Dans leur fonctionnement international, les mouvements sectaires, surtout quand ils atteignent une dimension leur permettant et nécessitant tout à la fois des stratégies globales, utilisent volontiers les outils qui leur permettent d’échapper, en toute légalité, au contrôle des Etats et à la vigilance croissante de la plupart de ceux-ci. En cela, les sectes ne se différencient pas d’ailleurs des autres groupes de nature et d’objectifs différents qui cherchent eux aussi à tisser leur toile autour de la planète.

Parmi ces modes d’action nouveaux qui échappent désormais de plus en plus aux Etats ("comme du sable dans la main" disait un interlocuteur de la Mission), les plus utilisés par les sectes sont, en premier lieu, l’entrisme dans les ONG et notamment dans celles accréditées auprès des organisations internationales ; ensuite les échanges et coordinations sur internet et enfin la libre circulation des capitaux. Ces derniers, surtout lorsqu’ils sont importants, procurent évidemment à leurs détenteurs, mal intentionnés, de grandes possibilités de corruption, de déstabilisation économique ou politique, de fausses aides au développement ou d’aides liées à l’octroi de positions d’influence permettant d’observer et d’influencer les preneurs de décisions, ainsi qu’au consentement d’avantages légaux, politiques, fiscaux ou financiers, toutes techniques que les sectes savent très bien utiliser.

L’utilisation de la forme juridique ONG mérite notamment de retenir toute notre attention car désormais partout dans le monde, il est fait appel au dynamisme et à la créativité de la "société civile". Or, l’ONG est la forme juridique sous laquelle se manifestent les composantes les plus actives de cette société civile et de nombreuses ONG sont devenues de très forts leviers d’influence, de puissants relais d’opinion, de grands coordinateurs internationaux.

La place et le rôle des ONG au sein des organisations internationales se sont considérablement accrus "au point qu’elles y ont acquis, pour certaines, plus d’importance que bien des Etats eux-mêmes", selon les propos tenus à la Mission par un haut fonctionnaire d’un pays d’Asie, qui ajoutait : "c’est un sujet qui nous préoccupe et dont nous parlons entre nous, au sein des non-alignés".

Il ne s’agit évidemment pas pour la Mission de remettre en cause l’indéniable, l’irremplaçable utilité du travail des ONG auprès des organisations internationales ou à l’extérieur de celles-ci. Mais au fil des entretiens qu’elle a eus avec des représentants des cinq continents, il lui est apparu que les Etats insistaient de plus en plus sur la nécessaire vigilance avec laquelle il leur faut aborder la croissance exponentielle du nombre des ONG, qui renferment désormais en leur sein toutes sortes d’intérêts et de groupes préoccupants, parmi lesquels les mouvements sectaires se développent naturellement très vite.

Ils le font selon deux méthodes, en créant des ONG ou en les investissant, surtout lorsqu’elles disposent déjà d’une accréditation auprès d’une organisation internationale.

Devant le nombre croissant des demandes d’agréments d’ONG auprès de l’Organisation des Nations-Unies (l’ONU parle de demandes de "statut consultatif"), le Comité des ONG de l’ECOSOC a consacré, en cette année 2000, une partie importante de ses travaux à une réflexion sur la mise en place de nouvelles méthodes de travail pour procéder à une•13 étude utile et efficace de ces demandes et, plus largement, sur le rôle des ONG au sein des organisations internationales.

Le Comité des ONG a constaté l’accumulation exponentielle des demandes d’ONG désirant obtenir le statut consultatif auprès de l’ONU. Depuis 1966, 2012 ONG, dont au moins 1/3 d’origine religieuse selon le secrétariat général, ont obtenu ce statut consultatif et 918 autres ont déposé des demandes pour l’obtenir. Le seul énoncé de ces chiffres suffit à illustrer l’ampleur des problèmes à résoudre.

En effet, si de 1948 à 1992, le nombre d’ONG ayant demandé et obtenu le statut consultatif est passé de 40 à 744, il s’agissait pour l’essentiel d’ONG connues ou dont les dossiers étaient facilement étudiables. Il n’en est plus de même, notamment depuis 1996, année où pour la première fois le comité des ONG a accordé le statut consultatif à des ONG exclusivement nationales, ceci dans le but de favoriser les ONG des pays du sud qui restent assez peu nombreuses en comparaison de celles des pays développés et qui ont en outre souvent des difficultés à apporter la preuve que leurs activités sont de portée internationale. Toutefois, bien qu’élargies au bénéfice des pays du sud, les conditions d’accès au statut consultatif ont principalement bénéficié aux ONG originaires des pays développés et notamment de l’Amérique du Nord.

Lors de ses travaux, le Comité des ONG a recherché les moyens d’améliorer ses méthodes de travail et ses moyens d’investigations sur les ONG demandant leur agrément, ceci afin de pouvoir mieux étudier leur nature juridique et leur raison sociale, qui est souvent énoncée en termes assez vagues, ainsi que l’intérêt réel que celles-ci peuvent présenter pour l’ONU. De même, a été étudiée la question du degré d’autonomie d’une ONG par rapport à une ONG "mère". Parmi les propositions faites pour une meilleure étude des dossiers figure celle de solliciter des Etats membres qu’ils étudient de plus près et dans l’intérêt du fonctionnement des organisations internationales, les demandes d’accréditation d’ONG établies juridiquement chez eux.

Une analyse plus poussée des demandes de "leurs" ONG par les Etats constituerait en effet un bon progrès même si l’on sait que certains Etats, et pas des moindres, ont dans le domaine des ONG des positions tout à fait laxistes.

De même, ont été aussi discutées, sans conclure, deux possibilités : que le secrétariat général diffuse sur le "net" les demandes d’accréditation faites par les ONG, ainsi que l’idée d’instituer un quota aussi bien pour le nombre de représentants de chaque ONG que pour le nombre des ONG elles-mêmes.

Par ailleurs, et ceci concerne de près les fonctionnements sectaires, le Comité des ONG s’est penché sur les moyens de rendre beaucoup plus "effective" l’étude des rapports quadriennaux fournis par les ONG déjà accréditées aux fins de renouvellement de leur statut consultatif. Pour ce faire, le Comité a demandé que le secrétariat exige des ONG des rapports à la fois plus explicites et plus complets. De son côté, le secrétariat général a souhaité que les membres du Comité consacrent tous les moyens dont ils peuvent disposer à l’analyse de ces rapports d’étape. Ce raffermissement d’attitude vis-à-vis des demandes de renouvellement d’agrément revêt de l’importance car il peut conduire à une mise à l’écart de mouvements sectaires dont les buts et moyens pouvaient avoir été difficiles à apprécier lors de la demande initiale.

Au sein même de la conférence des ONG ayant des relations consultatives avec les Nations-Unies (CONGO) qui regroupe quelques 350 ONG dont beaucoup sont à la fois anciennes et importantes, on semble d’ailleurs loin d’être opposé à un approfondissement des procédures d’examen des demandes d’agrément des ONG ; car, dans cette enceinte aussi, nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour dénoncer l’utilisation à des fins partisanes et égoïstes de "certaines soi-disant ONG qui semblent plus préoccupées de se servir que de servir" nous a ainsi déclaré le président d’une grande ONG à statut consultatif.

De nombreux autres interlocuteurs, responsables d’ONG, déclarent ouvertement que pour les ONG de caractère sectaire, l’obtention du statut consultatif auprès de l’O.N.U. et d’autres organisations internationales a pour but essentiel de leur permettre de profiter, c’est-à-dire d’abuser, de la "dignité" que leur confère ce statut consultatif.

Et l’on comprend bien pourquoi, quand on voit la façon dont ceux-ci usent et abusent de ce label de statut consultatif, combien ils s’en gargarisent dans chacune de leurs interventions publiques, chacune de leurs publications, chacune de leurs manifestations. Le summum est atteint lorsque deux ou plusieurs ONG sectaires, provenant d’ailleurs, éventuellement de la même ONG "mère", se légitimisent les unes les autres et s’honorent de leurs soutiens réciproques, voire, ce qui est encore plus élaboré, se réjouissent de constater que parties d’horizons différents, elles convergent vers les mêmes conclusions... S’en suivent alors des comportements et des dénonciations d’abord coordonnés puis identiques : ce phénomène a pu être observé en France à propos des protestations rituelles de certaines organisations sectaires contre la liste des 173 mouvements sectaires recensés par le rapport parlementaire de 1995. Scientologie en tête et d’autres à sa suite, proclament ainsi que cette liste contient les Baptistes (la religion du président et du vice-président des Etats-Unis, est-il précisé pour accentuer l’ignominie de la chose), les Mormons ainsi que les Adventistes du 7 ème jour, quand chacun sait bien qu’il n’en est évidemment rien. La proclamation, outrée et orchestrée, de telles contrevérités présente cependant un double avantage : en même temps qu’elle se retourne contre ses auteurs, elle fait également apparaître clairement lesquels, parmi ces milieux sectaires, se nourrissent du même grain...