La loi du 13 mai 1991 portant statut particulier de la Collectivité territoriale de Corse a prévu dans son article 66 : " Sous la forme d’un établissement public de la Collectivité territoriale de Corse à caractère industriel et commercial, l’office d’équipement hydraulique de Corse a pour mission, dans le cadre des orientations définies par la Collectivité territoriale de Corse, l’aménagement et la gestion de l’ensemble des ressources hydrauliques de la Corse. " L’OEHC " assure en liaison avec l’office du développement agricole et rural les actions d’accompagnement liées à la mise en valeur des terres irriguées. "

L’OEHC, qui a remplacé la SOMIVAC créée en 1957 dans le cadre des plans d’action régionaux156, gère l’eau agricole, mais également l’eau destinée aux collectivités et l’eau non potable des particuliers. Il s’attache surtout aux ressources hydrauliques, au stockage et au transfert d’eau (eau brute hors traitement) et apporte également un appoint à la plupart des collectivités, par exemple Bastia lors des années de sécheresse. Les utilisateurs principaux, c’est-à-dire les clients, de l’office sont les agriculteurs à titre individuel. Pour l’essentiel de la desserte, l’eau est apportée directement au niveau de chaque parcelle. L’office a donc essentiellement un rôle de distribution de l’eau et de partenaire des agriculteurs pour assurer l’irrigation des terres.

Le volume d’eau fourni à l’agriculture représente les 3/4 des 32 millions de mètres-cubes d’eau brute délivrée chaque année. L’OEHC délivre directement 4 millions de mètres-cubes d’eau potable. Les agglomérations consomment aujourd’hui environ 30 millions de mètres-cubes sur l’ensemble de la Corse. L’office irrigue effectivement environ 10.000 hectares sur une surface couverte par l’irrigation de l’ordre de 15.000 hectares.

( UN PRIX DE VENTE DE L’EAU TOUJOURS A LA BAISSE, DES TARIFS NETTEMENT INSUFFISANTS

Dans un rapport d’audit sur l’OEHC de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’agriculture datant de janvier 1994, les tarifs de vente d’eau faisaient déjà l’objet de critiques. Les principes de tarification étaient jugés inadaptés et les tarifs trop minorés pour permettre une gestion saine de l’établissement.

Ainsi, l’eau est vendue, ou du moins facturée, à un prix défini au mètre-cube d’eau. Les bornes sont équipées de compteurs. Le prix se situait en 1997 autour de 40 centimes le mètre-cube. Ce prix est réduit par une participation exceptionnelle de la Collectivité territoriale de Corse, qui a accepté, dans le cadre de l’aide à l’agriculture corse, de prendre en charge 50 % de la facture. Le mètre-cube d’eau revient donc alors à 20 centimes pour l’agriculteur, cette division par deux restant subordonnée à l’acceptation d’un plan de règlement.

En moyenne, d’après les informations fournies par l’OEHC à la commission d’enquête, les exploitations de dimension courante consommant 3.000 mètres-cubes par hectare et par an supportent un coût au mètre-cube de 30 centimes, 30 autres centimes étant pris en charge par le budget de la Collectivité territoriale de Corse.

Le prix de revient du mètre-cube d’eau agricole se situait en 1997 autour de 1,20 franc, c’est-à-dire que l’agriculteur payait, avant l’intervention de la Collectivité territoriale, l’eau au tiers de son prix de revient.

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, le 26 février 1997, M. Claude Rocca-Serra, directeur de l’office, notait : " Il y a donc aujourd’hui de la part de ceux qui vendent de l’eau agricole, une vente à perte ".

( LA SOLLICITUDE DE L’ASSEMBLEE DE CORSE

Dès avant octobre 1995, le prix du mètre-cube, qui s’élevait alors à 60 centimes, était l’un des plus bas pratiqués en France et correspondait à 50 % du prix de revient réel. Cependant, les principales organisations agricoles devaient bientôt refuser ce tarif en raison du coût à l’hectare (1.500 à 2.000 francs) jugé trop important. Saisie du problème, l’Assemblée de Corse décida de prendre en charge la moitié des factures d’eau à partir de 1996, ramenant ainsi le mètre-cube à 30 centimes et le prix de l’irrigation entre 700 et 1.000 francs par hectare.

Dans une lettre adressée à tous les agriculteurs corses le 27 novembre 1995, l’office hydraulique expliquait : " Consciente des difficultés que traverse la profession agricole, l’Assemblée de Corse, dans sa séance du 30 octobre 1995, s’est prononcée en faveur d’une aide à l’agriculture par un allégement à hauteur de 50 % de la facture d’eau d’irrigation, l’essentiel de l’allégement portant sur la redevance fixe. Cette aide est néanmoins subordonnée à la mise en place préalable d’un plan de règlement de votre dette.157 "

Tout agriculteur n’entrant pas dans ce dispositif devait en principe voir sa facture rétablie à 100 %.

( LA CREANCE GENERALE

La créance générale pour l’eau brute, mais également pour l’eau potable, est très importante. L’office détient des créances conséquentes sur les collectivités locales comme sur les particuliers. La dette totale, qui concerne près de 1.400 agriculteurs, s’élève aujourd’hui à 56,7 millions de francs. 300 de ces 1400 agriculteurs ont une dette relativement récente. Ils pourraient plus facilement rejoindre les bons payeurs à plus ou moins long terme.

En 1996, 115 agriculteurs devaient plus de 100.000 francs.

32 devaient plus de 200.000 francs et

5 devaient plus de 400.000 francs.

20 % des créances avaient une ancienneté supérieure ou égale à quatre ans.

Aujourd’hui, compte tenu des mesures adoptées par l’Assemblée de Corse en faveur des agriculteurs et de la mise en place des plans d’étalement de la dette, la situation s’est quelque peu améliorée. Sur le montant global de la dette arrêtée au 31 décembre 1995 (soit 55 millions de francs), 4.018.809 francs avaient été réglés au 30 juin 1998. Cette somme correspond, pour 1,8 million (1.830.432 francs, soit 38 %), au paiement de l’annuité 1997, pour 1,2 million (1.259.823 francs) aux paiements par anticipation des échéances ultérieures à 1997, et pour 928.554 francs aux comptes soldés (règlement de la totalité de la dette).

Il convient de préciser que la première année du plan d’étalement a été décalée de 1996 à 1997 par le conseil d’administration du 29 juin 1996, sur proposition de Michel Valentini, alors président de la Chambre régionale d’agriculture.

L’envoi de la première facture d’eau a eut lieu le 14 avril 1997. Le premier rappel date du 21 juillet 1997, le deuxième du 5 novembre 1997.

Selon les informations fournies à la commission d’enquête par l’office hydraulique, la créance des collectivités locales a fortement diminué au fil des ans pour atteindre actuellement une stabilisation traduisant la mise en place de mesures volontaristes de l’OEHC. La créance agricole a nettement augmenté au cours des dernières années, mais connaît une légère décrue à la faveur des procédures récemment engagées. La créance en eau brute non agricole est, quant à elle, relativement stable.

( Analyse des dix plus gros dossiers d’impayés

La commission d’enquête a noté que c’est une commune, celle de Calvi, qui détient le record de la dette à l’OEHC.

Comme le tableau ci-dessous l’indique, parmi les dix plus gros débiteurs, figurent sept communes (Albitreccia, Pietrosella, Grosseto Prugna, Calenzana, Calavi, Montegrosso, le port de Macinaggio), un syndicat de communes (Sivom du Giunsani), un institut consulaire (la Chambre de commerce de Haute-Corse) et un lycée agricole (celui de Sartène). Par ordre d’importance, les dettes les plus significatives sont détenues par la commune de Calvi (4.013.421 francs au 30 juin 1998), la commune de Grosseto Prugna (1.141.869 francs). Trois débiteurs ont une dette comprise entre 300.000 et 500.000 francs (le Sivom du Giunsani avec 449.714 francs, la commune de Montegrosso avec 325.747 francs, puis le port de Macinaggio avec 320.000 francs). Au total, ces dix dossiers représentent plus de 6,8 millions de francs.

Il est regrettable que des collectivités publiques s’illustrent de cette manière dans la pratique du non-paiement des factures.

( UNE POLITIQUE DE RECOUVREMENT PLUS STRICTE ET PLUS VOLONTAIRE

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse le 26 février 1997, M. Claude Rocca-Serra, directeur de l’office, s’était prononcé contre un quelconque effacement de la dette et avait plaidé pour des plans d’étalement de la dette sur une période relativement longue. Il décrivit le système ainsi : " Le principe consiste pour quelqu’un qui a cinq ans d’impayés, à étaler sa dette sur dix ans, tout en l’obligeant à rembourser jusqu’au dernier centime. La contrepartie de la souscription d’un plan de règlement et de son respect est la participation de la Collectivité territoriale à hauteur de 50 % de la facture ".

Après l’adoption du dispositif d’étalement de la dette et de la prise en charge de 50 % des factures courantes par la Collectivité territoriale de Corse, les premières mises en demeure ont été adressées au mois de mai 1998 aux agriculteurs qui n’étaient pas à jour du paiement. Un mois et demi plus tard, à la fin du mois de juin 1998, une légère amélioration du rythme de paiement pouvait être constatée.

Pour la première fois depuis une dizaine d’années, le montant des encaissements dans le courant de l’année 1997 a été supérieur au montant des factures émises sur la période. Pour 1998, sur la base actuelle des encaissements constatés au 30 juin 1998, la tendance des encaissements est à la hausse (+ 18 % par rapport à 1997). Si cette tendance se confirme au cours du deuxième semestre 1998, la régression globale des créances de l’établissement pourrait être très sensible.

