Ce contexte particulier a été évoqué par plusieurs témoins devant la commission d’enquête. Leurs témoignages n’étaient toutefois que des confirmations de la persistance d’une situation déjà décrite précédemment.

( UN CONTEXTE PESANT

Comme on l’a déjà indiqué, ce contexte insulaire a été remarquablement analysé dans le diagnostic sans complaisance établi par MM. Cabanes et Lacambre en septembre 1989, diagnostic qui n’a hélas pas pris une ride :

 la multiplication des institutions publiques et privées (collectivités locales, organisations professionnelles, syndicales ou politiques) font que " l’intérêt général, guide du fonctionnaire, s’exprime ici par mille voix souvent discordantes (...) ",

 le cumul fréquent des mandats et le poids du secteur public font que " rares sont ceux qui ne sont ni par eux-mêmes ni par un proche soit rémunérés par une collectivité publique, soit pensionnés d’une collectivité publique, soit subventionnés ou aidés par une collectivité publique, soit dépendants de près ou de loin de décisions prises par une ou plusieurs collectivités publiques (...) ",

 " La Corse est une extraordinaire caisse de résonance, où tout est amplifié, où tout vient sur la place publique, puisqu’aussi bien chacun se connaît (...) ",

 " L’anonymat des dossiers administratifs, qui protège autant celui qu’il concerne que celui qui le traite, n’existe pas dès lors que le problème est pris en charge dès son apparition par des élus ou représentants qui doivent faire savoir qu’ils interviennent. L’acte unilatéral perd de sa netteté et devient un acte négocié, se rapprochant du contrat ; quant au contrat, il ne lie pas vraiment ses auteurs et est toujours susceptible de révision. Dans ces conditions, la dérogation injustifiée se développe, la décision prise sur pièces fausses apparaît (...) ".

Le rapport ne se voulait certes pas une condamnation sans appel des fonctionnaires. Ses auteurs reconnaissaient que " bien présomptueux serait celui qui prétendrait avoir les qualités voulues pour ne pas entrer dans un tel système ".

Ils poursuivaient : " qu’ils soient du groupe des "météores" ou du groupe des "autochtones", ils sont de bons fonctionnaires, qui veulent bien faire leur travail. Mais ils savent qu’ils n’échapperont pas aux critiques de leur administration centrale en cas d’incident, et à celle des usagers parce que, de toute façon, il est impossible de donner un nouveau cours aux choses et faire respecter les textes et procédures. Ils seront victimes de menaces anonymes et de mesures d’intimidation, en particulier lorsqu’ils gèrent des crédits, des subventions, interviennent dans leur distribution ou accordent des autorisations. Ils subissent, en tout état de cause, un système qui ne leur permet pas d’agir avec autorité ; ils regrettent de ne pouvoir dire non lorsqu’il y a lieu de le faire, sans crainte d’être pratiquement désavoués par une juridiction, lorsqu’ils veulent faire sanctionner un comportement illégal. Il faut être sensible au désespoir qu’exprime ce fonctionnaire de responsabilité d’une administration financière qui déclare en réunion que, au bout de six mois, "on est pris par le système ; on est grillé". "

( DES PRESSIONS INCONTESTABLES

Il serait illusoire d’espérer que la violence que l’on peut constater dans l’île ne perturbe pas le fonctionnement des services publics, d’autant plus qu’ils constituent eux-mêmes bien souvent la cible des poseurs de bombes ou des auteurs de mitraillages.

Le directeur de la comptabilité publique expliquait devant la mission d’information sur la Corse, en mars 1997, que ses services avaient subi 150 attentats depuis 1979. Un témoin entendu par la commission d’enquête expliquait que la trésorerie de Prunelli en Haute-Corse, plastiquée à seize reprises, était abritée dans deux bâtiments distincts. Les services fiscaux ne sont pas en reste : plus d’une trentaine d’attentats en dix ans et l’hôtel des impôts de Bastia a été partiellement détruit par un violent attentat en décembre 1995.

Ce climat n’est évidemment pas idéal pour un fonctionnement normal des services. Cependant, ses effets sur les personnels ont été diversement commentés devant la commission d’enquête. Spontanément et immanquablement mis en exergue, ils ont été néanmoins relativisés par un responsable syndical :

Question : " Avez-vous réellement le sentiment qu’un fonctionnaire des services fiscaux ou du Trésor, qui voit ses lieux de travail plastiqués, n’est ni troublé ni stressé par cette situation ? Qu’il considère que ce n’est pas lui qui est visé mais l’État, et que donc, il peut continuer sereinement à faire son travail dans un préfabriqué ? "

Réponse : " Tout à fait. Je suis affirmatif pour avoir été dans ce cas. Les agents des impôts, même quand l’hôtel des impôts est détruit, n’ont à aucun moment ressenti ces actions comme s’adressant à eux, pour la simple raison que d’emblée, la revendication portait sur autre chose. Ceux qui l’ont revendiqué disaient qu’ils visaient cela comme ils auraient visé une sous-préfecture, etc. Cela ne s’est jamais accompagné de revendications qui les appuieraient en disant " Arrêtez de faire votre travail. " Jamais. "

Les pressions ne se résument pas aux attentats. Outre les pressions exercées directement sur les fonctionnaires, dont il est difficile de mesurer l’ampleur et la fréquence, il existe des pressions indirectes s’adressant, par voie de presse ou de communiqués, à tel ou tel service de l’État pour dénoncer son action. On a déjà évoqué les communiqués du Rialzu Economicu dénonçant dans des communiqués l’action menée par l’URSSAF. Son "homologue" de Haute-Corse protestait de même, en juillet 1997, contre la reprise par les services fiscaux de leurs " actions négatives envers les socio-professionnels " et indiquait être prêt " pour le dialogue et la conciliation " mais par pour " la tonte "245.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr