Il n’est évidemment pas possible de procéder dans le cadre de ce rapport, dont ce n’est au demeurant pas l’objet, à une étude historique du phénomène sectaire, dont les spécialistes soulignent la permanence dans le temps et l’universalité.
Tite Live dans son ouvrage " Les sectes religieuses en Grèce et à Rome " se livrait déjà à un récit circonstancié de l’affaire des Bacchanales, adeptes du culte de Bacchus.
Sous l’empire romain, les premières communautés chrétiennes furent persécutées tant à cause de leur refus du serment à l’Empereur qu’en raison des accusations de sorcellerie (réunions nocturnes) ou d’anthropophagie (rite de la communion) dont elles firent l’objet. Les procès en sorcellerie dont furent victimes au Moyen-Age jusqu’au début de la Réforme, près de 100 000 personnes en Europe témoignent de la persistance du phénomène sectaire. Les religions chrétiennes ne sont pas la seule source d’exemples : ainsi l’Islam dont un courant ésotérique est représenté par le soufisme a-t-il donné naissance à la secte des Hashishins, qui combattit les Templiers en Terre sainte.
L’évolution récente du phénomène sectaire permet toutefois de dégager un certain nombre de grandes tendances relatives respectivement à la nature des sectes, à leur organisation, aux thèmes développés par elles, à la façon dont elles sont perçues enfin.
A) LA NATURE DES SECTES
Une étude des sectes actuellement implantées en France montre que celles-ci se sont installées en deux vagues bien distinctes.
La première remonte au début du XXe siècle, qui a vu des mouvements religieux nés pour la plupart dans des pays anglo-saxons s’enraciner dans la société française. Témoins de Jéhovah, Mormons, Pentecôtistes, Adventistes, Baptistes : tous ces mouvements issus du monde protestant vinrent joindre leur contestation de la doctrine officielle de l’Eglise à celle déjà exprimée par des groupes issus de la mouvance catholique (Antoinistes, adeptes du Christ de Montfavet).
La seconde vague déferle à la fin des années 1960, toujours en provenance des Etats-Unis, mais marquée par une plus grande empreinte orientaliste d’une part, ésotérique ou gnostique d’autre part. Relèvent notamment du premier courant l’Association internationale pour la conscience de Krishna (fondée en 1966), l’Association pour l’Unification du Christianisme mondial (AUCM, ou secte Moon) et la Soka Gakkaï.
Au titre du second courant, on citera les groupes liés à Rose-Croix, l’Eglise de Scientologie ou l’anthroposophie. D’autres sectes proposant des alternatives globales fondées sur l’écologie (Ecoovie), la croyance aux extra-terrestres (Mouvement raëlien), les techniques de méditation (Méditation transcendantale), voire la fraternité (Nouvelle Acropole) connaissent également un essor rapide.
Ce mouvement orientaliste et ésotérique ne doit pas cependant faire oublier la permanence, voire la montée en puissance, de mouvements issus du tronc judéo-chrétien, qu’ils soient millénaristes (Témoins de Jéhovah, nébuleuse des mouvements du Nouvel Age) ou guérisseurs (Invitation à la Vie Intense, IVI).
Cette évolution, tracée à grands traits, permet de dégager un certain nombre de caractéristiques :
– la prolifération croissante de ces mouvements, d’origine relativement récente. Aucune classification ni description ne peut être considérée comme définitive ou satisfaisante, tant de multiples mouvements mélangent les genres ou les influences précédemment définis : si les renseignements généraux dénombrent avec une relative précision les mouvements pouvant être qualifiés de " sectes " , toute énumération en la matière encourt le reproche d’être incomplète, car par nature limitative ;
– la place croissante que jouent dans ce mouvement les organisations d’origine confessionnelle entièrement nouvelles proposant une explication globale du monde, au détriment des organisations se présentant comme une sécession, un schisme d’une Eglise précédemment établie ;
– l’évolution dans la nature du public touché. Les mouvements protestants de la première vague recrutaient leurs adeptes dans des milieux relativement défavorisés, chez les personnes adultes, le plus souvent du sexe féminin. Les organisations s’étant développées après 1968 sont caractérisées par la jeunesse et la mixité de leur public, issu en général des classes moyennes.
Au-delà de ces éléments relatifs à la nature des sectes, on constate en général d’autres points communs qui, sans s’appliquer à l’ensemble des sectes citées ci-dessus, sont néanmoins caractéristiques d’une évolution de leurs structures et des thèmes développés par elles : c’est ainsi la façon dont sont perçues les sectes qui est profondément modifiée.
B) LA STRUCTURE DES SECTES
La plupart des sectes, poursuivant en cela une évolution depuis longtemps entamée, sont organisées sur un modèle pyramidal garantissant l’exercice du pouvoir au profit d’une personne (le gourou) et/ou d’une élite restreinte.
Comme toutes les structures pyramidales, elles reposent sur une coupure entre les adeptes de base et les dirigeants, tempérée par l’existence d’échelons intermédiaires, dont le nombre se réduit au fur et à mesure que l’on progresse vers le sommet.
Il s’établit entre ces différents échelons des liens complexes de dépendance, organisant la distribution des rôles, du savoir, du pouvoir. Un tel système garantit l’existence de filtres efficaces restreignant les voies d’accès au gourou ou à l’élite, protégés de la base par leur isolement et la symbolique de leur pouvoir.
Réciproquement, les adeptes sont récompensés de leur fidélité par une progression au sein de la secte, matérialisée par l’obtention de grades et de diplômes, voire par des bénéfices plus matériels. Le passage à un échelon supérieur est souvent l’occasion d’une cérémonie initiatique.
Encore convient-il de souligner que, dans bien des mouvements, coexistent plusieurs types de structures pyramidales relatives à l’organisation cultuelle de l’enseignement, des services administratifs et financiers : cette prolifération des structures rigidifie encore l’organisation décrite.
C) LES THEMES DEVELOPPES PAR LES SECTES
A la différence des thèmes développés par les organisations schismatiques d’Eglises établies, qui se concentrent sur un certain nombre de critiques et de propositions alternatives de nature religieuse, le discours tenu par les nouvelles sectes fait une large place au perfectionnement individuel, préféré à l’action collective ou profane.
C’est dans cet esprit que sont le plus souvent promus les thèmes de l’exemple personnel, du prosélytisme. C’est pour cette raison qu’est souvent prônée, sous des formes diverses, une certaine ascèse se caractérisant par l’abstention d’un certain nombre de pratiques (consommation de tabac et d’alcool), la promotion de nouvelles habitudes alimentaires ou sexuelles, voire la réduction du temps du sommeil.
A l’extrême, une telle ascèse peut conduire à la rupture avec les relations antérieures, au travail au bénéfice partiel ou exclusif de la secte, voire à la vie en commun. Une telle attitude de repli sur soi ou sur un groupe restreint est en contradiction avec tout engagement extérieur à la secte.
On conçoit que l’évolution considérable de la nature, des structures, des thèmes développés par les sectes modifie considérablement la manière dont elles sont perçues.
D) LA PERCEPTION DU PHENOMENE SECTAIRE
Alors que jusqu’au début des années 1970, les mises en garde contre les sectes étaient avant tout le fait des Eglises, qui se situaient dans une logique résolument théologique et pastorale, les débordements de certaines organisations, les atteintes réelles ou supposées à l’ordre public ou aux libertés individuelles, ont contribué à une modification brutale de la façon dont elles sont perçues.
Ce phénomène s’est traduit par la constitution d’associations de défense (Centre Roger Ikor, UNADFI en France) et le développement d’un contentieux judiciaire relativement important. La gravité des agissements criminels de certaines sectes (attentats, suicides collectifs, assassinats) a à juste titre ému les média et l’opinion publique.
Date / Lieu / Secte / Nombre de morts / Circonstances
18/11/1978 Jonestown Guyana Temple du peuple 923 suicide
03/06/1983 Smithville (Arkansas) Groupe Comitatus 2 affrontement
15/05/1985 Philadelphie (Pensylvanie) Move 11 affrontement
19/09/1985 Mindanao (Philippines) Datu Mangayanon 60 suicide
01/11/1986 Wokayama (Japon) Eglise des amis de la vérité 7 suicide
28/08/1987 Séoul (Corée du sud) Park Soon ja 32 suicide
21/08/1992 Naples (Idaho) Mouvement Identité Chrétienne 3 affrontement
19/04/1993 Waco (Texas) Davidsoniens 88 suicide affrontement
04/10/1994 Suisse et Canada Temple solaire 48+5 assassinats et suicides
5/03/1995 Tokyo (Japon) Aoum 11 morts 5000 blessés attentat
Source : J.P. MORIN - Futuribles - Novembre 1994 - Tableau complété pour les événements postérieurs à 1994.
S’il convient de ne pas surestimer les risques que se produisent en France de tels débordements, une vigilance accrue s’impose.
Et si la focalisation médiatique sur des dérapages extrêmement alarmants ne doit pas conduire à couvrir d’un même opprobre toutes les sectes, elle ne doit pas non plus, en mettant en " valeur " des groupes extrêmement minoritaires, conduire à sous-évaluer les risques que font peser sur leurs adeptes des mouvements de grande ampleur et d’une dangerosité beaucoup plus considérable bien que - et en même temps, parce que - beaucoup moins évidente.
Cette remarque est d’autant plus importante que l’on peut aujourd’hui dénombrer un certain nombre d’indices qui font penser - et craindre - que le phénomène sectaire a des potentialités de développement non négligeables.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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