En prélude à la levée de l’assignation à résidence de Aung San Suu Kyi, le 10 juin, le SLORC (la junte militaire au pouvoir à Rangoon) a déclenché depuis plusieurs semaines une campagne virulente, visant à discréditer les exilés politiques Shans et birmans aux Etats-Unis, accusés d’être des "agents déguisés à la solde de Khun Sa", chef de la MTA (Mon Tai Army) et "Roi de l’opium". Le régime de Rangoon tente ainsi de jeter l’opprobre sur toute son opposition en s’effor"ant de saper la crédibilité des lobbies agissant au sein du Congr"s américain pour la non reprise de l’aide financi"re à la Birmanie. L’homme fort du SLORC, Khin Nyunt, chef des services secrets de l’armée, s’en est aussi pris aux médias en associant les journalistes qui dénoncent les abus des militaires aux organisations démocratiques Shans. En retournant les accusations dont ils étaient jusqu’ici la cible, les militaires birmans s’efforcent aussi de trouver une parade aux récentes attaques de l’administration américaine. En effet, apr"s que la Birmanie ait été placée par les Etats-Unis sur la liste des cinq pays ne manifestant pas de volonté de lutte contre la drogue, M. Robert Gelbard, sous - secrétaire d’Etat pour les affaires de drogues, a enfoncé le clou en déclarant publiquement en juin que les cultures de pavot étaient en plein développement dans des zones directement contrôlées par le SLORC (La Dépêche Internationale des Drogues n°45). Dans le but d’impressionner l’opinion publique américaine, les militaires qualifient de nouveau l’organisation de Khun Sa : "les bandits de la drogue de Loimaw", comme ce fut le cas dans les années 1960. Simultanément, le régime de Rangoon reprend ses anciennes habitudes et lance des offensives militaires fictives destinées aux agences de presse internationales qui prennent pour argent comptant les communiqués des autorités birmanes annon"ant des centaines de victimes. Force est de constater cependant que l’armée de Khun Sa s’étend vers l’est de l’Etat Shan, progresse au sud de Kengtoung, et atteint désormais le Mékong, face au Laos. En ce sens, le mouvement Shan se définit comme un élément incontournable du futur développement économique de la région du "Triangle" qui concerne le Laos, la Thaïlande et la Chine. Or, ces pays, et plus particuli"rement la Chine, ont des intérêts dans les projets économiques du sud de l’Etat Shan. Le chantier du nouveau pont sur la Salween, à Tasaang, devrait démarrer cette année. C’est également vers ce secteur que convergent les deux tron"ons de la voie ferrée en construction, partis respectivement de Shwenyawng et de Namsang (La Dépêche Internationale des Drogues n° 42). Ce sont là les principales infrastructures indispensables aux projets de barrages sur la Salween. Tous ces grands travaux se situent dans la zone d’influence de la MTA. En fait, les attaques de Khin Nyunt à l’encontre de Khun Sa ne visent pas le trafiquant de drogues, mais directement un adversaire politique, capable de s’opposer à ces projets. L’enjeux est de taille. En faisant l’amalgame entre toute opposition démocratique et Khun Sa, et en menant une guerre d’opérette avec ce dernier, le SLORC prend le risque de faire du seigneur de la guerre le seul catalyseur capable de fédérer les populations qui rejettent la dictature birmane. Aucun grand projet ne pourra être développé contre lui (correspondant de l’OGD en Birmanie, rédaction de la Dépêche Internationale des Drogues). D. I. D. @

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 46