L’annonce par Charles Taylor, le 31 décembre l993, de son refus de désarmer les troupes du Front national patriotique du Libéria (NPFL) laissait prévoir que les trafics d’armes et de drogues avaient encore de beaux jours devant eux dans ce pays. Le prétexte invoqué était que les institutions de transition, prévues par les accords de Cotonou, signés le 25 juillet l992, n’avaient pas été officiellement mises en place. La lutte que se livrent depuis la fin de l’année l989, d’une part le NPFL, dont s’est séparée la faction commandée par Prince Johnson, et d’autre part une coalition comprenant l’Armée nationale du Libéria de l’ex-dictateur Samuel Dú, le Mouvement uni de libération (ULIMO) et surtout, depuis le 24 août l990, la force d’interposition de seize pays d’Afrique de l’Ouest (Ecomog) a contribué à faire du Libéria une plaque-tournante de tous les trafics. Charles Taylor, pour financer la guerre menée par le NPFL, s’est d’abord livré au trafic de l’or et des diamants dans le comté de Lofa, frontalier de la Sierra Leone, dans le nord-ouest du Libéria. Lorsqu’il en a été délogé par l’ULIMO, à la suite de son échec d’invasion de la Sierra Leone en 1991, Taylor a dû chercher des financements alternatifs et s’est tourné vers le trafic de drogue. Pour cela, il a d’abord utilisé le port de Buchanan, de 1990 à 1992, jusqu’à sa reprise par les forces de l’Ecomog. Il bénéficie aujourd’hui de l’accès au port de Harper, dans la zone qu’il contrôle, mais aussi de celui de San Pedro, situé en territoire ivoirien, grâce à l’accord obtenu du gouvernement d’Houphou’t-Boigny. Ses partenaires étaient des commerçants contrebandiers grecs et libanais. Des cargos débarquaient des armes et embarquaient du bois précieux et des conteneurs, dans lesquels étaient dissimulées d’importantes quantités de marijuana. Ces dernières provenaient de régions productrices, sous contrôle du NPFL, qui s’étendent du mont Nimba, à la frontière guinéenne, jusqu’au centre du pays. Des journalistes ont déclaré à l’envoyé de l’OGD avoir observé de grands champs de cannabis dans des zones marécageuses qui étaient, avant la guerre, consacrées à la culture du riz. Depuis sa participation, en 1991, à l’offensive contre les rebelles de la Sierra Leone soutenus par Charles Taylor, l’ULIMO contrôle, quant à lui, les plantations qui s’étendent le long de la frontière entre les deux pays. L’Ecomog, force multinationale dominée par les Nigérians est cependant loin de constituer une garantie de stabilité et de lutte contre la corruption. Le Libéria appartenant à la zone dollar, l’intervention nigériane a été en effet dictée par la défense d’intérêts géostratégiques et économiques. Il existait en particulier, avant la guerre, des liens entre la filiale de la BCCI (Bank of Credit and Commerce International) installée à Monrovia, et celle de Lagos, dirigée par le sultan de Sokoto, chef de la communauté musulmane nigériane, un proche de l’ex-président Babangida. Les journalistes africains consultés par l’OGD ont pu constater que les forces de l’Ecomog, en particulier les Nigérians et les Guinéens, ont mis à profit les possibilités offertes par le port franc de Monrovia. Ils collaborent avec les commerçants libanais et pakistanais qui, après avoir fui le pays au début de la guerre civile, sont revenus en 1991. Ces militaires accordent ainsi une protection à la contrebande de toutes sortes de marchandises débarquées et embarquées. Les fortunes rapides que l’on observe à Monrovia ne peuvent s’expliquer seulement par cette contrebande ordinaire mais aussi par celle de la drogue qui emprunte le même chemin. Il existe également un important trafic aérien entre le Nigéria et le Libéria. L’aéroport international Roberts Field étant inutilisable, les avions empruntent celui de Spring Spain, au centre de Monrovia. Selon certains témoignages, à chaque atterrissage, l’aéroport est évacué de son personnel civil et protégé par un double cordon de militaires nigérians en armes. Aucun contrôle des agences internationales de lutte antidrogue n’étant possible aujourd’hui au Libéria, des militaires nigérians qui participent activement au trafic de drogue et au blanchiment de l’argent sale dans leur pays ont décidé de transformer momentanément le Libéria en plaque tournante. D’ailleurs, il est notoire qu’un séjour au Libéria, malgré les risques encourus, est très recherché par des officiers de Lagos. A Abidjan, où les prix dans la rue ont sensiblement baissé du fait de l’abondance de l’offre, l’augmentation sensible depuis un an des saisies de chanvre indien et d’héroïne en provenance du Libéria confirme cette évolution (correspondant de l’OGD en Afrique de l’Ouest).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 28