C’est une agence dépendant de la Collectivité territoriale de Corse qui est, selon le système propre à cette région, compétente en matière d’aides au développement économique. Il s’agit de l’ADEC (agence de développement économique de la Corse)69 établie le 22 octobre 1992 lors d’une séance de l’Assemblée de Corse présidée par M. Jean-Paul de Rocca-Serra. Notons que la création de cet organisme n’était pas prévue par la loi du 13 mai 1991. Par ailleurs, l’agence, qui est dotée du statut d’EPIC70, ne jouit en fait d’aucune autonomie financière.

Aujourd’hui, c’est au Conseil exécutif de Corse que revient la responsabilité de prendre des décisions en matière d’attribution des aides71, le bureau de l’agence ne donnant qu’un avis après instruction des dossiers par ses services. Son président rapporte les différents dossiers auprès du Conseil exécutif. Mais c’est le président du Conseil exécutif qui signe les arrêtés. Selon le rapport d’activités pour 1996 de l’agence, 10 % des avis du bureau avaient fait l’objet de refus de la part du Conseil exécutif au cours de cette année. Le taux de refus apparaît particulièrement faible pour les aides gérées par le Comité régional des aides (CRA).

Interrogé par la commission d’enquête sur le rôle exact de l’agence, un témoin a considéré que : " dans le système actuel, l’Assemblée de Corse détient seule la responsabilité de décider de l’ensemble des dispositifs d’aides, y compris pour la détermination du plus petit critère. Ainsi, si l’ADEC voulait ajouter un point, préciser un élément, elle devrait repasser par l’Assemblée. L’agence ne peut donc avoir qu’une initiative marginale dans l’activité d’ensemble ". Ce sentiment doit être nuancé au regard des textes et notamment des statuts de l’ADEC qui définissent de façon étendue les tâches dévolues à l’agence.

( DES MISSIONS EN PRINCIPE TRES LARGES, DES AMBITIONS GENEREUSES, DES CREDITS IMPORTANTS

L’article 2 (titre I) des statuts de l’ADEC indique que l’agence est chargée " dans le cadre des orientations définies par la Collectivité territoriale en matière de développement industriel, artisanal, technologique et commercial :

* De l’impulsion des activités liées au développement économique de la Corse ainsi que de la coordination, de l’animation, de la mise en oeuvre et du soutien de ces activités,

*

* De faire prendre en compte les impératifs de développement économique de la Corse dans le secteur bancaire,

*

* De la réalisation d’études et de l’établissement de diagnostics concernant les secteurs et branches d’activités, les filières de production et les entreprises,

*

* Pour le compte de la Collectivité territoriale, de la gestion et de l’exécution des aides directes et indirectes aux entreprises mises en place par la Collectivité territoriale (alinéa modifié au cours d’une délibération du 19 novembre 1993 de l’Assemblée de Corse et ajoutant une référence à l’État et la Communauté européenne),

*

* Pour le compte de la Collectivité territoriale, de la gestion de toutes infrastructures d’accompagnement des activités des entreprises, notamment celles relatives aux réseaux de télécommunication, de télédiffusion et de télématique,

*

* De coordonner les mesures et de faire des propositions pour aider au développement des divers secteurs d’activités : industrie, artisanat, industrie agro-alimentaire (2 ème transformation), pêche et aquaculture, et plus généralement, l’exploitation des ressources locales par filière de production,

*

* d’aide au développement de l’intérieur dans les aspects liés aux entreprises, aux activités et aux emplois. Dans ce but, des conventions pourront être passées avec les agences et offices concernés. ".

*

Déjà importantes, les attributions de l’agence furent encore élargies par l’Assemblée de Corse72 lors de sa séance du 11 septembre 1995. Relevons également, que l’ADEC participe au capital de Corse Garantie SA (1,87 % du capital actuel de 8 millions de francs), société de caution créée par l’Assemblée de Corse et dont le président de l’ADEC assure la présidence.

