Les conflits politiques et sociaux liés au processus de paix et l’obsession manichéenne de diviser le monde entre amis et ennemis d’Israël, font passer au second plan la lutte antidrogues et ouvrent des brèches dans le système sécuritaire de la société israélienne. Des "amis" supposés ont su en profiter. Par exemple, les ressortissants de trois Etats d’Amérique centrale et d’un état des Caraïbes (le Costa Rica,le Guatemala, le Salvado et la République dominicaine, seuls à reconnaître, depuis 1980, Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu) reçoivent un accueil chaleureux en Israël et ne font l’objet d’aucun contrôle rigoureux à l’aéroport international Ben Gourion. Certains en profitent pour introduire de la cocaïne dans le pays. La consommation de cette dernière, produit de luxe dont le gramme vaut au minimum cent dollars, se développe en effet dans les milieux "branché". Comme à Beyrouth, elle est parfois fumée dans des pipes à eau, mais le plus souvent sniffée. Les adolescents issus de ces milieux, mis en contact avec la cocaïne et l’ecstasy pendant leur service militaire, continuent souvent à les consommer. Plusieurs boîtes de nuit et des bars se sont spécialisés dans la musique techno et les rave "intimes", version israélienne, rassemblant quelque dizaines d’élus. Ces deux drogues trouvent un terrain propice dans le modèle agressif et "macho", conquérant et énergique, qui remplace désormais chez les jeunes l’esprit romantique et pionnier des sabras d’avant la guerre de 1967. Les multiples organisations religieuses elles-mêmes, parmi lesquelles des groupes intégristes notamment les Loubavitch, souventt polarisées sur la lutte contre le processus de paix, n’accordent pas une grande importance à ce problème. Une partie de la population se lance dans les affaires au niveau international en privilégiant les relations avec les pays "amis" de la région (Jordanie Egypte, Turquie, Chypre), ou plus lointains (Amérique centrale, Afrique du Sud), quitte à fermer les yeux sur des opérations douteuses. D’autres catégories sociales, laminées par la cherté de la vie, confrontées quotidiennement au terrorisme du Hamas et à ses conséquences sécuritaires, sceptiques sur les chances d’une paix durable et hostiles au processus de paix, veulent défendre leurs derniers avantages. Notamment contre la diaspora récemment installée. Conséquence du fait que la lutte antidrogues aux frontières n’a aucun caractère prioritaire : les mesures de contrôle (détecteurs, chiens renifleurs) et les interrogatoires sans fin que subissent les passagers à l’entrée et à la sortie d’Israël, concernent avant tout la sécurité (explosifs, armes). C’est ainsi qu’une partie de la cocaïne arrivant à Tel Aviv par avion a pour destination finale les quartiers chrétiens et huppés de Beyrouth. La drogue est transportée le long du littoral du Sud - Liban par des passeurs israéliens et libanais chrétiens, puis est convoyée par les passeurs - chauffeurs de taxi qui travaillent souvent pour de toutes nouvelles compagnies syriennes de taxis collectifs. KasShan B., qui dirige l’une d’elle, basée à Beyrouth, a expliqué à l’envoyé spécial de l’OGD que la cocaïne, initialement acheminée à Beyrouth depuis la Turquie, arrive désormais par les aéroports de Tel Aviv, de Damas et, dans une moindre mesure, de Amman. Il a ajouté que, pour les passeurs, le fait d’être connu des forces de sécurité et des douaniers de Syrie, Jordanie comme d’Israël, est le critère permettant d’opérer des passages sans risques. L’envoyé spécial de l’OGD, voyageant en taxi collectif ou en autobus d’Istanbul à Jérusalem, en passant par la Syrie, le Liban, la Jordanie a pu vérifier la validité de ces informations : lui-même et les autres passagers, bien que contrôlés des dizaines de fois par des militaires qui recevaient systématiquement du chauffeur leur bakchich, n’ont jamais été fouillés. La cocaïne est la seule drogue qui fait l’objet d’un trafic de transit de quelque importance. Toutes les autres sont essentiellement destinées à un marché interne en pleine expansion. David Ben Gourion avait un jour lancé une boutade : "Quand il y aura en Israël des prostituées et des voleurs nous deviendrons un Etat comme les autres". Quarante ans plus tard, force est de constater que la prostitution, le blanchiment de l’argent, le trafic et la consommation des drogues ont pris dans le pays des dimensions inquiétantes. L’absence de formation, voire la corruption, de policiers à la base est un autre indice du pourrissement de la situation. La presse a rapporté que le vendredi 25 août à Tel - Aviv, trois ministres ont tenu à "descendre" la désormais fameus, rue Allenby pour mesurer par eux-mêmes l’ampleur du trafic. Ils ont pu constater que devant le poste de police local, des dealers distribuaient des sachets de cannabis. Le long de la rue, dans les bars, toutes les autres drogues étaient négociées. A la suite de ce coup médiatique, la presse a fait état de plusieurs affaires dans lesquelles des policiers ont racketté des dealers, ou extorqué leurs gains et objets de valeur au moment de leur interpellation. La clientèle de la "scène ouverte" de Tel - Aviv est très hétéroclite. Les centaines de routards qui envahissent les "hostels" des rues avoisinantes sont des consommateurs de cannabis. Au point qu’il y a désormais un dealer attitré dans la plupart de ces auberges de jeunesse. On retrouve le même phénomène, sur une moindre échelle cependant, dans toutes les autres villes israéliennes (Jérusalem, Haifa, Eilat, Tibériade etc. ). Mais à Tel Aviv, ces mêmes touristes sont aussi employés comme main - d’oeuvre "au noir" dans la construction. Ils pallient ainsi le manque de bras provoqué par la fermeture épisodique des frontières aux Palestiniens des territoires occupés et autonomes. Les "touristes" sont payés 10 à 15 shekels (3 à 5 dollars) de l’heure, soit le minimum nécessaire pour vivoter et se procurer leur herbe. On peut acheter pour environ 750 à 1 500 shekels (250 à 500 dollars) un kilo de cannabis. Il s’agit en fait, de l’ensemble de la plante séchée (tiges, fleurs, feuilles, graines mélangées). Par contre, le gramme d’herbe "pure" (quelques feuilles et la fleur) se négocie autour de 100 shekels (30 dollars, soit une journée de salaire "au noir"). Une partie du cannabis est produite localement : le long du Jourdain, mais aussi sur les terres cultivables autour des points d’eau du désert du Néguev. Face à l’augmentation de la demande, les bédouins se sont mis à la production. Tout au long de la frontière avec la Jordanie, qui a "normalisé" ses relations avec Israël, transitent aussi des quantités importantes de cette drogue. Mais la plus grande partie de la marijuana consommée en Israël semble venir aujourd’hui d’Afrique de l’ouest, transitant par le Soudan, l’Egypte, via le désert du Sinaï. Il accompagne un trafic de pierres précieuses et de pièces antiques nubiennes d’or ou d’argent, souvent via la bande de Gaza ou le port Eilat, sur la mer Rouge. La jeunesse israélienne commence elle aussi à fumer. Souvent dès l’âge de quatorze ans. Une bande - annonce dans les salles de cinéma, concernant les dangers du tabac, identifie toute cigarette à un joint et tout joint à une injection d’héroïne.

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 47