Le 2 octobre, TF 1 programmait "Comme un lundi", une émission animée et produite par Christophe Dechavanne et consacrée ce soir-là à la liberté d’expression. De nombreux intervenants avaient été invités. Les plus sérieux côtoyaient les plus folkloriques. On attendait un débat houleux où quelques idées fortes surgiraient d’un pugilat verbal, on se retrouva dans une arène.

Le studio 102 de la Maison de la radio où se déroule l’émission comprend des gradins pouvant recevoir un public de quatre cents personnes. Pour éviter que ce public ne soit partisan, les places sont délivrées à l’avance, deux ou trois par personne.

Lundi 2 octobre, de manière non expliquée, la presque totalité des places avaient été réservées par des jeunes gens de bonne famille arborant l’insigne d’Ictus (1) à la boutonnière. Les invités, au nombre desquels je me trouvais, ne quittèrent leur loge et n’entrèrent sur scène que quelques minutes avant le début du direct. Les ecclésiastiques - dont un évêque -, favorables à la censure, furent salués par des applaudissements frénétiques tandis que les journalistes, favorables à la liberté d’expression, étaient immédiatement conspués.

Une fois le débat commencé, les interventions des uns et des autres furent sanctionnées par le public. Sur la scène un prêtre (2) donnait des ordres par gestes à ses fidèles pour couvrir nos voix. Chaque fois que nous prenions la parole, la salle hurlait des invectives ou scandait des insultes dans notre dos. Avec professionnalisme, Christophe Dechavanne réussit à mener le débat sans que les téléspectateurs ne s’aperçoivent de l’extrême confusion qui régnait.

A l’issue de l’émission, le public et certains invités étaient résolus à nous lyncher. Pour ma part, ne pouvant traverser le studio, je fus évacué à l’arrière du décor par les agents de sécurité puis, après m’être démaquillé, je sortis le premier de la Maison de la radio. Le public s’était massé devant la porte. Il s’agissait de jeunes gens entre 18 et 25 ans, très BCBG : jeunes filles en foulard Hermès et garçons en velours côtelé. Ils bloquaient le passage et m’invectivèrent, agressifs. Je réussis néanmoins à me frayer un passage parmi eux et disparus.

Un instant après, Rémi Darne (3) sortit. Ils hésitèrent à frapper un malade du sida et se contentèrent de le bousculer en l’injuriant. Lorsque ce fut le tour de Philippe Val (4) et de M. S. qui l’accompagnait, ils ne se retinrent plus. Les plus agressifs les frappèrent dans le dos et, les ayant jetés à terre, s’acharnèrent sur eux. Selon les témoins, la foule se mit à genoux et entonna des cantiques d’allégresse en observant le tabassage. Ce n’est que tardivement que le service de sécurité de la Maison de la radio se porta au secours de mes amis. Un jeune homme qui fut ceinturé rappela qu’il était fils de sénateur. Philippe Val et M. S. furent hospitalisés.

Le lendemain, "France-Soir" titrait : "Des crânes rasés ont tabassé Philippe Val". C’est faux, il n’y avait pas de skins ce soir-là ! Mais il est si difficile d’admettre qu’une organisation catholique officielle puisse faire preuve d’une telle violence... Une plainte a été déposée. Les cassettes vidéo ont été transmises à la justice.

Thierry Meyssan

1. "Ictus" est une association politico-religieuse catholique fondée après la guerre sous le nom de "cité catholique" par le secrétaire de Charles Maurras, Jean Ousset. Elle est aujourd’hui présidée par Me Jacques Trémollet de Villers, défenseur de Paul Touvier. "Ictus" dispose de nombreuses filiales spécialisées : le Sicler pour les élus locaux, AFS pour les parents, CEE pour les chefs d’entreprise, IFCEI pour les ingénieurs, etc.

Depuis plusieurs années la direction d’"Ictus" est assurée par des membres de l’Opus Dei. Les 11 et 12 novembre prochain, "Ictus" tiendra son congrès à Versailles avec la participation de nombreux parlementaires villiéristes (Pierre Bernard, Christine Boutin, Françoise Seillier), sous la "haute présidence" du cardinal Alfonso Lopez-Trujillo.

2. Il s’agit du père Daniel-Ange, un prédicateur vedette de l’Eglise catholique, ordonné prêtre par Jean-Paul II en personne.

3. Journaliste à "L’Humanité", président de l’Association des communistes combattants du sida.

4. Journaliste, rédacteur en chef de "Charlie-Hebdo".


L’extrême droite manipule la télé


"Comme moi, beaucoup de journalistes s’inquiètent de la manière dont les médias favorisent l’extrême droite. Cela tient d’abord à la prééminence de l’audiovisuel, dont la grammaire et le mode de communication s’accommodent des affirmations simplistes au détriment des raisonnements approfondis. Cela tient aussi à une vision caricaturale de l’extrême droite en uniforme. Aujourd’hui, ses idées se répandent un peu partout et ses organisations se sont ramifiées. Il est urgent de trouver d’autres moyens de la combattre."

Philippe Val