Par ses ambiguïtés (cf. notre éditorial 32/01), le plan euro-russe ne peut ouvrir une paix durable, mais une simple trêve, permettant aux protagonistes de se ressaisir, avant de plus larges hostilités.

Après avoir soutenu pendant huit ans le processus d’émiettement de la Yougoslavie, les Alliés ne savent toujours pas ce qu’ils veulent pour le Kosovo. Doit-il rester au sein de la RFY ou accéder à l’indépendance, quitte à se rattacher ultérieurement à l’Albanie ? On sait qu’au sommet de Washington, Bill Clinton s’était exprimé en faveur de l’indépendance, tandis que la plupart des Alliés, notamment la Grèce, s’étaient opposés à un redécoupage des frontières dans les Balkans. Cette indécision conduit aujourd’hui à consacrer la souveraineté de la RFY sur le Kosovo et à contraindre l’OTAN à la faire respecter. Toutes proportions gardées, c’est comme si à la fin de la guerre du Golfe, on avait consacré la souveraineté historique de l’Irak sur le Koweït.

De même, les Alliés ne savent pas ce qu’ils veulent faire de l’UÇK. Au début, cette armée de libération n’était qu’un fantoche aux mains des Allemands pour déstabiliser la Serbie. Mais elle a progressivement rencontré un écho indéniable dans la population kosovare et échappe désormais à tout contrôle politique extérieur. Son seul mot d’ordre étant l’indépendance, le plan euro-russe représente sa défaite. Pourquoi l’accepterait-elle et déposerait-elle les armes ? L’OTAN se trouvera-t-elle dans l’obligation, pour faire respecter ce plan de paix de combattre aux côtés de Milosevic contre l’UÇK ?

Enfin, les Alliés n’ont aucune idée de ce qu’ils veulent faire avec les Russes. Alors que les Américains ont tout fait pour les écarter du jeu, les Européens les ont fait rentrer par la grande porte, convaincus qu’on ne pouvait faire la paix sur le continent sans eux. Paradoxalement, on a évincé les Russes du jeu diplomatique en éludant le Conseil de sécurité, et on les fait rentrer dans une force militaire internationale. Du coup, des soldats russes sont susceptibles de reprendre pied en Yougoslavie, au grand dam de ses voisins.

Martti Ahtisaari a été vivement applaudi à Cologne. Cela ne signifie pas que son plan soit durable : Chamberlain fut acclamé en rentrant de Munich. Pour les Européens, tout est bon pour éviter l’engagement au sol. Après avoir prétendu mener une guerre pour de grands principes, on voudrait signer une paix par convenance. Quant donc sommes-nous les plus lâches ? Quant nous livrons une guerre aérienne en bombardant un pays à 15 000 pieds d’altitude, ou quant nous fuyons le champ de bataille qui s’annonce ?

Thierry Meyssan