Les dons restent le fondement essentiel de la richesse des sectes. Les mouvements les plus riches ont acquis leur fortune à partir des " offrandes " de leurs adeptes. La plupart des organisations demandent à leurs membres de donner pour leurs associations, dans des proportions et selon des méthodes de collecte différentes. Cette pratique est au demeurant conforme à la loi de 1901 qui autorise les dons manuels.

Les sommes qui, chaque année, passent des membres à l’organisation peuvent atteindre des montants très importants. Les instances nationales des Témoins de Jéhovah ont déclaré avoir recueilli, au cours de l’exercice 1997-1998, un total de dons représentant 85,6 millions de francs, auxquels s’ajoutent les offrandes consenties aux associations locales qui sont estimées à 70 millions de francs par an. On peut donc considérer que les sommes versées chaque année par les Témoins de Jéhovah dépassent 150 millions de francs, en précisant que ce montant n’inclut ni les dons consentis sous forme de prêts, ni les offrandes remises en échange des publications de la secte.

On relève le versement, par les adeptes, de contributions importantes chez la plupart des sectes disposant d’une " grosse fortune ", même si, compte tenu de l’audience des organisations concernées, les montants en cause n’atteignent jamais les sommes drainées par le mouvement jéhoviste. L’AMORC a reçu de ses membres, au cours des derniers exercices, entre 21 et 24 millions de francs par an. La fourchette se situe à des valeurs comparables pour les mouvements suivants : Soka Gakkaï (entre 13 et 18 millions de francs) et Mahikari (9,7 millions de francs en 1996). De même, l’essentiel des 5 à 9 millions de recettes annuelles de la branche française de l’Eglise internationale du Christ provient de dons. Ce constat est également valable pour Ogyen Kunzang Chöling, l’Eglise néo-apostolique et la Pentecôte de Besançon. Enfin, le rappel d’impôt de 8,6 millions de francs, hors pénalités, prononcé par application des droits d’enregistrement aux dons manuels perçus par le Mandarom montre que les offrandes versées à cette secte atteignent, chaque année, plusieurs millions de francs, voire plusieurs dizaines de millions de francs. Cette conclusion est confirmée par l’importance des montants brassés par les adeptes et par les sommes placées hors de France. En 1996 notamment, le Mandarom disposait de 14,7 millions de francs en liquidités qu’il a déposés en Italie dans des circonstances sur lesquelles on reviendra. Une telle somme pouvait difficilement provenir de la seule vente des prestations et produits proposés sur le site de Castellane, et devait donc inclure des dons versés en espèces.

L’importance des sommes qui viennent d’être citées pose la question de l’origine réelle des dons versés en espèces, et incite parfois à rattacher certaines pratiques sectaires à des activités de blanchiment d’argent sale. L’encaissement de sommes présentées comme des dons peut effectivement servir à blanchir des fonds d’origine douteuse.

Avant d’être abandonnée, une procédure pour blanchiment d’argent a été envisagée sur le Mandarom. Il a en effet été établi qu’en 1995 un adepte de la secte a déposé sur son compte 610.000 francs en espèces alors qu’il n’avait aucune ressource connue ni aucune activité professionnelle. Cette somme a permis l’acquisition d’une maison d’habitation pour 970.000 francs dont près de la moitié à été réglée en espèces. L’affaire a cependant été classée sans suite le 3 novembre 1997.

En tout état de cause, justifiés par les rites " cultuels " créés par la secte ou par l’aspect religieux dont elle a habillé la diffusion de son message, les dons sont devenus partie intégrante du sectarisme. Dans toutes les salles du royaume des Témoins de Jéhovah, a été installé un tronc par association destinataire de la générosité des adeptes, rappelant ainsi l’importance que l’argent joue au sein de la secte. Certains mouvements ont établi une périodicité de versement : ils sollicitent leurs membres tous les mois, voire, dans le cas de Sahaja Yoga, toutes les semaines. Les sectes considèrent que les dons constituent un acte naturel dans la vie de leurs adeptes. Sahaja Yoga et Invitation à la vie les assimilent même à une action utile à la société toute entière puisque, d’après leur réponse au questionnaire de la Commission, ces deux associations remettent en toute illégalité à chaque donateur un reçu ouvrant droit déduction fiscale.

L’importance acquise par les dons dans le financement du sectarisme pose le problème de la spontanéité des versements et la question des services qui peuvent être consentis en contrepartie. Apparemment légaux, les dons, compte tenu de leur montant, soulèvent deux interrogations : sont-ils réellement des offrandes volontaires ou s’assimilent-ils à des prélèvements obligatoires ? S’agit-il de véritables dons ou d’une facturation déguisée des prestations ou des produits distribués par la secte de manière à cacher le caractère lucratif de son activité ?

A) L’APPRECIATION DU DEGRE DE SPONTANEITE DES DONS

Le degré de spontanéité des dons versés aux sectes est une question particulièrement délicate. La Commission n’a pas été en mesure de le mesurer. Elle n’en a pas eu le temps, et quand bien même les délais qui lui étaient impartis auraient été plus longs, elle n’y serait probablement pas parvenue. Le caractère spontané d’un don est avant tout une question d’appréciation subjective qui ressort de témoignages difficilement exploitables, soit qu’ils proviennent d’adeptes convaincus par le message de l’organisation à laquelle ils appartiennent, soit qu’ils émanent d’anciens adeptes dont on peut craindre qu’ils cherchent à régler leurs comptes, sans souci d’objectivité.

Il n’en reste pas moins que la Commission a recueilli des informations qui mettent sérieusement en doute la spontanéité des dons. Il est connu que plusieurs sectes fixent le montant des offrandes en fonction des revenus des adeptes, et les assimilent ainsi à une véritable dîme. Le coût de l’adhésion au Mouvement raëlien français représenterait par exemple 7 % du revenu des membres, l’appartenance au " gouvernement mondial géniocrate ", instance supérieure de la secte, atteignant même 10 %. Interrogés sur ce point, les dirigeants de Raël n’ont pas accepté de répondre, et entretiennent par conséquent la suspicion qui pèse sur leurs pratiques. De même, la Commission n’a obtenu aucune réponse de l’Eglise universelle du royaume de Dieu ni de l’Eglise internationale du Christ auxquelles on attribue un prélèvement de, respectivement, 20% et 10%.

Les méthodes utilisées pour augmenter le rendement des dons font incontestablement planer le doute sur la réalité de leur spontanéité. Mahikari dispose, par exemple, d’une comptabilité permettant un suivi très précis des rentrées. Chaque implantation de la secte fait l’objet d’un compte particulier qui mesure en temps réel le résultat de la générosité de ses adeptes. Les offrandes sont organisées selon un classement qui comprend plusieurs degrés déterminant l’importance du versement. Lorsqu’un membre quitte la secte, il serait invité à trouver une personne susceptible de compenser le manque à gagner.

On retrouve une organisation similaire au sein de l’Eglise du Christ. La Commission a eu accès à des comptes internes du mouvement qui n’ont pas été démentis par la secte, cette dernière n’ayant pas accepté de répondre aux questions qui lui étaient posées. Ces documents ventilent les dons entre des " collectes hebdomadaires " versées en application d’un pourcentage du revenu des adeptes, et des " collectes de missions " organisées une à deux fois par an et dont le montant est fixé par avance. Les comptes de dépenses laissent apparaître des frais de location importants (1,4 million de francs en 1996) qui correspondent à la réservation des salles utilisées pour organiser ces collectes, la secte ayant l’habitude de réunir ses adeptes dans plusieurs lieux prestigieux de la capitale, comme la salle Gaveau ou la Mutualité. En outre, chaque membre serait invité à ouvrir un compte d’épargne dédié au dépôt des économies qu’il destine à la secte.

Les Témoins de Jéhovah ont adopté une stratégie d’incitation plus habile. Leurs publications prônent l’abnégation, tout en encourageant, souvent à l’aide de références bibliques, la générosité. Le caractère apocalyptique de la secte, et cette observation est vraie pour toutes les organisations de la même mouvance, est un atout de taille : la référence à imminence de l’apocalypse est souvent utilisée comme la justification de la nécessité des dons. L’existence d’incitation aux legs par la distribution de testaments pré-établis a été portée à la connaissance de la Commission qui n’a pas été en mesure d’en vérifier la réalité. En revanche, la force de persuasion des témoins chargés du prosélytisme est bien connue, de même que, on l’a vu, leur maîtrise des techniques de démarchage.

B) L’EXISTENCE DE CONTREPARTIES AUX OFFRANDES

La spontanéité des dons versés aux sectes est également ternie par les prestations qui peuvent être fournies en contrepartie. Lorsqu’ils font du porte-à-porte pour proposer leurs publications, les Témoins de Jéhovah utilisent fréquemment la phrase suivante : " c’est gratuit, mais vous pouvez faire un don ". Ils ont en fait recours au procédé de la réciprocité, bien connu des spécialistes de la vente : en recevant un cadeau, on s’estime redevable vis-à-vis du donateur dans une proportion beaucoup plus importante que dans un rapport d’achat-vente direct. Ce procédé a notamment été utilisé au début des années 1980 par les adeptes de Krishna pour tenter de vendre des fleurs dans les aéroports américains. Ils avaient parfaitement compris que proposer un cadeau et laisser ouverte la possibilité de faire un don en contrepartie est une méthode beaucoup plus rentable que celle consistant à les vendre directement. L’essentiel des techniques de vente sectaires repose sur ce procédé.

Ce procédé présente en outre un intérêt fiscal : en déguisant sous la forme d’offrandes la vente de leurs prestations ou produits, les sectes ôtent à leurs activités leur caractère commercial le plus voyant. Il ne s’agit en effet pas de vente au sens strict du terme, mais de dons ouvrant droit à des contreparties. Cette tactique entraîne des conséquences fiscales directes, la présence d’un prix étant normalement exigée pour établir le caractère lucratif d’une activité.

Il est fréquent que les sectes offrent, en contrepartie des dons qu’elles reçoivent, des objets ou des services. Les rites auxquels certaines d’entre elles se livrent mêlent souvent le versement d’offrandes et la distribution d’objets cultuels. Dans leurs réponses au questionnaire de la Commission, plusieurs associations scientologues ont déclaré offrir à leurs généreux donateurs les services proposés par la dianétique. Il a été précisé par des représentants de la secte que la Scientologie pratique un système de " donations fixes " qui montre clairement qu’elle a recours à la vente déguisée. De même, les Brahma Kumaris mettent en avant la gratuité des cours ou conférences qu’ils organisent, mais ont en fait systématiquement recours aux dons qui se substituent à toute autre forme de participation financière.

Les Témoins de Jéhovah utilisent, avec une indéniable habileté, la fragilité de la frontière séparant ce qui relève du don et ce qui ressort de la vente. Ils expliquent que leur considérable production de publications est écoulée sous la forme d’offrandes. Il est vrai qu’aucun prix ne figure sur les brochures depuis une décision de la Cour suprême américaine, rendue en 1990 pour affaire extérieure à la secte, concluant à la taxation des revenus tirés des revues à caractère religieux. En France, le prix de 2 francs qui était traditionnellement mentionné sur les publications jéhovistes a disparu en 1991, et les revues sont écoulées en échange de dons qui atteignent en moyenne 10 francs par numéro, et dégagent ainsi un produit supérieur aux recettes perçues dans le dispositif antérieur. Le recours à la vente déguisée permet à la secte d’échapper aux impôts commerciaux. Le contrôle fiscal réalisé sur l’Association Les Témoins de Jéhovah, support juridique des opérations éditoriales de la secte, n’a pas pu établir le caractère lucratif de ses activités, faute de pouvoir rassembler le faisceau d’indices exigé par la jurisprudence, et notamment faute de prix clairement affiché.

S’agissant des dons versés par les Témoins de Jéhovah, la Commission a relevé un second phénomène d’évasion fiscale qui montre, une nouvelle fois, la capacité de la secte à adapter ses pratiques aux règles imposées par le droit. En effet, si les activités éditoriales de l’Association Les Témoins de Jéhovah n’ont pas été taxées, les dons qu’elle a reçus ont été assujettis aux droits d’enregistrement. Depuis cette taxation sur laquelle on reviendra, on constate que les offrandes sont de plus en plus versées sous forme de prêts de trois ans renouvelables. Les instances nationales de la secte ont reconnu l’existence de ces prêts. La Commission a ainsi eu connaissance de plusieurs centaines de déclarations relatives à des prêts consentis par des particuliers dont le montant unitaire se situe entre 30.000 et 900.000 francs. Elle est cependant incapable d’en mesurer l’encours au niveau national. L’importance de certains prêts laisse à penser que ce procédé d’évasion fiscale peut aussi s’analyser comme un moyen de contourner l’impossibilité juridique de bénéficier de dons et de legs.

Cette pratique pose le problème du suivi des créances, et du sort qui leur est réservé en cas de décès du donateur. L’extrême dispersion des donateurs (les Témoins de Jéhovah revendiquent 250.000 adeptes, fidèles et sympathisants) et le nombre très important de débiteurs (il existe au total plus de 1.500 associations jéhovistes susceptibles de recevoir des prêts) réduisent les possibilités de contrôler la réalité du remboursement de ces dettes qui, prises séparément, atteignent la plupart du temps des montants peu significatifs. Les dons sous forme de prêts constituent donc l’exemple d’une évasion fiscale caractérisée et particulièrement efficace.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr