Les statistiques, fournies par le département de la police fédérale, concernant les saisies de cocaïne, suggèrent un développement important du trafic de transit sur le territoire brésilien : elles sont passées de 2,2 tonnes en l992 à près de 7 tonnes en l993. Le record en la matière a été une saisie de 2,1 tonnes de cocaïne début juillet, à Porto Alegre, en provenance de Bolivie. La drogue était en cours de conditionnement pour être envoyée en Europe, par le port de Rio Grande. Cette affaire, confirmait entre autres, qu’en matière de drogue, la Bolivie est intégrée au territoire du Brésil auquel elle fournit, soit de la base de cocaïne destinée à être transformée, soit le produit fini lui-même. L’autre source d’approvisionnement est la Colombie (La Dépêche Internationale des Drogues n 21). Le grand trafic de transit des versants orientaux de la cordillères des Andes à la côte atlantique a d’importantes retombées locales comme en témoigne l’effondrement des prix au consommateur. Le rapport entre le prix du gramme à Cochabamba (capitale du département où se trouvent les plus importantes zones de production) et à Rio de Janeiro était de 1 à 20 à l970 (2 et 40 dollars) ; de 1 à 10 au début des années quatre-vingt (2 et 20 dollars), pour devenir de 1 à 2 au début de l’année l994 (de 5 à 10 dollars). La cocaïne n’a jamais été aussi bon marché, abondante et pure, au Brésil. Le résultat a été, particulièrement dans les milieux populaires, un glissement massif de la consommation de la marijuana et des amphétamines vers celle de la cocaïne. Bien qu’il existe, contrairement au reste de l’Amérique latine, "une culture" de l’usage de la seringue, ce changement n’a pas été accompagné d’une prise de conscience des dangers. Là où la cocaïne a remplacé les amphétamines, les usagers ont dû pratiquer des injections plus fréquentes, car ses effets sont plus brefs. Bien que les seringues soient très accessibles et bon marché, leur prix reste souvent plus élevé que celui de la drogue elle-même. Le résultat est que le sida se répand très rapidement parmi les usagers de drogues même si les rapports sexuels sont de très loin la cause principale de sa propagation. Les effets de l’ignorance des consommateurs se sont manifestés également avec l’arrivée récente sur le marché des grandes villes de grandes quantités de pâte et de base "lavée" de cocaïne. Du fait de son prix très accessible, cette drogue, contenant un fort taux d’impuretés toxiques, appelée pedra (caillou), s’est ouvert un vaste marché. Certains novices broient grossièrement ce produit pour le sniffer tandis que d’autres ont appris à le fumer. La fascination pour le modèle nord-américain fait que ce produit est à tort appelé crack. Le commerce de la cocaïne est un élément aggravant d’une criminalité déjà considérable au Brésil. Pour ne prendre que ces manifestations les plus récentes et les plus spectaculaires, en octobre l993, huit trafiquants ont été tués au cours d’affrontements entre bandes à Rio. Le 9 janvier, la guerre entre groupes rivaux dans les favelas de Acari et Jorge Turco toujours à Rio, a fait douze victimes. Quelques jours plus tôt, trente trafiquants de drogue liés au Commando Vermelho (Commandement rouge), la plus puissante organisation criminelle du Brésil, ont attaqué à l’aube un commissariat de la zone nord de Rio et libéré 38 détenus parmi lesquels Luis Carlos Gonçalvez, le numéro 2 du trafic de drogue du bidonville (favela) de Vigario Geral (zone nord de Rio) qui allait être transféré le jour suivant dans une prison de haute sécurité. C’est dans cette favela qu’en août l993, une trentaine de policiers militaires qui voulaient venger la mort de quatre policiers tués par les trafiquants de drogues, ont abattu, de sang-froid, 21 habitants (envoyé spécial de l’OGD au Brésil).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 30