Au terme de ses travaux, la commission tient à souligner le manque de moyens mis à la disposition des services déconcentrés pour assurer le meilleur suivi possible des programmes communautaires.

( LA RESPONSABILITE DES SERVICES DE L’ETAT

La Corse est certes dotée d’un statut particulier et la répartition des compétences entre l’État et ses partenaires - la Collectivité territoriale et ses offices - doit être prise en compte. Néanmoins, la responsabilité de l’État, qui résulte des engagements communautaires de la France, demeure pleine et entière en ce qui concerne la gestion des fonds structurels dans cette région. Celle-ci ne saurait être déléguée ni se partager avec d’autres instances que les autorités administratives.

C’est le secrétariat général pour les affaires corses (SGAC) qui, au sein de la préfecture, est responsable du suivi des programmes européens et doit fournir à l’instance habilitée à certifier les dépenses (le préfet de région ou le secrétaire général) les données collectées auprès des maîtres d’ouvrage ou des services coordonnateurs.

( LES LACUNES ACTUELLES DES MODALITES DE CONTROLE

Dénoncées dans plusieurs rapports, certaines insuffisances du système ont persisté et doivent être signalées.

Du 4 au 8 juillet 1994, une mission de contrôle du Programme opérationnel intégré (POI) de la Corse fut diligentée par les services de la direction générale chargée du contrôle financier à la Commission européenne (DG XX). Dans un rapport remis le 30 mars 1995, il est indiqué : " Il n’existe jamais au SGAC de situation exhaustive, sur base de données comptables collectées périodiquement, des investissements réalisés dans le cadre des programmes financés par le FEDER. (...) Aucun système de comptabilité séparée, ni de codification comptable adéquate n’existe auprès du SGAC ou du maître d’ouvrage permettant d’avoir des états récapitulatifs reprenant l’ensemble des transactions relatives aux opérations cofinancées par le FEDER ". Ces constatations, sévères, donnent le sentiment que les représentants de l’État en Corse n’ont pas les moyens de contrôler réellement le suivi des opérations FEDER dans l’île.

En décembre 1996, un rapport de l’Inspection générale de l’administration du ministère de l’Intérieur relatif à " l’assistance technique des fonds structurels européens en région Corse " mentionnait également les difficultés rencontrées par le secrétariat général pour les affaires corses dans les termes suivants : " la mission a constaté que le SGAC souffrait d’un retard sur trois points importants : l’informatisation de la gestion des fonds européens (...), l’information qui ne paraît pas suffisamment assurée auprès des porteurs de projets, notamment par l’édition de brochures et de plaquettes permettant de présenter les différentes aides de façon claire et didactique, l’appui aux opérateurs sur le terrain et leur contrôle éventuel ".

Une mission effectuée plus récemment200 a établi qu’en dépit des efforts entrepris à partir de 1996 sous l’impulsion notamment du préfet Claude Erignac, le SGAC restait relativement démuni et demeurait une structure trop légère. De plus, le rapport relevait que le service déconcentré désigné comme coordonnateur d’un fond n’assurait pas systématiquement l’instruction des opérations correspondantes. Cette instruction peut être réalisée par un service de l’État, un service de la Collectivité territoriale ou un office. D’après cette analyse, la présence des offices n’aurait guère facilité la maîtrise des informations par les services de l’État.

( DES AMELIORATIONS A CONFIRMER

De 1996 à février 1998, l’organisation du suivi et du contrôle des fonds européens fut marquée par la volonté du préfet Claude Erignac de renforcer les outils de contrôle du secrétariat général pour les affaires corses. La situation s’est incontestablement améliorée grâce à l’effort entrepris en ce sens au cours des deux dernières années ; mais la multiplicité des acteurs en présence (services déconcentrés de l’État, Collectivité territoriale de Corse, collectivités locales, offices et agences) ainsi que le morcellement des compétences en matière d’instruction et de gestion des crédits délégués rendent encore très difficile la tâche du représentant de l’État.

Lors d’un déplacement à Ajaccio, la commission d’enquête a toutefois pu constater que le système de " monitorage " avait été largement renforcé au cours des deux années précédentes. Il conviendrait cependant de recentrer davantage le système de suivi, encore trop éclaté, au niveau du SGAC.

( UN EXEMPLE PARTICULIER : LA ROUTE D’ACCES AU PORT DE PROPRIANO

Il a déjà été précédemment question du cas du port de la commune de Propriano. L’exemple développé ici concerne uniquement le dossier relatif à la route qui aurait dû être construite pour accéder à ce port. Il faut tout d’abord rappeler que la commune de Propriano avait été reconnue éligible à un financement Interreg 1 " Corse-Sardaigne " pour réaliser cette route. Le montant des travaux devait en principe atteindre 6 millions de francs. Une subvention initiale de 3 millions de francs fut attribuée à la commune le 20 décembre 1993 ; le montant de 1,5 million fut versée dans un premier temps. A la clôture du programme européen, les travaux n’avaient pas été réalisés, et environ 400.000 francs semblaient seulement justifiés.

Un premier ordre de versement d’un montant de 1.110.030 francs fut donc émis en décembre 1997, suivi d’un second de 389.969 francs le 25 février 1998. Le trésorier-payeur général fut, pour sa part, saisi le 9 juillet 1998 d’une demande de recouvrement des sommes.

Dans un courrier du 17 février 1998, le préfet Bernard Bonnet écrivait à l’attention du maire de Propriano : " le 19 février 1997, mon prédécesseur a été amené à émettre à l’encontre de votre commune un titre de perception d’un montant de 1.110.030,52 francs. Cette décision destinée à récupérer le trop perçu FEDER dont a bénéficié votre collectivité, dans le cadre de la mise en œuvre du programme Interreg 1 Corse-Sardaigne pour la réalisation de l’opération " aménagement de l’accès au port " s’est fondée notamment sur le montant des dépenses réalisées à la date du 31 décembre 1996, date de clôture du programme. Le montant des dépenses constatées s’élevaient à 779.938 ,96 francs, ce qui pouvait justifier comptablement un versement FEDER correspondant de 389.969,48 francs (50 %). "

Le préfet de Corse indiquait ensuite au maire de la commune que les dépenses engagées (779.938,96 francs) ne pouvaient être considérées comme couvertes par le programme européen : " ces dépenses doivent être considérées comme liées à des travaux préparatoires, sans aucune fonctionnalité, ce qui les écarte du champ d’intervention normal du FEDER. "

Dans un autre courrier, en date du 9 juillet 1998, le préfet de Corse interrogeait le trésorier-payeur général sur l’état des procédures engagées en vue du recouvrement des sommes en question. Au moment de la rédaction du présent rapport, ce dernier n’avait pu réaliser ce recouvrement et s’apprêtait à relancer cette demande auprès de la commune. Si celle-ci n’aboutit pas rapidement, une procédure d’inscription d’office au budget communal devra être réalisée.

De son côté, l’UCLAF, alertée par cette situation, effectua une mission sur place les 24, 25 et 26 mars 1997. Comme l’a expliqué un haut fonctionnaire communautaire entendu par la commission d’enquête, " sur le plan communautaire, la situation était assez simple. Il y avait une programmation de cette action à hauteur d’un coût total de 6 millions de francs, comprenant un cofinancement FEDER de 3 millions de francs. Une avance de 1,5 million de francs avait été versée dès l’engagement de l’action. La réalisation de l’ouvrage ayant été abandonnée, un ordre de reversement avait été décidé par le préfet pour la partie qui excédait les quelques travaux réalisés. Ceux-ci consistaient en la mise en place de canalisations et en la réalisation de quelques études et s’élevaient à environ 800.000 francs. D’un point de vue budgétaire, la question portait, sur le reliquat de cette somme de 50 % des 800.000 francs. "

" (...) Pour nous, services de la Commission, nous avons observé une difficulté de fonctionnement des différents services de l’État chargés de l’aspect communautaire.

Trois administrations principales sont concernées sur le plan local. Les directions de l’équipement, la direction régionale, la direction départementale et les services dérivés, en tant que maître d’œuvre, en tant que service instructeur ou coordonnateur ont participé à toutes les opérations depuis le premier jour. La direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a vocation, en matière de marchés publics, à participer aux commissions d’ouverture des plis et à traiter de ces données. Les services du préfet et de la sous-préfecture chargés du contrôle de légalité n’ont pas jugé substantielles les irrégularités pour attaquer ces actes devant le tribunal administratif.(...)

Le premier grief que nous avons fait est que les autorités administratives françaises n’aient pas communiqué ce cas à la Commission, comme il est prévu dans un règlement de 1994. Cette situation n’était pas propre à la Corse ni à la France, mais elle était suffisamment préoccupante pour que Mme Gradin201 écrive, en janvier 1997, à M. le Premier ministre de la France, pour faire état de cette absence de communication de cas d’irrégularités. Le Premier ministre a répondu assez rapidement qu’il était lui-même préoccupé du sujet et que les choses allaient changer.

Le nombre de cas n’est peut-être pas suffisamment important pour en tirer des conclusions générales, mais les quelques cas que nous avons à traiter en France dans le domaine des fonds structurels sont extrêmement graves, qui mettent en cause tant des services administratifs que d’autres autorités. Nous observons des difficultés de fonctionnement des services qui en ont la charge, plus précisément de ceux qui ont la charge des actions communautaires, et une faible capacité au niveau central, qu’il s’agisse de l’ICLAF202 ou de la commission interministérielle chargée du contrôle, à mobiliser leurs ressources pour améliorer la situation. "

En définitive, la commission d’enquête préconise que la plus grande vigilance s’exerce dans le domaine de l’utilisation des fonds structurels car, comme l’a indiqué à la commission un ancien haut Corse. " responsable communautaire, " il existe (dans l’espace communautaire) des poches de fraude dans lesquelles nous trouvons la Corse. "


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr