Alors que l’écologie s’ancre politiquement à gauche, à la faveur de l’entrée des Verts à l’Assemblée nationale et au gouvernement, le Front national persiste à occuper un terrain délaissé, ou mal instrumentalisé, par la droite républicaine.

Cet intérêt de l’extrême droite pour l’écologie n’est pas nouveau. Il apparut lors du congrès de Nice, à la fin des années quatre-vingt, puis fut théorisé dans les années quatre-vingt-dix par la revue Identité (n° 7), pour enfin occuper une place régulière dans les colonnes de la presse frontiste et dans les thèmes de ses colloques.

En l’absence d’un consensus sur le fond, le Front national a adopté une stratégie de relégation à la périphérie de son discours écologiste, de tronçonnement de ce discours selon les " cibles ", et de strict apartheid de ses interlocuteurs pour masquer ses contradictions. Ainsi peut-il à la fois défendre les animaux avec la Fondation Brigitte-Bardot, le Cercle national de défense de la nature et des animaux (CNDNA) ou l’Association de sauvegarde et de protection des animaux (ASPA), et le lobby des chasseurs avec le Cercle national chasse pêche nature (CNCPN). Simultanément, le FN peut utiliser la polysémie de certains termes pour donner une touche écologiste à des discours sur d’autres sujets. Ainsi, s’adressant à sa composante ultra-libérale, opposée par principe à toute intervention de l’État et organiquement liée à certains groupes industriels aux activités polluantes, le Front dénonce " la pollution... normative des institutions de la Ve République ".

Cette stratégie oblige à d’évidentes contorsions qui, jusqu’à présent, n’ont pas été stigmatisées par les partis républicains.

Par exemple, s’il est de bon ton de se dire préoccupé par la pollution atmosphérique, il ne faut pas pour autant heurter le poujadisme des conducteurs, auxquels on donne par ailleurs des gages par l’entremise du Cercle national des automobilistes (CNA).

Ainsi, dans un article intitulé " Le fisc, agent d’un complot mondial contre l’automobile ", un journaliste de National Hebdo (23/01/97) expliquait son opposition à toutes les politiques " anti-voitures " (taxes, transports en commun ou non motorisés, etc.) en estimant que, sous couvert de lutte contre la pollution, elles servaient en fait les intérêts mondialistes (Conférence de Rio) afin de réaliser les " objectifs égalitaristes des communistes ".

Simultanément, le FN met l’accent sur les autobus à gaz dont s’est équipée la mairie de Toulon, ou s’oppose, en la personne de l’eurodéputée Marie-France Stirbois, à un durcissement des normes antipollution pour préconiser le développement des voitures électriques ou de carburants non polluants.

Cette gêne transparaît clairement dans un dossier consacré par National Hebdo à l’environnement : " Il faut être prudent lorsqu’on parle d’environnement, c’est un terrible nœud où les pouvoirs se mêlent et s’affrontent [...], un formidable atout de communication en même temps qu’un pilier de la nouvelle morale [...] Bref, c’est un levier politique de première importance ". Pour y prendre place en se démarquant des " réseaux internationaux, d’inspiration et de tendance mondialistes ", pour déjouer " d’une part le piège politique vert, d’autre part la foule de fantasmes intéressés dont on nourrit le public ", les " grands fléaux mythiques propres à effrayer les populations " que sont par exemple les déchets nucléaires où l’effet de serre, le FN entend d’abord " dénoncer les contradictions fondamentales qui opposent la gauche, fille des Lumières, et les libéraux qui rêvent que les équilibres se rétablissent tout seuls dans un monde en progrès continu, à l’écologie ".

Néanmoins, la persistance de cette stratégie a conduit le FN à formuler progressivement les idées acceptables sur ce sujet par toutes ses composantes, sur le principe du plus petit commun dénominateur.

Si les préoccupations écologiques étaient plutôt, à l’origine, l’apanage des tendances " nouvelle droite " ou nationaliste-révolutionnaire — pour des raisons autant stratégiques (le contrôle gramsciste de toutes les sphères de l’activité intellectuelle) qu’idéologiques — cette spécificité tend aujourd’hui à s’estomper. Chaque composante du FN s’est progressivement approprié le sujet. Ainsi, les intervenants de l’université d’été 1997 du FNJ (sept jours sur le thème " Écologie : dépolluons les esprits ") provenaient-ils de tous les courants du parti, avec même une forte participation des milieux traditionalistes (Michel Hubeau, Jean Madiran, Martine Lehideux, Jacques Bompard, Bruno Gollnisch...).

En évitant soigneusement l’écueil des propositions concrètes, l’extrême droite s’est attachée à définir de manière exclusivement idéologique une " écologie " de droite, capable de s’insérer harmonieusement dans le tronc commun de l’ensemble de ses préoccupations.

Jean-Claude Bardet, réacteur en chef de la revue Identité (l’organe théorique du FN) résume en deux grands principes les fondements doctrinaux de cette écologie :

1°) La nature s’impose à l’homme, et non l’inverse.

2°) La protection de la nature et des ses grands équilibres, c’est aussi la protection de l’Homme.

Le premier de ces deux principes s’oppose à l’idéal émancipateur des humanistes selon lequel la grandeur de l’homme est de découvrir les lois de la nature pour la domestiquer et s’en affranchir. Une vision du monde que Descartes définissait comme celle de " l’Homme, maître et possesseur de la nature " et qui conduit nécessairement au projet des Lumières de fonder une société où le " contrat " se substituerait à la " loi de la jungle ". Au contraire, pour Samuel Maréchal (Présent, 19/08), " la réelle écologie c’est le respect de l’ordre naturel du monde, le respect des hiérarchies implicites qu’il comporte, le respect de l’homme, de son patrimoine et de son environnement ".

On perçoit aisément comment ce premier principe a pu fédérer tous les courants de l’extrême droite, les nostalgiques du fascisme, du régime de Vichy frémissant à l’évocation des " hiérarchies naturelles " que les catholiques traditionalistes peuvent estimer " d’ordre divin ".

Le second principe permet de rattacher l’écologie à l’obsession centrale du FN : l’immigration. Ainsi, " une politique d’immigration a des effets néfastes sur l’équilibre écologique, la surconsommation, la démographie mondiale et l’environnement " (Immigration et écologie, National Hebdo, 26/12/96). L’écologie du FN se veut avant tout une " écologie de l’homme ", soucieuse de préserver les " grands équilibres " : " Il n’est pas question ici de savoir qui paiera un jour les retraites des générations futures, mais simplement de constater que l’homme européen est une espèce qu’il nous faudra bien protéger de près un jour ou l’autre " (Maréchal, op.cit.).

L’écologie revisitée par le FN met donc l’accent sur la défense de l’identité : chaque homme, issu d’une certaine communauté (travail, famille, patrie, mais aussi région, culture, langue... " race "), lieu organique de hiérarchisation de la société, est tenu de s’y maintenir, de s’y enraciner, afin que soit préservé " l’ordre naturel " : " L’enracinement, le déclin démographique, l’immigration, la défense de notre territoire et de notre identité, l’affirmation de l’indépendance énergétique, alimentaire ou politique de notre pays sont autant de thèmes politiques de premier ordre qui relèvent de l’écologie et doivent s’intégrer dans tout projet de société qui se veut cohérent. " " Être écologiste, c’est protéger notre cadre de vie, notre environnement ", lequel est " d’abord culturel, humain, social ou familial " (Maréchal, op. cit.).

En déniant à l’homme toute possibilité d’émancipation vis-à-vis des communautés " naturelles " dont il dépend, cette théorie subordonne également les rapports des différentes communautés entre-elles aux lois " naturelles " : loi de la jungle, loi de l’évolution sélective.

Par ailleurs, en jouant sur la " scientifisation " de l’écologie, l’évocation de la défense de l’environnement comme argument de lutte contre l’immigration permet d’opérer un glissement de celle-ci vers les théories raciales pseudo-scientifiques des nazis. On ne sera donc pas surpris de voir resurgir à demi-mots les vieux concepts de pureté de la race (" Le brassage à tout crin donc, le métissage institutionnalisé, aboutissent fatalement à l’uniformisation des modes de vies ", Maréchal), ou d’espace vital (" Nous [..] sommes condamnés à être dépossédés de notre terre natale, à voir sa substance même peu à peu transformée ". " Tout le monde s’accorde pourtant à dire qu’une espèce animale a le droit de vivre dans l’environnement qui lui est propre. [...] Ce qui est vrai pour les animaux l’est également pour l’homme ", Maréchal, ibid.).