Le procès du député chiite Yahia Shamas, ex-protégé des Syriens, accusé de trafic de drogue, a été repoussé pour la fin du mois de juillet. Ce report a été justifié par l’état de santé de l’accusé et l’absence de ses avocats. Mais il n’est sans doute pas étranger aux menaces proférées par Shamas de révéler la participation au trafic de drogue d’autres membres du parlement et du gouvernement, parmi lesquels le fils du président de la république, Roy Hrawi. Au Liban, le trafic des drogues a changé de nature. Nerf de la guerre durant les années 80, il a permis à la Syrie de contrôler ou de neutraliser l’ensemble des milices et des clans, qu’ils soient musulmans ou chrétiens. Ayant la maîtrise absolue de la vallée de la Bekaa, lieu de production intensive de pavot et de cannabis, la Syrie est devenue l’interlocuteur obligé pour toutes les factions (milices, communautés, partis) qui tiraient de la drogue une partie importante de leur financement. Or, les pressions de la communauté internationale, au sein de laquelle la Syrie s’efforce d’être intégrée, ont amené à partir de l992 les militaires syriens à éradiquer les cultures les plus visibles dans la vallée. L’envoyé spécial de l’OGD a pu constater, au début de l’été l995, que la culture intensive du pavot se limite donc, dans le centre de la Bekaa, aux collines autour de la ville de Baalbeck tenue par le Hezbollah et à quelques villages sunnites ; dans le nord, à des villages chrétiens à proximité de Hermel (Deir, Al Ahmar, Btidhi). En revanche, les cultures ont disparu entre Zahlé et Baalbeck, et plus généralement tout au long de la vallée proprement dite. Cultivé dans les mêmes zones que le pavot, le cannabis se substitue à ce dernier dans le nord de la Bekaa, et ailleurs il empi"te sur les parties hautes de la vallée. La régulation de la production par les Syriens a conduit les Libanais à se spécialiser, dans un premier temps, dans la transformation de produits importés (morphine en héroïne et base de cocaïne en chlorhydrate). Ils se sont ensuite investis dans le négoce, le transport et le blanchiment. Les fili"res créées pendant la guerre, quand elles ne traversaient pas directement les fronti"res syriennes, partaient en faisceau depuis la vallée de la Bekaa vers le nord à destination de la Turquie, et des ports libanais de Tripoli, Juniyah, Beyrouth, Jieh, Damour, Saïda et Tyr. Ces routes se sont profondément modifiées. Celles qui m"nent à Tyr et à Juniyah ont été pratiquement abandonnées et Beyrouth ne joue plus qu’un rôle marginal en tant que plaque tournante. En revanche, la route vers la Turquie fonctionne désormais dans les deux sens, et les ports de Jieh et Damour sont restés actifs. Une autre route, celle qui conduit vers le port de Tripoli, semble continuer à jouer un rôle important. Enfin, d’autres ports, dits "clandestins" (Byblos, Batroum et, tout au sud, pr"s de la fronti"re israélienne, Nakoura), semblent développer leurs activités. C’est cependant l’explosion du commerce qui est le phénom"ne le plus important. Les opérateurs indépendants, anciens combattants issus des milices, ont pris à leur compte un trafic qui ne s’alimente plus à partir des productions locales, désormais trop limitées, mais sur des fili"res liées aux conflits anatoliens et caucasiens. La guerre qui se déroule dans le Kurdistan turc a provoqué le retour de laboratoires et de fili"res qui avaient trouvé refuge dans cette région pendant la guerre du Liban. Durant cette derni"re, les militants du Dashnak arménien s’étaient initiés au narcotrafic. Ils retrouvent aujourd’hui un lieu d’opération familier qui leur permet de réactiver des fili"res qui permettent de financer leurs activités dans le Haut Karabakh. Opérateurs russes et mafia sicilienne se servent également des ports libanais pour exporter leur marchandise et, comme à Chypre, blanchir leurs capitaux. Ainsi, la paix revenue, le Liban retrouve son rôle traditionnel de plaque tournante du Proche Orient. De nouvelles fili"res de la drogue, en pleine expansion, s’y ajoutent à celles contrôlées par les caciques libanais (envoyé spécial de l’OGD au Liban). D. I. D. @
(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 46
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