Dans le système actuel, si le Conseil exécutif de Corse reste ordonnateur des dépenses, c’est l’ADEC qui doit préparer les délibérations de ce dernier pour l’individualisation des aides dans divers domaines. Les primes régionales à l’emploi (PRE) et les primes régionales à la création d’entreprise (PRCE) sont examinées par le bureau de l’ADEC (et non par le conseil d’administration). L’agence est également compétente en matière de bonification d’intérêts d’emprunt (au titre de l’aide au financement de l’activité économique et de la sauvegarde des emplois), d’aides directes aux entreprises, d’aides à la pêche et à l’aquaculture, d’aides aux entreprises et aux particuliers prévues au titre du Fonds corse pour la maîtrise de l’énergie (FCME), d’aides à l’innovation et au transfert de technologie.

Ses crédits de fonctionnement s’élèvent à 17,3 millions de francs selon le budget primitif de 1998. Mais l’agence prépare les décisions du Conseil exécutif de Corse en matière économique pour un montant prévu en 1998 de 74,4 millions de francs de crédits d’engagement, dont 48,7 millions de francs de crédits de paiement.

( UN SYSTEME DE DECISION A PLUSIEURS NIVEAUX

 La première instance de décision de l’ADEC est son conseil d’administration composé du président de l’agence73 et de 23 autres membres :

 

 12 membres désignés par l’Assemblée de Corse en son sein, dont le président de l’Assemblée (aujourd’hui M. José ROSSI)

 11 autres membres : 1 représentant des Chambres de commerce et d’industrie, 1 représentant des Chambres de métiers de Corse, 1 représentant de la CADEC, 1 représentant du comité régional des banques, 1 représentant de la caisse régionale de Crédit agricole, 1 représentant de l’Université, 1 représentant de l’agence nationale de la valorisation de la recherche (ANVAR), 1 représentant des comités de développement micro-régional, 1 représentant qualifié désigné par l’agence du tourisme de la Corse, 1 représentant désigné par le comité régional des pêches.

L’article 5 des statuts indique que les élus de l’Assemblée de Corse sont désignés par ladite Assemblée lors de chaque renouvellement. Les autres membres sont désignés pour une durée de 3 ans. Le mandat des membres sortants peut être renouvelé. Aux termes de l’article 6, le préfet de Corse, ou son représentant, assiste de plein droit aux réunions du conseil d’administration (mais pas à celles du bureau). Assistent également aux réunions du conseil d’administration, avec voix consultative, le directeur de la Banque de France, le trésorier-payeur général, le directeur régional de l’INSEE, le directeur de l’agence et l’agent comptable. Le conseil d’administration se réunit au moins quatre fois par an, sur convocation de son président, qui fixe l’ordre du jour74.

Un témoin au fait de cette question a estimé devant la commission d’enquête que " le bon fonctionnement de l’ADEC dépendait largement de son dirigeant et (que) la présence des socio-professionnels donnait un éclairage précieux aux travaux de l’agence, ce d’autant plus que les personnes concernées étaient toutes d’un bon niveau et que les membres du conseil d’administration devaient être engagés dans une réflexion collective. "

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse le 19 mars 1997, M. Paul Patriarche, alors président de l’ADEC, déclarait : " Le statut de cette agence présente un aspect positif et un aspect négatif. Il est positif dans la mesure où elle associe des acteurs économiques autres que les élus, sans pour autant que les élus soient minoritaires. Je rappelle que sont réunis les Chambres de commerce, de métiers, le représentant de la place bancaire, le trésorier-payeur général, l’ANVAR. C’est intéressant, car cela nous permet d’avoir l’avis de personnes placées au coeur des problèmes économiques.

Ce statut est négatif, selon certains, car ce ne sont pas les élus de l’Assemblée de Corse qui décident ; mais cela, c’est valable pour l’ensemble des institutions de l’île puisque la loi de 1991 donne à l’Exécutif le pouvoir d’individualisation.

L’aspect positif pour l’agence est que tous les groupes de l’Assemblée sont informés de tous les dossiers. Au moins, ils ne sont pas court-circuités. "

Le bureau de 13 membres est composé majoritairement d’élus. Aux termes de l’article 11, il est désigné par le conseil d’administration en son sein ; il comprend, outre son président, sept des douze élus de l’Assemblée de Corse et cinq membres parmi les onze autres dont obligatoirement le représentant de la CADEC. Le bureau, qui assiste le président dans la gestion de l’agence, se réunit au moins 6 fois par an. Lors des réunions consacrées aux dossiers d’individualisation des aides, il associe à ses travaux le représentant de la Banque de France et le trésorier payeur général avec voix consultative.

Notons, enfin, que les services de l’ADEC sont organisés autour d’un directeur chargé de la préparation des états annuels des prévisions de recettes et de dépenses et des rapports annuels75.

Il apparaît que l’agence représente un maillon essentiel de mise en oeuvre du budget de l’action économique de la Collectivité territoriale de Corse. Celui-ci était ainsi réparti en 1997 :

Au-delà du mécanisme institutionnel et des chiffres, la commission d’enquête s’est intéressée aux résultats effectifs obtenus par l’agence dans l’exercice de ses missions au service du développement de l’île. Les développements qui suivent permettent de donner aux lecteurs une idée des différents types d’aide.

( LE BILAN NUANCE DES ACTIVITES RECENTES DE L’ADEC

 En matière d’aides directes aux entreprises

Dans son rapport d’activité pour 1996, l’ADEC notait avoir traité 150 dossiers d’aides directes aux entreprises, dossiers qui furent présentés lors de huit réunions du bureau76. 116 dossiers reçurent un avis favorable, 19 demandes furent rejetées, 15 ajournées (demandes de renseignements complémentaires). 10 dossiers restants furent instruits en 1997. Un montant de 25,8 millions de francs fut réparti en 13,8 millions de francs pour les primes régionales à la création d’entreprise (PRCE) et en 12 millions de francs pour les primes régionales à l’emploi (PRE).

Selon un document fourni en juillet 1998 à la commission d’enquête par l’ADEC, il est indiqué que, sur les 286 emplois initialement prévus en 1996, 176,5 ont été créés, soit 61,7 % des emplois prévus. 29 entreprises n’auraient créé qu’un emploi, 20 auraient créé 2 emplois, 18 entre 3 et 5 emplois, 2 entre 7 et 10 emplois et une entreprise aurait créé 19 emplois.

Plus loin : " Le service des aides à la création d’entreprise et d’emplois s’attache également depuis plus d’un an, à contrôler les entreprises primées ; une procédure a été établie et implique un contrôle des bilans des sociétés primées ainsi qu’une visite dans les entreprises qui n’ont apparemment pas réalisé la totalité de leur programme d’investissement. Ceci est réalisé dans le but, d’une part, de contrôler que les investissements et embauches ont été effectivement réalisés et maintenus pendant trois ans dans l’entreprise (Cf. règlement des aides), et, d’autre part, d’évaluer l’efficacité de cette mesure. "

D’après le rapport d’activité pour 1997, au cours de cette année, 75 dossiers ont été examinés par le bureau de l’agence. 12 (soit 16 %) ont été rejetés et 63 (soit 84 %) ont reçu un avis favorable. Un décalage apparaît entre le nombre de dossiers présentés en bureau de l’ADEC et celui des dossiers examinés en Conseil exécutif de Corse. En 1997, 90 rapports furent présentés en Conseil exécutif, qui notifia 76 décisions favorables et 14 rejets. Le montant total des affectations pour 1997 s’est élevé à presque 18 millions de francs, soit 10,4 millions de francs de primes régionales pour la création d’entreprises (PRCE) et 7,4 millions de primes à la création d’emplois (PRE).

Selon les informations fournies par l’ADEC, il apparaît que les porteurs de projets attendent de plus en plus fréquemment de recevoir l’arrêté attributif de subvention pour démarrer leur opération. Le décalage entre l’attribution de la subvention et son paiement effectif, qui a toujours existé, semble s’accroître en quantité (nombre de dossiers) et en temps (délais toujours plus longs). A titre d’exemple, sur les 76 dossiers ayant reçu un avis favorable en 1997, 5 entreprises perçurent au cours de cette année l’intégralité de leur prime (soit 6,6 % du total) et une vingtaine de dossiers (26,3 %) furent partiellement mandatés. Près de 46 % des entreprises primées en 1997 se situaient en zone dite " difficile ", 28 % en zone intermédiaire et 26 % en zone urbaine. Dans son rapport pour 1997, l’ADEC note que la tendance des années précédentes est très nettement inversée et que la politique d’incitation financière de la Collectivité territoriale de Corse porte de plus en plus sur le développement et la revitalisation de l’intérieur de l’île.

24 % des entreprises primées en 1997 faisaient partie du secteur BTP. Parmi ces sociétés, 41 % sont situées en zone dite " difficile ". 30,5 % des entreprises aidées peuvent être regroupées sous le terme générique de " production et transformation des matières premières " (et portent sur des activités variées telles que la ferronnerie, l’agro-alimentaire, la menuiserie-ébénisterie, l’imprimerie). 15,5 % des sociétés primées en 1997 sont des auberges, des bars-restaurants, des commerces ou des entreprises de loisirs en zone difficile. Seules 3 % des entreprises primées en 1997 avaient une activité de télétravail.

Dans un document fourni à la commission par l’ADEC, il est indiqué que, sur un nombre d’emplois prévus de 105, 30 avaient été créés en juillet 1998, soit 28,5 % des emplois prévus. 12 entreprises n’auraient créé qu’un emploi, 5 auraient créé 2 emplois, une entreprise aurait créé 3 emplois et une autre 5 emplois.

 En matière de bonification d’intérêts d’emprunts

Le secteur des bonifications a connu une décrue en 1996 : les demandes de dossiers sont passées de 146 en 1995 à 46 en 1996. Dans le même temps, le nombre de dossiers traités est tombé de 115 en 1995 à 61 en 1996. Selon l’ADEC, ceci est dû au fait que cette aide s’oriente, après la période 1994 / 1995 consacrée à la restructuration des entreprises en difficulté, vers une intervention sur des prêts bancaires destinés à financer des investissements. Or la demande de prêts d’investissement est restée très faible en 1996.

Dans son rapport d’activité pour 1997, l’ADEC note : "Le nombre de demandes d’allégements financiers formulées au cours de l’année 1997 (...) est surprenant car inférieur de 30 % à celui de l’année précédente, laquelle concernait également des prêts de restructuration financière. Ceci est significatif d’une volonté d’investir ou, pour le moins, d’un besoin de renouvellement de matériel.

En ce qui concerne l’instruction des dossiers, et considérant que la mesure d’aide au financement de l’activité économique est la seule qui soit aujourd’hui active, c’est-à-dire susceptible d’être sollicitée, elle a suivi une évolution parallèle, passant de 56 à 34 dossiers. C’est à peu près le rythme d’activité que l’on devrait retrouver les prochaines années, sauf modifications touchant aux règles d’éligibilité ou nouvelle mesure spécifique prenant en compte les charges financières des entreprises. (...)

On retiendra donc, après l’exercice 1997, que le rythme d’instruction annuelle des dossiers de bonification devrait se situer dans l’avenir entre 30 et 40, et que la consommation, passée l’année 1998 qui supportera encore 2 millions de francs d’attributions exceptionnelles, devrait diminuer régulièrement les années suivantes. "

 Les aides à l’insertion par l’activité économique

Cofinancé par l’État, la Collectivité territoriale de Corse et l’Union européenne, le programme d’insertion par l’activité économique comprend trois mesures prévues dans le contrat de plan : l’aide à la création d’emplois permanents, la subvention annuelle aux postes d’insertion et l’aide aux études de faisabilité. Huit dossiers furent examinés dans ce cadre en comité régional des aides en 1997. Les demandes portaient sur la création de 3,5 emplois permanents et sur le renouvellement de conventionnement donc de la subvention annuelle accordée pour 35 postes d’insertion, pour un montant total de 910.888 francs. Neuf dossiers 77 furent présentés au Conseil exécutif de Corse en 1997, pour un montant d’affectations de 950.888 francs.

 Les aides à la pêche et aux cultures marines

Le secteur de la pêche et des cultures marines fait partie des domaines d’intervention de la Collectivité territoriale de Corse contractualisés par l’État au titre du contrat de plan et soutenus par l’Union européenne dans le cadre du Docup. En 1997, les services de l’ADEC ont ainsi traité 114 demandes présentées tant par des entreprises privées, dans le cadre de la modernisation de la flottille et de l’aquaculture, que par des maîtres d’ouvrages publics (des gestionnaires de ports, des communes et des départements), dans le domaine des investissements à terre dans les ports de pêche. Sur ces 114 demandes instruites, seules 16 furent rejetées.

L’ensemble des dossiers présentés donna lieu à un montant total de subventions attribuées par la Collectivité territoriale de Corse de plus de 13 millions de francs se décomposant en 11,5 millions d’aides accordées au titre de l’investissement et 1,6 million au titre du fonctionnement. Près de la moitié des aides attribuées au titre de l’investissement concernait des opérations de modernisation de la flotille.

En 1997, 10 navires de pêche ont été construits, 14 transactions de navires d’occasion ont été effectuées, 38 navires ont subi des transformations et des équipements divers et 22 opérations d’équipement à terre de matériels destinés à la conservation, au transport et à la commercialisation des produits ont été engagées. Selon l’ADEC, l’action de la CTC a permis au cours des quinze dernières années la modernisation de 60 % de la flotte78. Un témoin a avancé devant la commission d’enquête une autre interprétation plus politique, voire clientéliste de cette activité : " quand je lis les documents administratifs, je vois que dans l’année qui précède les élections législatives, on a distribué dans la circonscription de Haute-Corse 29,8 millions de francs. Pour 50.000 électeurs, 29,8 millions. Si vous voulez regarder comment cela a été réparti, j’ai les documents. (...) Je vais vous expliquer comment fonctionne le mécanisme, comment il fonctionne toujours du reste.(...) Vous voyez chaque fois... les bateaux. (...) Construction d’un navire de pêche, 143.000 francs, construction d’un navire de pêche, 98.000 francs, construction d’un navire de pêche, 755.000 francs, achat d’un navire de pêche, 755.000, achat d’un navire d’occasion, 22.500 francs, transformation d’un navire 227.000 francs, etc. "

La commission d’enquête, qui a pris note de ces éléments troublants, ne saurait cependant confirmer ou infirmer l’argument selon lequel ces actions auraient pu avoir une influence directe sur le résultat d’une élection. Elle se borne ici à rapporter une appréciation qui a été portée devant elle.

L’année 1997 permit également à l’ADEC de soutenir la filière aquacole, aujourd’hui en pleine voie de restructuration après des années difficiles (de 1991 à 1995 notamment). L’agence prévoit d’ailleurs que la production aquacole insulaire devrait pouvoir atteindre les 1.800 à 2.000 tonnes à l’horizon 2000.

 Les aides à l’économie et à la maîtrise des énergies renouvelables

La collaboration technique, administrative et financière de l’ADEME (agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et de la Collectivité territoriale de Corse à travers l’ADEC a permis en 1997 la réalisation de 247 opérations (160 en Haute-Corse et 87 en Corse-du-Sud) comprenant des projets d’installation de systèmes de production d’eau chaude solaire dans le secteur du tourisme (47 dossiers), des installations de systèmes photovoltaïques en sites isolés, et 15 projets de planchers solaires directs chez les particuliers.

Par ailleurs, la Collectivité territoriale assure, avec l’ADEME, la promotion du chauffage central à eau chaude chez les particuliers ainsi que l’installation de chauffe-eau solaires individuels. D’après les chiffres fournis par l’ADEC, l’année 1997 a permis d’en installer 160 (124 chauffages et 38 chauffe-eau) dans des habitations de particuliers. Depuis le lancement de cette mesure, il y a dix ans, pas moins de 2.000 installations ont ainsi été réalisées. Le montant total des financements attribués par la Collectivité territoriale de Corse au titre des dossiers co-instruits par l’agence et l’ADEME dans le cadre du fonds corse pour la maîtrise de l’énergie, s’élève à environ 4,2 millions de francs.

La commission d’enquête porte sur cette dernière action en particulier un jugement relativement sévère, développé plus loin.

 De multiples actions complémentaires

L’agence participe au soutien aux activités d’innovation et de transfert de technologie. Son action dans ce domaine prend différentes formes allant du soutien à des organismes oeuvrant en faveur de l’innovation et du transfert de technologie à l’octroi d’aides directes aux entreprises. L’ADEC intervient dans le domaine de l’animation économique, la plupart du temps en partenariat avec d’autres organismes associés, et souvent dans le cadre du contrat de plan ou de programmes européens. Par exemple, elle a participé à la création d’un serveur dédié aux entreprises locales sur Internet. Elle a également travaillé à la conception d’un projet, celui d’un institut de participation destiné à pallier la carence actuelle de la CADEC.

L’agence a également une fonction d’étude. Ainsi, en 1996, elle a conduit une étude sur le marché de l’eau en bouteille. Elle a cherché à évaluer, pour le compte de la Collectivité territoriale, le surcoût lié à la localisation à Serra-di-Fiumorbo de la future centrale au gaz d’EDF. L’agence a fait également réaliser par des cabinets privés certaines estimations demandées par la Collectivité territoriale, par exemple une étude sur les besoins en recherche et transfert de technologie qui a été confiée au cabinet ID SCOPE.

( LES CARENCES DU SYSTEME ADEC

( L’absence de sélectivité dans l’attribution des aides et de prospective économique en amont

Certains témoins ont considéré devant la commission d’enquête que l’agence ne devrait pas consacrer 90 % de ses activités à l’instruction des dossiers, mais plutôt développer en amont une action de prospective et d’analyse des divers secteurs de l’économie insulaire. Le public concerné par les aides se caractérise par sa variété, sa diversité en taille, en nature et en activités. Il manque des critères pour l’attribution des subventions et aides qui permettraient de prendre des décisions traduisant une véritable politique économique. Un responsable de l’ADEC interrogé par la commission d’enquête l’a lui-même reconnu : " le système n’est pas bon " ; selon ce responsable, l’utilité de l’agence elle-même serait " discutable " dans la mesure où elle ne s’est à ce jour concentrée que sur la distribution des aides. Selon lui, " un service de la région aurait pu faire la même chose ".

Un rapport de l’Inspection générale des finances faisait, dès 1994, un diagnostic sévère en ce qui concerne notamment l’absence de sélectivité dans l’octroi des aides économiques en Corse. On peut s’interroger aujourd’hui sur les suites données à ce rapport. A l’heure actuelle, de nombreux acteurs économiques corses se plaignent de la faiblesse de l’aide apportée par l’ADEC et de ce qu’elle finance des projets plus ou moins intéressants, sous la pression des demandes, sans pouvoir déterminer à l’avance le type d’opérations qu’elle cherche à promouvoir.

La commission considère qu’il convient à présent que l’ADEC quitte " l’indifférencié " et soit capable de sélectionner trois ou quatre axes forts, de focaliser son attention et ses efforts, en termes d’emplois, sur des secteurs précis, de réaliser une analyse des débouchés et de filières, afin de ne pas se disperser. Il convient 1°) de déterminer les secteurs économiques porteurs, 2°) de définir les besoins, 3°) de faire un choix sur les produits en dernier lieu.

( Le phénomène de " saupoudrage " et les risques de clientélisme

La commission d’enquête s’est interrogée sur les risques de saupoudrage et de clientélisme résultant du système actuel.

Cet aspect avait déjà été évoqué par la mission d’information sur la Corse lorsqu’elle avait auditionné le 19 mars 1997 le président de l’ADEC, à l’époque M. Paul Patriarche, lequel avait répondu : " Il y a eu des habitudes anciennes, même au niveau des conseillers généraux - je suis conseiller général moi-même. Avant, on faisait même des demandes verbales. On se croisait dans les couloirs et on demandait une subvention, pour ceci ou cela. Le système a été long à se mettre en place. "

Plus récemment, la commission a reçu un témoignage affirmant la persistance de ce phénomène et a interrogé les responsables de l’agence. Selon eux, il n’existe pas a priori de répartition géographique des aides. Le nombre de dossiers apparaît plus important pour la Corse-du-Sud que pour la Haute-Corse en ce qui concerne les aides directes. En revanche, les demandes de bonifications des intérêts d’emprunts ont été plus nombreuses en Haute-Corse. Les aides à la pêche semblent bien réparties entre les deux départements. Les services de l’ADEC ne raisonnent pas en fonction des départements, mais en fonction d’une classification entre zones urbaines, zones rurales de moins de 200 habitants et zones intermédiaires.

Mais l’ADEC ne s’adresse pas qu’aux entreprises. La commission d’enquête s’est à cet égard penchée sur la pratique qui consiste à financer des installations de chauffage de simples particuliers (primes de 5.000 francs pour l’installation d’un chauffage central à eau chaude et de 4.000 francs pour l’installation d’un chauffe-eau solaire). Cette politique entre-t-elle dans la sphère du développement de l’économie insulaire ? N’y a-t-il pas en ce domaine un risque d’orienter les aides économiques vers des besoins individuels sans doute légitimes, mais qui ne sont pas du ressort d’une agence telle que l’ADEC ?

A ces questions, la commission a entendu les réponses suivantes :

 " Ces primes ont fait l’objet d’accusations (...). En fait, il s’agit de promouvoir le gaz en Corse. Le fonds chargé de la maîtrise de l’énergie en Corse, le FCME, a 15 ans d’existence et fonctionne efficacement. Il apparaît opportun d’augmenter le chauffage par le gaz et non par l’électricité, car EDF enregistre des déficits importants sur la région de la Corse. "(...)

 " Si ces aides ont sans doute eu une utilité dans le passé, elles ne sont peut-être plus nécessaires aujourd’hui. Il faut déplorer le " saupoudrage " avec des petites sommes au bénéfice des particuliers. L’ADEME avait sans doute une action à promouvoir ; elle a trouvé l’ADEC pour ce faire, mais on n’était pas obligé de le faire ".(...)

 " Je démens le sentiment selon lequel ces aides avaient un objet clientéliste. Les personnes demandant une aide dans ce cadre n’étaient nullement connues des responsables de l’ADEC. Le dispositif a été longtemps piloté par l’ADEME au plan technique. Toutefois un ingénieur a été recruté récemment par l’ADEC. "(...)

( Des délais importants dans le traitement des dossiers

Selon les responsables de l’ADEC eux-mêmes, le parcours moyen d’un dossier d’octroi d’une aide s’étale sur une période d’un an entre le dépôt d’intention de demande et le mandatement des fonds correspondants. Certes, de nombreux délais s’expliquent par le fait que l’ADEC est tributaire de partenariats divers qui alourdissent la procédure. Il faut distinguer les aides directes dépendant de l’ADEC et de la Collectivité territoriale et celles qui se rattachent au contrat de plan et au Docup.

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, en mars 1997, Mme Marie-Hélène Bianchi, directeur de l’ADEC, expliquait : " Les délais d’attribution des subventions sont très variables. Pour les aides cofinancées par l’État, les délais sont plus longs puisque les dossiers (...) sont co-instruits par l’État et par nous-mêmes avant d’être examinés par un comité régional des aides qui se réunit tous les deux ou trois mois. Puis, ils sont traités à nouveau séparément par le préfet, qui va prendre un arrêté, et par la Collectivité territoriale, le dossier étant soumis au Conseil exécutif pour que son président décide l’attribution d’une subvention. Dans ce cas, les délais peuvent parfois atteindre un an. Cela peut arriver pour les affaires les plus longues.

En ce qui concerne les aides que nous gérons directement, à certaines périodes, nous avons pu arriver à des délais de huit mois parce que nous avons été submergés par les demandes. Nous avons même été contraints de recruter du personnel supplémentaire sur une durée déterminée pour faire face au stock des dossiers. " - " et à deux attentats en un an ! " ajoutait le président Paul Patriarche - " et ne parlons pas des grèves ! " poursuivait Mme Marie-Hélène Bianchi.

( Le manque de moyens de contrôle

Lors de la visite de la commission d’enquête à l’ADEC en mai 1998, les responsables de l’agence ont relevé que cinq nouveaux postes étaient prévus pour l’année 1998, mais tous n’étaient pas encore pourvus. Ce supplément de personnel devrait permettre d’effectuer des contrôles sur place plus efficaces et réguliers. Les services travaillent à partir de fiches établies sous logiciel Excel, mais ils ne disposent pas d’une base de données sur les entreprises de l’île.

Selon les déclarations qu’a pu recueillir la commission d’enquête, " au point de départ, l’ADEC avait souhaité s’appuyer sur la base informatique de la Collectivité territoriale afin de travailler en harmonie avec elle, mais malheureusement, la coopération n’a pas fonctionné et deux ans ont été perdus. "

L’agence ne possède pas d’outils d’évaluation à proprement parler. Il a été fait état, devant la commission , de cas où des aides, sans faire l’objet de véritables détournements, avaient été utilisées de manière abusive notamment dans le secteur des BTP : les aides reposent par exemple sur des créations d’entreprises, alors qu’en réalité, il s’agit davantage de reprises d’anciennes entreprises sous d’autres formes.

En tout état de cause, l’ADEC a indiqué ne jamais verser d’acomptes aux entreprises.

En 1995, l’ADEC a demandé que les aides à la création d’entreprises soient restreintes et mieux définies. Cette proposition fut rejetée à l’unanimité par l’ensemble des groupes de l’Assemblée de Corse. L’année suivante, l’agence nota que l’absence de délimitation de cette mesure avait créé un effet d’aubaine pour de nombreux entrepreneurs et avait coûté 10 millions de francs.

La commission d’enquête a demandé aux responsables de l’ADEC de lui décrire les modalités de suivi des aides attribuées. Pour les aides dépendant du contrat de plan, les services de l’État sont chargés de faire des vérifications sur pièces et sur place, l’agence ne faisant que des contrôles sur pièces ; c’est-à-dire que pour que le dossier soit complet, l’agence demande des contrats de travail, des fiches de paie, des justificatifs de banques, etc. Pour les dossiers de bonifications, elle vérifie que l’entreprise a bien payé les échéances de la banque. Pour les aides à la création d’emploi, elle réclame des attestations de la direction régionale du travail ; la validité de l’aide est conditionnée au maintien de l’emploi dans l’entreprise pendant trois ans au minimum. Pour les aides à l’investissement, des permis de construire peuvent être demandés. De surcroît, les bilans des entreprises bénéficiaires sont contrôlés afin de vérifier que les investissements et les emplois nouveaux sont bien comptabilisés. Les avis donnés par le bureau de l’ADEC en matière d’individualisation des aides servent à évaluer la pérennité de l’entreprise. Pour les demandes de bonifications, un entretien avec le chef d’entreprise est obligatoire. Les services de l’État sont alertés : ils fournissent à l’agence des renseignements sur les antécédents des demandeurs de projets.

Si des anomalies sont relevées, un contrôle sur place est diligenté. En cas de détournements, des procédures de reversement sont lancées ; elles sont suivies par le service des affaires juridiques de la Collectivité territoriale de Corse, en collaboration avec le payeur régional. Cependant, de l’aveu même des responsables de l’agence, les contrôles restent très difficiles à mettre en oeuvre. Par ailleurs, nombre d’entreprises obtiennent une décision de principe leur octroyant une aide, mais ensuite ne la demandent pas, sans doute parce qu’elles n’arrivent pas à faire aboutir leur projet.

Selon le rapport d’activité de l’ADEC pour 1996, les contrôles des aides directes aux entreprises ont fait apparaître pour cette année que :

( 64 % des entreprises primées (29) étaient en situation régulière au vu du règlement.

( 20 % (soit 9 entreprises) présentaient des irrégularités : licenciement du personnel embauché, radiation des entreprises, voire entreprises n’ayant jamais existé !

Il est clair qu’un des principaux obstacles rencontrés par l’ADEC pour exercer ses missions tient à la faiblesse du tissu économique insulaire, à sa dispersion et à la difficulté pour les entreprises corses de franchir les seuils décisifs qui leur permettraient de se développer et de s’ouvrir vers les marchés extérieurs. Mais n’est-ce pas précisément cette situation qui justifie l’existence de l’ADEC ?


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr