De nombreux interlocuteurs entendus par la commission d’enquête ont souligné la faiblesse, ou même l’inexistence, du renseignement en Corse. Son recueil est rendu très difficile du fait d’une véritable " omerta " ou d’une loi de la peur et des caractéristiques particulières des mouvements clandestins corses. Certaines insuffisances résultent par ailleurs d’un défaut d’organisation ou de coordination.

A) LES DEFAILLANCES DU RENSEIGNEMENT

Dans la période récente, les exemples attestant de défaillances du renseignement sont légion.

La plus grave de ces défaillances est sans conteste l’absence totale d’anticipation de l’assassinat du préfet Erignac.

La commission a constaté que cet acte semblait en effet avoir plongé les différents services de sécurité dans une stupeur totale. Pourtant, le communiqué d’autodissolution du groupe Sampieru envoyé à Guy Benhamou au journal Libération, le 21 janvier 1998, soit quinze jours avant l’assassinat, condamnait par avance " toutes actions qui pourraient être à nouveau menées contre l’actuel président de la chambre d’agriculture René Modat mais aussi contre les représentants syndicaux du monde agricole, le président de la CCI de Haute-Corse et certains fonctionnaires représentants éminents de l’Etat colonial ".

Aucune protection rapprochée n’a été pourtant été imposée au préfet Erignac, et celui-ci n’a pas hésité à sortir seul le soir dans les rues désertes d’Ajaccio.

La tenue répétée de conférences de presse clandestines par des militants nationalistes en armes, ainsi que l’impossibilité dans laquelle sont actuellement les services de sécurité de déjouer les attentats, sont la preuve évidente d’une absence de pénétration dans les milieux nationalistes.

Le responsable d’un service de renseignement a d’ailleurs confirmé à la commission qu’il était très difficile en Corse de pénétrer véritablement les milieux clandestins car un recrutement dans ces milieux ne s’y faisait pas sans connaître l’environnement de l’intéressé.

Il a souligné que la clandestinité en Corse présentait un aspect presque " familial ", nombre de clandestins se conduisant en " bons pères de famille " au quotidien et ayant " pignon sur rue ". Le seul moyen, selon lui, de réussir une infiltration serait pour l’impétrant de commettre un attentat.

Les services de renseignements doivent donc traiter des " sources humaines " en restant à la périphérie des mouvements clandestins ou bien compter sur la concurrence entre les mouvements clandestins pour obtenir des dénonciations.

Par ailleurs, la difficulté d’établir des surveillances discrètes en Corse a été soulignée par l’ensemble des acteurs de la sécurité. Il est donc d’autant plus important de bénéficier des moyens techniques d’interception et de surveillance les plus modernes.

Enfin, le cloisonnement entre les différents services de sécurité n’est pas propice à une exploitation efficace du renseignement, quand il existe. L’exemple a été donné à la commission, d’interpellations par la gendarmerie d’individus placés sous la surveillance du service des renseignements généraux sans que cette dernière ne bénéficie des renseignements obtenus. D’une manière générale, le défaut de coordination en matière de renseignement a été regretté par l’ensemble des personnes entendues par la commission.

B) DES SIGNALISATIONS DE POLICE JUDICIAIRE INSUFFISANTES

Un juge d’instruction a déploré devant la commission l’indigence totale, jusqu’à une époque récente, des signalisations opérées par le service régional de police judiciaire.

Il apparaît en effet que pendant plusieurs années les personnes interpellées n’ont pas fait l’objet de signalisations, de prises d’empreintes ou de photographies. La situation semble avoir été reprise en main à partir de 1996 mais pèse encore sur les enquêtes actuelles.

Ainsi le SRPJ ne détenait-il aucune fiche de signalisation d’Yvan Colonna, l’assassin présumé du préfet Erignac, dont le nom aurait déjà été cité dans plusieurs affaires.

Il a été rapporté à la commission lors de son déplacement en Corse que, récemment, il avait été impossible de prendre les empreintes digitales de délinquants violents s’opposant à cette pratique. On s’était alors contenté de les photographier subrepticement. Interrogé sur cette révélation qui n’avait pas manqué de surprendre la commission, un juge d’instruction parisien s’est contenté de s’exclamer : " c’est la Corse ! ".


Source : Sénat. http://www.senat.fr