Ce petit pays de 500 000 habitants, qui n’a accédé à l’indépendance qu’en 1977, reste en réalité très dépendant de la base militaire française (quelque 5 000 hommes) qui y est établie : économiquement, puisque les dépenses de cette base représentent 60 %. du PIB djiboutien ; et bien sûr politiquement, tant que cette base sera jugée stratégique pour le " rayonnement " de la France, en Afrique, au Moyen-Orient et dans l’Océan Indien. Cela autorise des interventions où l’on retrouve nombre des caractéristiques exposées au grand jour lors de la tragédie rwandaise : sauvegarde d’une tyrannie clanique, y compris sous couvert d’opérations " militaro-humanitaires ", mépris pour les tentatives de l’opposition locale de dépasser les clivages ethniques, complicité de fait avec des dérives génocidaires.
La dictature d’Hassan Gouled s’appuie sur l’une des deux principales ethnies, les Issas, au détriment des Afars. Après 14 ans de répression anti-afars et de torture banalisée (95), un Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie (FRUD) se constitue. Il est dirigé par Ahmed Dini, un opposant a priori " fréquentable " (96). Avec 10 000 combattants, essentiellement afars, il conquiert une partie du territoire, qu’il se met à administrer. Laissons Me Antoine Comte, que la défense inlassable des victimes de la répression à Djibouti a familiarisé avec ce pays, exposer la suite :
" L’armée française s’interpose, au nom d’intérêts prétendus humanitaires - aller porter de l’eau, des aliments, des médicaments aux populations qui sont derrière la ligne de la guérilla -, mais elle poursuit en réalité un but totalement militaire. A l’abri de cette espèce de "ligne Maginot nouvelle manière", l’armée djiboutienne recrute en Somalie de nombreux mercenaires et quadruple ses effectifs. Mais, à la fin de l’année 1992, cette interposition cesse miraculeusement, alors que les conditions objectives qui avaient justifié sa mise en place n’ont pas cessé. Se produit alors une offensive de l’armée régulière qui, compte tenu de son renforcement, balaye la guérilla et la repousse vers l’Ethiopie.
[On met alors en place une Constitution napoléonienne, on organise des élections truquées, et on assiste à] un véritable génocide tribal. Les gens sont massacrés par centaines, repoussés dans le meilleur des cas vers les frontières érythréennes, le régime dictatorial ayant toujours prétendu que le FRUD n’était pas djiboutien. La répression est féroce : des témoignages de députés de la majorité attestent que les routes sont jonchées de cadavres. A travers cette opération militaire, on cherche à liquider une fois pour toutes l’opposition dans ce pays, et celle-ci étant en grande partie afar, à exterminer cette ethnie (97)".
Tout ceci en présence de 5000 soldats français d’élite, et parfaitement opérationnels - mais qui remisent leur propension " militaro-humanitaire " dès lors qu’un " protégé " de la France a des envies de nettoyage ethnique. Certes, un avant-goût de Rwanda - dont on parla malheureusement trop peu à l’époque : l’armée française y donna moins de publicité et invita moins de journalistes que lors de l’opération Turquoise...
95. Quelques mois après l’Indépendance (juin 1977), Me. Antoine Comte reçoit des appels à l’aide : " Nous arrivons à Djibouti pour y découvrir que, pendant que les opposants sont torturés, les gendarmes français dressent les procès-verbaux dans les règles de l’art ". De Kigali à Djibouti, in Maintenant, 08/02/95.
96. Revendiquant un partage réel du pouvoir, le pluripartisme, la presse libre... et non opposé au maintien de la base militaire française. Il sera d’ailleurs reçu au Quai d’Orsay où, comme chacun sait, ne se fait pas la politique africaine de la France.
97. De Kigali à Djibouti, in Maintenant, 08/02/95.
"Présence militaire française en Afrique : dérives..." / Dossier Noir numéro 4 / Agir ici et Survie / L’Harmattan, 1995
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