Les articles 49 et 50 de la Constitution (article 15 de la Constitution révisée) relatifs à la liberté de conscience et de croyance sont à la base des réflexions concernant les questions et les organisations de nature religieuse. L’objectif principal (et historique) de ces articles réside dans la pacification de la population et la protection de l’individu à l’égard des grandes communautés religieuses après la guerre du Sonderbund. Ces dispositions ont contribué de ma-nière cruciale à la cohésion de l’Etat fédéral. La liberté religieuse est également garantie par l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et par l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PDCP) qui rangent la vie religieuse dans les droits fondamentaux afin qu’elle soit protégée dans son intégralité. Les citoyens décident librement des questions religieuses, ils peuvent exprimer leurs convictions, propager des idéologies religieuses et exprimer leurs convictions en participant à des manifestations religieuses (liberté de culte).

" L’évolution [...] a eu des effets sur les rapports entre la société et la religion, plus précisément sur l’Etat et les Eglises. Si au XIX e siècle, on a introduit dans la Constitution toute une série d’articles qui faisaient de l’Etat un arbitre sur le plan religieux, la tendance est aujourd’hui d’abandonner toute intervention dans ce domaine. Le projet de révision de la Constitution fédérale [...] est sur ce point tout à fait explicite : abandon de tous les articles qui concernent les problèmes de l’arbitrage de l’Etat pour ne retenir qu’un article sur la question de la liberté de conscience. " La réglementation des rapports entre l’Eglise et l’Etat revient aux cantons qui, tous, reconnaissent les grandes communautés religieuses. Les cantons de Neuchâtel et de Genève connaissent la séparation de l’Eglise et de l’Etat. La reconnaissance en tant qu’Eglise assure à cette dernière une protection juridique de la part de l’Etat ainsi que des privilèges tels que l’exonération fiscale (appliqué avec beaucoup de retenue par la Confédération et de manière diverse par les cantons), la libération du service militaire ou un droit de regard dans les affaires scolaires et dans la vie publique. Bien sûr, en retour, cette reconnaissance implique la reconnaissance de la légalité constitutionnelle et de la haute surveillance de l’Etat en ce qui concerne ses intérêts séculiers. Les Eglises libres, sans statut de droit public, ainsi que les " sectes " et pratiquement toutes les communautés non chrétiennes ressortissent au droit privé (articles 60 et suivants CC) (Neues Staatskundelexikon für Politik, Recht, Wirtschaft, Gesellschaft. Aarau und Zürich, 1996).

En 1989, dans une réponse à une question ordinaire - qui se référait explicitement à l’appartenance à des sectes et à la liberté personnelle - le Conseil fédéral a renvoyé à l’initiative privée (Question ordinaire 88.1068 appartenance à des sectes et liberté personnelle).

Après le drame de l’OTS, le Conseil fédéral et le Parlement ont refusé la création d’un Office fédéral des questions religieuses en se référant à la souveraineté cantonale en matière de culte (Motion pour un office fédéral des questions religieuses du 14 décembre 1993 (93.3606) ainsi que l’interpellation office fédéral des questions religieuses du 6 octobre 1994 (94.3418)).

Les autres réponses du Gouvernement à des interventions parlementaires ont toujours été empreintes de beaucoup de retenue et se sont référées aux éléments suivants : droits fondamentaux (en particulier la liberté de conscience et de croyance), souveraineté des cantons en matière d’affaires ecclésiastiques, les conditions préalables à toute intervention de l’Etat (notamment délits, mise en danger de la sécurité de l’Etat), efficacité de la législation en vigueur (doit pénal et civil, instruments cantonaux en matière de police sanitaire et du commerce).

Jusqu’à présent, le Conseil fédéral a rejeté toute action coordonnée au niveau de la Confédération pour des raisons financières. En mars 1998, il ne distinguait aucun signe indiquant que les cantons auraient de tels besoins et il doutait de l’efficacité d’une harmonisation des lois cantonales concernées (voir réponses aux interventions suivantes : interpellation relative à l’influence de l’église de scientologie en Suisse du 3 octobre 1996 (96.3505) ; interpellation relative à la lutte contre les sectes du 20 mars 1998 (98.3136) ; question ordinaire relative aux activités en rapport avec l’église de scientologie du 27 avril 1998 (98.1050)).

La retenue des autorités judiciaires a déjà été évoquée au chapitre II.4.3.3. A quelques exceptions près, les parlementaires suisses ainsi que les membres du Gouvernement se sont également référés au principe juridique formel de la retenue en matière de croyances.

Contrairement à ce qui est le cas en Allemagne, le traitement systématique et engagé de tels sujets dans la presse écrite n’a porté que peu de fruits. Cette attitude passive règne également dans les partis politiques depuis les années 80. Les centres de consultation et d’information ainsi que les associations de parents actifs en la matière ne sont pas parvenus à développer des groupes de pression politique en tant que tels au niveau fédéral.

Selon l’une des personnes entendues, il serait juste, bien que de plus en plus problématique du point de vue juridique, de considérer la religion comme une affaire privée étant donné que les différences dues au niveau socioculturel dans notre société ont été sous-estimées ces vingt dernières années. Aujourd’hui, il faudrait considérer la religion comme une dimension de la vie sociale, ce qui " légitime l’intervention de l’Etat en la matière."

Le désengagement de l’Etat présente des risques en ce sens qu’il " apparaît désemparé par rapport au changement religieux contemporain et par rapport au fait que dans les différents cantons la tendance est de réagir de plus en plus au coup par coup et non plus de façon globale ".

Contrairement à la situation en Allemagne, en Suède et en France, la politique suisse n’a jusqu’à ce jour pas tenté d’enlever le caractère tabou à tout ce sujet, de le sortir du champ de la responsabilité privée et de lui donner le caractère d’une affaire publique.

En regardant ce qui se passe en Allemagne, la commission a relevé qu’une intervention de l’Etat ne contrevient pas au principe de la liberté de conscience et de croyance. Il ne s’agit pas de rechercher une attitude plus radicale envers les groupements intolérables, attitude qui aboutirait régulièrement à des demandes d’interdiction - ce qui, en Suisse et de l’avis de la commission également n’est ni pensable, ni souhaitable - mais bien de prises de position personnelles des politiciens, membres d’autorités législatives et exécutives, qui se prononceraient sur le sujet comme c’est le cas chez nos voisins allemands. Contrairement à la Suisse, ils ont assimilé les peurs de la population (qui sont reprises et débattues par les médias). Ils ont ainsi reconnu la dimension sociale du problème. Des ministres ont mandaté des études, certains Länder ont lancé de larges campagnes d’information, le Bundestag a mis sur pied une commission d’enquête dotée d’un personnel professionnel, les tribunaux et les partis politiques ont pris des décisions claires et Helmut Kohl, le Chancelier de l’époque, est également intervenu publiquement à ce sujet. L’un des ministres allemands a même été acquitté par un tribunal : il peut en effet continuer de recourir aux termes de "Wirtschaftskrake", "wirtschaftskriminelle Organisation" et de "Geldwäscheorganisation" pour qualifier un groupement.

De telles prises de position jouent le rôle d’un signal pour la population et ont également un effet préventif, tant il est vrai que les personnes concernées (surtout les parents) sont alors bien plus facilement disposées à se préoccuper du sujet. En outre, ces prises de position sont également prises en compte par le pouvoir législatif.

Entre-temps, divers cantons ont entrepris certaines démarches en la matière :

* Suite à une motion du 1996, le Grand Conseil du canton de Bâle-Ville a complété sa législation pénale. Ainsi, est punissable celui qui recrute ou tente de recruter des passants sur la voie publique au moyen de méthodes trompeuses ou déloyales. Ces dispositions sont entrées en vigueur à fin novembre 1998. Fin juin 1999, le Tribunal fédéral a rejeté une plainte de droit public déposée par l’Eglise de Scientologie à ce sujet.

* Dans le canton de Genève, il est prévu de compléter le code de procédure pénale par des dispositions concernant les " dérives sectaires ". En particulier, les personnes victimes de mouvements endoctrinants pourront, en tant que partie civile ou en qualité de témoin, recourir à l’aide d’organismes spécialisés et reconnus dans le cadre de l’aide aux victimes.

* Le groupe de travail intercantonal pour les questions relatives aux " sectes ", constitué depuis septembre 1997 de représentants des cantons de Genève, de Neuchâtel, du Jura, de Fribourg, de Berne, du Tessin, du Valais et de Vaud. Actuellement, le " Centre d’information sur les croyances " est son projet principal (mené toutefois sans la participation des cantons du Jura, de Fribourg et de Berne).

* Le 19 octobre 1998, le canton du Tessin a publié un volumineux rapport sur les " sectes religieuses " ("sette religiose"). Ce rapport attribue une grande importance à l’application du dispositif législatif en vigueur ainsi qu’à l’information, l’éducation et la consultation et se référant notamment à la collaboration au sein du groupe de travail intercantonal dont le Tessin est membre.

* Un projet vaudois prévoit de donner aux gymnasiens de 3 e année la possibilité de suivre un cours à options en histoire et science des religions. L’objectif de cet enseignement est de transmettre des connaissances générales dans ce domaine et de favoriser une prise de conscience dépassant le cadre d’une seule branche. A l’école, les sciences religieu-ses doivent favoriser la compréhension mutuelle et permettre d’approfondir la discussion relative à l’intégration. Cet enseignement abordera des concepts tels que le respect d’autrui, la solidarité, la responsabilité sociale du citoyen. L’introduction de ce programme est prévue pour l’année scolaire 2000/2001.


Source : Conseil national suisse : http://www.parlament.ch