La commission ne pense pas que la lutte contre les effets pernicieux des groupes endoctrinants doit avant tout être menée sur le terrain de la législation. D’une manière générale, elle est d’avis que les prescriptions légales en vigueur sont suffisantes ; leur application lacunaire a déjà été soulignée à plusieurs reprises. De plus, la commission considère que le recours à des méthodes policières n’est pas le premier acte préventif de lutte contre les débordements ; une surveillance policière de certains groupes ne s’impose donc pas. Sur ce point, la commission partage l’avis de la Commission consultative en matière de protection de l’Etat.

Toutefois, la commission est d’avis que certains aspects de la législation ou de son application peuvent et doivent être améliorés - dans ce cas également à titre de signal politique - afin de soutenir la politique de la Confédération en matière de " secte ".

Les domaines ci-dessous sont concernés par les problèmes d’application lacunaire ou par la nécessité d’apporter des améliorations ponctuelles et impliquent des mesures de la part des pouvoirs publics :

* Protection de l’enfant (voir chapitre III.2.4.1 ci-dessous) ;

* Protection des consommateurs au moyen d’une réglementation de l’assistance spirituelle à but lucratif (voir chapitre III.2.4.2 ci-dessous) ;

* Législation sanitaire (voir chapitre III.2.4.3 ci-dessous)

PROTECTION DE L’ENFANT

La nouvelle Constitution fédérale fait expressément obligation à la Confédération et aux cantons de s’engager en faveur de la protection de l’enfant et de son épanouissement (art. 41, 1er al., let. g ; art. 61, 1er al.). D’autre part, la Suisse a ratifié la Convention des Nations-Unies relative aux droits de l’enfant. Comme cela a déjà été expliqué (voir chapitre II.4.4.4 en particulier), les intérêts des enfants sont souvent menacés ou lésés par les groupes endoctrinants. Cependant, les possibilités d’intervention de l’Etat sont limitées, étant donné qu’en plus de la liberté de croyance (liberté de choisir sa religion) et de la protection de la famille, il faut également, selon l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et l’article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PDCP), tenir compte des droits des parents. Le droit de garde parental autorise et oblige les parents à prendre les décisions nécessaires pour l’enfant mineur. Ce pouvoir décisionnel est limité par le bien de l’enfant - qui constitue la maxime principale de tout le droit de l’enfant - par sa propre capacité de discernement ainsi que par certaines dispositions particulières en faveur de l’enfant. Le droit public peut également constituer un motif de limitation de l’autorité parentale. Mais comme le pouvoir décisionnel des parents fait partie du cadre de la famille qui, lui aussi, est protégé, chaque mesure limitative doit remplir les mêmes conditions que les mesures limitatives des droits fondamentaux (C’est-à-dire intérêt public, bases légales, proportionnalité, voir Hänn Peter / Belser Eva Maria, Die Rechte der Kinder, AJP 2/98, pp. 139 et ss., en particulier p. 152). Lors de l’examen de la question de savoir si l’intervention de l’Etat est dans l’intérêt du bien de l’enfant, il faut tenir compte que l’un des facteurs du bien de l’enfant réside également dans le fait d’éviter un conflit de loyauté avec les parents (Le Tribunal fédéral évoque cet aspect en relation avec les décisions relatives aux dispenses scolaires de nature religieuse, voir ATF 114 Ia 129 ; BVP 1992, 264).

Le Tribunal fédéral a décrit le niveau justifiant une intervention en précisant que ce n’est que lorsque l’obéissance aux principes d’une croyance lèse concrètement et de manière importante le bien de l’enfant que l’intérêt de l’enfant peut l’emporter sur le droit des parents. Cette condition est notamment atteinte lorsque la santé de l’enfant est menacée ou lorsque sa formation est limitée à un point tel que l’égalité des chances - y compris entre sexes - n’est plus garantie, ou lorsque l’enseignement qu’il lui est permis de suivre ne transmet pas les contenus indispensables du point de vue des valeurs sociales établies (ATF 119 Ia 178).

La commission est d’avis qu’une extension des possibilités d’intervention du droit en vigueur (c’est-à-dire des compétences judiciaires dans le cadre de la séparation et du divorce ou des mesures de protection de l’enfant) n’est pas nécessaire. La recommandation a principalement pour but de faire en sorte que, chaque fois qu’un juge ou une autorité administrative doit prendre des décisions en la matière, les intérêts de l’enfant soient pris en compte dans leur ensemble et suffisamment défendus selon les principes d’une procédure équitable.

PROTECTION DES CONSOMMATEURS : REGLEMENTATION DE L’ASSISTANCE SPIRITUELLE A BUT LUCRATIF

Pour la protection des consommateurs du marché de l’assistance spirituelle, la commission est d’avis qu’il faut élaborer une réglementation qui leur permette de se rendre clairement compte des conséquences financières, temporelles et personnelles d’un engagement. Il est possible d’atteindre ces objectifs avec des moyens semblables à ceux utilisés depuis longtemps dans le domaine des dispositions légales en matière de vente à tempérament et de crédit à la consommation. Il faut également tenir compte des risques de mise en danger de la santé. En effet, divers groupes endoctrinants accordent une place privilégiée aux promesses de guérison, tant dans leur doctrine que dans leurs pratiques, et, de plus, ces promesses jouent un rôle important dans la justification et la consolidation des rapports de dépendance (voir chapitre suivant).

Les fournisseurs doivent être tenus de remplir leurs tâches consciencieusement : ils doivent entreprendre les démarches propres à les renseigner sur les éventuels risques des méthodes qu’ils appliquent. Ce faisant, ils doivent également tenir compte des connaissances des domaines qui se situent en dehors de la doctrine qu’ils professent (de la médecine d’école notamment). La commission ne propose pas d’aggraver la responsabilité usuelle en vertu de l’exécution soignée d’un contrat (généralement un mandat). Elle demande la mise en vigueur d’une obligation légale d’informer sur les risques en tant que condition préalable nécessaire à l’application légale de toute méthode susceptible de nuire à la santé. En cas de violation de cette obligation d’informer, tout traitement est considéré comme illégal et - si les autres conditions de responsabilités sont données - implique la responsabilité pour tous les dommages subis. La commission retient que l’offre en la matière, actuelle et future ne doit être ni

limitée, ni soumise à un contrôle étatique et les méthodes utilisées ne doivent pas non plus faire l’objet d’un examen.

Dans le détail, la réglementation devrait comprendre les points suivants :

* Domaine d’application : les contrats relatifs à des prestations rétribuées portant sur le constat ou l’amélioration de l’état psychique ou des capacités psychiques et intellectuelles (Cette formulation est reprise (de manière abrégée) du § 1 du projet du Bundesrat allemand).

* Condition de validité : le contrat doit être écrit et un double doit être remis.

* Droit de résiliation éventuel.

* Droit de révocation.

* For juridique obligatoirement au domicile du participant ou au lieu d’exécution de la prestationofferte.

* Information sur d’éventuels risques pour la santé et sur la sanction en vertu de laquelle le fournisseur qui n’a pas informé son client répond de tout dommage survenu. La présente recommandation ne propose pas le renversement du fardeau de la preuve (1). Le lésé devrait donc prouver que le dommage subi a été provoqué par le fournisseur. Le non-respect du devoir d’information serait tout au plus constitutif de l’illicéité et de la culpabilité. Il serait possible de limiter ce devoir d’information aux risques connus. Ainsi, les fournisseurs seraient libérés de la responsabilité des risques qui ne sont pas encore connus.

En revanche, ils ne pourraient plus se moquer des connaissances établies relatives aux dangers liés à une confiance aveugle dans l’application de la doctrine.

LEGISLATION SANITAIRE

Il est indéniable que certains groupes endoctrinants accordent une place importante aux promesses de guérison tant dans leurs doctrines que dans leurs pratiques. Même si la commission est tout à fait consciente que, en Suisse, la compétence de légiférer en matière de santé incombe principalement aux cantons (2), elle estime que la Confédération doit agir en matière de coordination des législations cantonales.

La plupart des cantons ont réservé le diagnostic et le traitement des maladies physiques et psychiques aux médecins, éventuellement à d’autres professions médicales reconnues.

Pour ce qui est des groupes endoctrinants, il est frappant de constater que nombreux sont les cantons qui n’appliquent pas intégralement leur législation en la matière. Cette attitude est à l’origine de toute une zone grise dans laquelle évoluent une nuée de personnes et d’organisations qui exécutent des actes thérapeutiques, ouvertement ou sous le manteau, alors qu’elles n’en auraient pas le droit. Par souci de précision, il convient de souligner que toutes les activités de cette zone grise ne manquent pas forcément de sérieux (Certains cantons ne réglementent pas l’activité indépendante des psychologues, ce qui ne signifie pas pour autant qu’aucun psychologue sérieux n’exerce dans cette zone grise).

La justification et la consolidation des rapports de dépendance repose sur divers éléments : souffrance considérable, pas d’amélioration de la part des aides proposées jus-qu’ici (notamment par la médecine traditionnelle), gratitude des personnes souffrantes envers les groupes endoctrinants qui leur promettent une guérison, énorme capital de confiance (que la raison ne parvient pas à l’expliquer) ainsi qu’une fascination particulière pour des promesses de guérison généralement rapide, totale et certaine.

Pour cette raison, la commission estime qu’il est évident que les patients ont besoin de la protection de l’Etat, notamment :

* contre les pratiques dangereuses pour la santé (outre les effets directs et néfastes de certaines pratiques, il faut également tenir compte que ces dernières peuvent avoir pour effet de dissuader le patient à recourir à une aide reconnue, à un médecin par exemple) ;

* en cas d’abus financier ;

* en cas de dol ou de volonté d’induire en erreur ;

* lorsque l’endoctrinement combine des pratiques thérapeutiques à des contenus doctrinaires plus larges qui visent à réduire le libre-arbitre et à entraver la liberté de l’individu concerné.

Au vu de ce besoin de protection qui vient d’être évoqué et en vertu de sa responsabilité en matière de coordination, le Conseil fédéral devrait s’engager pour que les cantons orientent leurs législations sanitaires en fonction des lignes directrice suivantes (3) :

* Les dispositions légales en vigueur doivent être appliquées ou adaptées aux nouveaux besoins et aux nouvelles opinions.

* Lorsqu’un canton décide de tolérer des pratiques thérapeutiques non scientifiques, il doit assurer que l’autorisation, l’inscription ou la simple autorisation des personnes qui appliquent ces pratiques ne permette pas de donner au public l’impression que l’Etat a testé l’efficacité ou l’innocuité de ces méthodes.

* L’obligation légale pour le thérapeute de renseigner ses patients sur les risques liés à la pratique de ces méthodes thérapeutiques non scientifiques.

* L’interdiction de toute indication, toute assertion qui ne peut être prouvée, qui est fausse ou qui est susceptible d’induire le patient en erreur, tant sur ses propres méthodes théra-peutiques que sur celles des méthodes en concurrence (notamment de la médecine traditionnelle), et ceci tant pour la publicité que dans le cadre de publications ou de discus-sions avec les patients.

* L’obligation d’indiquer la méthode appliquée et, le cas échéant, la doctrine qui est à sa base. Cette obligation doit être liée à l’interdiction d’utiliser des méthodes non déclarées (l’hypnose par exemple).

* Il est nécessaire de veiller à ce que la réglementation ne puisse pas être contournée en prodiguant les actes thérapeutiques non pas dans le cadre d’un rapport soignant - patient, mais au sein d’un groupe dont l’organisation du travail est compartimentée.

Ces principes, qui ne gênent pratiquement pas les thérapeutes sérieux, permettraient de combattre efficacement les dérives liées aux activités des groupes endoctrinants.


(1) En Allemagne, le projet hambourgeois partait du principe général du renversement du fardeau de la preuve (indépendamment de l’information du participant). L’organisateur aurait donc dû prouver qu’il n’a pas causé le dommage intervenu. Ce principe a ensuite été abandonné étant donné que les " profils de risque des méthodes et techniques " utilisées dans ce domaine ne sont pas assez bien connus, voir le rapport final de la commission d’enquête du Bundestag allemand, p. 370.

(2) Voir article 3 cst. qui délimite les compétences de la Confédération de manière très étroite, notamment à la loi sur l’assurance-maladie et accidents, la loi sur les épidémies, loi sur les toxiques, brevets fédéraux ; voir Honsell, Handbuch des Arztrechtes, pp. 216 et ss. ainsi que 236 et ss.

(3) Le Grand Conseil de Bâle-Ville a réglé ces principes à l’occasion de la révision de la loi sur l’exercice des professions médicales. Il a introduit l’autorisation de la pratique de diverses médecines dites alternatives (comme l’acupuncture, la médecine traditionnelle chinoise ainsi que d’autres pratiques dites non scientifiques). La loi a été adoptée en mai 1997, il n’a pas été fait usage du délai référendaire. Les lignes directrices exposées ci-dessus sont contenues dans la loi et dans l’ordonnance entrant en vigueur le 1er juillet 1999.


Source : Conseil national suisse : http://www.parlament.ch