Le second rapport annuel du Département d’Etat américain sur la liberté de religion dans le monde (hormis les Etats-Unis) est paru le 5 septembre 2000.

Sans vouloir polémiquer sur la légitimité internationale que posséderait un tel rapport aux yeux des autorités américaines, la lecture de celui-ci amène la Mission à formuler un certain nombre de constatations et d’interrogations.

Dans son sommaire de présentation (executive summary) le Département d’Etat consacre sa première partie aux "entraves à la liberté religieuse dans le monde", elle-même divisée en sous-parties. Dans l’une de celles-ci, le cas de la France est évoqué.

Le titre lui-même de cette sous-partie, "stigmatisation de certaines religions en les associant à tort à des cultes ou sectes dangereux" (page 17-64 du rapport) constitue un clair jugement par le Département d’Etat de la nature religieuse ou non de tel ou tel mouvement. Or un tel jugement apparaît paradoxal, pour dire le moins, émanant d’un organisme officiel de l’exécutif américain qui, de par le 1 er amendement à la Constitution américaine, est censé justement ne pas pouvoir se prononcer aux Etats-Unis sur la nature religieuse ou non d’un groupe, d’un mouvement, d’un culte, d’une secte ou de tout autre organisme. Le 1 er amendement vaudrait-il seulement pour le territoire de la Fédération américaine et le gouvernement américain en serait-il exonéré dans le reste du monde ?

A l’intérieur de cette sous-partie, le texte consacré à la France manifeste parfaitement cette capacité que s’arroge le Département d’Etat de juger du caractère religieux ou non de mouvements français, ainsi d’ailleurs que de leur dangerosité. Le texte commence en effet par cette affirmation péremptoire : "un rapport de l’Assemblée nationale de 1996 de même qu’un rapport parlementaire de suivi de 1999, étiquettent 173 groupes comme "sectes", décisions qui ont contribué à une atmosphère d’intolérance envers les minorités religieuses. Quelques-uns des groupes de cette liste sont d’évidence dangereux, mais la plupart sont seulement mal connus ou impopulaires" ... On ne peut s’empêcher de regretter que le Département d’Etat ne communique pas les listes qu’il semble, à l’évidence, avoir établi pour lui-même, des groupes qui peuvent en France se prévaloir du titre de "groupe religieux", de ceux qui au contraire ne peuvent y prétendre et enfin de ceux qui "sont clairement dangereux". Un seul mouvement est cité dans cette dernière catégorie, l’Ordre du Temple Solaire (p.5-9 de la rubrique du rapport intitulée "le traitement des minorités religieuses en Europe de l’Ouest"). On attend les autres noms qui justifieraient l’utilisation, dans le rapport, du pluriel.

On ne peut pas non plus s’empêcher de s’interroger sur l’objectivité des auteurs du rapport qui n’hésitent pas pour ce qui concerne la France à utiliser des termes vagues, ambigus, à faire des amalgames erronés et à évoquer des opinions ou des sources non précisées.

Par exemple, à la page 5-9 de cette même rubrique du rapport intitulée "le traitement des minorités religieuses en Europe de l’Ouest" on lit, sous la rubrique "France", ce passage : "Mais il est vrai aussi que la France a été à l’avant-garde de cette pratique problématique de créer des soi-disant "listes de sectes". Et le texte continue, de façon étrange et quasi incompréhensible puisqu’il semble faire preuve d’une ignorance complète du principe de la laïcité française en raison de la séparation entre les églises et l’Etat : "ces listes sont créées par des agences gouvernementales - en France la liste faisait partie d’un rapport parlementaire -et contiennent les noms d’un grand nombre de groupes religieux auxquels le gouvernement n’accorde pas la reconnaissance ("which may not be recognized by the government").

En plus de ce qui semble être une surprenante confusion entre les instances exécutives et législatives françaises, est-il besoin de rappeler que tout comme la Constitution américaine, la Constitution française n’autorise pas les autorités gouvernementales à reconnaître si tel ou tel groupe est de nature religieuse et que, par conséquent, celles-ci ne se livrent pas à de telles classifications.

Ceci a naturellement été régulièrement répété aux représentants américains lors des nombreux contacts qu’ils ont eus avec des interlocuteurs officiels français. Mais pour quel résultat ?

Le rapport américain reproduit, en outre, certains passages du rapport précédent (1999) sans les actualiser au fond. Mais la forme laisse croire à une telle actualisation. Un exemple : "Certains groupes qui apparaissent sur la liste française continuent à faire état d’actes de discrimination" écrivent les rapporteurs qui poursuivent : "L’un d’entre eux est l’Institut théologique de Nîmes, un institut biblique privé fondé en 1989 par Louis Demeo, pasteur d’une église associée" (1) . Or, à la connaissance de la Mission, l’Institut théologique de Nîmes s’était plaint dans le passé de malversations (notamment 2 voitures incendiées). Ces plaintes ont fait l’objet d’enquêtes de police qui, faute d’éléments probants, n’ont pu en imputer l’origine à des responsabilités externes. Il ne lui paraît pas qu’en cette année 2000, cet "Institut" ait dénoncé des actes de discrimination à son encontre ou à celle de ses membres. Mais il est vrai que le Département d’Etat connaît apparemment bien cet Institut puisque, lors d’une de son inscription à la conférence de la BIDDH de Vienne en 1998, celui-ci avait donné comme adresse celle ... du Département d’Etat à Washington.

De même, le rapport mentionne-t-il de façon générale et sans précision que "l’église de Scientologie se plaint que ses membres aient été les cibles de comportements discriminatoires". Une phrase est bien consacrée à une décision de refus d’autoriser une exposition d’art prise par une autorité locale assez vaguement décrite comme "un officiel d’un district (?) de Paris". Cette décision daterait d’avril 1999. Or, le rapport du Département d’Etat couvre, ainsi qu’il le précise lui-même, la période du 1 er juillet 1999 au 30 juin 2000. Comme le Département d’Etat traite abondamment dans son rapport de la Scientologie en France, laquelle semble l’informer avec précision de ses griefs et des discriminations dont ses membres seraient l’objet, on doit en conclure que du 1 er juillet 1999 au 30 juin 2000, période couverte par le rapport, aucun acte discriminatoire n’a été relevé à son encontre par la Scientologie. Dans un pays comme la France attaché à la défense des libertés individuelles et luttant contre toutes les formes de discriminations, qui s’en plaindrait ?

Il est regrettable, en revanche, qu’un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris concernant un parlementaire connu pour son action contre les menées sectaires ait été présenté comme définitif alors qu’il est frappé d’appel. Cette inexactitude jette un doute supplémentaire sur la loyauté des rédacteurs du rapport américain. 4

(1) Associée à l’Eglise évangélique de la Grâce, laquelle n’est pas répertoriée au sein de la conférence des églises protestantes de France.