Face à ce constat, la commission présente les propositions suivantes :

( LES ELUS DOIVENT SE REAPPROPRIER LES PROCESSUS DE PRISE DE DECISION AU SEIN DES OFFICES

Lors de son audition devant la commission d’enquête, un haut responsable administratif a indiqué : " la question des offices est aussi posée. Car il y a à la fois le problème de la présence des élus de l’assemblée territoriale - ils sont très souvent absents, de telle sorte que ce sont les socio-professionnels présents qui font pression et qui prennent les décisions - et l’absence quasi-totale de contrôle de l’État, pour un certain nombre de décisions, puisqu’il s’agit d’EPIC ou de pseudo-EPIC ".

Certains observateurs ont dit devant la commission d’enquête que les vices des offices étaient " congénitaux ". Selon cette thèse, c’est la loi de 1991 qui aurait mis en place des offices incontrôlables et ingérables par la Collectivité territoriale de Corse. D’autres estiment que c’est essentiellement le rôle des élus qui est en cause et que l’Assemblée de Corse pourrait se doter des moyens de surveiller les activités de ces structures, voire de refuser leurs budgets s’ils ne lui conviennent pas.

La première piste est que les représentants de l’Assemblée de Corse soient réellement présents, ce qui éviterait que les groupes de pression prennent seuls les décisions.

( AU MINIMUM, LA COLLECTIVITE TERRITORIALE DE CORSE DOIT DAVANTAGE CONTROLER SES OFFICES

Dans son rapport de septembre 1997, la commission de contrôle des agences et offices de l’Assemblée de Corse relevait : " la question est de savoir si, dans l’état actuel de l’organisation et des compétences des établissements publics, la Collectivité territoriale peut suffisamment influer sur les actions menées par ces établissements. "

En principe, la Collectivité territoriale n’est pas dépourvue de tout moyen. Tous les offices et agences sont présidés par un conseiller exécutif, dirigés par des directeurs nommés par le président du Conseil exécutif. Ce dernier dispose, par ailleurs, d’un certain nombre de moyens de contrôle et d’orientation. Les orientations budgétaires des offices et agences sont arrêtées par l’Assemblée de Corse sur proposition du Conseil exécutif. L’Assemblée de Corse est représentée dans leurs conseils d’administration et elle organise des débats réguliers sur l’activité de ces établissements, qui était jusqu’alors suivie en son sein par une commission de contrôle.

Dans les faits, les offices et agences se gèrent avec beaucoup de liberté et de façon plus ou moins efficace et transparente. Lors de son audition devant la commission d’enquête, un témoin expliquait : " ce qui est certain, c’est qu’il y a une opacité très grande : les conseils d’administration (...) prennent des délibérations de principe, puis le directeur de l’office prend une multitude de décisions d’application à partir de cette délibération de principe particulièrement vague. En réalité, ce sont des centres clientélistes supplémentaires qui ont été créés avec ces offices - et que l’on voit utiliser très largement pendant les campagnes électorales ".

Certes, la commission de contrôle des agences et offices instituée à l’Assemblée de Corse doit remettre chaque année un rapport, mais ce dernier ne suffit pas à assurer un véritable contrôle. Ainsi qu’il a été indiqué à la commission, cette instance vient d’ailleurs d’être supprimée par l’Assemblée de Corse issue des élections de 1998 et ses attributions ont été confiées à la commission des finances et de la planification élargie aux membres des bureaux des deux autres commissions.

A titre d’exemple, la commission d’enquête a noté que, dans les faits, l’ADEC restait fort peu contrôlée. Le président du Conseil exécutif a la possibilité de faire des suggestions sur le fonctionnement économique et financier de l’organisme et peut transmettre ses avis au président de l’agence. Il informe l’Assemblée de Corse du fonctionnement et de l’activité de l’établissement. L’article 17 des statuts prévoit qu’avant le 1er novembre de chaque année, le président du Conseil exécutif présente à l’Assemblée de Corse un rapport sur les grandes orientations et le projet d’état prévisionnel des recettes et dépenses de l’agence. Aux termes de l’article 16, le président du Conseil exécutif reçoit copie des délibérations du conseil d’administration et du bureau de l’ADEC. Il peut, dans un délai de huit jours à compter de sa réception, demander un nouvel examen d’une délibération. Cette demande doit être motivée. Le nouvel examen de la délibération par le conseil d’administration doit avoir lieu dans les 15 jours. Les délibérations n’ayant pas fait l’objet dans un délai de 8 jours d’une demande de réexamen par le président du Conseil exécutif sont exécutoires de plein droit.

