( UN MARCHE TROP ETROIT

M. Jean Milli, directeur régional de la Banque de France, expliquait devant la mission d’information sur la Corse : " l’économie corse est soumise à des contraintes spécifiques qui ont façonné une spécificité corse, à la manière d’un creuset.

Constitué de plusieurs micro-régions isolées les unes des autres par un relief montagneux et des liaisons routières difficiles, le territoire corse ne présente pas d’unité économique, c’est un ensemble de micro-régions. (...) De plus, le marché est étroit : avec 255.000 habitants, il n’offre que peu de possibilités d’expansion à un tissu d’entreprises assez dense, même s’il s’agit de très petites entreprises. Pour la plupart d’entre elles, le marché corse constitue le seul débouché à leurs activités.

Dans ce contexte particulier, les entreprises ont conservé pour l’essentiel une structure familiale et une taille très modeste. Manquant le plus souvent d’envergure et de moyens financiers, elles sont très vulnérables à la concurrence d’entreprises continentales ou étrangères qui viennent en Corse, poussées par la crise, prendre des parts de marché pour compenser les effets de ce qu’elles ont perdu ailleurs. "

( UNE RENTABILITE INSUFFISANTE

Selon une étude réalisée par la Banque de France en Corse, la comparaison entre les entreprises corses et les entreprises du continent26 montre que la rentabilité des premières est plus faible que la moyenne nationale, ce qui apparaît à travers deux indicateurs : le taux de valeur ajoutée et le taux de marge brute. Le rapport de la valeur ajoutée sur le chiffre d’affaires s’établissait à 23 % en Corse au début de 1997 contre 29 % pour l’ensemble des entreprises en France de taille comparable et à 27 % en Corse en juin 1998 contre 33 % pour la moyenne française. La différence de six points en 1997 et en 1998 s’explique, d’une part, par la petite taille des entreprises (qui ne leur permet pas de bénéficier d’effets d’échelle et de gains de productivité) et, d’autre part, par l’insularité (coût d’achat des produits plus élevé, stockage nécessairement plus important qu’ailleurs pour se prémunir des risques de rupture voire, malgré la continuité territoriale, éventuel surcoût résiduel des transports). Le taux de marge brute (la rentabilité brute dégagée par l’entreprise rapprochée du chiffre d’affaires) s’élève à 4 % en Corse contre 4,8 % pour l’ensemble du territoire. L’écart moyen était en juin 1998 de 0,8 point, c’est-à-dire que la rentabilité brute des entreprises corses est inférieure de 16 à 17 % à celle constatée pour l’ensemble des entreprises de taille comparable.

Les difficultés de trésorerie, notamment en période de conjoncture basse, se trouvent en Corse amplifiées. Le pourcentage d’entreprises affectées d’une cotation de paiement défavorable par la Banque de France y était, en 1996, trois fois plus élevé que sur l’ensemble du territoire.

La faiblesse et la fragmentation du tissu industriel expliquent que les entreprises restent le plus souvent dans des zones géographiques bien délimitées. A titre d’exemple, il apparaît très rare qu’une entreprise de construction de Haute-Corse soit candidate, ou si elle l’est, qu’elle soit sélectionnée, pour l’obtention d’un marché public en Corse-du-Sud, et vice-et-versa. Un observateur de l’économie insulaire a noté devant la commission d’enquête que les marchés demeurent très cloisonnés, ce qui explique que la plupart des sociétés fonctionnent en circuit fermé et n’envisagent pas même d’exporter leurs productions sur le continent. Ne s’ouvrant pas ou insuffisamment aux marchés extérieurs, les entreprises corses ne peuvent se développer en dehors de l’île.

( UN SECTEUR PRIVE SOUS-CAPITALISE ET SURENDETTE

Les entreprises corses manquent de capitaux propres. Elles supportent un endettement lourd qui génère à la fois des échéances difficiles à assumer et des frais financiers venant obérer une rentabilité brute déjà trop faible. Les fonds propres comparés au total du bilan atteignaient, au début 1997, 24 % en Corse contre 34 % sur l’ensemble de la France, et en juin 1998, 20 % pour la Corse et 44 % pour l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, si pour l’ensemble de la France, l’endettement ne représente en moyenne que 75 % des fonds propres, en Corse, le taux (crédit-bail inclus) s’élève à 200 %. Cela signifie qu’en moyenne, les entreprises sont deux fois plus endettées qu’il n’est souhaitable. En effet, l’orthodoxie financière plaide pour un rapport équilibré entre le niveau de l’endettement et les fonds propres : autant de fonds propres que de recours à l’endettement. Cet endettement, difficile à résorber en période de basse conjoncture, entraîne des frais financiers importants qui pèsent sur la rentabilité de l’entreprise et handicapent donc ses possibilités futures d’autofinancement. Ayant atteint la limite de son endettement, l’entreprise ne pourra plus, même en cas de besoin, trouver les crédits nécessaires au financement d’éventuels projets.

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, le 5 février 1997, le directeur régional de la Banque de France, observait : " (...) dans la compétition actuelle et l’ouverture des marchés, certaines entreprises ne sont plus en mesure de lutter, car elles n’ont ni la taille, ni la structure financière, ni parfois les compétences nécessaires, pour réagir face à la concurrence. Dès lors, ces entreprises que l’on aide parfois abusivement, au regard des critères économiques, pèsent sur l’ensemble, alourdissent le tissu économique et exercent à l’égard des entreprises saines et viables une concurrence discutable, dans la mesure où les règles du jeu sont faussées. "

Aujourd’hui, des observateurs avertis de la vie économique de l’île considèrent que la survie de certaines entreprises n’est pas seulement une aberration économique mais crée surtout une situation pernicieuse dans la mesure où leur présence sur le marché constitue une concurrence particulièrement indue vis-à-vis des sociétés qui respectent leurs obligations.

L’effet de contagion des entreprises ne s’acquittant plus de leurs dettes, et incitant ainsi progressivement l’ensemble de leurs concurrentes à adopter le même comportement, est un phénomène à craindre. Cette situation décourage toute idée d’investissement provenant de l’extérieur ou de crédit.

Inversement, un assainissement de la situation passant par la disparition de nombreuses entreprises ne serait pas sans répercussion sur le tissu économique et social de l’île et risquerait lui aussi de l’entraîner dans une spirale dépressive. Il y a donc là un point d’équilibre difficile, mais nécessaire à trouver.

On trouvera cependant quelques motifs d’encouragement dans les propos tenus, lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, le 5 février 1997, par M. Jean Milli, déjà cité : " le bilan d’ensemble n’est pas aussi détérioré qu’on le pense. Les banques confirment que près d’une entreprises sur deux ne leur pose pas de problème. Il s’agit là d’un élément de satisfaction, alors que l’on entend souvent parler de la " faillite de la Corse ", ce qui n’est absolument pas le cas. Cinquante pour cent des entreprises, voire un peu plus, évoluent normalement. De plus, dans tous les compartiments d’activité, nous trouvons des affaires bien gérées, qui réussissent. "

( LES COLLECTIVITES LOCALES : DES PARTENAIRES SOUVENT PEU FIABLES

Nombre de collectivités locales se trouvent, elles aussi, dans une situation financière tellement dégradée qu’elles ne paraîssent guère en mesure d’entraîner un quelconque enchaînement vertueux du développement économique. Elles contribuent, au contraire, par leur comportement, à accroître la fragilité des entreprises corses.

Trop souvent, ayant contracté des charges dont elles ne peuvent s’acquitter, " les factures impayées demeurent dans leurs tiroirs ", comme l’a indiqué un témoin à la commission d’enquête. Ces factures impayées et non comptabilisées, qui se sont accumulées dans de nombreuses communes, représentent, lorsqu’elles sont mises à jour, des sommes non négligeables. Or, les dépenses des collectivités locales étant un des principaux éléments de l’économie de l’île, l’existence de ces " impayés publics " 27 ne peut qu’handicaper son développement.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr