Difficile à définir, peu aisé à mesurer, impossible à saisir dans sa globalité, le phénomène sectaire n’en constitue pas moins une réalité tangible du monde contemporain : l’expression de multiples mouvements spirituels distincts des religions traditionnelles et caractérisés par des croyances et des pratiques spécifiques.

De fait, il est étroitement lié aux grands problèmes qui se posent aux sociétés actuelles, qu’il s’agisse du déclin des religions traditionnelles, de la mutation des structures familiales, de la remise en cause des valeurs morales, de la place du politique ou de la crise économique et sociale. Il en est même, d’une certaine façon, le reflet.

Si sa diversité et sa complexité empêchent de rendre compte avec précision de son évolution quantitative et qualitative, les recherches effectuées montrent qu’il s’est amplifié au cours de la dernière décennie en France et à l’étranger. Et ce, tant en nombre d’organismes que d’adeptes et de sympathisants. En même temps, il présente des formes plus variées, il met en oeuvre des techniques plus sophistiquées et dispose de moyens financiers accrus.

Les adeptes, en nombre croissant, s’engagent souvent totalement, jusqu’à perdre une partie de leur identité. Et c’est là que le risque de déviation devient grave, quand l’engagement et la confiance absolue conduisent à ne pas se soigner, à couper les liens avec la famille, à donner tout l’argent dont on dispose. L’intervention des pouvoirs publics s’impose quand l’engagement conduit à une dépendance psychologique qu’exploitent des dirigeants à leur propre profit.

Les décisions judiciaires rendues ces dernières années montrent bien que nombre d’entre eux se rendent coupables de délits, pouvant aller de la tromperie ou de la fraude aux mauvais traitements, aux coups et blessures et à la séquestration. De surcroît, les informations fournies à la Commission et les témoignages qu’elle a reçus ne laissent pas de doute sur le fait que les affaires révélées par la justice ne rendent compte que d’une partie des dangers que font courir les sectes, qui sont en fait à la fois plus nombreux, plus étendus et plus graves.

L’Etat ne peut, à l’évidence, laisser se développer en son sein ce qui, à beaucoup d’égards, s’apparente à un véritable fléau. Rester passif serait, en effet, non seulement irresponsable à l’égard des personnes touchées ou susceptibles de l’être, mais dangereux pour les principes démocratiques sur lesquels est fondée notre République.

Votre Commission estime donc indispensable de réagir. Cela étant, il lui est apparu que la meilleure façon de riposter au développement des sectes dangereuses n’est sûrement pas la plus spectaculaire, sous la forme d’une législation anti-sectes que l’ampleur de notre arsenal juridique ne rend pas nécessaire et qui risquerait d’être utilisée un jour dans un esprit de restriction de la liberté de pensée. L’essentiel, selon elle, est bien d’utiliser pleinement les dispositions existantes, leur application systématique et rigoureuse devant permettre de lutter efficacement contre les dérives sectaires. Pour y parvenir, il est d’abord nécessaire de mieux connaître- ce que permettrait la création d’un observatoire ad hoc - et, surtout, de mieux faire connaître le phénomène et les dangers qu’il peut recéler. D’autre part, il faut s’attacher à ce que les institutions chargées d’appliquer le droit dans ce domaine y soient sensibilisées. En outre, certains aménagements à la législation existante paraissent souhaitables pour mieux tenir compte de l’évolution des associations sectaires. Enfin, il est important que les anciens adeptes puissent être aidés à se réinsérer dans la société. Toutes mesures qui, selon votre Commission, devraient être mises en oeuvre dans les meilleurs délais . Nous ne nous sentons pas en France menacés par une tragédie de type Waco, voire un attentat du genre de celui perpétré par la secte Aoum dans le métro de Tokyo au printemps dernier. Mais les germes de tels drames existent sur notre territoire, et la prévention s’impose.

Cela dit, il faut être lucide : les mesures proposées ici ne suffiront probablement pas à elles seules à faire disparaître ces dangers. Reflet des difficultés du monde actuel, symptôme d’un profond malaise social, image d’une crise morale autant que civique, le phénomène sectaire appelle aussi, en effet, une réponse globale à l’ensemble des grands problèmes de l’époque contemporaine.