"Toi tu veux me détruire, et moi aussi je veux te détruire, et la seule chose dont nous soyons en train de discuter, c’est de la manière dont on va se détruire."

Sous-commandant Marcos : (...) En cette fin des années 90, en route vers la fin du siècle, et pour le combat du siècle prochain, le rapport de forces est très favorable au désespoir et très peu favorable à l’espoir.

"Maintenant" : L’espoir a un allié naturel : la révolte. Il y a de la révolte chez les jeunes de la ville qui se teignent les cheveux de toutes les couleurs et qui se tapent dessus dans les concerts de rock ; il y a de la révolte dans les mouvements de femmes, il y a de la révolte diffuse dans tous les secteurs marginalisés de la société. Au Mexique, la révolte des groupes les plus divers semble s’identifier à la révolte des indigènes du Chiapas. Y a-t-il quelque chose de commun, où est le point de rencontre ?

Sous-commandant Marcos : D’une certaine façon, nous parlons de cela dans le communiqué par lequel nous avons accueilli les résultats de la Consultation nationale. Il y a une ressemblance naturelle entre les indigènes et quatre groupes sociaux : les femmes, les jeunes, les homosexuels et les prisonniers. Nous tentions de nous expliquer pourquoi il y a tant de communication, tant de liens, tant d’empathie mutuelle entre les zapatistes et ces groupes sociaux. Et nous disions qu’il se trouve que nous avons en commun d’être les marginalisés, ceux que l’on convainc d’être des minorités, alors qu’ils ne le sont pas.

Au Mexique, la femme est classée selon qu’elle est mariée ou célibataire, veuve ou divorcée. C’est-à-dire qu’on la classe en termes de possession. La célibataire est une femme à posséder, la femme mariée a déjà un possesseur, la veuve et la divorcée sont des femmes qui ont perdu leur possesseur. L’identification d’une femme, du moment qu’il s’agit de l’identifier, c’est comment elle s’appelle et quel est son état civil.

Je ne suis pas en train de faire un discours féministe, je signale juste un fait concret. Lorsqu’une femme se marie, elle prend le nom de famille de son mari, comme si elle naissait à nouveau. Elle cesse d’appartenir à son père pour appartenir à son mari.

Alors la femme est convaincue d’être une minorité à partir du moment où on l’individualise en tant que possession, et elle subit ce sexisme, ce mépris, cette persécution, cette domination que les indigènes du sud-est mexicain connaissent bien. La rapport d’un indigène du sud-est mexicain avec un métis, avec ceux qui s’appellent "coletos authentiques (1)", ressemble quelque part, sur le plan quotidien, au rapport de la femme avec l’homme.

Alors, à la rencontre d’un mouvement indigène qui affirme qu’"il faut se révolter contre ça", une sorte d’identification s’opère entre les deux : cet indigène, c’est moi, il m’arrive la même chose en tant que femme, et cette révolte organique de l’EZLN, je voudrais la connaître moi aussi, je voudrais moi aussi pouvoir dire : "Ya basta ! (2)".

C’est là que le rapport commence à changer. Ce n’est plus "pauvres petits indiens qui sont bien emmerdés et qu’il faudrait aider", mais "ces gens m’ont montré... je suis moi-même ; en les aidant eux, je m’aide moi-même".

Les jeunes, c’est pareil. En réalité, pour cette conception du pouvoir, le jeune est un traître en puissance. Quand tu es jeune, on te permet d’être n’importe quoi, tout : rebelle, révolutionnaire, tout ce que tu voudras, du moment que tu t’en repentes plus tard, quand tu seras mûr. En vérité, pour le système, le jeune est un avorton de révolte, un éternel immature qui ne peut avoir de cause propre ; chaque mouvement qu’il fait est manipulé par quelqu’un, par quelque force obscure, mais il est impossible qu’il ait des sentiments personnels tant qu’il est jeune.

Le jeune est de la chair à rafle, à homicide,

à prostitution, à prison... Tout comme l’indigène

Le jeune est un apprenti de la réalité, un apprenti du bon sens. Et donc, pour les mêmes raisons, on traite le jeune comme un citoyen de seconde catégorie... Il a des droits de seconde et des devoirs de première. Et le droit à la révolte juvénile est bien démarqué : tant que tu es jeune tu peux être rebelle, "moi aussi j’ai été fou quand j’avais ton âge" dira l’adulte, "puis je me suis rendu compte que la vie est dure, et que tu vaux ce que tu possèdes, et c’est ce qu’il va t’arriver en mûrissant".

Cette relation paternaliste, qui dit "tu ne sais pas ce que tu fais parce que tu es jeune", est la même que celle du métis avec l’indigène. Par ce "ya basta !" la révolte des indigènes du sud-est mexicain s’identifie à la révolte des jeunes de ce pays. C’est une identification de là-dedans, dans les tripes : quelque chose ne tourne pas rond, la révolte nous amène tous deux à dire "ya basta !".

Alors les jeunes peuvent aimer le rock (qui ici ne connaît aucun succès, ici ce qui colle c’est la marimba, les cumbias et la musique ranchera.) mais l’un se révolte dans une situation, tout comme l’autre dans une autre. Le jeune est de la chair à rafle, à homicide, à prostitution, à prison... Tout comme l’indigène.L’homosexuel et la lesbienne, pour leur part, sont condamnés à se cacher, ils sont considérés comme une honte...

Tu ne peux pas être ce que tu es, tu dois te dissimuler, et d’une certaine façon, l’indigène du sud-est mexicain c’était ça. Au Mexique, on utilise beaucoup, pour parler des homosexuels, le mot "puto" (3). "Tu es un puto, un pédé", ça veut dire que tu es moins homme, ça ne veut pas seulement dire que tu as des relations avec quelqu’un de ton sexe, mais que tu n’es pas courageux, que tu n’es pas complet. C’est une insulte, tout comme dire :"Tu es un indien". Du coup, l’identification entre les deux a été quasiment spontanée.

La révolte des indigènes, le fait qu’être indien cesse d’être une insulte mais devienne une fierté, et la possibilité qu’un homosexuel ou une lesbienne puisse dire "oui, je suis homosexuel, et alors ?" font qu’il existe une empathie naturelle entre eux.

Et enfin, il y a le groupe social des prisonniers. Au Mexique, quand on arrête quelqu’un, c’est presque toujours une injustice. En fait, le vrai coupable ne finit jamais en prison. C’est le coupable au second degré qui tombe, ou celui qui est inculpé, ou le pauvre. Et la prison est un autre monde, qui reproduit le monde extérieur mais en plus fermé. Ce sont les mêmes relations de pouvoir, d’autorité que l’on retrouve dans une finca, dans une hacienda, où doivent coexister l’indigène pauvre et le patron métis, le serf et le maître.

Ainsi, la révolte des indigènes qui les amène à dire "non, je ne suis pas d’accord avec ça, ça suffit" est du même calibre que celle d’un prisonnier qui dirait "non, ça suffit, je ne suis pas d’accord pour être en prison". Comme le prisonnier, l’indigène du sud-est mexicain était enfermé dans une capsule de l’histoire d’où il ne pouvait pas sortir, où on ne le reconnaissait que comme curiosité, comme artisanat.

C’est comme si l’indigène avait été enfermé dans une prison du temps. Du coup, s’il est un endroit d’où nous avons reçu beaucoup de lettres, beaucoup de sympathie, c’est bien les centres pénitentiaires.

Et ça, c’est très lié au fait que l’une de nos premières actions du 1er janvier a été de libérer tous les détenus d’une prison de San Cristóbal, puis nous l’avons fait à Las Margaritas, et à Altamirano, et à Ocosingo. Les détenus nous écrivaient et nous disaient : "Je suis dans telle prison, au cas où tu attaquerais..., dans telle rue, tel quartier."

 De toutes ces révoltes que vous mentionnez, celle de l’EZLN est la seule organisée, et cela pourrait vous conduire à devoir assumer la coordination des révoltes disséminées. Êtes-vous prêts à le faire ? Marcos serait-il disposé à conduire à l’échelon national la révolte organisée si les autres catégories sociales l’exigeaient ?

Marcos : À l’échelon national ? Non... Pas seulement à l’échelon national, nous pensons le conduire à l’échelle internationale ! Nous ne pensons pas à quatre communes, ni à un pays, ni même au simple continent. Nous pensons enraciner un mouvement au niveau international... Enfin, bon, la vérité c’est que je ne sais pas. C’est une chose à laquelle nous devons réfléchir.

Je ne sais pas si le zapatisme tire son succès de son caractère irréfléchi, c’est-à-dire qu’il ne se présente pas comme une alternative organisée. On peut en être sans en être. Ou bien en être par volonté, sans avoir à souscrire à des exigences ou conditions.

Et d’un autre côté l’EZLN existe d’une manière organique, disciplinée et tout. Je ne sais pas si l’EZLN serait capable de ça, c’est quelque chose que nous devons essayer...

