A la fin de l’année l993, un million de Japonais avaient consommé, au moins une fois dans leur vie, de la cocaïne. Cette estimation émane de l’Agence nationale de la police japonaise. Selon un agent des stups américains, interviewé par le quotidien à grand tirage Yomiuri Shimbun, le chiffre réel des consommateurs occasionnels ou réguliers pourrait même atteindre 1,5 million. Ces révélations concernant l’étendue de la consommation de la cocaïne ont suivi l’arrestation, à la fin de l’été, de Haruki Kadokawa, auteur et producteur d’un film à succès destiné aux enfants et directeur d’une grande maison d’édition qui porte son nom. Un de ses employés, le photographe Takeshi Ikeda, a dénoncé à la police un vaste réseau de consommation de cocaïne dans le monde du cinéma et du spectacle nippon en citant les noms d’une dizaine de personnalités à qui il aurait lui-même vendu de la drogue. Au Japon, le gramme de cocaïne se vend entre 40 000 et 150 000 yens (2 100 à 7 875 francs) selon la qualité et la demande, soit des prix encore très supérieurs à ceux qui sont pratiqués en Occident. Selon les statistiques de la police, les saisies ont été de 31 kilos en l992, soit une augmentation de 43% par rapport à l’année précédente. Durant les six premiers mois de l993, elles se sont élevées à 19,6 kilos. Les douanes japonaises saisissent de plus en plus fréquemment des envois de cocaïne dissimulés dans des marchandises en provenance de Colombie. De nombreux ressortissants de ce pays ont été également arrêtés en tentant d’introduire cette drogue au Japon. Ainsi, Oscar Crusquintero et sa complice, Loren Rodriguez, ont-ils été condamnés à six ans de prison en juillet l992 pour avoir dissimulé 2 kilos de cocaïne dans une valise à double fond. Un autre Colombien a été arrêté en janvier 1993, après que les douaniers eurent découvert 7,1 kilos de cocaïne cachés dans deux boules de bowling. Parmi ces passeurs figurent plusieurs membres notoires du cartel de Cali. Les trafiquants colombiens, pour promouvoir la consommation de la cocaïne, ont utilisé, depuis le début des années quatre-vingt-dix, des prostituées en provenance de leur pays qui sont très appréciées dans le quartier des plaisirs de Shinjuku à Tokyo. Mais la conquête du marché japonais n’aurait vraisemblablement pas été possible si les cartels latino-américains n’avaient pas passé des accords avec les mafias locales, comme ils l’ont fait par exemple en Italie. Or, jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er mars l992, de la "Loi sur le crime organisé", désignant comme organisation criminelle toute association dont 42 membres sur 1 000 possèdent un casier judiciaire, un accord tacite en matière de drogue régissait les relations entre la police et les organisations de yakuza (mafia japonaise) : la police fermait les yeux sur le trafic tant qu’il se limitait aux amphétamines. Leur nouveau statut, s’il a fragilisé les yakuza, les a incités à s’adonner désormais à des activités criminelles plus violentes et au trafic de drogues dures. Un phénomène récent inquiète en outre la police japonaise : des filières chinoises semblent avoir pris le marché japonais pour nouvelle cible, comme en témoigne l’arrestation, en janvier 1994, de deux ressortissants de Chine populaire, Ouyang Zhengzhong et Ring Ligen, alors qu’ils tentaient de vendre 2 kilos de cocaïne dans un grand hôtel de Tokyo. Il se peut que la cocaïne, dans un tel cas, transite par Hong Kong qui est en passe de devenir également un centre important de consommation de cette drogue (La Dépêche Internationale des Drogues n 23). La place prise récemment par la cocaïne ne doit pas cacher le rôle joué par les autres drogues. Les solvants sont d’un usage très courant chez les jeunes. Les amphétamines détournées de leur usage, avec près d’un demi million de consommateurs réguliers, restent les drogues les plus populaires parmi les adultes (correspondant de l’OGD au Japon).
(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 29
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