"Nous ne pourrons pas réussir des élections irréprochables le 18 décembre, si nous ne nous attaquons pas, aujourd’hui même, au crime organisé", a déclaré, le 21 octobre, le premier ministre par intérim, Renata Indzhova. En Bulgarie, l’ensemble de la société semble menacée de criminalisation, depuis les "compagnies de sécurité" mises en place par les policiers de l’ancien régime et accusées de racketter les hommes d’affaires étrangers et les nouveaux riches, jusqu’aux structures mêmes de l’Etat, en passant par les paysans du sud. Ainsi, la police bulgare a lancé, depuis le mois de septembre, une campagne contre les cultures de cannabis qui se développent dans le pays. La production est particulièrement abondante dans le sud humide, entrelacs de sous-bois et de marécages, où six cents kilos de marijuana ont été brûlés à la mi-septembre. Cette région, en effet, traverse une crise économique très grave. La production de tabac, dont elle retirait la quasi totalité de ces ressources, s’est trouvée privée de son débouché traditionnel (la Russie), et se trouve désormais en concurrence avec la Grèce qui exporte le même tabac, avec l’avantage d’appartenir à l’Union Européenne. D’autre part, les cultivateurs de tabac bulgares fournissent des mafieux macédoniens et albanais qui fabriquent des stock de cigarettes clandestines dans le but d’alimenter un trafic d’une ampleur sans cesse croissante : il a son point de départ dans la région frontalière entre la Grèce, la Bulgarie et la Macédoine et inonde le marché des pays balkaniques et celui, via l’Albanie, de l’Italie. De par leur sophistication (ateliers reproduisant les paquets de toutes les marques internationales - qui seront remplies d’un seul et même tabac ! - , mécanisation de la production, liaison avec les transports maritimes, etc. ), ces organisations seraient prêtes à prendre en charge le conditionnement et la distribution des dérivés du cannabis, au cas où on parviendrait à faire éradiquer les cultures excédentaires de tabac. Quel que soit l’avenir de l’une et l’autre production, les observateurs doutent pourtant que le parti au pouvoir, l’Union des forces démocratiques (UFD), se risque à s’aliéner les paysans. En effet, cette région, aux frontières de la Grèce et de la Turquie, est habitée par les Pomacs, bulgares musulmans, et par la minorité turque. Ces deux groupes sont représentés par le Mouvement des libertés démocratiques (MDL), parti charnière, dont l’UFD a absolument besoin pour avoir une majorité stable au parlement. Certains agriculteurs avaient également récolté de l’opium au printemps, en particulier dans les régions de Petrich et de Melnik, au sud - ouest du pays, où la police a repéré une vingtaine d’hectares. Quoiqu’ils prétendaient tous cultiver le pavot pour produire de l’huile à partir des graines, quatre d’entre eux ont été arrêtés alors qu’ils incisaient les capsules du pavot. Selon le général Vladimirov, "c’est la première fois que le pavot et le cannabis sont produits illégalement sur des surfaces aussi importantes. " Il ajoute qu’il est difficile de faire face à la situation, étant donné qu’il n’existe que deux policiers pour contrôler les cultures illicites dans tout le pays et que, le plus souvent, leur hélicoptère est immobilisé faute de carburant. Par ailleurs, le Service national des drogues a relevé de nombreux cas de fabrication illégale de psychotropes, phénobarbital ou amphétamine, par des usines pharmaceutiques que l’insuffisance de la réglementation ne permet pas de contrôler. La Bulgarie est également une importante voie de transit pour l’héroïne de la route des Balkans. En l993, les saisies aux frontières de la Turquie, de la Roumanie et de l’ex-Yougoslavie, s’étaient élevées à 500 kilos, et à 326 kilos de janvier à septembre 1994. Le 8 septembre, la Brigade de lutte contre la criminalité organisée a saisi, à Plovdiv, 22 kilos d’héroïne. Le 7 Novembre, douze autres kilos ont été découverts à la frontière grecque. Les saisies récentes montrent que les Bulgares travaillent avec les organisations internationales, comme l’avait prouvé, en juillet, la saisie de 150 kilos d’héroïne en Grande-Bretagne, sur un camion bulgare ayant transité par la Belgique. Certains réseaux bulgares ont l’idée d’inciter les paysans à se remettre à la culture du pavot, légale il y a encore une dizaine d’années car destinée à l’industrie pharmaceutique. Cette fois à leur profit, ce qui leur éviterait d’être dépendants des livraisons de la route des Balkans. La tâche de la police est d’autant plus difficile que les activités de la mafia, notamment liée à des membres des anciens services secrets (KDC), sont en plein développement : armes, matières radioactives, devises, voitures volées et drogues. "On essaie de transformer notre pays en une route balisée pour les trafics, mais nous résisterons", a encore déclaré le Premier ministre, en soulignant que lutter contre les mafias, c’est avant tout "épurer l’appareil d’Etat" (correspondant de l’OGD en Bulgarie, rédaction de la Dépêche Internationale des Drogues).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 38