 Mais il existe au moins la disposition à le faire ?

Marcos : Oui... C’est qu’il faut qu’on fasse. Nous devons lutter. Si on ne nous laisse pas lutter par les armes - parce que, si nous nous en servons, on dit "la paix, nous ne voulons pas la guerre" -, et si nous bâtissons un mouvement qui prétend se battre pour les gens, nous ne pouvons pas faire ce qu’ils ne veulent pas que nous fassions. Alors, si on ne peut pas le faire avec les armes, on doit le faire d’une autre façon.

Nous devrions chercher la façon d’être efficaces, de parvenir à ce que cette forme de lutte soit vraiment meilleure que celle que nous menons en ce moment. Voilà la question : ce type d’organisation représenterait-il un progrès pour l’EZLN et pour la lutte en général, ou bien est-ce que ça ne serait pas s’arrêter, faire un pas en arrière ?

C’est ça, la grande question, et la réponse à cette question détermine tout, "tout" voulant dire l’avenir de l’EZLN, l’avenir de Marcos, ou de l’homme qui est derrière le passe-montagne, et cette question n’a toujours pas de réponse.

À chaque fois que nous disons "parlons", on a du succès

 L’EZLN est née comme une organisation armée, politique et militaire. Pourtant, ses principales batailles visent à organiser la société civile... CND (4), Consultation (5), grandes initiatives pour favoriser l’unité, pour rassembler des forces disparates autour de points basiques de lutte. En fin de compte, qu’est réellement l’EZLN, une organisation armée qui cherche à vaincre l’ennemi par la guerre, ou bien s’agit-il davantage d’une graine, le germe d’une future grande organisation politique de masses ?

Marcos : L’EZLN est une armée. Elle a des commandements, elle a des hommes, elle a des armes, elle a des ordres. C’est une réalité que peu ont approchée : la réalité des casernes zapatistes, la dure discipline militaire. On est donc très loin d’une vision romantique..., la dépense physique, les difficultés morales, la vie en montagne et tout ça. Mais, d’un autre côté, l’EZLN est le symptôme de quelque chose qui est en train de se passer dans le monde.

Parmi les actions civiles du zapatisme, seules ont été des réussites celles où l’on appelait à la discussion. À chaque fois que nous disons "parlons", on a du succès, et je crois que cela vient un peu de cette volonté de nous connaître et de nous entendre.

Mais, de toutes façons, le fait demeure, réel, irrémédiable, nous sommes une armée, nous sommes une structure politico-militaire, plus politique que militaire, mais armée et prête à se battre. En plus, nous avons ce que d’autres types d’organisations n’ont pas : nous sommes prêts à mourir, et nous sommes aussi prêts à tuer.

 Vous avez parlé avec la société civile mexicaine, mais vous avez aussi parlé avec l’"ennemi". Ce processus de dialogue auquel vous avez été poussés, forcés par la société civile, n’a pas l’air d’avoir beaucoup de chances de devenir la véritable voie de résolution des conflits et des problèmes qui ont motivé le soulèvement zapatiste. Quel est le plafond, jusqu’où peut s’étendre ce dialogue ?

Marcos : Tu vois, dans le cas de la table de dialogue de San Andrés, là où on négocie avec le gouvernement, nous savons que la réussite ou l’échec ne viendront pas de là, ils viendront de l’extérieur. Le fait qu’aujourd’hui, 1er octobre 1995, les discussions soient à nouveau perturbées, est dû à une action extérieure, qui n’a rien à voir avec cette table de dialogue, la Consultation nationale zapatiste.

Il est clair pour nous que c’est ce qui se passe hors de cette table, un autre genre d’événements, qui est réellement déterminant. Quand tu t’assois pour parler avec l’ennemi, tu ne parles pas pour te mettre d’accord, comme tente de le faire croire l’ambassadeur Hiruegas avec son "nous sommes frères". Nous, on dit : "Frères, mon oeil ! ou alors si on l’est, toi tu es Caïn et moi Abel".

Détruire le système du parti d’État

Non, nous sommes en train de parler entre ennemis, toi tu veux me détruire, et moi aussi je veux te détruire, et la seule chose dont nous soyons en train de discuter, c’est de la manière dont on va se détruire. La seule chose sur laquelle nous nous mettons d’accord, c’est que nous n’allons pas nous détruire à coups de feu.

Mais toi tu vas tout faire pour en finir avec moi, et moi je vais tout faire pour en finir avec toi. Nous sommes sincères, contrairement au gouvernement, nous disons que la seule chose dont nous discutons là-bas, c’est de savoir si nous allons changer notre façon de vous attaquer, mais le gouvernement dit "Non, non... nous, ce qu’on veut, c’est vous aider, être comme des frères, compatriotes".

Ce dont nous ne parlons pas à cette table, et nous ne le ferons jamais, c’est de notre révolte contre le gouvernement, de notre projet de détruire le système du parti d’État. Mais ce dont veut discuter le gouvernement, c’est de la révolte de l’EZLN contre le système.

 Et si le chemin de la guerre s’imposait, quelles chances de succès militaire l’EZLN pense-t-elle avoir ?

Marcos : Je voudrais signaler que le problème, c’est que les succès de l’EZLN ont été tellement spectaculaires dans l’utilisation de la parole, que personne n’a pris le temps d’analyser les succès militaires, qui ne sont pas rares, et sont grands. L’expédition du 9 février (6) n’a pas de précédent, l’exode de dizaines de milliers d’indigènes qui vident les lieux dès l’entrée de l’armée fédérale.

Je te rappelle qu’il faut revoir les rapports de guerre de l’armée fédérale : depuis janvier 1994, ils ne nous ont pas touchés, ils ne nous ont pas pris la moindre arme ni tué le moindre combattant. Alors qu’eux ont eu des pertes.

La montagne se bat de notre côté, eux, ils ont des noyés dans les rivières, des désertions, des exécutions, des gens qui ne désirent pas être là... Quelqu’un du dehors, quelqu’un qui travaille dans les médias, est évidemment plus attiré par la guerre des mots, mais les militaires se rendent compte que l’EZLN n’a pas subi d’échecs militaires, à part celui du marché d’Ocosingo, pendant les quatre premiers jours de janvier 1994, mais depuis, rien...

On est revenus avec plus d’hommes, avec plus d’armes, on a pu conserver un territoire pendant un an. Combien de forces armées d’Amérique latine ou du monde peuvent en dire autant ? Nous avons pu résister à une offensive énorme et en ressortir tout propres. Tu peux donc me croire, un militaire doit bien évaluer des succès de cette nature. "Une guérilla qui ne perd pas gagne. Et une armée régulière qui ne gagne pas perd"...

Et ça, ce n’est pas le Che qui l’a dit, c’est Kissinger ! Nous, tant qu’on ne perd pas on gagne, et notre ennemi, tant qu’il ne gagne pas il perd, même s’il est très supérieur, avec tous ses tanks et ses hélicoptères. L’ennemi sait que nous sommes au complet, mais ce qu’il ne veut pas, c’est que les gens s’en aperçoivent. En fait, cette présence absurde de fédéraux dans la zone, c’est pour qu’on ne se montre pas, mais ils savent qu’on est là, au grand complet.

 Vous avez dit que le port d’un passe-montagne ne relève pas tant de la conspiration, que ça n’est pas tant par nécessité de cacher les noms et les visages, que de montrer, de façon symbolique, que ce sont les sans-visage qui ont pris les armes, ceux qui n’ont jamais eu de nom ni d’importance pour qui que ce soit dans ce pays. Aujourd’hui, bien plus tard, ils ont une importance, on connaît leur existence, ils sont sujet de préoccupation. N’ont-ils pas gagné le droit d’abandonner le masque, l’anonymat forcé ?

Marcos : Non. C’est que le passe-montagne ne reflète pas seulement l’absence de visage des indigènes du sud-est mexicain, mais l’absence de visage du peuple mexicain. Par ailleurs, pratiquement dès le départ, le passe-montagne a cessé d’être un élément de sécurité pour devenir un symbole, comme l’uniforme, un signe distinctif, comme le foulard rouge. Celui qui porte le foulard, c’est comme s’il disait : "Je suis des leurs, bien que je n’aie pas d’arme je suis comme eux".

Comme tout le monde

D’une façon ou d’une autre, pour tous, depuis le 1er janvier 1994, et pour nous depuis sa naissance, c’est-à-dire depuis 1983, l’EZLN est régie par des paradoxes, parce que tu vois, comme tu dis, tout le monde nous voit, mais quel paradoxe pour l’EZLN de devoir, si elle veut se montrer, se cacher le visage avec un passe-montagne, et l’enlever pour se cacher. C’est ce qui désoriente les soldats. Ils disent : "Mais on ne peut pas se battre contre eux parce que, dès qu’on arrive, ils enlèvent leurs passe-montagnes, et ils sont comme tout le monde, tout petits, tout basanés, on ne peut pas les reconnaître".

Nous nous cachons en enlevant notre passe-montagne, et c’est quand nous nous montrons que nous nous cachons le visage. C’est un vrai paradoxe, qui a désespéré les militaires en février. Et la lutte du gouvernement pour nous faire retirer nos passe-montagnes, c’est pour ça, ils disent que sans le passe-montagne ils peuvent nous taper dessus. Puis, quand ils font la loi du dialogue et qu’ils obtiennent de nous asseoir pour parler sans armes, ils n’arrivent pas à obtenir que nous y allions sans masque.

C’est là qu’ils s’aperçoivent que le symbole fort n’est pas l’arme mais le passe-montagne, et il serait absurde d’exiger que nous les enlevions pour discuter avec eux, parce qu’on pourrait leur dire : "D’accord, j’enlève mon passe-montagne, mais toi tu enlèves ton pantalon." Et ils diraient : "Mais non, moi je veux que tu enlèves ton passe-montagne pour savoir qui tu es."

Et on leur répondrait : "Et moi je veux que tu enlèves ton pantalon pour la même raison." En plus, les services de renseignements du gouvernement se vantent de savoir qui nous sommes, alors pourquoi voudraient-ils qu’on l’enlève ?

 Que pensez-vous des essais nucléaires français dans le Pacifique Sud ?

Marcos : C’est la démonstration de la façon dont prend des décisions une droite triomphante. La droite se flatte d’être arrivée au pouvoir par un processus démocratique en Europe et dans le monde entier. C’est là son grand argument, et la première chose qu’ils font, c’est de piétiner les droits démocratiques de leurs peuples.

Pourquoi Chirac n’a-t-il pas eu l’idée, puisqu’il est à ce point démocrate, de faire un référendum ou une consultation au sujet des essais ? En plus, avec quel argument le fait-il, alors ? La guerre froide est finie, sur qui va-t-il balancer la bombe, pourquoi va-t-il l’essayer ?En plus, ces essais avec des bombes, ce n’est pas comme construire des routes et détruire une forêt, une bombe comme celle-là, elle emmerde ton pays mais aussi les autres.

C’est comme si tu jetais des déchets radioactifs dans un fleuve qui passe par d’autres pays. S’il te reste un peu de vergogne, le moins que tu puisse faire, c’est demander ou avertir le pays récepteur, "je t’envoie ça, et voyons ce que tu vas en faire", et personne ne peut discuter le droit de ce pays à dire qu’il n’est pas d’accord. Je crois que Chirac aurait du consulter non seulement le peuple français, mais le monde entier parce que, finalement, ce qu’il fait va affecter toute l’humanité.

Propos recueillis par Dauno Tótoro Taulis

La Realidad, jungle lacandone, octobre 1995


1. Coleto : habitant métis de San Cristóbal de Las Casas. Les "authentiques" sont des groupes racistes violents qui, par une extraordinaire contorsion rhétorique opposent leur prétendue "authenticité" à quelque illégitimité qu’ils voient aux indigènes... (NDT).

2. Ça suffit !

3. Putain au masculin.

4. Convention nationale démocratique : à deux reprises, l’EZLN a convoqué les représentants de la société civile à tenir une grande convention censée déclencher la résistance civile au niveau national. Si la première, au mois d’août 1994, a rassemblé six mille délégués de tout le pays - dont nombre de célébrités - en pleine jungle, créant un événement marquant, la seconde a été, selon l’EZLN elle-même, un constat d’échec du mouvement.

5. La Consultation nationale, est le référendum que l’EZLN a soumis à tous les Mexicains et que les comités de soutien de nombreux pays ont relayé dans les milieux sympathisants de l’étranger. Il comportait cinq questions, notamment sur la légitimité et le devenir de l’EZLN, et a obtenu plus d’un million de réponses.

6. Le 9 février 1995, le président Zedillo, en rupture avec la politique affichée de dialogue, apparaît à la télévision et déclare avoir lancé une offensive militaire d’envergure sur la Chiapas, avec ordre de capture de Marcos, dont il révèle au passage l’identité supposée, ainsi que celle de diverses têtes supposées de l’EZLN.

L’intervention de l’armée provoquera un exode massif des civils en direction de la jungle. Beaucoup n’ont toujours pas regagné leurs villages, les soldats demeurant sur les lieux ou ayant tout saccagé avant leur départ.