Concrètement, la commission d’enquête a constaté que l’ADEC intervenait dans le processus d’attribution des aides économiques de façon très autonome. Les divers contrôles lui sont apparus superficiels.

( POUR LA REMISE A PLAT DU SYSTEME DES AGENCES ET OFFICES

Dans son rapport de septembre 1997358 déjà cité, la commission de contrôle des agences et offices notait : " avant de s’interroger sur la question de savoir quelle est la place des EPIC au sein de notre Collectivité territoriale, sans doute faut-il se demander si leur existence est opportune, s’ils apportent une valeur ajoutée à notre action, et de manière corrélative, si l’exercice de leurs compétences s’effectue réellement en synergie. " Dans ce même document, cette commission estimait que la présence de ces établissements était bénéfique à plusieurs points de vue : l’existence d’un EPIC permettrait de mieux visualiser la politique menée dans un domaine particulier et de coordonner les actions entreprises par les différents partenaires ; les offices et agences constitueraient des lieux facilitant le partenariat avec d’autres institutions, organismes et organisations et apparaîtraient comme les " bras séculiers " de la Collectivité territoriale, chargés de mener une action sur le terrain, en prise directe avec les réalités.

De l’aveu même de plusieurs responsables insulaires, l’existence de ces établissements présente également des inconvénients. Il a probablement manqué, au sein du Conseil exécutif et animée par ce dernier, une instance collégiale de pilotage de nature technique qui aurait permis d’assurer une meilleure coordination des actions d’organismes dont les compétences ont parfois tendance à se recouper. La commission d’enquête s’est intéressée à ces divers organismes et notamment à l’ODARC, l’OTC, l’ADEC, l’OEHC et l’ATC, pour lesquels elle a établi les propositions qui suivent.

( CONFIER A LA COLLECTIVITE TERRITORIALE DE CORSE LES ATTRIBUTIONS DE CERTAINS OFFICES

Au terme de ses travaux, la commission d’enquête est amenée à proposer la suppression de deux organismes dont l’utilité est particulièrement sujette à caution. Il s’agit de l’ODARC (office de développement agricole et rural de la Corse) et de l’OTC (office des transports de Corse), dont les attributions pourraient être opportunément exercées par les services de la Collectivité territoriale à condition, bien entendu, que les élus prennent leurs responsabilités et s’en saisissent de façon à la fois déterminée et courageuse.

La commission a été frappée par le nombre de critiques formulées par les acteurs locaux à l’encontre de l’office de développement agricole et rural de la Corse, accusé de nombreux maux. Pour les uns, l’office serait budgétivore et inefficace ; pour les autres, il serait incapable de dresser la liste des priorités du développement agricole. Certains se plaignent de l’omniprésence de l’office en principe compétent pour toutes les aides de soutien aux agriculteurs. D’autres déplorent la faiblesse de ses actions d’ingénierie. Comme cela a déjà été indiqué, il est temps que la Collectivité territoriale assume, de façon plus nette et sans l’écran d’un office, les choix devant être faits en matière agricole, en partenariat étroit avec le ministère de l’agriculture. Cela n’exclut bien évidemment pas un dialogue - indispensable - avec les professionnels concernés mais permettrait de clarifier les processus de décision.

En ce qui concerne l’OTC, les compétences qui lui sont actuellement dévolues ne pourraient être directement exercées par la Collectivité territoriale qu’à la condition que ne disparaisse pas le partenariat avec les responsables économiques et sociaux du secteur des transports. La commission a, lors d’un déplacement, rencontré l’un des responsables de l’office qui reconnaissait lui-même que les missions de cet établissement pourraient être aussi bien réalisées dans le cadre d’un service de la Collectivité territoriale, d’autant plus que la réglementation communautaire et la législation nationale sur les délégations de service public renvoient la prise de décision à l’assemblée délibérante des collectivités locales concédantes. Dès lors, l’OTC n’a plus guère qu’un rôle de préparation des dossier et de suivi d’exécution des concessions.

( RECENTRER LES MISSIONS DE L’ADEC

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête s’est intéressée au fonctionnement de l’ADEC. Elle doit déplorer le manque de lignes directrices dans les activités de cet organisme qui n’a, semble-t-il, jamais pu déterminer de façon ferme les quelques secteurs porteurs de l’économie devant être, selon elle, soutenus de façon prioritaire. Le phénomène de " saupoudrage ", maintes fois dénoncé par divers observateurs, a perduré. Quatre ans après un rapport de l’Inspection générale des finances, les préconisations essentielles qui y figuraient n’ont pas été mises en œuvre. Lors d’une visite dans les locaux de l’ADEC, il a été dit à la commission que l’agence avait, vainement, cherché à se connecter informatiquement avec les services financiers de la Collectivité territoriale ; selon un responsable de l’agence, cette dernière aurait été traitée comme la " troisième roue du carrosse ". Cet incident témoigne du phénomène de démembrement entre la Collectivité territoriale et l’agence supposée, d’après les textes, jouer un rôle de relais pour cette dernière : l’ADEC ne s’est pas véritablement insérée dans le processus de décision et dans le fonctionnement habituel au quotidien de la Collectivité territoriale. Apparaissant comme une pièce rapportée, elle n’est pas en mesure de se faire le porte-parole de la Collectivité territoriale de Corse en matière de développement économique. Par ailleurs, son existence et le fait que les demandes de subventions soient d’abord instruites par les services de l’ADEC, examinées par le bureau de l’agence, avant de faire l’objet d’une décision au Conseil exécutif de Corse, ont permis la persistance d’un certain flou sur les responsabilités exactes des intervenants aux différentes étapes de traitement des dossiers.

La commission propose que l’instruction des dossiers d’individualisation des aides soit recentrée désormais au niveau des services de la Collectivité territoriale, et non du bureau de l’ADEC. La Collectivité territoriale pourrait ainsi directement mettre en place la véritable politique de développement dont la Corse a aujourd’hui besoin. En effet, les moyens financiers mis à la disposition de l’île ne manquent pas et la volonté de l’État et de l’Union européenne n’est plus à démontrer. Il convient que la plus haute instance politique de l’île, issue des urnes et responsable devant les électeurs corses, définisse une stratégie de développement ciblé qui serve de trame pour l’octroi de toutes les aides, importantes ou moins significatives, qu’elles proviennent de l’Union européenne, de l’État ou du budget de la région.

De son côté, l’ADEC pourrait opportunément se tourner vers le conseil aux entreprises corses et l’aide au montage de dossiers de création, de développement et d’implantation de sociétés en Corse. Chacun reconnaît que les potentialités de l’île sont importantes et encore peu exploitées. Les entreprises ne parviennent que rarement à développer leurs activités en dehors d’une zone géographique souvent très restreinte. Le regroupement d’activités pourrait être bénéfique à certaines petites entreprises qui, de par leur taille réduite, restent très vulnérables aux aléas de la conjoncture. Le renforcement du tissu industriel passe partiellement par des actions de diffusion de l’information dont l’ADEC pourrait se charger. Des missions d’étude de prospective, d’analyse et d’audit importantes pourraient être confiées à l’agence, qui ne manque par ailleurs pas de ressources humaines et intellectuelles.

( INCITER L’OEHC A ADOPTER UNE VERITABLE POLITIQUE DE RECOUVREMENT DE SES CREANCES

Divers documents transmis à la commission lui ont permis de prendre la mesure des difficultés rencontrées par l’office hydraulique pour recouvrer ses créances. Il semble que, pendant des années, un laxisme certain ait prévalu. La question du recouvrement n’est pas la seule difficulté à laquelle l’office est confronté, mais elle apparaît comme essentielle359.

Ni les élus ni les socio-professionnels siégeant dans le conseil d’administration de l’office ne s’étaient, jusqu’à une date récente, saisis du problème des créances. L’office ne peut continuer à fonctionner dans ces conditions. L’Assemblée de Corse devrait probablement s’interroger sur les moyens de contraindre les plus gros débiteurs à s’acquitter progressivement de leurs dettes. Il n’est pas acceptable que le " champion " en ce domaine soit une collectivité locale : la commune de Calvi qui détient, on l’a vu, le record de la dette auprès de l’OEHC.

Certes, depuis peu de temps, les responsables de l’office ont décidé de mettre en application une délibération de 1993 de l’Assemblée de Corse selon laquelle aucune aide régionale ne peut être octroyée à une personne morale ayant des dettes à l’égard de la Collectivité territoriale ou vis-à-vis de ses démembrements, y compris ses offices et agences. La commission s’interroge à cet égard : pourquoi a-t-il fallu attendre le mois de juin 1998 pour appliquer cette délibération ? Il conviendrait aujourd’hui que l’office se montre inflexible envers les personnes morales particulièrement défaillantes et ne montrant guère de signes de bonne volonté.

Il n’est pas tolérable que certaines situations se pérennisent. Les collectivités locales doivent notamment s’efforcer d’adopter un comportement irréprochable. Le fait que la commune de Calvi ait pu ainsi accumuler une telle " ardoise " auprès de l’office hydraulique (plus de 4 millions de francs au 30 juin 1998) n’est ni le signe d’une gestion raisonnable de ladite collectivité locale ni la preuve d’une très grande rigueur de la part de l’OEHC. Qu’un tel montant ait pu être atteint sans que l’office ne prenne la moindre sanction est en effet une source d’étonnement pour la commission. Sur le territoire national, il arrive que des agriculteurs défaillants soient victimes d’une mesure de coupure d’eau. En Corse, une telle solution n’étant, semble-t-il, pas même envisagée, si ce n’est pour expliquer que cela ne serait pas possible et créerait des problèmes insolubles à une profession déjà atteinte par la crise, les dérives ne peuvent que se multiplier.

La commission suggère donc que l’OEHC, qui constitue de par ses activités le seul véritable EPIC dépendant de la Collectivité territoriale, s’attache désormais à démontrer qu’un établissement public industriel et commercial bien géré peut parfaitement équilibrer ses comptes tout en assumant ses fonctions. Il ne saurait y avoir de fatalité des impayés en la matière.

( RENFORCER LA PLACE DE L’AGENCE DU TOURISME

La commission a noté que l’agence du tourisme (ATC), prévue à l’article 69 de la loi du 13 mai 1991, n’avait pas constitué à ce jour l’instrument performant au profit du développement touristique qu’il aurait dû être.

Cet organisme possède pourtant de larges attributions puisqu’il cumule les missions d’un comité régional du tourisme (CRT) et celles d’un service régional du tourisme. Présidée, comme tous les offices et agences de la Collectivité territoriale par un conseiller exécutif360, l’ATC, dotée de trente-cinq agents, est chargée de missions de conseil, de formation et d’information. Elle se présente comme un outil exceptionnel du point de vue des moyens qui lui sont alloués et des compétences qui lui sont reconnues.

Force est de constater que cet établissement a, à ce jour, rencontré des difficultés à exercer ses fonctions. Une des explications réside dans l’absence de véritable plan de développement pour le tourisme. Il en résulte un manque de continuité dans les actions menées en faveur de ce secteur. En outre, l’agence a souffert d’un problème de positionnement vis-à-vis de l’ADEC qui, de par ses attributions, est compétente pour les aides économiques à toutes les entreprises, y compris aux entreprises hôtelières.

Le tourisme a atteint une telle dimension en Corse que cet établissement devrait être en mesure de mobiliser l’ensemble des acteurs concernés. Or, on doit relever que cet organisme a traversé une grave période de crise. Selon un témoin, " (le précédent président de l’agence) est entré en conflit avec son directeur, et il n’y a plus eu de directeur pendant plusieurs mois. Or ce type d’organisme suppose la présence d’un technicien de haut niveau. Un nouveau directeur a été nommé. Il y a aussi eu une période de tension avec les professionnels, de divisions au sein du monde professionnel. La crise, le manque de poids politique du président, l’absence de directeur, tous ces éléments ont été défavorables à l’agence du tourisme, qui n’a pas pu jouer le rôle qu’elle devait jouer. "

La commission a relevé le grand nombre d’intervenants dans le domaine du tourisme. En plus de cette agence, il existe en effet une délégation régionale au tourisme (service de l’État), un comité départemental du tourisme et des loisirs en Haute-Corse (et pas en Corse-du-Sud), ainsi que des services de développement touristiques dans les deux Chambres de commerce. Au total, les fonctionnaires de développement sont plus nombreux que les véritables assistants techniques hôteliers. Ce trop plein de structures n’a pas favorisé l’établissement de lignes directrices communes à toutes.

Cette situation plaide en faveur du renforcement de l’agence du tourisme qui doit être un chef de file plus dynamique des actions de promotions touristiques. Cet organisme a vocation à être le maître d’œuvre de la politique de développement touristique de l’île, qui mérite d’être poursuivie sur le long terme. Enfin, l’agence doit être un partenaire central de l’État et de la Collectivité territoriale au moment des négociations sur le prochain contrat de plan dans lequel les activités touristiques devraient occuper une place importante.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr