Les difficultés du recouvrement, tant des impôts que des éventuels redressements, est un problème lancinant en Corse. S’agissant de la fiscalité professionnelle, le rapport précité du directeur général des impôts indique que " les indicateurs du recouvrement en Corse sont très en retrait par rapport à ceux qui sont constatés en moyenne dans les autres départements ".

( UN CONSTAT INQUIETANT

Comme en matière d’assiette et de contrôle, les difficultés du recouvrement peuvent être mises en évidence par plusieurs indicateurs suivis par la direction générale des impôts.

L’évolution de ces indicateurs depuis 1993 montre à l’évidence le particularisme insulaire et la dégradation qui a pu être observée dans les deux départements corses en 1996.

Le coefficient de recouvrement net sur les prises en charge permet d’apprécier la célérité de l’action en recouvrement menée par les comptables168. Ce pourcentage entre les recouvrements réalisés au cours d’une année et l’ensemble des sommes à recouvrer (de l’année en cours comme des années antérieures) atteint dans les deux départements corses un niveau inquiétant, plus de moitié inférieur à ce que l’on peut constater dans le groupe 4 ou au niveau national.

Cette situation se traduit évidemment par des délais de recouvrement considérables, même en cas de paiements spontanés. Le délai moyen pondéré de comptabilisation des moyens de paiement169 est, dans les deux départements corses, près de 10 fois supérieur à ce qu’il est ailleurs : 9 ou 10 jours au lieu de 1,2 en moyenne nationale. De même, le délai moyen pondéré de recouvrement des créances170 atteint plus d’un an (12,2 mois en 1997), contre 5 mois seulement sur le reste du territoire.

( LES RAISONS TRADITIONNELLEMENT EVOQUEES SONT A RETENIR AVEC PRUDENCE

Les raisons invoquées pour expliquer une telle situation sont nombreuses. La note Cailleteau en décrivait un certain nombre, qui ont été à plusieurs reprises confirmées devant la commission d’enquête : " la pratique locale consiste plutôt à éviter de recevoir l’avis d’imposition. Le manque d’empressement des postiers dans l’acheminement du courrier fiscal, la fréquence des homonymes, le caractère souvent aléatoire de la dénomination et du numérotage des rues, la difficulté de connaître les propriétaires du fait de l’indivision, tout cela fait que les avis d’imposition reviennent par milliers dans les trésoreries. De toute façon, les mauvais payeurs sont difficiles à amener à résipiscence : les banques exécutent avec mauvaise grâce les avis à tiers détenteurs (elles préviennent leurs clients qui virent leurs avoirs sur d’autres comptes) et les huissiers sont de la plus grande timidité. Au demeurant, on exécute rarement les débiteurs importants : il serait imprudent de se porter acquéreur d’un bien saisi ".

Il n’est pas inutile de reprendre plus précisément chacune des difficultés énumérées.

( Les vicissitudes du courrier fiscal

Les difficultés d’acheminement du courrier fiscal apparaissent être une réalité. Dans un rapport en date du 3 septembre 1997, le trésorier-payeur général de Haute-Corse indiquait qu’un sondage réalisé à la fin de 1996 évaluait le taux des " n’habite pas à l’adresse indiquée " entre 8 et 10% des plis expédiés. La réduction du volume du courrier non distribué fait d’ailleurs partie des objectifs du plan d’action du ministère. Certains suggèrent que les services du Trésor utilisent des enveloppes banalisées car, comme certains témoins entendus par la commission d’enquête n’ont pas manqué de le souligner, " les lettres qui transmettent des chèques arrivent plus facilement que celles qui transmettent des avis de contrôle fiscal ".

Pourtant, le rapport du trésorier-payeur général de Haute-Corse indique que " aucune anomalie montrant de façon formelle que certains (plis) n’auraient volontairement pas été distribués n’a pu être recueillie ", précisant que, si " par une note de la trésorerie générale du 26 mai 1997, il a été demandé aux trésoriers de communiquer des exemples significatifs d’anomalie constatée dans la distribution postale, aucun cas n’a été signalé ". Cette absence est confirmée par son collègue de Corse-du-Sud qui, dans un rapport du 5 septembre 1997, indiquait également qu’" aucun élément statistique précis ne permet d’étayer les griefs formulés fréquemment en matière de distribution postale ". Il ajoutait, reconnaissant un certaine responsabilité de ses services, qu’" il est probable que l’adressage des courriers fiscaux n’est pas non plus exempt de critiques ".

( L’exécution des avis à tiers détenteur

L’argument de la difficulté de faire exécuter les avis à tiers détenteur (ATD) suscite la même perplexité. On le sait, l’ATD est une procédure administrative de saisie de sommes d’argent détenues par la banque pour le compte du débiteur. Lorsque celle-ci n’exécute pas l’ATD, elle engage sa responsabilité civile personnelle à hauteur du montant susceptible d’être saisi par l’administration. Un ATD est susceptible de s’avérer défectueux si le compte visé à été clôturé, s’il est débiteur ou sans provision ou si, plus exceptionnellement, la banque n’honore pas l’avis. Cette dernière situation ne peut être mise à jour que par l’exercice du droit de communication, qui apparaît, en Corse comme ailleurs, comme une démarche exceptionnelle. En Corse, l’administration a rappelé l’ensemble des banques de la place à leurs obligations : cela a fait l’objet d’une lettre commune au trésorier-payeur général et au directeur des services fiscaux dans chacun des deux départements en février et mars 1998. En outre, d’après les informations recueillies par la commission d’enquête, une action conjointe de contrôle sur place est programmée, dans le cadre du droit de communication, sur un échantillon d’ATD infructueux notifiés par les réseaux comptables.

Mais, ces difficultés potentielles avec les banques sont-elles réelles ?

Les rapports, déjà cités, des deux trésoriers-payeurs généraux laissent à penser que cela n’est pas si sûr : " en aucun cas les chefs de poste ne sont en mesure d’étayer cette affirmation (difficultés avec les établissements bancaires) par des statistiques " écrit celui de Corse-du-Sud, tandis que son collègue de Haute-Corse indique qu’il n’a " aucun cas avéré de la non-exécution d’un ATD, ce qui évidemment n’en exclut pas l’hypothèse ".

Il semble d’ailleurs que la procédure de l’ATD soit moins utilisée en Corse qu’ailleurs. Le ratio ATD/saisies est largement inférieur dans les deux départements corses (1,8 en Haute-Corse en 1996 et 1,1 en Corse-du-Sud) à la moyenne nationale (2,8). Son augmentation constitue l’un des objectifs du plan d’action171 : si la situation s’est améliorée en 1997 en Haute-Corse (2,1, dépassant l’objectif assigné de 2), elle s’est détériorée en Corse-du-Sud (0,8, soit la moitié de l’objectif assigné). La méfiance à l’égard des banques pourrait ne pas être la seule raison. Dans son rapport, le trésorier-payeur général de Haute-Corse évoquait la nécessité de " convaincre les comptables que l’effort que (l’ATD) suppose (recherche et archivage du renseignement en premier lieu, ce qui est moins simple que la remise d’un état de saisie informatisé à l’huissier) est non seulement efficace dans l’immédiat, mais constitue un investissement pour l’avenir ", constat partagé par son collègue de Corse-du-Sud qui indiquait qu’" il semble probable que les nécessaires recherches pour obtenir les coordonnées des tiers détenteurs ne fassent préférer l’édition et la remise à l’huissier d’un état de saisie ".

( Le comportement des huissiers

On peut également s’interroger sur le comportement des huissiers. Des propos recueillis par la commission laissent à penser que le problème est réel : " s’agissant des huissiers privés auxquels nous faisons appel, nous avons constaté en Corse qu’ils sont moins efficaces que sur le continent et que les procès-verbaux de carence qu’ils nous produisent sont parfois suspects, ce qui nous amène à penser que la matière saisissable a disparu après le passage de l’huissier. C’est la raison pour laquelle des interventions ont été faites auprès des procureurs de la République, qui exercent la tutelle des huissiers, pour qu’une surveillance plus forte soit exercée à leur encontre " a déclaré un responsable de la direction générale des impôts.

De même, le trésorier-payeur général de Haute-Corse soulignait que " les résultats sont variables d’une étude à l’autre. D’une manière générale, le travail des huissiers de justice n’a pas la qualité de celui des agents huissiers du Trésor : les officiers ministériels limitent leur action à la notification des actes de poursuite (dans des délais excédant fréquemment le raisonnable), alors que nos agents mettent à profit la procédure pour recueillir des renseignements utiles au recouvrement : numéros de comptes bancaires, employeurs, propriété d’immeubles,... ".

( Le climat général de l’île

Au-delà de ces difficultés structurelles du recouvrement, il convient d’évoquer une certain nombre d’éléments plus conjoncturels liés au contexte de l’île. Les rapports déjà évoqués des deux trésoriers-payeurs généraux et des directeurs des services fiscaux concordent sur ce point : un certain nombre de mesures de gel ou d’étalement ont perturbé, plus que les attentats contre les locaux des administrations fiscales, l’activité des administrations financières.

Il s’agit notamment du gel des dettes fiscales nées avant le 31 décembre 1995 pour une période de trois mois (du 15 février au 15 mai 1996). Ce gel a été suivi par la mise en place d’une procédure COCHEF (pour comité des chefs de services financiers), qui permet d’accorder aux entreprises qui en font la demande un moratoire et des délais de paiement de leurs dettes fiscale et sociale. Certes, cette procédure n’est pas propre à la Corse puisqu’elle se retrouve dans chaque département. La particularité de l’île réside plutôt dans l’ampleur qu’elle a prise. Alors que dans les départements " ordinaires ", le nombre de bénéficiaires est faible, au plus quelques dizaines, il a atteint dans les deux départements de Corse un niveau inégalé : 907 en Corse-du-Sud et 517 en Haute-Corse. Un grand nombre de bénéficiaires ont obtenu le maximum, à savoir un moratoire d’un an et un étalement du paiement de leurs dettes sur quatre ans172.

Enfin, il convient de reconnaître, avec le directeur des services fiscaux de Corse-du-Sud, que le " débat fiscal permanent, qui n’est pas sans résultats concrets, apparaît compromettre la légitimité des actions du service ". La discussion des modalités de la zone franche avait amené certains contribuables à anticiper sur le contenu de la loi. De même, la contestation de certains droits amènent les intéressés à refuser purement et simplement de payer ce qu’il doivent ou à ne le faire qu’au niveau qu’ils estiment juste173.

Nul doute également que l’exemplarité ne joue pas, en Corse, dans le sens du respect de ses obligations fiscales. Les insuffisances du contrôle et du recouvrement, qui plus est quand il porte sur les résultats du contrôle fiscal lui-même, créent des difficultés174. Que dire également quand le non-recouvrement concerne des amendes aussi emblématiques que celles que le Conseil de la concurrence avait prononcées, en mars 1989175, à l’encontre de 16 pompistes et deux syndicats professionnels pour ententes anticoncurrentielles ?


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr