La commission est d’avis que l’initiative privée à laquelle le Conseil fédéral avait renvoyé dans sa réponse à la question ordinaire citée plus haut ne semble actuellement plus suffisante.

Les efforts de certains cantons (législation, coordination de l’information, prises de position des autorités), mais aussi le fait que l’administration fédérale est confrontée à de telles questions le montrent bien. En outre, le Conseil fédéral doit, aujourd’hui déjà, prendre position dans ce domaine à l’occasion de ses réponses aux interventions parlementaires.

Pour cette raison, la commission estime que le fait que des services de l’administration fédérale doivent s’occuper de questions très diverses en liaison avec la problématique des "sectes" sans pouvoir se référer à des règles de bases unifiées formulées par le Gouvernement en tant qu’objectifs politiques constitue une lacune.

Au cours de l’avancement de l’examen, la commission a constaté l’absence de tout échange systématique d’informations entre les services administratifs concernés. De l’avis de la commission, pour ce qui est des mouvements endoctrinants, le Conseil fédéral semble se baser surtout sur l’opinion d’un fonctionnaire fédéral qui s’est spécialisé dans la problématique des "sectes" à titre privé, ce qui pose également un certain nombre de problèmes. En outre, la personne concernée se voit reprocher de ne pas garder une distance suffisante par rapports aux mouvements endoctrinants. Cette situation peut devenir problématique s’il devient tout à coup nécessaire de procéder rapidement à une analyse de risques (le passage au prochain millénaire provoque une atmosphère de fin du monde). Dans ces conditions, la réalisation d’une analyse crédible n’est pas suffisamment garantie et se transforme elle-même en risque. Une source d’informations unilatérale n’a que peu de chances d’être reconnue et acceptée par l’opinion publique. Elle se transforme même en sujet de critique bienvenu.

Tout d’abord, le Conseil fédéral est prié de prendre la problématique abordée dans ce rapport au sérieux et de considérer que les réponses qu’elle exige font partie des tâches d’un gouvernement. La commission attend de lui qu’il formule une politique en matière de "sectes" pouvant servir de base à l’action gouvernementale. A ce sujet, elle considère que l’article 15 de la Constitution révisée en général (et l’alinéa 4 en particulier) constitue une base suffisante. Pour les personnes concernées, une attitude claire des autorités constitue un signal qui les conforte dans leur volonté de se défendre contre l’endoctrinement, contre les violations des droits fondamentaux et contre les promesses de guérison et de salut insuffisamment fondées. Une attitude claire de l’Etat est également très importante pour l’application de la loi. En effet, lorsque les biens juridiquement protégés sont menacés voire mis à mal ou lorsque les interventions de l’Etat outrepassent les limites fixées par les droits fondamentaux, les tribunaux et les autorités administratives doivent intervenir de manière décidée.

Comme les exemples allemands, autrichiens, français ou suédois le montrent, un travail d’information et de prévention soutenu par l’Etat contribue au débat sur ce sujet, tant il est vrai que les mouvements endoctrinants ou les " sectes " sont un sujet considéré comme tabou (la campagne anti-SIDA de la Confédération a montré de manière impressionnante combien le travail d’information de l’Etat contribue à faire tomber les tabous).

En vue de la formulation et de la mise en œuvre d’une politique en matière de "sectes" qui tiennent compte de l’importance du problème, la commission est d’avis que les tâches suivantes incombent au Conseil fédéral :

* la coordination (voir chapitre III.2.1 ci-dessous),

* la mise sur pied d’un service suisse d’information et de consultation (voir chapitre III.2.2 ci-dessous) et

* l’encouragement de la recherche et de la collaboration (voir chapitre III.2.3 ci-dessous).

En outre, la commission est d’avis que le Conseil fédéral est tenu de prendre des mesures en matière de protection des consommateurs, du bien de l’enfant et de la santé (législation sanitaire) (voir chapitres III.2.4 et suivants ci-dessous).

COORDINATION : UNE TACHE CENTRALE DE LA CONFEDERATION

L’une des caractéristiques principales qui marque les relations avec les sectes est la diversité des acteurs (services administratifs, autorités, cantons, tribunaux/autorités de tutelle, unités de recherches, services d’information et de consultation privés et des Eglises). En outre, ces derniers ont des approches différentes et, la plupart du temps, isolées. En d’autres termes, leur collaboration est lacunaire.

Dans le but d’assurer la mise en œuvre de la politique en matière de " sectes " et afin de créer les bases permettant une information harmonisée, de qualité et non contradictoire, la commission estime que le Conseil fédéral doit jouer un rôle central et assurer une triple coordination :

* Coordination administrative entre les différents acteurs :

* entre les divers offices fédéraux,

* entre la Confédération et les cantons,

* entre les cantons,

* entre la recherche universitaire et les services d’information et de consultation privés et des églises et entre les organisations spécialisées,

* dans le but d’assurer une collaboration transfrontalière au niveau international (ce qui correspond également à une exigence du Parlement européen) (1).

* Coordination au niveau du contenu. En particulier, le Conseil fédéral garantit :

* une approche interdisciplinaire dans la recherche et une mise à profit en Suisse des résultats et des expériences d’autres pays (et inversement) (2) ;

* que les différentes optiques et les différents intérêts de la recherche et de la consultation (services privés et des Eglises) soient rapprochés, voire réunis, en faveur d’une politique d’information homogène et d’une base d’action unifiée (voir chapitre III.2.3 ci-dessous).

La coordination au niveau du contenu peut être assurée au moyen d’un contrat de collaboration (éventuellement d’un mandat de prestations) élaboré sous la conduite de la Confédération. Ce contrat pourrait également servir de légitimation permettant d’obtenir le versement d’une aide financière des pouvoirs publics.

* Coordination de la législation cantonale :

Le Conseil fédéral assure la coordination dans le domaine des législations cantonales qui concernent le domaine des mouvements endoctrinants, en particulier dans le domaine des législations sanitaires (voir chapitre III.2.4.3 ci-dessous).

MISE SUR PIED D’UN SERVICE SUISSE D’INFORMATION ET DE CONSULTATION

La commission estime qu’il est nécessaire de créer un service suisse d’information et de consultation (Le Département fédéral de justice et police estime à ce sujet que la base légale nécessaire fait défaut). Elle est consciente que la Commission contre le racisme étudie des phénomènes tels que le racisme, l’antisémitisme et les tendances fascistoïdes, qui peuvent également être une composante des sectes et des mouvements endoctrinants. S’agissant des questions touchant les "sectes", il y aura lieu le cas échéant de mettre en oeuvre des synergies ou des modalités de collaboration entre un service d’information et de consultation et la Commission fédérale contre le racisme.

En guise d’introduction à ce point, il convient de relever qu’il y a beaucoup d’informations sur les mouvements endoctrinants (notamment auprès des services de consultation) et que les groupements à caractère religieux informent également eux-mêmes. Cependant ces sources d’informations sont régulièrement critiquées pour leur manque d’objectivité et de crédibilité.

De plus, il n’est pas possible de s’assurer que les services privés ne puissent pas être noyautés. Le danger découlant du fait que ce genre de structure d’information peut perdre des connaissances précieuses à la suite de démissions de collaborateurs a déjà été relevé.

Le problème posé par les groupes endoctrinants réside avant tout dans le fait que ces derniers s’attaquent au libre-arbitre des personnes concernées. C’est donc pour cette raison que l’une des contre-mesures à disposition consiste à soutenir la propagation d’informations critiques au sujet des groupes endoctrinants. Ainsi, les personnes intéressées ont la possibilité (théoriquement tout au moins) d’obtenir des informations en complément à celles fournies par les groupes endoctrinants eux-mêmes et peuvent (toujours théoriquement) se forger leur propre opinion. Même les adeptes d’un groupe endoctrinant, qui souffrent souvent de leur situation, sont en mesure de mieux comprendre la situation et de réagir de manière plus adéquate. Dans la mesure où l’intervention de l’Etat devient nécessaire, les autorités (autorités tutélaires, fiscales, tribunaux etc.) doivent également pouvoir recourir à un service spécialisé en mesure de leur fournir des informations sur les groupes, sur leurs pratiques et sur leurs doctrines (3).

Même si un tel service doit s’efforcer au maximum de rester objectif, il ne faut pas s’imaginer qu’il est possible de fournir des informations exclusivement objectives ou neutres. Dans le cadre de la réflexion et du débat public indispensables sur la problématique des groupes endoctrinants, ce service présentera donc un " avis ". Pour cette raison, il est important que les critères appliqués correspondent aux valeurs protégées par la loi c’est à dire aux droits fondamentaux indissociables de l’image de l’homme et de la société dans laquelle il vit. En outre, les critères appliqués doivent être déclarés ouvertement.

Il convient de prêter attention aux points ci-dessous lors de la mise sur pied d’un service d’information et de consultation (4) :

* Ce service doit recouvrir tout le territoire suisse

A ce jour, il n’existe aucune institution se préoccupant de ce problème qui recouvre l’intégralité du territoire suisse. Il est cependant évident qu’il concerne toutes les régions linguistiques, si bien que la mise sur pied d’institutions régionales entraînerait trop de recoupements et l’engagement des moyens nécessaires ne serait pas rentable. La mise sur pied de ce service nécessite la collaboration avec les cantons.

* Orientation idéelle du service

Dans la mesure où il est question d’une participation ou d’un soutien de l’Etat, il est impératif que le service suisse d’information et de consultation soit neutre du point de vue confessionnel, ceci afin d’assurer que le soutien des pouvoirs publics n’entre pas en conflit avec la neutralité de l’Etat en matière confessionnelle (5). Information et consultation doivent être assurées selon le point de vue de la population avec le but de permettre une discussion engagée mais objective sur les groupes endoctrinants, leurs méthodes et les dangers qu’ils présentent. Les activités doivent se conformer aux lois en vigueur en garantissant les droits constitutionnels, pas uniquement les droits des groupes critiqués et de leurs adeptes, mais également ceux des autres personnes concernées (6).

* Tâches du service

Outre l’exécution des tâches permettant de répondre aux besoins en matière d’information et de consultation, ce service doit également accomplir un travail de prévention, observer comment ces groupes et leurs activités évoluent, coordonner le suivi des anciens adeptes de groupes endoctrinants et de l’encadrement spécialisé des groupes de soutien (7). Il est important que les tâches en matière d’information et de consultation soient assumées par le même organe, elles sont interdépendantes : Il est impératif de disposer de bonnes connaissances des groupes endoctrinants et de leurs méthodes pour donner des conseils de manière adéquate et, en même temps, les expériences concrètes avec les problèmes des personnes concernées influent sur le travail d’information.

En vertu de la doctrine et de la jurisprudence actuelles, le principe de la légalité ne s’applique pas qu’aux interventions mais également aux prestations administratives. Un soutien régulier à un service telle que celle qui est proposée nécessite une base légale (8) décrivant clairement les conditions et les buts des prestations offertes (9).

Le financement doit donc être assuré d’une manière conforme aux tâches.

Pour des raisons évidentes, une banque de données et des archives devraient être rattachés à ce service qui pourrait ainsi assumer une fonction charnière entre la recherche, le conseil et les instances de l’Etat (Confédération et cantons).


(1) Si le Conseil fédéral a reconnu la dimension internationale du problème, il l’a en revanche paradoxalement utilisé en tant qu’argument pour exprimer ses doutes au sujet de l’efficacité d’un harmonisation des lois spécifiques des cantons ; interpellation Burgener relative à la lutte contre les sectes (98.3136 du 20 mars 1998). Sans le même contexte, Madame Del Ponte, Procureur de la Confédération, a insisté sur la nécessité d’une collaboration internationale en matière de police.

(2) Si l’on considère la longue liste des sujets de recherche recommandés par la commission d’enquête du Bundestag allemand, on peut s’attendre à de nombreux résultats en provenance d’Allemagne, même si, finalement, seul un nombre de projets restreint est réalisé, voir rapport final de cette commission d’enquête, pp. 389 à 391.

(3) Un tel service pourrait également exercer une fonction dans le cadre de la discussion relative à l’ouverture des programmes de la télévision à des organisateurs d’émissions religieuses. En effet, il n’est que difficilement concevable que le respect des critères de concession soit évalué par l’autorité concédante. A ce sujet, voir " Religiöse Fernsehveranstalter ", rapport final de la Commission d’experts.

(4) La commission d’enquête du Bundestag allemand a également recommandé la mise sur pied d’une " Stiftung im Bereich Neue religiöse und ideologische Gemeinschaften und Psychogruppen ", rapport final de cette commission d’enquête, pp. 363 et ss. En outre, cette proposition correspond à une recommandation de l’UE à l’attention des Etats membres, voir également " Bericht über die Sekten in der Europäischen Union, Berichterstatterin Frau Maria Berger vom 11. Dezember 1997 ", Dok. A4-0408/97, chiffre 5, p. 8 qui "fordert ... Mitgliedstaaten ... auf, ... durch unabhängige Gremien, Informations-, Aufklärungs- und Beratungsaktivitäten ... zu beauftragen, die ohne inhaltliche Parteinahme dem Einzelnen eine freie und informierte Entscheidung zu erleichtern und austrittswilligen Sektenmitglie-dern und ihren Familien Hilfsstrukturen anzubieten. " En Autriche, le 20 août 1998, une loi relative à l’institution d’un service national en matière de secte (Bundesgesetz über die Einrichtung einer Bundesstelle für Sektenfragen, BGBl 1998, Nr 150, p. 1799) a été promulguée. Ce service a déjà commencé à fonctionner en novembre 1998.

(5) Les activités d’un service d’information privé ne peuvent pas être directement imputées à l’organisme officiel qui le (co)finance, ATF 118 Ia 57.

(6) Dans son arrêt ATF 118 Ia 56, le Tribunal fédéral a considéré que la critique d’éléments de croyance est garantie par les droits fondamentaux, naturellement dans les limites des législations pénales et civiles. En outre, le soutien d’un tel service permettrait de poursuivre des objectifs d’assistance sociale et humanitaires dans le sens qu’il permettrait de lutter contre les abus en matière de liberté de croyance. Idem p. 60.

(7) En Allemagne, selon la volonté de la commission d’enquête du Bundestag, la fondation doit remplir de très nombreuses fonctions. Outre cet encadrement spécialisé des personnes et des organes de consultation, la fondation doit également assurer la mise en place d’un cadre d’action et financier pour les organes spécialisés dans le domaine de la consultation, s’occuper de l’information du public ainsi que de la coordination et du perfectionnement des autres centres de consultation. La fondation doit également inciter, assumer ou octroyer des mandats de recherche, répertorier systématiquement le matériel existant afin de pouvoir le rendre accessible au public, mettre à jour la littérature socio-pédagogique ou psychologique, etc. (voir rapport final de cette commission d’enquête, p. 364).

(8) La commission d’enquête du Bundestag allemand recommande également l’élaboration de bases légales claires après que la haute cour administrative eut, par décision du 27 mars 1992 (voir NJW 1992 p. 2496), jugé illégal l’octroi d’un soutien financier à l’organisation faîtière des mouvements de parents AGPF, précisément par manque de bases légales particulières (voir rapport final de cette commission, pp. 364 à 368).

(9) ATF 118 Ia 46 et ss., particulièrement 61 et s. décision InfoSekta ; deux communautés religieuses (Eglise de Scientologie et Vereinigung-skirche) ont recouru contre une décision du Conseil d’Etat zurichois accordant une contribution à une société privée s’occupant de problèmes posés par les sectes et dont les activités sont également dirigées contre les recourantes. Le recours de droit public a été rejeté.


Source : Conseil national suisse : http://www.parlament.ch