Les déclarations publiques des responsables locaux de l’île pour reprocher à l’État d’avoir manqué à ses responsabilités et d’avoir une part écrasante dans la situation actuelle de la Corse n’ont jamais manqué, de même que les propos vertueux sur la nécessité de rétablir l’État de droit et de veiller au respect des lois en Corse comme ailleurs.

Ce sont les propos qu’ont tenus la plupart des élus entendus par la mission d’information sur la Corse, qu’il s’agisse des parlementaires de l’île, des représentants de toutes les formations politiques alors représentées à l’Assemblée territoriale, des délégations des deux conseils généraux emmenées par leurs présidents, des représentants des associations de maires, etc...

La multiplicité de tels discours, dont la mission d’information est loin d’avoir eu l’exclusivité, aurait pu laisser penser que la politique menée sur l’île après l’assassinat du préfet Claude Erignac susciterait de la part de ces mêmes responsables des marques de soutien ou d’approbation.

Or, force est de constater le " silence assourdissant de la classe politique ", pour reprendre la formule employée par un haut responsable sur l’île.

Le refus, le 23 juillet dernier, d’entamer la discussion d’une motion présentée par M. Simon Renucci devant l’Assemblée de Corse est, à cet égard, assez symptomatique. Ce projet de motion demandait à l’Assemblée d’affirmer " sa détermination à voir aboutir les procédures judiciaires que la situation rend nécessaires dans le respect scrupuleux des principes fondamentaux du droit, des libertés individuelles et de la dignité des personnes " et à souhaiter " que les faiblesses - parfois les complaisances - que les précédents pouvoirs centraux ont cru devoir manifester à l’égard des pratiques illégales et des actions violentes (...)soient définitivement dépassées ". Appliquant rigoureusement le règlement intérieur de l’Assemblée, la commission permanente a suivi le président de l’Assemblée refusant l’examen de cette motion, celle-ci ayant été déposée deux heures après le délai imparti, renvoyant ainsi éventuellement la discussion à la rentrée de septembre.

Au lieu de l’approbation et du soutien attendus, les déclarations officielles ou les entretiens accordés par des élus depuis février ont été essentiellement destinés à dénoncer le risque de " l’amalgame ", à rappeler les manquements antérieurs de l’État, voire à proclamer sa solidarité avec un élu mis en cause. Des craintes se sont également exprimées quant au le risque de voir l’État mettre en danger les règles de la décentralisation ou le respect des droits individuels.

Dès la première séance de l’Assemblée de Corse, son nouveau président regrette que la " nécessaire remise en ordre (se soit) parfois faite de façon choquante ".

Certains responsables mis en cause s’étonnent que l’administration leur reproche aujourd’hui des actes qui n’avaient fait l’objet d’aucune remarque antérieurement.

Ainsi, le maire d’Ajaccio, contraint de soumettre le budget de la ville à un nouvel examen du conseil municipal, regrette " seulement que, de 1989 à 1995, les contrôles de légalité et les comptables successifs n’aient cru devoir faire aucune observation, attirant l’attention de la ville sur cette erreur, ce qui aurait évité la situation actuelle ".

S’étonnant que le préfet de Haute-Corse ait décidé de ne pas participer à l’assemblée générale de la Chambre de commerce et d’industrie pour ne " pas cautionner les pratiques budgétaires " de celle-ci, son président précisait de même que " depuis 1986, je peux vous certifier que tous les budgets primitifs et modificatifs de la Chambre ont toujours été votés à l’unanimité par (ses) membres puis transmis et approuvé sans aucun problème par la tutelle, en l’occurrence le ministère concerné et la préfecture ".

Après avoir, lui aussi, souligné le " silence fracassant " de la classe politique locale, M. Toussaint Luciani284 a souhaité dans le même mouvement et non sans ambiguité, au cours d’une conférence de presse, que " ne s’instaure pas une vision réductrice, plaçant les noirs du Cap à Bonifacio, et les chevaliers blancs sur les bords de la Seine ". Il réaffirmait que " le droit des individus et la hiérarchie des préjudices " sont aussi importants que le respect de la loi, rappelant que " l’État de droit ne doit pas être le droit de l’État ". Enfin, il estimait lui aussi que l’État oubliait un peu trop ses " carences passées ".

La mise en examen du maire de Propriano pour favoritisme et prise illégale d’intérêt dans l’affaire de l’extension du port de plaisance de la commune a suscité l’indignation de l’association des maires du département et la solidarité du conseil municipal.

Le conseil d’administration de l’association des maires de Corse-du-Sud a exprimé dans un communiqué " son indignation sur la façon dont a été menée l’interpellation d’Emile Mocchi, maire de Propriano. Sans s’immiscer sur le fond quant à une procédure qui relève de la compétence exclusive de la justice, la forme spectaculaire285 utilisée est choquante et jette un peu plus l’opprobre sur les élus locaux. Si le rétablissement de l’État de droit en Corse est souhaité, l’association ne pense pas que les moyens employés, accompagnés d’une forte médiatisation, soient aujourd’hui de nature à servir les intérêts de la Corse et des Corses ".

Quant au conseil municipal de Propriano, il a adopté une résolution dans laquelle il " renouvelle toute sa confiance au maire et sa solidarité dans l’action municipale " et, inquiet, " lui souhaite une meilleure santé et surtout de ne plus différer une intervention programmée depuis trop longtemps ".

Les méthodes employées dans le cadre de la nouvelle politique de l’État dans l’île sont également critiquées.

Ainsi, le syndicat Force Ouvrière, par la voix de son secrétaire général, estime que " si une bonne application des lois est une impérieuse nécessité pour envisager un autre avenir, l’action entreprise par le gouvernement se doit d’une part d’être claire pour être lisible par tous, et d’autre part, en fonction des domaines abordés, d’être juste et de prendre en compte les propres responsabilités de l’État lui-même qui ont conduit notre région à la situation d’aujourd’hui. " Il annonce, en outre, qu’il " s’opposera au besoin par l’action syndicale à toutes mesures qui travesties de l’habit républicain du retour à l’État de droit auront pour conséquence de faire des salariés les victimes d’une mise aux normes inadaptée ".

Plus graves, ces critiques adressées au nouveau cours de la politique menée dans l’île s’accompagnent également de manœuvres étonnantes.

Dans un entretien accordé à la fin du mois de juin à un quotidien local, le préfet Bernard Bonnet mettait en garde contre " les manipulateurs de l’État de droit qui se transforment en agitateurs publics irresponsables pour pratiquer la politique du pire ". Il indiquait en effet que " sous prétexte d’État de droit, de nombreuses initiatives sont actuellement prises qui n’ont d’autre objectif que d’exaspérer la situation ", précisant : " les découverts bancaires même les plus modestes sont subitement refusés, les huissiers de justice sont soudainement sollicités pour le recouvrement de créances souvent anciennes, les rumeurs les plus fausses de suppressions d’aides publiques sont diffusées ".


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr