Les sectes implantées en France ne forment, dans la grande majorité des cas, qu’une des ramifications d’une organisation présente dans plusieurs régions du monde. On peut parler de multinationales sectaires dont chaque branche est un instrument de prosélytisme mis à la disposition d’un mouvement qui traverse les frontières, mais aussi une source de financement pour la maison mère installée à l’étranger.
La Commission a eu confirmation de l’existence de transferts vers l’étranger de revenus perçus par les implantations françaises de plusieurs sectes. Il s’agit bien d’une autre utilisation de la richesse sectaire, pratiquée par un nombre suffisant de mouvements pour être considérée comme un trait dominant du phénomène. C’est aussi une manière de détourner les sommes soutirées aux adeptes.
Comme dans d’autres activités sectaires, le financement de l’organisation internationale revêt deux visages apparemment contradictoires, mais qui, en fait, peuvent être réunis au sein d’un même mouvement. Non seulement certaines sectes ne cachent pas l’existence de transferts de fonds vers l’étranger, mais elles les revendiquent en les présentant sous un habillage humanitaire. C’est en quelque sorte la face " transparente " du financement de l’organisation internationale. Reste, à côté, une version clandestine qui passe par des circuits de financement interne complexes, destinés à enrichir la structure mère.
Les sectes semblent de plus en plus attirées par l’aide humanitaire. On a vu comment le droit international les y incite, et les liens souvent étroits que plusieurs mouvements ont noués avec des organisations non gouvernementales. Ces liens peuvent se traduire par des transferts de fonds importants qui permettent de financer la multinationale sectaire.
Plusieurs sectes utilisent la puissance financière qu’elles ont acquise en France pour soutenir, sous un affichage humanitaire, leurs implantations à l’étranger. Il faut reconnaître que la richesse de certaines autorise ce type de générosité. Ainsi, les associations françaises de Témoins de Jéhovah versent chaque année plusieurs dizaines de millions de francs à leurs frères étrangers. En agrégeant les subventions, les dons de matériaux consentis pour la construction de lieux de culte et les aides versées aux missionnaires envoyés sur place, ce sont, de 1993 à 1998, quelque 150 millions de francs qui sont sortis des caisses des instances nationales de la secte à l’intention des missions étrangères. Ce montant n’inclut pas les sommes qui peuvent être versées par les associations locales sur lesquelles la Commission ne dispose pas d’informations. Les Témoins de Jéhovah présentent ces transferts comme un soutien humanitaire aux pays du tiers monde, et principalement d’Afrique. Ils revendiquent notamment une part de l’aide internationale déployée lors de la dernière crise du Rwanda au cours de laquelle les soutiens financiers versés aux missions locales auraient permis à la secte de jouer un rôle important. La question est bien évidemment de savoir si les fonds restent dans les pays où ils sont acheminés (1), et de connaître la façon dont l’aide financière est mise à profit sur place. Le soutien humanitaire peut en effet facilement être utilisé pour faire du prosélytisme. La Commission se contentera donc de constater que les transferts de fonds réalisés par les associations françaises de Témoins de Jéhovah servent à financer les missions implantées à l’étranger, et donc à renforcer l’influence de l’organisation jéhoviste internationale.
Les mouvements financiers observés au sein de l’Eglise internationale du Christ reproduisent le schéma mis en place par les Témoins de Jéhovah. Cette structure dont le siège international est à Boston comprend 280 implantations présentes dans plus de 120 pays différents. La branche française verse chaque année des soutiens financiers aux missions installées à travers le monde. Ces soutiens atteignent 1,5 million par an. Comme on l’a vu précédemment, elle finance également Hope World Wide, organisation non gouvernementale contrôlée par la secte.
Il est intéressant de noter que les implantations françaises de certaines sectes, difficilement capables de dégager des fonds transférables à l’étranger, sont davantage financées par leur organisation mère. En effet, le sens des transferts dépend logiquement de la répartition géographique de l’audience de la secte. Si l’évasion de la France vers l’étranger est dominante, l’inverse existe. La Soka Gakkaï en est le meilleur exemple : la branche française est largement financée par la structure mère japonaise qui lui a notamment versé les apports nécessaires aux acquisitions immobilières décidées sur le sol français. Il est également établi que le siège international de Moon renfloue régulièrement les associations françaises de la secte d’origine coréenne, qui semblent être quelque peu en perte de vitesse.
Par ailleurs, Humana, secte aujourd’hui dissoute en France, on l’a vu, avait organisé des collectes de vêtements qu’elle revendait afin de financer l’organisation internationale dénommée Tvind sur laquelle elle s’appuyait, et de conforter ainsi ses investissements à l’étranger. Moon a procédé au même type d’activité en organisant, notamment lors de la crise du Rwanda décidément propice à une mobilisation des mouvements sectaires, des braderies et des collectes de vêtements.
Au-delà des transferts présentés sous une forme humanitaire, existent les circuits de financement occulte. Il est frappant de constater que, dans la description des deux premières finalités de l’utilisation de la richesse sectaire, à savoir la mise en avant de la puissance du mouvement et l’enrichissement de leurs dirigeants, certaines organisations, pourtant très riches, n’apparaissent guère ou pas du tout. La Scientologie, le Mandarom, l’Eglise universelle de Dieu ou ORKOS ont rarement été cités. Ces sectes ne semblent pas disposer en France d’un patrimoine à la hauteur de leurs revenus. Même si elle est consciente que ses informations sont loin d’être complètes, la Commission n’a pas non plus eu connaissance d’exemple d’enrichissements massifs de leurs dirigeants. Ces constatations soulèvent logiquement la question suivante : où va l’argent ?
La réponse à cette question se situe très probablement à l’étranger. Le contraste entre l’opulence affichée à l’étranger par certaines sectes et l’apparente pauvreté de leur patrimoine en France ne peut qu’inciter à suivre cette piste. Si elle ne semble pas posséder sur le sol français un parc immobilier conséquent, il est de notoriété publique que la Scientologie a pignon sur rue dans d’autres pays, peut-être jugés par la secte moins regardants sur ses pratiques. Elle est notamment à la tête d’un empire immobilier à Copenhague où elle possède plusieurs hôtels et un centre de réhabilitation, de propriétés en Angleterre, sans parler des considérables installations qu’elle utilise en Californie et en Floride, ni du trop fameux Freewinds, navire de 135 mètres de long qui abrite l’organisation " maritime " de la secte dans les eaux internationales.
L’ampleur des transferts clandestins de fonds est, par définition, impossible à chiffrer. Le financement des organisations sectaires internationales rejoint en effet le problème plus général de la fraude internationale. Il passe par l’utilisation de circuits frauduleux qui seront examinés plus loin. Après l’analyse quantitative de l’influence économique des sectes et la mesure de leur poids financier, la dernière partie du rapport aborde le phénomène dans une approche plus qualitative afin d’examiner les dérives et les fraudes qu’il comporte.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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