Pour garantir leurs positions et protéger leurs intérêts, ces réseaux n’hésitent pas à recourir à des intimidations ou à des violences organisées.
Parfois, les intimidations ont un caractère public, une des tactiques communément employées consistant à s’abriter derrière une ou plusieurs professions, notamment pour mettre en échec des procédures de recouvrement de créances ou réclamer des mesures de désendettement général.
D’après certaines informations parvenues à la commission d’enquête, ces manœuvres revêtent d’ailleurs un caractère plus discret. On a évoqué, pas toujours à mots couverts, des menaces sur des magistrats ou certains responsables administratifs.
En matière agricole, M. Michel Valentini était coutumier du fait. En février 1996, alors que la question de l’endettement agricole était au centre des préoccupations, il organisait une réunion à Ghisonaccia, au cours de laquelle une motion , adoptée à l’unanimité, décidait que tous les agriculteurs s’opposeraient par tous les moyens à la saisine de leur exploitation. Dans son discours, M. Valentini affirmait que " de notre côté, nous ne nous laisserons pas sacrifier sans réagir ". L’éclatement de l’affaire de la caisse régionale de Crédit agricole, qui le met gravement en cause avec son épouse295, lui a donné l’occasion de se livrer à une tactique analogue. Lors d’une réunion de responsables agricoles organisée à la Chambre régionale d’agriculture le 13 mars dernier, il a dénoncé " la cabale menée contre la profession " et " une orchestration digne de la pire chasse aux sorcières ". Affirmant que les agriculteurs " défendront (leur) outil de travail et (leur terre) jusqu’au bout ", il ne craignait pas alors de déclarer : " des débordements violents ne sont pas à exclure ".
Beaucoup plus inacceptables encore sont les menaces graves et directes dont un membre du corps préfectoral a fait l’objet de la part de M. Valentini. Ces pressions visaient à détourner ce fonctionnaire, dont le témoignage a été recueilli, d’une attitude jugée trop vigilante sur les dossiers agricoles.
Un comportement analogue peut être repéré également chez certains professionnels du tourisme. Ainsi, la Coordination des industries touristiques de la Corse n’a pas craint en 1996 de susciter des manifestations de professionnels endettés pour s’opposer par exemple à des ventes judiciaires provoquées par leurs créanciers, notamment la CADEC. Elle s’était d’ailleurs associée, cette année-là, aux comités d’agriculteurs endettés pour constituer, à l’initiative de M. Michel Valentini, un comité de crise. Or, le vice-président de cette coordination, M. Charles Colonna d’Istria296, est l’un des principaux associés au sein du complexe Santa Giulia, qui constitue par ailleurs le principal risque de...la CADEC.
Le recours aux pressions ou aux intimidations peut intervenir pour défendre des intérêts personnels sans passer sous le couvert de la défense d’une profession ou d’un secteur en difficultés.
Ainsi, M. Gilbert Casanova, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Corse-du-Sud, connaît quelques démêlés avec les services fiscaux et l’URSSAF.
En dette d’environ 250.000 francs au titre du non-reversement de la TVA297, M. Gilbert Casanova a fait l’objet, de la part des services fiscaux, d’un avis à tiers détenteur sur l’un des comptes actifs de ses sociétés. Convoquant une conférence de presse en présence du personnel d’une société qu’il avait pourtant juridiquement transmise à son fils, il a déclaré que cette action des services fiscaux était motivée par un souci de représailles en raison des critiques sévères qu’il avait formulées quelques semaines auparavant sur la note rédigée par l’inspecteur général des finances François Cailleteau. D’après certaines indications fournies à la commission d’enquête, sa réaction n’a pas été seulement publique : des témoins ont évoqué des interventions auprès du directeur des services fiscaux et du préfet Claude Erignac lui-même. Interventions qui se sont révélées vaines, M. Gilbert Casanova ayant dû honorer sa dette.
Il était à l’évidence coutumier de ces méthodes. Le témoignage d’un ancien trésorier-payeur général a été recueilli, qui a évoqué la venue inopinée de M. Casanova dans ses locaux et les pressions personnelles qu’il exerça ce jour-là.
M. Gilbert Casanova a également été assigné devant le tribunal de commerce d’Ajaccio par l’URSSAF, le 22 décembre dernier : la requête porte sur 999.413,19 francs de cotisations sociales impayées, certaines depuis 1995298. Quelques jours plus tard, dans la nuit du 8 au 9 janvier 1998, le garage de M. Casanova était gravement endommagé par un attentat, détruisant au passage toute la comptabilité de la société299. Le comportement du tribunal de commerce à l’égard de cette requête est particulièrement étonnant. Audiencé d’abord pour le 26 janvier, le dossier a été reporté ensuite à quatre reprises, d’abord pour le 2 mars, puis pour le 20 avril, puis pour le 8 juin, enfin pour le 6 juillet. A l’issue de cette audience, le tribunal de commerce a rendu un jugement avant dire droit renvoyant l’affaire en Chambre du conseil pour le 7 septembre " pour entendre la débitrice ". Cette attitude, pour le moins indulgente du tribunal de commerce, a été justifiée par certains témoins par le souci de préserver l’emploi de la trentaine d’employés de la société et de laisser le temps à la société d’éclairer le tribunal sur sa situation, tâche rendue plus ardue par la disparition de sa comptabilité. La désignation d’un administrateur judiciaire dès la première audience aurait pu pourtant permettre d’avoir plus rapidement une juste vision des choses.
Ainsi, à l’abri de liens protéiformes et par l’utilisation de méthodes douteuses, un véritable " système-lié " se mettait progressivement en place, pour reprendre l’expression utilisée devant la commission d’enquête par un haut responsable sur l’île. Observant " l’embryon d’un système-lié, où l’argent et le pouvoir, se soutenant, se sont mis en mouvement ", il poursuivait : " le rapport de l’Inspection générale des finances sur le Crédit agricole fait apparaître que sur les mêmes dossiers, nous retrouvons ce fameux triangle de politiques qui distribuent des crédits et des autorisations, d’affairistes - grand banditisme ou nationalistes - qui investissent, recyclent ou spéculent et de certaines institutions qui sont investies pour développer une façade d’honorabilité ".
La constitution, à Bastia, du pôle de lutte contre la délinquance financière répond donc à une impérieuse nécessité pour " casser " dans les meilleurs délais un phénomène qui, s’il parvenait à se consolider encore davantage, ruinerait le rétablissement de l’État de droit en Corse.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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