Au cours de ses auditions et de ses discussions, la commission est devenue consciente du fait que le sujet des " sectes " et des mouvements endoctrinants est un phénomène complexe et controversé. Malgré le nombre élevé d’informations et ses réflexions intensives, elle n’a pas réussi à s’en faire une image complète. Elle a été confrontée à la contradiction entre la constatation de lacunes en matière d’information et de recherche d’une part, et, d’autre part, la description de cas individuels choquants d’abus manifestes. Une autre contradiction constatée concerne les abus avérés de certaines associations et la présentation qu’elles en ont faite elles-mêmes lorsque la commission leur en a donné l’occasion. En plus, même les spécialistes de ces questions ne sont pas toujours d’accord pour ce qui est du caractère religieux ou d’éventuelles tendances sectaires de certains groupements ainsi que de leurs techniques d’endoctrinement ou de manipulation, notamment en ce qui concerne les rapports qu’ils entretiennent avec des personnes en quête de spiritualité ou de guérison. Certains groupements et certaines organisations tablent sur la liberté de conscience et de croyance afin de poursuivre dans son ombre des objectifs qui n’ont plus rien a voir avec ces libertés individuelles.

Les " sectes ", les mouvements endoctrinants et les autres groupements, structurés ou non, mais également les offres pseudo-religieuses sur le marché de la guérison évoluent dans un environnement de pluralisme religieux marqué par une évolution rapide. Ce sont justement les discussions au sujet de la liberté religieuse (et d’autres libertés fondamentales) qui ont élargi l’angle de vision. L’importance sociale (et politique) du sujet s’en est retrouvée renforcée : En Suisse, des convictions et des croyances religieuses inhabituelles et étrangères à notre patrimoine culturel judéo-chrétien traditionnel se rencontrent aussi au sein d’autres religions d’importance planétaire, en partie depuis plusieurs siècles. Entre-temps, leurs adeptes représentent déjà une partie non négligeable de la population suisse. C’est pour cela qu’il faut en principe aussi être conscient du fait que de nombreux citoyens et citoyennes de ce paix se réclament de l’islam (aujourd’hui troisième croyance en Suisse), du judaïsme ( depuis toujours ) ou d’autres convictions, tout en ayant la Suisse comme patrie émotionnel et politique. Puisqu’il est confronté à l’engagement religieux de ces citoyens (service militaire, prescriptions vestimentaires et alimentaires etc.), l’Etat ne pourra pas éviter de régler ses rapports avec les adhérents de toutes les religions et croyances. Il n’évitera donc pas non plus de devoir définir les notions de " religion " et d’" Eglise ".

La commission est consciente que :

* l’origine du pluralisme culturel et religieux actuel découle entre autres de l’organisation libérale et démocratique de notre société,

* que l’évolution ne peut être ni freinée, ni arrêtée ou dirigée dans une direction précise, les lois, les prescriptions ou autres moyens peuvent uniquement permettre de répondre aux excès, et

* que les lois, les prescriptions ou autres moyens ne peuvent et ne doivent que prévenir les excès.

Pour cette raison, la commission est parvenue à la conclusion que seule une culture empreinte de tolérance permet de tenir compte de la dynamique actuelle du processus social en matière de religion et de convictions. Dans ce domaine, les droits de l’homme s’imposent en tant que dénominateur commun et critère universel pour la société dans son ensemble. Accepter ce principe implique de reconnaître que l’essence culturelle propre à chaque groupement a des effets divers. La règle de base est l’obligation de dialoguer avec les religions des autres cultures. Il s’agit de faire comprendre que dans notre pays - parce que nous ne sommes ni en Chine, ni en Arabie Saoudite, mais en Suisse - ce sont les droits de l’homme au sens de la culture d’Europe centrale qui s’appliquent. En tant que garant de la tolérance (1) , l’Etat doit veiller à ce que les religions, les communautés et les groupes religieux - reconnus égaux en droits par l’Etat - reconnaissent et respectent les uns envers les autres, mais également envers leurs adhérents, au sein de leurs mouvements, les droits fondamentaux constitutionnellement garantis et participent plus activement au processus politique (par exemple élargissement du cercle des destinataires pour les procédures de consultation). Ainsi l’Etat répond de manière positive au critère de la liberté religieuse. Dans sa fonction de garant de la tolérance, il se doit également d’intervenir lorsque les droits de groupes ou de membres de groupes sont mis en danger ou réprimés. Il répond ainsi à une conception de la liberté religieuse qui s’exerce de manière critique et qui se doit de mettre des limites. Les déclarations de l’Etat, comme on les trouve déjà dans l’approche (scolaire) du canton de Vaud (2), ont valeur de signal et peuvent - quelle que soit l’importance du défi - aplanir la voie vers une culture de tolérance.

Comme les dangers potentiels ne dépendent pas du caractère religieux ou non des objectifs des groupes concernés, il est donc envisageable, au niveau politique, de développer des critères généraux a partir des principes universels des droits de l’homme permettant de fixer les limites de la tolérance de l’Etat et de la société : image libérale de l’homme, volonté de dialogue, transparence, publicité des comptes, structures démocratiques de partenariat non contraignantes, respect de l’intégrité personnelle, respect de la législation en vigueur, enracinement dans le contexte social etc. (3)


(1) Cette approche est celle de la commission d’experts " Religion und Fernsehen ". A ce sujet, voir le rapport mandaté par le DFTCE intitulé Religiöse Fernsehveranstalter (Schlussbericht), Berne, septembre 1997.

(2) Le plan d’études vaudois prévoit de donner aux gymnasiens de 3è année la possibilité de suivre un cours à options en histoire et science des religions dont l’objectif est de transmettre des connaissances générales dans ce domaine et de favoriser une prise de conscience dépassant le cadre d’une seule branche afin d’atteindre une certaine compréhension des autres cultures et de se forger une propre opinion.

(3) A ce sujet, voir " Religiöse Fernsehveranstalter ", rapport final de la Commission d’experts " Religion und Fernsehen " de septembre 1997 mandaté par le DFTCE, p. 10 ; la publicité des objectifs religieux ou le maintien de la paix religieuse sont d’autres critères spécifiques pour les producteurs d’émissions religieuses.


Source : Conseil national suisse : http://www.parlament.ch