Dans un courrier adressé à la commission d’enquête, M. Jérôme Polvérini, président de l’office, explique que, depuis qu’il a pris la tête de l’OEHC, il a tenté de lancer des mises en demeure à l’égard des agriculteurs débiteurs auxquels aucun commandement de payer n’avait été adressé depuis la délibération de l’Assemblée de Corse du 30 octobre 1995. Dans sa lettre à la commission d’enquête, M. Polvérini indique : " Selon ce qui m’a été dit, l’étirement du calendrier et le refus d’adresser les commandements de payer aux agriculteurs ont été motivés par la situation agricole critique de l’île.

J’ai donc dû assumer, dès après le renouvellement de mars 1998, la tâche ingrate d’adresser massivement au mois de mai des commandements bien tardifs puisqu’afférents à une situation théoriquement remise à zéro deux ans et demi auparavant. "

Le président de l’OEHC note qu’il a, pour sa part, choisi de " repousser poliment toutes les interventions visant à " différer " le recouvrement de certaines créances. " Il ajoute avoir annoncé en conseil d’administration du 2 juin 1998 qu’il se refusait par avance à peser dans ce sens auprès du directeur de l’office, au motif qu’une telle action relèverait soit de la concussion, le défaut de perception étant assimilé à une exonération fiscale (ou une livraison gratuite de produits) et lésant les intérêts de l’établissement, soit du détournement de biens.

Notons, enfin, que la coupure d’eau est une mesure envisagée par l’OEHC à l’encontre d’exploitations agricoles fortement débitrices. Mais une telle solution conduit bien souvent à condamner l’exploitation. Il semble que des mesures de coupure d’eau à l’encontre des très nombreuses exploitations accusant des dettes importantes s’avéreraient ingérables aujourd’hui, après des années de laxisme généralisé.

( La redécouverte tardive de la délibération de l’Assemblée de Corse du 30 novembre 1993

Le nouveau président de l’office s’est récemment attaché à appliquer à l’égard des collectivités et autres personnes morales une délibération de l’Assemblée de Corse en date du 30 novembre 1993 qui prescrit la suspension de toute aide de la Collectivité territoriale à l’égard des personnes morales qui ne s’acquittent pas de leurs dettes auprès d’elle ou auprès d’une de ses structures rattachées, comme l’OEHC.

Dans sa lettre à la commission d’enquête, M. Polvérini signale : " Pour l’office, il en a été fait application pour la première fois les 24 juin et 1er juillet 1998 à l’égard du Golf de Spérone et de la commune de Calvi, en dépit de bien des contraintes de convenance ou d’amitié qui pouvaient s’y opposer. "

Extrait de la lettre adressée le 24 juin 1998 par un responsable de l’OEHC au président du Conseil exécutif de Corse

" J’ai l’honneur de vous informer que la S.A. Golf de Spérone est redevable à ce jour à l’OEHC au titre des factures d’eau relatives aux exercices 1996,1997 et 1998 d’une somme de 995.272 francs.

Conformément à la délibération n°93/134 de l’Assemblée de Corse en date du 30 novembre 1993, je vous saurais gré de bien vouloir faire suspendre tout paiement d’aide de la C.T.C à cette société. "

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Extraits de la lettre adressée le 1er juillet 1998 par un responsable de l’OEHC au Maire de la commune de Calvi

" En dépit des demandes écrites et téléphoniques de versement adressées à votre mandataire la Méditerranéenne des Eaux, qui se retranche derrière vous, votre commune est, depuis un délai désormais critique, le plus gros débiteur de l’office d’équipement hydraulique de Corse. Comme vous le savez, c’est une créance de 4.013.420,55 francs qui est exigible auprès de votre caisse.

Comme vous vous en doutez, l’établissement régional que je préside n’échappe pas à la problématique du recouvrement de ses créances, objet d’une brûlante attention des pouvoirs publics et notamment d’investigations de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’utilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse. (...)

J’ai donc l’honneur de vous informer que j’avise par le même courrier M. le président du Conseil exécutif de Corse et M. le payeur de Corse que l’attribution de toute aide régionale à votre commune est suspendue au règlement de ses obligations financières à l’égard de l’office. (...)

Je suis persuadé que vous aurez à coeur de tirer l’office du mauvais pas où la défaillance de l’importante commune que vous administrez placerait son administration financière et comptable. "

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( L’activité de l’OEHC dans le contexte actuel

Il est évident que, depuis plusieurs mois, le Crédit agricole comme la caisse de Mutualité sociale agricole adoptent une attitude beaucoup plus volontariste en matière de recouvrement. Dans une lettre qu’il adressait au préfet Bernard Bonnet, le 16 avril 1998, le président de l’OEHC notait : " J’observe que ce sont souvent les mêmes agriculteurs qui éprouvent des difficultés à s’acquitter à la fois de leurs dettes sociales et fiscales et des dettes à l’égard de certains de leurs fournisseurs, au premier rang desquels figure l’office d’équipement hydraulique de Corse.

Je ne puis donc qu’apporter une attention vigilante à toute mesure de nature à entraîner des effets secondaires au niveau de l’équilibre financier de l’office, puisqu’il est certain que, si les agriculteurs concernés ont à choisir entre différentes dettes, ils se libéreront en priorité des dettes présentant pour eux la plus grande gravité. "


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr