Plusieurs témoins ont souligné, devant la commission d’enquête, que la situation financière de certaines collectivités était particulièrement compromise : " il existe tout de même des situations fragiles. Je crains, si l’activité touristique ne reprend pas, que l’on en arrive peu à peu à une situation très difficile, puisque des investissements lourds ne sont pas rentabilisés " expliquait ce même magistrat de la Chambre régionale des comptes.

( LES COMMUNES CORSES ONT UNE MARGE FINANCIERE REDUITE ET UN TRAIN DE VIE ELEVE

" Par rapport à la moyenne nationale, le volume budgétaire par habitant des communes de Corse est d’un niveau élevé. En 1992, il se situe au troisième rang des régions après Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon. Les budgets communaux corses présentent des différences de structure dont les plus sensibles sont les suivantes : place très importante des dépenses d’équipement brut, recettes fiscales faibles, niveau élevé des transferts reçus (en recettes de fonctionnement) et des subventions et participations reçues (en section d’investissement).

" A l’évidence, la demande des communes de Corse en équipements est très forte et les ressources internes très faibles. Les besoins d’équipement sont donc satisfaits par un apport important de ressources externes essentiellement en subventions et participations (...) La faiblesse en ressources internes se situe au niveau des recettes fiscales. Le produit des quatre grandes taxes locales dans la totalité des recettes réelles totales de l’exercice (...) est seulement de 19% en 1992 contre 30% en moyenne nationale.(...)

" Par rapport à leurs homologues continentales, les dépenses de fonctionnement par habitant des communes corses sont supérieures. Frais de personnel, intérêts de la dette et dépenses courantes de gestion sont plus élevés ; par contre les transferts versés (...) sont plus faibles ".

Ce constat, réalisé en 1995 par l’INSEE de Corse sur la base des données relatives aux années 1991 et 1992, reste pour l’essentiel toujours valable quatre ou cinq ans plus tard.

Les données présentées ci-après portent sur l’exercice 1996, dernière année disponible. Portant sur l’exploitation des comptes de gestion des comptables publics, il s’agit des données réelles et non de simples prévisions budgétaires.

A l’exception des communes comptant entre 2.000 et 5.000 habitants et de la ville de Bastia, les dépenses de fonctionnement des communes corses sont sensiblement supérieures à la moyenne métropolitaine. On constate notamment que les 304 communes corses de moins de 700 habitants dépensent en moyenne autant par habitant que les communes françaises de 5.000 à 10.000 habitants. Cependant, il est clair que ce " train de vie " élevé est partiellement explicable par l’importance dans ces petites communes de la population non permanente272.

Parmi les charges de fonctionnement, le poids des charges de personnel se confirme. La disparité par rapport à la moyenne métropolitaine est encore une fois particulièrement forte pour les 335 communes corses de moins de 2.000 habitants. On notera également la confirmation du poids des dépenses de personnel dans la ville d’Ajaccio qui, exprimées en francs par habitant, dépassent le niveau atteint à Paris (3.937 francs par habitant à Ajaccio contre 3.402 pour la capitale).

La faiblesse des recettes internes, notamment celles issues de la fiscalité directe locale, est manifeste. Pour l’ensemble des strates démographiques, elles sont inférieures aux moyennes métropolitaines. On notera la modicité des recettes issues du foncier non bâti, à l’exception des deux communes comptant de 5.000 à 10.000 habitants. A l’inverse, la fiscalité pesant sur les ménages, au travers de la taxe d’habitation, est particulièrement élevée, notamment dans les communes de moins de 2.000 habitants où elle apparaît deux fois plus forte que la moyenne métropolitaine. Ainsi, le produit de la taxe d’habitation votée dans les communes de 700 à 2.000 habitants dépasse de 8% celui observé dans les villes moyennes (de 10.000 à 20.000 habitants) de l’ensemble du pays.

Cette faiblesse relative du produits des impositions directes reflète la différence existant entre le potentiel fiscal moyen des communes corses et celui de l’ensemble des communes métropolitaines. Pour toutes les strates démographiques, le potentiel fiscal est sensiblement plus faible en Corse. Ainsi, le potentiel fiscal des plus petites communes corses, celles de moins de 500 habitants, ne représente que 71% de celui des communes métropolitaines appartenant à la même strate démographique.

Cette faiblesse des recettes internes est compensée d’abord par l’importance des transferts reçus par les communes corses, aussi bien en ce qui concerne le fonctionnement que l’investissement. Ainsi, pour les plus petites communes (celles de moins de 700 habitants), les transferts de toute nature sont plus du triple de ceux constatés dans l’ensemble de la France métropolitaine (5.213 francs par habitant au lieu de 1.697).

De même, il résulte de la faiblesse des recettes propres, et malgré l’importance des transferts, un endettement sensiblement plus élevé pour les communes corses et, en conséquence, des charges financières particulièrement lourdes. En cette matière également, la situation des 304 communes de moins de 700 habitants apparaît particulièrement dégradée.

La rigidité des budgets liée au poids des charges de personnel et à l’existence de besoins élevés compréhensibles en matière d’équipement, la faiblesse des recettes propres, la dépendance à l’égard des transferts en provenance de l’extérieur et le poids de l’endettement, tout concourt à rendre la situation financière des communes de l’île particulièrement difficile. De ce fait, pour plusieurs communes le rééquilibrage du budget relève, selon la Chambre régionale des comptes, de la " formalité impossible "273.

Comme l’expliquait un haut fonctionnaire prenant l’exemple de la Haute-Corse, " cinquante-quatre communes bénéficient, si j’ose dire, d’indicateurs d’alerte dans le réseau d’observation du Trésor public, c’est-à-dire un tiers des communes - soit un pourcentage tout à fait exceptionnel - allant du chef-lieu du département à de toutes petites communes, parfois dans des situations quasi désespérées ".

( LES FACTURES IMPAYEES DEVIENNENT COURANTES

Cette situation financière difficile des communes n’est pas étrangère à l’apparition d’un phénomène qui prend, en Corse, une importance grandissante, celui des factures qui restent impayées.

Comme l’a expliqué, devant la commission d’enquête, un haut fonctionnaire des finances : " Les engagements sont souvent pris à la légère, ce qui fait que les entreprises, au moment où elles veulent être payées, se heurtent au manque de disponibilités des collectivités locales ; d’où un dialogue de sourds tout à fait extraordinaire car de nombreuses collectivités locales ne mandatent pas les factures qu’elles ont reçues. Le préfet mène des enquêtes auprès des trésoriers qui sont capables de dire ce qui a été mandaté et non payé faute de facture disponible, mais incapables de dire ce qui n’a pas été mandaté. Et l’on entend les entreprises de travaux publics dire qu’il y a 400 millions de francs de dette, ce qui pour 260.000 habitants n’est pas négligeable, et le Trésor public dire qu’il y a 40 ou 50 millions de francs de dettes recensées, soit un facteur de un à dix. Tous les trésoriers que j’ai rencontrés sont persuadés qu’il existe, de façon variable selon les communes, mais parfois en quantité très importante, des stocks d’impayés en attente de mandatement, celui-ci étant fait d’ailleurs souvent sans qu’il y ait possibilité de payer. Mais on ne peut pas le faire de façon trop massive. Bien entendu, il est très difficile d’obtenir une statistique de cette situation tant que les collectivités locales ne tiendront pas des comptabilités de type commercial. "

Ce problème avait été abordé devant la mission d’information sur la Corse. Le président de la fédération du bâtiment et des travaux publics de la Corse-du-Sud expliquait comment il parvenait au chiffre de 400 millions de francs : " nous n’avons pas caché que ces dettes ne sont pas obligatoirement issues de marchés signés mais qu’elles concernent également un certain nombre de réalisations qui n’ont pas fait l’objet de marchés et pour lesquelles des régularisations sont à faire, ici ou là. Lorsque le préfet ramène le montant à 40 millions de francs, il ne vise que ce qui est remonté officiellement mais exclut tout ce qui est imputable aux départements, aux organismes publics ou parapublics (...) et ne prend en compte que les collectivités bénéficiant d’une fiscalité propre. " Il ajoutait qu’en outre " des pressions ont été exercées sur des entreprises pour qu’elles ne fassent pas remonter le niveau de leurs créances et, parallèlement, sur certains élus pour qu’ils n’évoquent par un certain nombre de situations ", pressions exercées par " des politiques, certains ne voulant pas que l’on montre qu’ils doivent de l’argent ".

Ces dettes des collectivités locales à l’égard des entreprises perturbent l’ensemble du tissu économique puisqu’elles pèsent sur la trésorerie des entreprises, amenant celles-ci à accumuler parfois à leur tour des dettes sociales ou fiscales. Ainsi, le premier débiteur de l’URSSAF est un entrepreneur de bâtiment qui ne parvient pas à obtenir le paiement de sa créance par un syndicat d’électrification, malgré un jugement du tribunal administratif.

( LES COMPTES DES COMMUNES MANQUENT DE SINCERITE

Comme l’expliquait un magistrat de la Chambre régionale des comptes, " la sincérité des comptes est une question difficile, dans la mesure où les communes n’hésitent pas à inscrire des subventions qu’elles n’obtiendront jamais pour pouvoir présenter un budget en équilibre. Mais quand on fait le tri, on s’aperçoit que le déséquilibre est réel. Beaucoup de comptes de communes moyennes, voire importantes, ne sont pas sincères. Je ne citerai qu’un exemple. La commune de Porto-Vecchio, qui est aussi en cours de contrôle, détient l’équivalent de 15 millions de francs de factures impayées dans ses tiroirs. Cela fait craindre une situation difficile lorsque ces 15 millions de francs seront rétablis dans le budget et qu’il faudra bien les payer. Comme l’équilibre du budget repose sur des recettes qui ne sont pas réelles, mais très largement hypothétiques, nous allons nous trouver devant une situation extrêmement difficile. Propriano se trouve dans une situation similaire, de même que la petite commune de Lévie, qui présente la particularité d’être très endettée, puisqu’elle a, depuis trois ou quatre ans, un trou de 16 millions de francs. Ce déficit ne s’aggrave pas mais reste en l’état. La question de la sincérité des comptes est un vrai sujet. "

En effet, les avis rendus en matière budgétaire ainsi que les lettres d’observation de la Chambre régionale des comptes fourmillent d’exemples de budgets communaux qui ne sont pas votés en équilibre réel.

D’une part, certaines dépenses ne sont pas inscrites pour leur montant prévisible ou ne sont pas inscrites du tout. C’est parfois le cas pour des dépenses obligatoires, telles que par exemple les cotisations à un syndicat intercommunal274 ou les contingents d’aide sociale. Cela arrive également fréquemment pour les autres dépenses de fonctionnement, telles que dépenses d’électricité275 ou factures d’eau auprès de l’office d’équipement hydraulique276.

D’autre part, les inscriptions en recettes sont parfois tout aussi problématiques. Il arrive que des subventions soient inscrites en recettes alors qu’elles n’ont pas encore été demandées277 ou pas encore été accordées278.

Il est clair que ce manque de sincérité des comptes des communes, motivé par le souci de présenter des budgets en équilibre apparent, repose la question de la responsabilité des comptables publics qui, notamment dans les plus petites communes, jouent un rôle de conseil essentiel.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr