Le mode d’organisation de la société, qui a longtemps prévalu en Corse et dont l’île reste encore largement imprégnée, se heurte aux exigences d’une économie moderne.

( UN DEVELOPPEMENT TARDIF

Jusqu’à la fin du XIXème siècle, la Corse était avant tout une société paysanne, dont l’essentiel des ressources provenaient de l’agriculture. Comme dans les autres régions rurales françaises, la crise agricole du tournant du siècle marquera profondément l’île. L’émigration va d’abord contribuer à en diminuer les effets. Mais, de 1920 jusqu’à la fin des années 1950, la Corse va donner l’image d’une région en déclin, que quittent ses éléments les plus jeunes et les plus actifs. La situation changera sous la IVème République : une commission de modernisation et d’équipement a été créée en 1953 pour établir un diagnostic précis et formuler des propositions concrètes ; un programme d’action régional est adopté en 1957 ; deux sociétés d’économie mixte sont créées dont l’une, la société de mise en valeur de la Corse (SOMIVAC) sera très active en matière d’aménagement agricole, notamment dans la plaine orientale.

Ce n’est donc qu’au cours des quarante dernières années que la Corse est entrée dans la modernité économique. Outre les tensions politiques que cela a pu entraîner, il apparaît que les mutations psychologiques et sociales ne sont pas totalement achevées et que les règles élémentaires de l’économie restent encore trop souvent oubliées.

( UNE CULTURE ECONOMIQUE A DEVELOPPER

Certains témoins ont regretté devant la commission d’enquête que l’esprit entrepreneurial et d’initiative fasse parfois défaut en Corse et entrave l’émergence de nouveaux projets. Des projets d’entreprise voient pourtant le jour dont certains sont de réels succès. Leur rythme de création est relativement constant (autour de 500 par trimestre).

Dans son rapport d’activités pour 1997, l’agence de développement économique de la Corse (ADEC) notait : " la motivation première des créateurs est plus sociale (créer son propre emploi) qu’économique et véritablement fondée sur un esprit et une culture d’entreprise. Les aspects économiques sont souvent négligés ou sous-estimés (la prime est la panacée : pour une majorité elle est considérée comme vitale et sans elle, le projet n’aboutira pas). "

Au cours de ses travaux, la commission a entendu à plusieurs reprises des critiques sur " le manque de professionnalisme " observé dans divers secteurs d’activités de l’île.

Le peu de rigueur dans la gestion a été souligné par un magistrat d’Ajaccio : " la tenue de la comptabilité est très médiocre ". Dans le ressort du tribunal de commerce de cette ville, 1.200 sociétés ne satisfaisaient pas à leurs obligations de dépôt de leurs comptes, certaines depuis de très nombreuses années.

Le faible dynamisme commercial était encore déploré récemment par le président de la Chambre de commerce et d’industrie d’Ajaccio, qui se se plaignait que les commerçants rechignent à ouvrir leurs magasins un dimanche alors qu’un paquebot de croisière venait relâcher dans le port.

La disparition d’entreprises non viables reste mal acceptée. M. Noël Pantalacci, président de la CADEC (caisse de développement de la Corse), déclarait, en mars 1997, devant la mission d’information sur la Corse " Il faut savoir que le dépôt de bilan, qui est une solution technique de management, n’est pas reconnue comme telle en Corse. Quand je conseille à des entreprises de déposer le bilan, parce qu’elles bénéficieront, de ce fait, du taux zéro et qu’elles obtiendront un plan de redressement sur 10 ans, voire 12 ou 13 ans, elles refusent ; en Corse, on ne dépose pas le bilan. Elles vont tenter de trouver des solutions, qui ne sont pas forcément adaptées à la situation, plutôt que d’aller déposer le bilan au tribunal de commerce. "

Le rapporteur de la commission d’enquête a pu mesurer la véracité de cette affirmation lorsqu’il s’est rendu au tribunal de commerce d’Ajaccio. " Les dépôts de bilan sont tardifs. Parfois, il se passe 18 mois entre la cessation des paiements et le dépôt de bilan. Les périodes d’observation durent. Les plans de redressement avec continuation sont monnaie courante " disait un des témoins entendus.

Un professeur associé à l’université de Corte expliquait récemment dans les colonnes d’un journal local les échecs des politiques de développement menées en Corse : " on ne s’est pas préoccupé de savoir si les bénéficiaires seraient à même d’utiliser efficacement (les infrastructures, les services, l’argent) pour être suffisamment compétitifs. Or, dans l’ensemble ils ne l’étaient pas. Cela aurait exigé une culture de l’économie et de l’entreprise qu’ils ne possédaient pas, car elle est le fruit de révolutions économiques qui ne se sont jamais produites en Corse. Ils le sont moins que jamais aujourd’hui.(...)Oubliant, ou plutôt ignorant qu’une entreprise performante, c’est avant tout des hommes possédant cette culture, on n’a rien fait ou pas grand-chose pour la leur faire acquérir, et on a persisté à ne raisonner qu’en termes de moyens.(...) ". Il regrettait " la mise en place non d’une économie de production, de développement et d’enrichissement, mais une économie de consommation, de survie et d’assistanat qui, derrière les apparences d’une prospérité relative, a de plus en plus de mal à compenser un appauvrissement collectif impressionnant et une fracture sociale alarmante dont l’amplitude est le double de la moyenne nationale ".

En fait, le rapport établi en 1996 par le préfet Claude Erignac sur la consommation des crédits publics en Corse23 montrait déjà clairement la nécessité, pour une meilleure utilisation des sommes disponibles, de renforcer les structures de soutien et de conseil aux maîtres d’ouvrages, qu’il s’agisse de collectivités locales ou d’entreprises.

( LA PERSISTANCE DE L’INDIVISION

Le maintien du phénomène de l’indivision à un niveau vraisemblablement inégalé en France24 a été spontanément évoqué par plusieurs des témoins entendus tant par la mission d’information sur la Corse que par la commission d’enquête. Les inconvénients d’une telle situation sont abondamment décrits. Devant la mission d’information sur la Corse, le directeur général des impôts expliquait que " ces indivisions ont un impact négatif sur l’activité agricole, d’une part parce qu’il est très délicat de donner un bail pour des parcelles dont on ne connaît pas les propriétaires puisqu’il faut l’accord de tous les propriétaires ou co-indivisaires pour passer un acte, d’autre part parce qu’elles nuisent à la restructuration qui souvent ne peut pas être effectuée, faute d’avoir pu identifier tous les propriétaires ". D’autres conséquences dommageables, en matière de travaux publics ou de réhabilitation du patrimoine immobilier notamment, sont aussi évoquées25.

La cause principale du grand nombre d’indivisions anciennes est imputée à la culture locale, qui repose sur un grand attachement à la terre des ancêtres et à la famille et conduit à une conception de la propriété plus collective qu’individuelle. Dès lors, le maintien des indivisions est longtemps apparu, et continue de l’être, comme une situation normale : une demande de partage risquant d’être considérée comme une marque de défiance vis-à-vis de la famille. Cela explique le faible nombre d’actes de propriété existants, les répartitions réalisées découlant plus communément d’arrangements amiables et oraux. Par contre, il apparaît que, lorsqu’il existe un enjeu patrimonial et financier réel, ce qui est le cas notamment sur le littoral, les sorties de l’indivision ont été beaucoup plus fréquentes.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr