A) UNE NOTION DIFFICILE A CERNER ET PARFOIS UTILISEE DE FAÇON ABUSIVE

Dans le droit commun, la notion de bénévolat est consubstantielle à celle d’association et à la présomption de non-lucrativité de celle-ci. Elle consiste, en effet, à participer au fonctionnement ou à l’animation d’une association sans rémunération d’aucune sorte ni contrepartie matérielle.

L’activité bénévole est, le plus souvent, celle des membres de l’association mais elle peut, dans certains cas, être le fait de personnes par ailleurs salariées de l’association et lui apportant une collaboration supplémentaire non rémunérée.

L’absence de contrepartie financière comme critère du bénévolat est entendue de façon assez stricte, aussi bien par la législation (art. L.242-1 du code de la sécurité sociale) que par la jurisprudence (arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale du 17 avril 1985). En sont, en effet, exclus, non seulement les rémunérations en espèces, y compris les indemnités, primes et gratifications, mais également les avantages en nature offerts par les associations à leurs collaborateurs, et consistant en hébergement, repas, mise à disposition d’un véhicule...

En outre, une rémunération, même composée exclusivement d’avantages en nature, a le caractère d’un salaire si l’existence d’un lien de subordination est établie entre les collaborateurs et les dirigeants de l’association.

Toutefois, le collaborateur bénévole peut, sans que soit remis en cause son statut, être remboursé des frais qu’il engage pour le compte de l’association, à la condition qu’il s’agisse de dépenses réelles et ayant donné lieu à des justificatifs. Faute de pouvoir produire ces derniers, l’association voit les sommes versées à ses collaborateurs bénévoles requalifiées par l’URSSAF en salaires déguisés. Dans la pratique, la distinction entre un collaborateur bénévole remboursé de ses frais et un collaborateur occasionnel salarié dont la rémunération est exclusivement ou essentiellement composée d’avantages en nature, n’est pas toujours facile à opérer.

Enfin, est également admis le cumul d’une activité salariée et des fonctions exercées à titre bénévole au sein d’une même association. La jurisprudence a accepté qu’un salarié, membre permanent d’une association, puisse, dans le cadre d’une convention passée avec celle-ci, répartir son temps de travail en heures rémunérées et en heures bénévoles.

Les souplesses et les ambiguïtés du bénévolat peuvent donc assez facilement donner lieu à des détournements.

Dans les associations sectaires, l’adhésion particulièrement intense et l’état de dépendance favorisent considérablement le recours au bénévolat.

La Commission a ainsi été frappée, dans de multiples cas, par la faiblesse numérique des effectifs de salariés travaillant dans des mouvements sectaires et, plus encore, dans leurs filiales exerçant une activité économique.

Le recours au bénévolat est très fréquent non seulement - ce qui était attendu - dans les mouvements affichant un objet spirituel, mais aussi, et plus spécialement, dans les mouvements qui interviennent en matière de formation et de développement personnel. Les adeptes sont conduits à fournir gratuitement certains travaux pour la secte, dans la plupart des cas, soit pour rembourser leurs dettes à son égard, soit à titre de reconnaissance pour les bienfaits dont ils ont bénéficié.

Ainsi, la Scientologie fait travailler des adeptes qu’elle rémunère mais dont la rémunération peut être intégralement affectée au paiement des cours et des services dispensés. On cite l’exemple des installations de Copenhague, siège de l’organisation européenne de la secte, qui auraient été, selon plusieurs témoignages, restaurées par des adeptes volontaires pour une valeur totale de 17 millions de francs. La rémunération mensuelle de chacun était d’environ 5.000 francs, à laquelle s’ajoutaient des avantages en nature de type classique (hébergement et nourriture) et d’autres, plus originaux, consistant en heures de cours et d’études.

D’autres, qui n’arrivent plus du tout à payer leurs cours, sont envoyés à Copenhague pendant quelques mois pour effectuer de petits travaux administratifs dans des conditions très dures : hébergés à la limite de l’insalubrité, travaillant jusqu’à quatorze heures par jour, non déclarés et nourris avec parcimonie.

Dans d’autres cas, l’adepte de la Scientologie fortement endetté se verrait proposer de travailler bénévolement, le plus souvent dans des pays étrangers, où il donnerait, par exemple, des cours dans des écoles de langues.

De même, deviennent des bénévoles-forçats les adeptes nécessitant une phase de rééducation et de réhabilitation. Le " Rehabilitation project force " (RFP) les emploie à des tâches subalternes, dans les locaux de Copenhague ou sur le bateau de la Scientologie, le " Freewinds ".

D’autres mouvements semblent pratiquer un très large recours au bénévolat.

Ainsi, à la fin de chaque séminaire de Landmark, il est demandé aux stagiaires s’ils souhaitent être bénévoles : 5 à 10 % se porteraient volontaires. Leur travail consiste alors à s’occuper principalement de la logistique des séminaires et à faire du démarchage téléphonique.

Sri Ram Chandra, qui organise des séminaires internationaux, dont le dernier, en août 1998, a rassemblé 2.000 participants, emploie des bénévoles dans le cadre de " séminaires chantiers ", qui ont notamment permis la restauration du château servant de siège à l’association.

Les Témoins de Jéhovah font également un large appel au bénévolat aussi bien pour des tâches diverses, accomplies au sein de la Communauté chrétienne des Béthélites sur le site de Louviers, qu’au titre du démarchage à domicile que doivent effectuer les adeptes. L’ampleur des travaux réalisés à Louviers et l’organisation de la communauté ont poussé l’administration à en contester le caractère bénévole ouvrant un contentieux sur lequel on reviendra ultérieurement.

D’autres exemples peuvent être cités à partir de témoignages mentionnés dans le rapport d’enquête de la Chambre des Représentants de Belgique du 28 avril 1997.

La Nouvelle Acropole exige de ses adeptes un certain nombre d’heures de travail bénévole dans son " école ", consacrées à des tâches d’accueil, d’entretien et de secrétariat.

Ogyen Kunzang Chöling (OKC) demande à ses membres du travail communautaire, contre la fourniture gratuite de l’hébergement, la nourriture et l’enseignement de la doctrine.

Sukyo Mahikari exige également de ses adeptes, outre leurs multiples offrandes, d’assurer des travaux et des services pour son établissement central au Luxembourg.

B) LE REGIME APPLICABLE

L’actuel régime du bénévolat offre aux mouvements sectaires un allégement considérable du coût de leurs activités, et laisse sans aucune protection des adeptes qui, bien souvent, embrigadés dans le mécanisme sectaire, n’exercent plus à l’extérieur d’activité leur donnant droit à une couverture sociale. Dès lors, l’absence de cette couverture favorise un bénévolat plus ou moins " forcé " puisque les adeptes peuvent difficilement quitter la secte sans se retrouver dans une situation d’extrême précarité sociale.

C’est d’ailleurs, à l’occasion d’un accident du travail survenu en 1996 à l’imprimerie des Témoins de Jéhovah, à Louviers, qu’une inspection a fait apparaître, d’une part, des manquements graves à la législation du travail, sur lesquels nous reviendrons plus loin, d’autre part un système de protection sociale insuffisant.

Les régimes comptable et fiscal du bénévolat, conçus, dans l’esprit de la loi du 1er juillet 1901, pour faciliter la vie associative - en la déchargeant à la fois des coûts élevés du salariat et des réglementations complexes du travail - sont ainsi devenus, pour les mouvements sectaires, des instruments propres à conforter leur opacité et à leur faciliter la pratique de la fraude fiscale et sociale.

Dans la mesure où les contributions volontaires apportées par les bénévoles à la vie des associations peuvent représenter, pour certaines d’entre elles, des volumes de travail ou des quantités de services très importantes sur le plan économique, il semblerait normal que ces apports fassent l’objet d’une valorisation comptable.

C’est pourquoi, le Conseil national de la comptabilité a, dans un avis déjà ancien, rendu le 17 juillet 1985, montré " l’intérêt qui s’attache à la valorisation des contributions volontaires effectuées à titre gratuit " et proposé une méthode qui permettrait de disposer, ne serait-ce que pour des raisons de bonne tenue des statistiques économiques, d’informations en ce domaine.

Cette prise en compte étant, bien entendu, facultative, peu d’associations l’ont intégrée dans leur comptabilité et, on s’en doute, aucun des mouvements sectaires ayant accepté de répondre au questionnaire de la Commission, même ceux qui, comme les Témoins de Jéhovah, utilisent un personnel nombreux à des tâches industrieuses.

Le bénévolat associatif ne bénéficie d’aucun statut fiscal avantageux pour favoriser son engagement. Lui sont appliquées les règles de droit commun, selon lesquelles les remboursements de frais sont non-imposables alors que peut l’être une partie des avantages en nature.

Si ce régime ne soulève pas de difficulté particulière pour les associations en général, il en va différemment pour celles relevant de la mouvance sectaire. En effet, l’absence de salariat peut faciliter l’attribution de revenus occultes à des adeptes que le statut de bénévole fait échapper à tout contrôle fiscal direct.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr