La situation institutionnelle actuelle est le résultat de plus de quinze ans de pratique dérogatoire de la décentralisation, puisque la première loi de décentralisation concernant la Corse date de 1982.
Le statut particulier de 1991 a donné à la Corse un système original et complexe reposant sur la dissociation d’une assemblée territoriale et d’un exécutif qui, émanant de celle-ci, est responsable devant elle. Ce système a été assorti de démembrements de l’autorité régionale à travers la création ou le maintien de six agences et offices qui ont pris la forme d’établissements publics industriels et commerciaux territoriaux.
La Corse a été dotée d’institutions sui generis qu’elle n’a pas toujours su ou pu gérer dans le sens des intérêts des Corses. Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, le 11 décembre 1996, M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse, déclarait : " on nous a livré une voiture dont on m’a donné la clé de contact. On ne m’a pas donné le carburant, on ne m’a pas donné le mode d’emploi. En plus, il s’agissait d’un prototype. Il fallait conduire. Nous l’avons fait tant bien que mal et je porte témoignage aujourd’hui que le statut de la Corse est une très large avancée dans la décentralisation. "
( DE 1982 A 1992, LE " LABORATOIRE " INSTITUTIONNEL
La spécificité des institutions de la Corse établies par le statut particulier Defferre de 1982 a été parfois exagérée. Une des principales originalités de la loi du 2 mars 1982 tenait à la dénomination symbolique de divers organes : on parle depuis 1982 d’Assemblée de Corse, de conseil économique et social (devenu depuis la loi de 1991 le conseil économique, social et culturel de Corse). En fait, le statut de 1982 apparaît aujourd’hui comme une anticipation du mouvement de décentralisation qui concerna quelques années plus tard l’ensemble des régions françaises. C’est en cela que l’on peut dire que la Corse a constitué un laboratoire de la décentralisation en France.
Dans la deuxième moitié des années 80, certains élus corses souhaitèrent aller plus loin sur le terrain de la spécificité institutionnelle. Le 13 octobre 1988, l’Assemblée de Corse adoptait une motion affirmant l’existence d’une " communauté historique et culturelle vivante regroupant les Corses d’origine et les Corses d’adoption : le peuple corse ". Par cette motion, cette Assemblée demandait au gouvernement d’" adopter une loi-programme dans un délai de six mois pour faire valoir les droits du peuple corse à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques dans le cadre de la Constitution française ".
Dès le 29 septembre 1988, le ministre de l’Intérieur avait pris l’initiative de mettre en place un comité interministériel consacré au développement culturel, économique et social de la Corse, présidé par le Premier ministre, et chargé de " mener dans l’île une politique qui prépare l’avenir tout en respectant l’identité originale que tous les Corses puisent dans leur longue histoire ".
Le gouvernement de l’époque se déclara ouvert aux propositions de réforme du statut particulier afin d’aller dans le sens d’une plus grande efficacité des institutions locales. Les discours de divers élus corses et des responsables nationaux se rejoignaient pour affirmer que le nouveau statut devrait permettre une meilleure maîtrise de leur destin par les Corses. Le ministre de l’Intérieur engagea alors un débat avec les organisations démocratiques le souhaitant sur l’évolution des institutions. Dans une lettre ouverte aux élus en date du 23 mai 1990, M. Pierre Joxe précisait son intention de procéder à une nouvelle définition des institutions locales en dehors du droit commun des régions.
L’exposé des motifs du projet de loi qui fut présenté par Pierre Joxe éclaire les objectifs poursuivis par le gouvernement. Il s’agissait, d’après ce projet, de " rechercher des solutions durables au problème de la Corse, dans une perspective de développement économique, social et culturel de l’île et dans le respect de l’État de droit et de la paix civile ".
D’un point de vue politique, le projet de loi visait à reconnaître l’existence d’un " peuple corse, composante du peuple français " et à lui garantir des droits spécifiques liés à l’insularité en matière culturelle et économique. Cette disposition, censurée par le Conseil constitutionnel le 9 mai 1991, allait au-delà des dispositions de la loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région de Corse qui, dans son article 1er alinéa 2, prenait seulement en compte les " spécificités résultant, notamment, de la géographie et de l’histoire de la Corse " et se bornait à donner " aux Corses " (le terme " peuple corse " utilisé dans l’exposé des motifs avait finalement été retiré du texte transmis au Parlement) la maîtrise de leur développement économique et la préservation et de l’enrichissement de leur culture. En second lieu, le projet de loi de Pierre Joxe visait à restaurer la paix civile et réaffirmer l’autorité de l’État.
Dans sa décision rendue le 9 mai 1991, le Conseil constitutionnel considéra que le fait d’avoir prévu une " organisation spécifique à caractère administratif de la Collectivité territoriale de Corse " (selon ses termes) ne méconnaissait pas l’article 72 de la Constitution. Les auteurs de la saisine estimaient, en effet, que le statut proposé n’avait rien de commun avec celui des collectivités territoriales métropolitaines et s’apparentait en fait à une organisation particulière réservée par l’article 74 de la Constitution aux territoires d’outre-mer. Le Conseil constitutionnel estima, pour sa part, que rien ne faisait obstacle à ce que le législateur, agissant sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, crée une nouvelle catégorie de collectivité territoriale même ne comprenant qu’une unité et la dote d’un statut spécifique, dès lors que celui-ci était conforme au principe de libre administration des collectivités territoriales et respectait les prérogatives de l’État.
Le statut se mit en place durant l’année 1992. L’Assemblée de Corse se renouvela le même jour267 que les élections des conseils régionaux, le 22 mars et le 29 mars, pour le deuxième tour. A la différence des conseils régionaux, la Corse forme une circonscription électorale unique. Le scrutin de 1992 vit la percée des nationalistes qui réunirent 25 % des voix ; la droite, alliée au MRG, conserva l’Assemblée de Corse et prit le contrôle du Conseil exécutif. La gauche qui enregistra de mauvais résultats ne fut pas en mesure de conserver la présidence du Conseil général de la Haute-Corse.
( DES SPECIFICITES INSTITUTIONNELLES FORTES
L’organisation administrative de la Collectivité territoriale de Corse est désormais régie par les articles 15 à 49 de la loi du 13 mai 1991. Les organes de la Collectivité territoriale de Corse comprennent l’Assemblée de Corse et son président, le Conseil exécutif de Corse et son président, assistés du Conseil économique, social et culturel de Corse. Les principales innovations résident, d’une part, dans la dissociation de l’organe délibérant et de l’exécutif de la collectivité territoriale et, d’autre part, dans la transformation des offices qui, de nationaux, sont devenus territoriaux.
Le nouveau schéma institutionnel s’est inspiré des techniques du parlementarisme. En effet, l’article 25 alinéa 1 du nouveau statut indique que " l’Assemblée règle par ses délibérations les affaires de la Collectivité territoriale et contrôle le Conseil exécutif ". Plus restreinte, la nouvelle Assemblée se compose de 51 membres, au lieu de 61 dans le précédent statut. Le nouveau statut organise également le régime des sessions, accentuant ainsi le caractère parlementaire de l’institution268. Autre innovation importante, empruntée au parlementarisme rationalisé, le statut habilite l’Assemblée à mettre en cause la responsabilité du Conseil exécutif par l’adoption d’une motion de défiance. Celle-ci doit cependant être " constructive " afin de ne pas se transformer en facteur d’instabilité : l’exécutif ne peut être renversé sans que, préalablement, les groupes politiques à l’Assemblée de Corse n’aient conclu un accord pour constituer une nouvelle équipe susceptible de succéder à l’ancienne.
Lorsque le fonctionnement normal de l’Assemblée s’avère impossible, le gouvernement conserve la faculté de prononcer sa dissolution par décret motivé pris en Conseil des ministres269. Le gouvernement en informe alors le Parlement dans le délai le plus bref possible et il est procédé à une nouvelle élection de l’Assemblée dans un délai de deux mois.
La loi du 13 mai 1991 a cherché, par ailleurs, à renforcer le rôle de l’exécutif, distinct de l’organe délibérant et responsable devant lui. C’est le Conseil exécutif, composé d’un président assisté de six conseillers, qui dirige l’action de la Collectivité, notamment dans les domaines du développement économique et social, de l’action éducative et culturelle et de l’aménagement de l’espace. Le Conseil exécutif fonctionne comme un organe collégial, mais son président y occupe une place prépondérante. Outre les pouvoirs classiques dévolus à un exécutif local, un pouvoir réglementaire très étendu lui est reconnu, ce qui lui permet de préciser les modalités d’application des délibérations de l’Assemblée de Corse (même si ses arrêtés sont délibérés en Conseil exécutif). Le président du Conseil exécutif détient, en outre, la maîtrise de l’ordre du jour de l’Assemblée. Comme les autres membres du Conseil exécutif, il dispose d’un droit d’accès aux séances de l’Assemblée. Enfin, c’est lui qui désigne les présidents des offices et agences au sein des membres du Conseil exécutif. Il a la charge de contrôler le fonctionnement de ces structures comme le prévoient leurs statuts.
( LE NECESSAIRE EXAMEN DU ROLE DES OFFICES ET AGENCES
Le statut de 1991 a maintenu (par les articles 65, 66 et 74 de la loi de mai 1991), les offices de développement agricole et rural (ODARC), d’équipement hydraulique (OEHC) et des transports (OTC). Il en a ajouté un nouveau : l’office de l’environnement (OEC). Ces organismes ne sont plus des établissements publics nationaux, comme en 1982, mais des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) de la Collectivité territoriale. Ainsi, depuis 1992, ils ne relèvent plus de l’État, mais de l’échelon régional. Cependant, le représentant de l’État assiste de plein droit aux réunions de leur conseil d’administration et devient destinataire de leurs délibérations. Chacun de ces offices est présidé par un membre du Conseil exécutif désigné par le président du Conseil exécutif, et leur gestion est assurée par un directeur nommé sur proposition du président de l’office par arrêté délibéré en Conseil exécutif.
Deux structures ne sont pas expressément qualifiées d’offices par la loi de 1991. Il s’agit, d’une part, de l’institution spécialisée chargée des actions de tourisme en Corse, l’ATC (agence du tourisme de la Corse), qui a ainsi succédé au comité régional du tourisme (par dérogation à la loi du 3 janvier 1987 relative à l’organisation régionale du tourisme). D’autre part, l’agence de développement économique de la Corse (ADEC) a été créée sous la forme d’un EPIC. A la différence des autres établissements, elle n’était pas prévue expressément par la loi de 1991, ce qui explique qu’elle ne dispose pas d’autonomie financière ni de la possibilité de gérer directement les crédits d’intervention de la Collectivité territoriale. L’ADEC s’est substituée, à partir d’octobre 1992, à l’IRCIG (institut régional pour le commerce, l’innovation et la gestion), association de la loi 1901.
Tous ces établissements se sont donc vus accorder la qualité d’EPIC. Dans son rapport général de septembre 1996 (portant sur les activités de 1995), la commission de contrôle des agences et offices de l’Assemblée de Corse écrivait : " Mis à part l’ODARC et l’office d’équipement hydraulique qui génèrent des recettes propres, les quatre autres méritent-ils vraiment le statut d’établissement à caractère industriel et commercial ? La question est posée tout en gardant à l’esprit la nécessité d’une concertation permanente avec nos partenaires, au sein d’instances mixtes. "
De par l’importance des compétences et des moyens qui leur sont délégués, ces établissements jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre des politiques définies par l’Assemblée de Corse sur proposition du Conseil exécutif. La Collectivité territoriale n’a conservé que fort peu de compétences directes dans les domaines où ces EPIC interviennent : le développement agricole, l’équipement hydraulique, les transports extérieurs, le développement économique, l’environnement et le tourisme.
Les instances institutionnelles de ces établissements comprennent aussi bien des membres de l’Assemblée de Corse que des représentants des partenaires économiques et sociaux de la région. Il apparaît que le poids des élus de la Collectivité territoriale de Corse dans le fonctionnement et les activités de ces établissements est inégal selon les cas. Se pose la question de la présence des élus dans les conseils d’administration. Les représentants de la Collectivité territoriale sont minoritaires au sein des conseils d’administration de l’ODARC, de l’office hydraulique et de l’agence du tourisme.
ODARC : office de développement agricole et rural de Corse - président actuel : José Galletti - précédent président : Alexandre Alessandrini
OEHC : office d’équipement hydraulique de la Corse - président actuel : Jérôme Polvérini - précédent président : Jean Baggioni
OTC : office des transports de la Corse - président actuel et précédent : François Piazza-Alessandrini
OEC : office de l’environnement de la Corse - président actuel : Pierre-Philippe Ceccaldi - précédent président : Paul Giacobbi
ADEC : agence de développement économique de la Corse - président actuel : Jean-Claude Guazzelli - précédent président : Paul Patriarche
ATC : agence du tourisme de la Corse - président actuel : Marie-Paule Mancini-Néri - précédent président : Xavier Villanova
De même, l’ODARC procède à un volume important d’individualisations des crédits au sein d’une commission technique permanente qui ne comprend que trois représentants de la Collectivité territoriale sur huit membres.
Le taux de présence des élus dans les conseils d’administration et les bureaux demeure faible, surtout si on le compare à celui des socio-professionnels, qui assistent de façon plus régulière aux réunions.
Les conditions de fonctionnement des offices différent d’un cas à l’autre.
Au total, le système actuel semble ne satisfaire que peu d’acteurs locaux et nationaux, et de nombreux élus corses se disent sceptiques quant à la capacité de ces divers établissements à remplir efficacement les missions importantes qui leur sont dévolues. La commission d’enquête a entendu de la part de témoins provenant d’horizons différents des critiques similaires.
Les satellites de la Collectivité territoriale ont fait l’objet d’un certain nombre d’investigations de la commission, qui a adressé des questionnaires à l’ensemble de ces structures et s’est rendue successivement dans les locaux de l’agence de développement économique de la Corse (ADEC), dans ceux de l’office de développement agricole et rural de la Corse (ODARC) et, enfin, dans ceux de l’office des transports de Corse (OTC). A l’issue de ses travaux, la commission d’enquête a pu établir un certain nombre de propositions qui figurent dans la dernière partie du rapport.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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