plein d’autres.

M. Laïd SAMMARI : Je reviens à la question.

J’ai vu les opérations menées par la police et la justice à partir d’avril-mai 1996 à la suite de Tralonca. M. Juppé reprend les choses en main. On a cherché, à tort ou à raison, à " gangstériser " le mouvement nationaliste, on a multiplié les arrestations, les emprisonnements. Je me suis dit qu’il allait se passer quelque chose, car on était arrivé - je pense que c’était volontaire - à déconnecter la population des nationalistes. Jusqu’à cette date, pas un Corse ne se serait amusé à tenir des propos désobligeants sur les nationalistes, personne ! C’était la première fois que je constatais ce type de situation. On avait arrêté tous les chefs, tous les seconds couteaux ; on ne disait plus que c’était des nationalistes, on les qualifiait de " voyous, de bandits, de gangsters ", qui rackettaient, qui ne pensaient qu’à une chose " ramasser de l’argent, se tirer, investir à Miami ". Voilà ce qui se disait à ce moment-là. C’était très grave.

Dans la situation postérieure à l’assassinat du préfet Erignac, les nationalistes ont retrouvé à ce moment-là de la vigueur. Les résultats des élections le prouvent. Qui connaissait Talamoni avant février 1998 à part ceux qui s’intéressent à la Corse ? Après les arrestations de Santoni, Matteï, Pieri, Rossi, tout le monde a pensé que c’en était fini. Or, des personnes ont réussi à émerger, que l’on imagine très bien demain diriger les institutions et les collectivités corses, alors que l’idée n’en serait même pas venue il y a un an.

Cette situation provoquée par la " répression " a conduit à resserrer les liens entre Corses. Des personnes qui n’étaient pas de gros voyous ou de gros fraudeurs se sont dit que les nationalistes leur servaient quand même à quelque chose, car tout le monde s’y retrouvait, du plus petit au plus gros : celui qui avait un PV et qui ne le payait pas, comme celui qui voulait construire un deuxième étage à sa maison sans autorisation... Si, grâce aux nationalistes, il pouvait le faire sans qu’on lui demande des comptes, c’était bien pour lui. Après l’assassinat en Corse, on s’est rendu compte que tout cela c’était fini. L’Etat de droit ne s’est pas imposé du jour au lendemain. Il a donné lieu à cette répression qui touchait tout le monde, ce qui, je pense, était une énorme erreur : vouloir, du jour au lendemain, punir tous ceux, à quelque niveau que ce soit, qui avaient pu frauder, voler, était une erreur ; on aurait dû s’attaquer à l’essentiel. Beaucoup de personnes ont pensé alors que les nationalistes n’étaient pas une si mauvaise solution.

Entre ces deux situations que je viens de décrire, quelqu’un pouvait-il imaginer que l’assassinat du plus haut représentant de l’Etat pouvait conduire à une telle situation, seule susceptible de provoquer un retournement de tendance ?

M. le Président : Je ne sais si vous avez lu la livraison de Corse-Matin de ce matin.

M. Laïd SAMMARI : Pas encore.

M. le Président : Mme Matteï y fait une déclaration...

M. Laïd SAMMARI : Certainement apaisante !

M. le Président : Très apaisante. Cela ne vous surprend pas ?

M. Laïd SAMMARI : Absolument pas. Elle est jugée dans trois mois et elle est complètement isolée.

M. le Président : Cela ne signifie pas que les nationalistes vont modifier leur orientation par rapport à la violence ?

M. Laïd SAMMARI : Non.

M. le Président : Pour finir, comment voyez-vous les choses ?

M. Laïd SAMMARI : Pour résumer, le problème de la Corse est un problème de justice. J’en reviens à mes propos antérieurs. On ne pourra faire croire aux Corses qu’en Corse c’est comme partout ailleurs tant que l’on continuera à " dépayser " les dossiers que l’on dit importants, sensibles, terroristes. Je n’y crois pas du tout.

Ne pouvait-on décider à l’occasion d’une affaire de grande importance comme celle de l’assassinat de Claude Erignac, confiée à la quatorzième section, qu’au moins un des trois juges à Paris reste à demeure en Corse, au moins pour coordonner ? Savez-vous à quoi l’on a assisté : tous les trois jours, l’un d’eux partait en avion, revenait le soir même... Comment peut-on imaginer une chose pareille ? Tant que prévaut un tel système, comment voulez-vous faire croire aux gens en poste que ce sont de vrais magistrats capables ? Comment ? Je pense que l’enquête exemplaire sur la paillote illustre mes propos. Ce fut une formidable occasion pour un magistrat instructeur débutant, en intérim - il vient juste d’être nommé - consciemment ou inconsciemment, de démontrer que des magistrats en Corse peuvent faire leur travail. Il est dommage que cela mette en cause les autorités, l’Etat, mais si le dossier avait concerné les nationalistes, il aurait fait la même chose.

M. Roger FRANZONI : Vous souffrez un peu de déformation professionnelle. La plupart des Corses ignorent totalement ce qu’est le dépaysement, même s’ils savent qu’ils ne peuvent pas se fier au jury d’assises. La plupart des petits Corses - et j’en connais - attendent avec impatience que les affaires sortent et que ceux qui se sont servis sur leur dos soient enfin condamnés. Il y en a des tas.

M. Laïd SAMMARI : Je ne vois pas en quoi c’est contradictoire.

M. Roger FRANZONI : Vous parlez du dépaysement. Je ne sais même pas ce que c’est.

M. Laïd SAMMARI : Savez-vous ce que les Corses disent concernant ces dépaysements ?

M. Roger FRANZONI : Certains Corses ! Il ne faut pas généraliser.

M. Laïd SAMMARI : Certains députés, certains Français... Il faut aller au plus concis. Ils estiment, consciemment ou inconsciemment, que l’on n’est pas capable de rendre la justice. On n’en est pas capable, parce que l’on n’a jamais fait ce qu’il fallait.

M. le Rapporteur : C’est bien ce qui a justifié à un moment le dépaysement.

M. le Président : Pour aller dans le sens de la préoccupation exprimée par M. le Rapporteur il a été fait état, tout au long de ces auditions, de l’impossibilité de garder les secrets, d’une porosité très forte qui empêche de conduire sereinement les actions.

M. Laïd SAMMARI : En va-t-il autrement sur le continent ?

M. le Rapporteur : Non.

M. le Président : Peut-être est-ce une question d’ampleur.

M. Laïd SAMMARI : Pas du tout. On braque davantage les projecteurs sur ce qui se passe en Corse. Or, c’est à Paris que la brigade financière a été braquée, ce n’est pas en Corse. C’est à Paris que le dossier de la scientologie a disparu, ce n’est pas en Corse.

Je reviens aux propos antérieurs. Lorsque l’on a voulu trouver un procureur général courageux faisant son travail, on l’a trouvé. On a trouvé M. Legras. Cela n’avait pas été le cas jusque-là mais quand on veut bien en trouver un, on le trouve ! Demain, quand on voudra trouver un policier qui fait son travail, on le trouvera.

M. le Rapporteur : L’actuel responsable du SRPJ par exemple.

M. Laïd SAMMARI : Il est sous l’éteignoir. Il est là pour faire le café à M. Marion ! C’est la triste réalité. C’est grave, le jour où les services de la DNAT partiront. Quelqu’un l’a-t-il déjà vu en photo ce monsieur ?

M. le Rapporteur : Il explique qu’il s’en réjouit.

M. Laïd SAMMARI : Evidemment, il était anonyme à Marseille, à la brigade des stupéfiants et se retrouve le patron du SRPJ à Ajaccio. Dans deux ans, il sera peut-être patron du SRPJ à Lyon ou ailleurs. Pour lui, c’est tout bénéfice. Il ne risque rien, il ne fait rien qui puisse lui engendrer un quelconque souci. Aujourd’hui, ce n’est pas faire preuve de courage.

On dit : " Là-bas, ils avaient peur, ils étaient menacés ; donc, c’est normal, ils ne voulaient pas prendre de risques ". C’est à Paris, dans le cadre de dossiers financiers, que des magistrats sont entourés de deux gardes du corps !

M. le Président : Monsieur Sammari, il nous reste à vous remercier pour votre contribution.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr