On ne reviendra pas sur l’arsenal juridique permettant de lutter contre les dangers des sectes, dont on a vu qu’il était diversifié et suffisant pour couvrir l’ensemble des agissements des mouvements sectaires qui présentent un caractère nuisible pour les individus et/ou la société. Mais les travaux qu’a menés la Commission l’ont très vite conduite à avoir l’impression - devenue certitude au terme de sa réflexion - que les possibilités offertes par les dispositions existantes ne sont pas toujours - loin s’en faut - pleinement utilisées.
Plusieurs interlocuteurs de la Commission ont ainsi affirmé qu’il existait une disproportion sensible entre le nombre d’illégalités commises par les sectes, celui des plaintes et celui des condamnations. D’autres se sont étonnés du petit nombre de dissolutions administratives ou judiciaires prononcées au regard du nombre d’associations coercitives existantes.
Votre Commission est donc convaincue que le développement des sectes pourrait être efficacement freiné par une meilleure application du droit. Celle-ci suppose une sensibilisation accrue des professionnels concernés à la dangerosité du phénomène sectaire et à la nécessité de mobiliser tous les moyens existants pour y faire face. Tout en étant bien conscient qu’une telle évolution des mentalités ne sera pas immédiate, votre Commission est persuadée qu’elle est un des éléments - pour ne pas dire l’élément essentiel - du dispositif de lutte contre le phénomène sectaire. Cette prise de conscience sera bien sûr favorisée par les actions générales d’information dont il a été question ci-dessus. Mais celles-ci doivent être complétées dans certains domaines très directement concernés par les agissements des mouvements sectaires, par des instructions précises de l’Etat à ses agents sur l’attention particulière dont ils doivent faire preuve. Une telle démarche devrait, selon votre Commission, être suivie à l’égard des magistrats du Parquet, des services de police et de gendarmerie, des administrations exerçant des fonctions de contrôle sur certaines activités des associations de type sectaire, ainsi qu’en matière de dissolution des associations et de versement d’un certain nombre d’allocations, notamment le RMI.
1. UNE INSTRUCTION GENERALE DU GARDE DES SCEAUX AUX MAGISTRATS DU PARQUET LEUR DEMANDANT D’EXAMINER AVEC PLUS D’ATTENTION LES PLAINTES EMANANT DES VICTIMES DES SECTES ET DE SE SAISIR, CHAQUE FOIS QUE NECESSAIRE, DES PROBLEMES DONT ILS POURRAIENT AVOIR CONNAISSANCE.
A de multiples reprises, il a été indiqué à la Commission que le Ministère public aurait refusé d’ouvrir une instruction ou de poursuivre une information ouverte sur un dossier alors que, selon ceux qui faisaient état de cette inaction, le cas l’aurait tout à fait justifié.
Il convient de préciser, à cet égard, que, selon le ministère de la justice, sur les 60 plaintes relatives aux sectes adressées aux parquets généraux des cours d’appel () entre 1990 et 1995, 27 procédures ont été clôturées. Elles concernent notamment des faits d’escroquerie, de menaces sous conditions, vols et violations de sépultures, homicides involontaires, détournements de mineurs, séquestration de personnes, non représentation d’enfant, violences, injures, exercice illégal de la médecine, violences et voies de fait. Sur ce total, 16 ont donné lieu à un classement sans suite, 7 à un non-lieu et 3 à une condamnation.
La commission n’entend pas porter de jugement sur le fonctionnement de la Justice à cet égard, d’autant qu’elle ne dispose pas des éléments pour apprécier de façon précise les situations en cause. Toutefois, elle ne peut totalement négliger ces doléances, dont certaines lui ont paru, il est vrai, a priori pertinentes. Au-delà même de leur caractère plus ou moins exact, le fait qu’une telle opinion soit couramment véhiculée est en lui-même très regrettable car susceptible de décourager les victimes de sectes de se tourner vers les tribunaux.
Il serait souhaitable, dans ces conditions, que le Garde des Sceaux adresse une instruction générale aux magistrats du Parquet afin d’attirer leur attention sur l’étendue du phénomène sectaire, ses formes, ses dangers, la nécessité de combattre plus efficacement ceux-ci et les moyens juridiques existants pour ce faire. Il leur serait demandé d’examiner avec plus de vigilance les plaintes émanant des victimes des sectes et, si besoin est, de se saisir eux-mêmes de problèmes dont ils pourraient avoir connaissance.
2. UNE INSTRUCTION GENERALE DU MINISTRE DE L’INTERIEUR AUX SERVICES DE POLICE ET DU MINISTRE DE LA DEFENSE AUX SERVICES DE GENDARMERIE LES ENJOIGNANT DE MANIFESTER DAVANTAGE DE VIGILANCE VIS-A-VIS DES " DERIVES " SECTAIRES
Pour que les exactions commises par les sectes puissent donner lieu à des poursuites et être, le cas échéant, sanctionnées, encore faut-il qu’elles puissent être constatées par les services de police et de gendarmerie et que ceux-ci en saisissent le Ministère public.
C’est la raison pour laquelle il conviendrait que les ministres de l’Intérieur et de la Défense attirent l’attention de leurs services concernés sur le phénomène sectaire, la vigilance dont ils doivent faire preuve à son sujet, ainsi que les mesures qu’ils doivent prendre en cas d’infractions, notamment s’agissant de la protection des victimes et de la saisine du Ministère public.
3. DEMANDER A L’ADMINISTRATION D’ETRE PLUS RIGOUREUSE DANS SES MISSIONS DE TUTELLE ET DE CONTROLE A L’EGARD DES SECTES QUI PRESENTENT DES DANGERS OU NE RESPECTENT PAS LA LOI.
Il n’est pas acceptable que des administrations et entreprises publiques puissent, comme cela s’est déjà produit, passer des contrats de fourniture ou de services avec des organismes liés à des sectes dangereuses ou leur accorder des autorisations. Il n’est pas non plus tolérable que certaines associations puissent en toute impunité transgresser les règles du droit fiscal, du droit du travail ou de la Sécurité sociale.
Il est donc nécessaire que les ministres, chacun dans son domaine de compétence, demandent à leurs services de manifester plus de rigueur dans les passations de contrats avec des organismes extérieurs, l’octroi d’autorisations et les missions de contrôle. Dans cette démarche, les administrations devraient avoir recours aux informations que serait en mesure de leur délivrer sur leur demande l’observatoire interministériel dont la création a été préconisée ci-dessus.
4. INCITER LES PERSONNES PUBLIQUES A ETRE PLUS PRUDENTES DANS L’OCTROI DE SUBVENTIONS A CERTAINES ASSOCIATIONS.
Certaines sectes dangereuses, on l’a vu, ont bénéficié de subventions publiques.
Certes, cela ne concerne, semble-t-il, qu’un nombre de cas limités. Il serait tout de même opportun que les personnes publiques examinent de façon plus rigoureuse la destination des subventions qu’elles accordent aux associations. Et ce, au besoin, en liaison avec l’observatoire interministériel sur les sectes.
Le Premier ministre pourrait attirer l’attention du Gouvernement sur ce point et le ministre de l’Intérieur, DE l’ensemble des collectivités territoriales.
5. PRONONCER LA DISSOLUTION DES ORGANISMES MIS EN CAUSE LORSQUE CELA S’IMPOSE.
De nombreuses associations sectaires, on l’a vu, violent la loi et constituent de véritables dangers pour les individus et pour la société. On ne peut, dès lors, que s’étonner du petit nombre de celles qui se sont dissoutes. Ainsi, sur une soixantaine d’associations sectaires coercitives déclarées à Paris, aucune n’a fait l’objet d’une dissolution administrative ou judiciaire.
Il serait donc souhaitable que les procédures de dissolution existantes soient systématiquement appliquées lorsque les conditions prévues par la loi sont réunies. C’est particulièrement le cas pour la procédure judiciaire.
Certes, cela ne constituerait pas une réponse radicale. On constate, en effet, que les sectes poursuivies en justice ou menacées de dissolution manifestent une étonnante capacité à s’auto-dissoudre et à se reconstituer sous la forme d’un autre organisme. Ainsi, l’association des Pionniers du Nouvel Age a été dissoute en janvier 1981, mais ses responsables se retrouvent aujourd’hui dans l’Eglise de l’Unification, l’Association pour l’Unification du Christianisme mondial et la Croisade internationale pour un monde uni. De même, les responsables de l’Association Dianétique, dissoute en 1982, poursuivent leurs activités au sein de l’Association de Défense des Scientologistes Français et ceux de la Méditation transcendantale Paris Est, dans la Fédération française de Méditation.
Il n’empêche que des dissolutions systématiques et rapides pourraient avoir un fort effet dissuasif. On peut penser que si, parallèlement, les responsables sont poursuivis, voire condamnés, la recréation de ces associations sera beaucoup plus difficile.
Il est, en tout état de cause, important que les services de police essaient d’identifier les associations qui sont en fait identiques à celles qui auraient été dissoutes, et de vérifier avec une attention particulière qu’elles se conforment à la loi.
6. S’ASSURER QUE LES BENEFICIAIRES DE CERTAINES ALLOCATIONS, MEMBRES D’UNE SECTE NE REVERSENT PAS TOUT OU PARTIE DU MONTANT DE CES PRESTATIONS A LA SECTE DONT ILS FONT PARTIE.
D’après les informations fournies à la Commission, il semblerait que les membres de certaines sectes, bénéficiaires du revenu minimum d’insertion, reversent intégralement ou en partie le montant de cette allocation à la secte dont ils font partie. Une telle pratique constitue à l’évidence un détournement de l’objet du RMI. Votre Commission est bien consciente de la difficulté pour les services compétents de repérer l’existence de tels faits. Néanmois, ce type de dévoiement ne peut qu’être extrêmement préjudiciable à l’égard de la très grande majorité des personnes qui bénéficient de cette prestation conformément à la loi. Aussi, conviendrait-il, lorsqu’il aura pu être constaté qu’un membre de la secte reverse à celle-ci tout ou partie du RMI qu’il perçoit, de rappeler à la personne concernée ses obligations et, au besoin, suspendre le versement de l’allocation tant que celles-ci ne sont pas respectées.
La même vigilance doit s’exercer pour l’attribution d’autres allocations ayant une affectation précise, par exemple les bourses.
7. ACCROITRE LA COOPERATION INTERNATIONALE, COMMUNAUTAIRE NOTAMMENT.
Un renforcement de la coopération internationale se révèle indispensable aujourd’hui.
En effet, beaucoup de sectes dangereuses ont, comme on l’a vu, une dimension internationale. Elles pourront donc d’autant plus facilement être démantelées que les Etats seront en mesure de mettre en place une action commune.
En outre, les sectes poursuivies en France décident souvent de transférer leurs activités à l’étranger. Comme l’écrit un groupe de spécialistes dans un rapport confidentiel transmis à la Commission : " ...l’exercice illégal de la médecine, le non respect des règles élémentaires contenues dans le code du travail français les obligent à fuir vers des cieux plus favorables leur garantissant une évasion fiscale ou leur permettant d’échapper au règlement de leurs cotisations sociales obligatoires " . Et de conclure : " une approche nationale ne permettant pas à elle seule une compréhension correcte et une action efficace, une coordination internationale s’impose. "
Cette coopération est, comme on le verra, également nécessaire pour mieux secourir les Français expatriés en proie à des difficultés avec les sectes.
Si cette coopération n’est pas facile à mettre en oeuvre à l’échelle internationale, elle devrait au moins exister au sein de l’Union européenne. Or, aucune action particulière ne semble exister dans ce domaine.
Il convient d’évoquer, à cet égard, la création à Paris en 1994 de la Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur le sectarisme (FECRIS) dont l’objet est, selon ses statuts, de " rechercher et informer quant aux pratiques et aux effets du sectarisme destructeur sur les individus, sur les familles et sur les sociétés démocratiques ; de secourir les victimes ; de les représenter en ces matières auprès des autorités civiles et morales responsables, pour attirer leur attention et seconder leur action " . Toutefois, cette association est trop récente pour que l’on puisse tirer des conclusions de son action. En toute hypothèse, il s’agit d’une initiative purement privée et non une action concertée des Etats membres de l’Union européenne.
Il serait donc souhaitable d’instaurer une coopération intergouvernementale. Celle-ci commencerait au moins entre les Quinze dans un premier temps. Elle reposerait d’abord sur un échange d’informations et l’élaboration de propositions.
Ce processus pourrait déboucher ensuite sur des accords internationaux sur un certain nombre de points clés.
C’est d’ailleurs ainsi que M. De Puig concevait les choses dans son avis sur les sectes et les nouveaux mouvements religieux, rédigé dans le cadre du Conseil de l’Europe : " On peut faire beaucoup dans le domaine de la coopération internationale pour augmenter l’efficacité du contrôle des sectes et pour obtenir des informations et les divulguer. Il serait donc désirable de conclure les accords internationaux nécessaires à cet effet. " .
Pour être efficaces, ces accords devraient concerner : l’étude du phénomène et l’échange d’informations grâce, notamment, à une banque de données ; la coordination des dispositifs de contrôle, compte tenu de la disparité des systèmes juridiques ; la recherche des personnes poursuivies en justice ou par l’administration ; la recherche des personnes disparues.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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