L’approche institutionnelle - donner à la Corse et à ses habitants une maîtrise plus complète de leur destin -, l’approche politique - réintégrer les militants nationalistes dans le jeu politique et leur faire abandonner la violence -, l’approche économique - créer les conditions nécessaires au développement de l’île - : voilà les trois voies que les gouvernements successifs ont explorées au cours des vingt dernières années, en les dosant parfois différemment, mais en tentant souvent de les mener de front.

( L’APPROCHE INSTITUTIONNELLE

L’apparition des mouvements nationalistes au cours des années 1960 a contribué à mettre sur le devant de la scène la recherche de solutions institutionnelles au problème corse.

Déjà, dans le projet de loi soumis à référendum en avril 1969 par le général de Gaulle, la Corse faisait l’objet de trois articles spécifiques érigeant le département de Corse en circonscription régionale. Quand en 1970 une commission de développement économique de la Corse est instituée, la revendication de la plupart des élus de l’île porte sur la création d’une véritable région, dotée d’un conseil élu au suffrage universel, jugeant l’étape d’une simple région de programme totalement dépassée.

Défendant, devant l’Assemblée nationale en avril 1975, le projet de loi portant réorganisation de la Corse qui instituera la bi-départementalisation, le ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Michel Ponatiowski, déclarait : " la Corse a une unité politique, morale, sentimentale et historique que personne ne conteste, mais il faut renforcer les structures d’une île aujourd’hui sous-administrée en créant un nouveau centre de décision à Bastia.(...) Il s’agit d’organiser le développement économique de manière à préserver l’identité corse et sauvegarder la qualité de la vie. Le moment est venu de fixer, en accord avec la population, la grande orientation à donner au développement économique ".

En janvier 1982 à la tribune de l’Assemblée nationale, Gaston Defferre expliquait que " c’est pour donner aux Corses les moyens d’être enfin eux-mêmes et de construire ensemble leur avenir qu’il convient de doter l’île d’un statut particulier ". Evoquant le contexte politique, il poursuivait en affirmant " depuis mai 1981, la Corse a retrouvé le calme parce que les Corses ont maintenant l’espoir d’être compris et d’être entendus. C’est ce qui a permis au gouvernement de renouer les fils du dialogue et d’élaborer un statut particulier qui répond aux attentes des Corses ".

A la même tribune en novembre 1990, M. Pierre Joxe indiquait " il faut revenir aux principes mêmes de la décentralisation et définir les moyens de leur traduction concrète pour la Corse de demain. Il appartient donc aux Corses eux-mêmes, dans le cadre de la République, dans le respect du droit, de se déterminer sur les conditions de l’indispensable développement de la Corse. Dans cette perspective, il est apparu nécessaire, en prolongeant la logique du statut particulier, de doter les institutions de la Corse d’un régime différent du droit commun des autres régions (...) ".

Outre qu’elles entendaient placer la Corse sous une responsabilité accrue des Corses eux-mêmes, ces réformes institutionnelles étaient également un moyen de tenter de réintégrer dans le jeu politique local les militants nationalistes à la condition qu’ils renoncent à une violence qui serait devenue inutile.

( LA REINTEGRATION DES NATIONALISTES DANS LA VIE POLITIQUE INSULAIRE

Cette volonté de réintégrer les nationalistes dans la vie politique était d’abord un moyen de faire reculer et disparaître la violence politique. " Je considère que ceux qui participent à la vie démocratique en renonçant à la violence sont les bienvenus " déclarait Gaston Defferre lors d’un déplacement sur l’île en août 1984 quelques jours avant les secondes élections régionales. Déclaration révélatrice puisque la liste présentée par le Mouvement corse pour l’autodétermination, emmenée par M. Pierre Poggioli, comportait trois candidats emprisonnés.

( L’attention portée à la sincérité des scrutins

Elle témoignait aussi, malgré les discours officiels, de la reconnaissance du discrédit de la classe politique traditionnelle et du bien-fondé de certaines des critiques avancées par les nationalistes. Outre la critique du clanisme, l’attention portée aux listes électorales et, plus généralement, à la sincérité des élections soulignait l’absence de confiance de l’État dans les élus locaux.

Par l’attention qu’ils ont attiré sur les mouvements nationalistes corses dénonçant de longue date les pratiques électorales insulaires, les événements d’Aléria ont, on le sait, puissamment contribué à l’adoption de la loi du 31 décembre 1975 supprimant le vote par correspondance et instituant le vote par procuration.

Avant les premières élections régionales organisées en août 1982, les listes électorales avaient fait l’objet d’un examen attentif conduisant à 70.000 rectifications d’erreur matérielle et 5.500 radiations. De plus, il avait été mis fin à 8.500 inscriptions multiples, les intéressés ayant fait le choix de rester inscrits seulement en Corse. De même, une commission de neuf sages, présidée par un conseiller à la Cour de cassation, était chargée de veiller à la sincérité et à l’honnêteté du scrutin.

Enfin, la loi du 13 mai 1991 prévoyait la refonte des listes électorales en Corse, dérogation au principe de permanence de celles-ci.

( L’ouverture du jeu électoral

Le choix du mode de scrutin proportionnel adopté dans le cadre du premier statut particulier, qui plus est sans exigence d’un seuil de représentation232, est évidemment dicté par le souci de voir les nationalistes représentés au sein des nouvelles institutions régionales.

Cette politique aura des effets puisque des élus nationalistes feront leur entrée dans l’Assemblée de Corse dès les élections de 1982. Alors que les groupes les plus radicaux boycottaient le scrutin, la sensibilité nationaliste était représentée par l’Union du peuple corse (UPC), emmenée par M. Edmond Simeoni, et le Parti populaire corse, emmené par M. Dominique Alfonsi. Ces deux listes obtiennent respectivement 14.502 voix (soit 10,6%) et 7 élus et 2.902 voix (soit 2,1%) et un élu.

Aux élections de 1984, trois listes représentent la mouvance nationaliste puisque toutes les tendances décident de participer au jeu électoral. Le Mouvement corse pour l’autodétermination (MCA), emmené par M. Pierre Poggioli, obtenait 7.161 voix (soit 5,2%) et trois élus, soit un score analogue à celui de l’UPC, emmenée par M. Edmond Simeoni (7.146 voix, soit 5,2%) et trois élus. Enfin, le Mouvement corse pour le socialisme, qui s’était allié avec le PPC et était emmené par M. Charles Santoni, n’obtenait aucun élu puisqu’il n’avait rassemblé que 1.323 voix (soit 0,96%).

En 1986, l’élection a lieu dans le cadre départemental comme dans les autres régions. La liste unique MCA-UPC, emmené par M. Pierre Poggioli, recueille 6.783 voix en Corse-du-Sud (soit 9,7%) et trois élus. Celle emmenée par M. Edmond Simeoni en Haute-Corse recueille 7.214 voix (soit 8,3%) et trois élus également.

Lors des élections de 1992 dans le cadre du statut de 1991, une coalition Corsica nazione rassemble l’UPC (de M. Edmond Simeoni), A cuncolta nazionalista (" vitrine légale " du FLNC Canal historique), l’Accolta naziunali Corsa (de M. Pierre Poggioli), I verdi corsi et Per U paese. Elle obtient 17.429 voix (12,4%) au premier tour et améliore son score au second : 21.872 voix (soit 16,8%) et 9 élus. Mais la mouvance nationaliste était également représentée par le Mouvement pour l’autodétermination (MPA) qui présentait une liste emmenée par M. Alain Orsoni ; elle obtenait 9.466 voix au premier tour (7,4%), 10.360 au second (8%) et comptait 4 élus.

En 1998, la mouvance nationaliste était divisée en cinq listes. Une seule, celle présentée par A Cuncolta, est parvenue à dépasser le seuil de 5% au premier tour en obtenant 5.665 voix (soit 5,3%), les quatre autres listes (dont une conduite par M. Gilbert Casanova et une autre par M. Edmond Simeoni) totalisaient 12.398 voix (soit 11,6%). Au second tour, la liste restée en lice améliorait son score sans faire le plein des voix nationalistes, puisqu’elle obtenait 12.224 voix (soit 9,9%) et 5 élus.

( Les amnisties

Outre les amnisties faisant suite aux élections présidentielles de 1981 et de 1988, deux amnisties spécifiques à la Corse ont été adoptées.

La première figure à l’article 50 de la loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la Corse. Comme l’expliquait en séance Gaston Defferre " pour que ce texte obtienne une pleine réussite, pour que tous les Corses, quelles que soient leurs opinions et leurs tendances, oublieux du passé, se tournent vers l’avenir et repartent ensemble, le gouvernement pense qu’il faut savoir tourner la page ". Cette amnistie portait sur " toutes infractions commises antérieurement au 23 décembre 1981 à l’occasion d’événements d’ordre politique ou social en relation avec la détermination du statut de la Corse ". Elle était particulièrement généreuse puisque, contrairement à l’amnistie de 1981, elle concernait les infractions ayant entraîné soit la mort, soit des blessures, ou ayant consisté en une tentative d’homicide volontaire par arme à feu sur des agents de la force publique.

La seconde amnistie a été adoptée dans le cadre de la loi du 10 juillet 1989 qui, initialement, ne concernait que la Guadeloupe et la Martinique. C’est, en effet, lors de la nouvelle lecture, que l’Assemblée nationale a adopté le principe d’une amnistie portant sur " les infractions commises avant le 14 juillet 1988 à l’occasion d’événements d’ordre politique et social en relation avec une entreprise tendant à modifier le statut de la Corse 233". Cet amendement avait été présenté par deux élus insulaires, l’un appartenant à la majorité - M. Emile Zuccarelli - l’autre à l’opposition - M. José Rossi. Après avoir rappelé que l’amnistie avait été souhaitée par l’Assemblée de Corse dans une motion adoptée la veille, le gouvernement s’en remettait à la sagesse de l’Assemblée, tout en déclarant que cette amnistie était parfaitement envisageable puisqu’elle intervenait dans un contexte précis, " après plus d’un an de paix civile, période au cours de laquelle la démocratie a retrouvé ses droits234 ".

( L’APPROCHE ECONOMIQUE

Dans l’analyse de la situation corse, il est toujours difficile de déterminer si la violence constitue un obstacle au développement économique ou si, au contraire, celui-ci ne serait pas le moyen le plus efficace de rétablir la paix civile.

Egalement ministre de l’aménagement du territoire lors de son second passage place Beauveau, M. Charles Pasqua a insisté sur l’aspect économique du dossier corse en initiant l’élaboration par l’Assemblée de Corse d’un plan de développement économique, social et culturel de l’île pour les quinze prochaines années.

Ce plan, prévu par la loi du 13 mai 1991, a été adopté en septembre 1993 après un large débat, les groupes nationalistes s’abstenant après avoir néanmoins étroitement participé à sa discussion.

Dans un document intitulé " Stratégie de l’État en Corse ", le gouvernement se félicitait de cette adoption : " Cet acte revêt une portée historique car c’est la première fois que les Corses se prononcent sur leur devenir collectif, par l’intermédiaire de leurs élus et au terme d’un vrai débat. (...) Au prix de concessions mutuelles, les principales forces politiques de l’île ont su se rapprocher pour dégager un projet de développement réaliste. Il ne s’agit pas d’un consensus de façade, éphémère et fragile, mais d’une démarche approfondie, permettant une convergence des analyses et un soutien de l’opinion. ". Le gouvernement entendait s’associer à cette démarche en menant une action répondant à deux orientations : d’une part, " chercher à créer les conditions du développement par certaine réformes structurelles que justifie la situation spécifique de l’île au sein de l’ensemble national ", d’autre part, " apporter sa contribution à la réalisation du plan de développement, à travers deux démarches : les crédits contractualisés (contrat de plan, programme opérationnel intégré) et une série de mesures spéciales proposées en complément ".

Comme l’expliquait un haut fonctionnaire au fait du dossier corse, cette approche économique découlait de la volonté de donner du " grain à moudre " dans la politique menée à l’égard de l’île afin qu’elle ne se réduise pas à une simple approche policière ou judiciaire. L’adoption du plan de développement n’en constitue pas le seul exemple. Suivront, dans la même optique, le statut fiscal particulier et la zone franche

La succession des plans de désendettement de l’agriculture corse, à un rythme croissant au cours des dernières années, participe aussi d’un désir de mettre de l’huile dans les rouages et de désamorcer les protestations sectorielles récupérées ou initiées, selon les cas, par les mouvements socio-professionnels ou nationalistes235.

De même, l’ampleur sans commune mesure prise en Corse par l’activité de la commission des chefs de services financiers et des représentants des organismes de sécurité sociale (dite COCHEF) participe de cette même volonté d’apaisement. Au 30 juin 1998, 1.272 plans d’étalement des dettes fiscales et sociales avaient été accordés (soit près de 80% des demandes déposées). Les 813 encore actifs à la même date portaient sur un montant global de dettes de 240,9 millions de francs236. Il faut dire que, lors de sa visite dans l’île en janvier 1996, le ministre de l’Intérieur avait déclaré avoir donné des instructions fermes pour que les demandes de rééchelonnement soient " examinées et satisfaites en fonction des besoins des entreprises, et ce dans les plus brefs délais "237.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr