Compte tenu de l’importance des effectifs des forces de sécurité en place dans l’île et de son partage en deux départements, un préfet adjoint délégué pour la sécurité a été institué en Corse. Cette fonction, qui existe dans d’autres départements depuis 1972, y a été introduite dans un contexte spécifique et avec une situation originale, puisque le préfet adjoint en poste dans l’île est délégataire des deux préfets de département dans le domaine de l’ordre public.

Créée en 1972 par le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin à la suite de l’affaire Tonneaux à Lyon qui avait mis en cause les services de police et avait donné lieu à d’importants conflits entre ces services et la gendarmerie nationale, l’institution d’un préfet délégué pour la police dans certains départements visait principalement à garantir les conditions d’une bonne coordination entre services de sécurité. Trois préfets furent nommés à l’origine en application de ce dispositif : dans le Rhône, dans le Nord et dans les Bouches-du-Rhône.

Deux décrets du 5 janvier 1983 et du 13 février 1983 doteront également la Corse, la Gironde, la Haute-Garonne et les Alpes-Maritimes d’un préfet délégué pour la police. Une circulaire du 16 mai 1983 du ministre de l’Intérieur Gaston Deferre précise les rapports entre préfet de département et préfet délégué : si les pouvoirs de police administrative restent dévolus au préfet de droit commun, celui-ci dispose " d’un large pouvoir d’appréciation quant à l’étendue de la délégation qu’il entend accorder " et " le commissaire de la République délégué reste sous l’autorité du commissaire de la République du département, le caractère spécifique de la délégation de pouvoir ne le soustrayant pas à l’autorité hiérarchique du représentant de l’Etat ".

Nommé comme préfet délégué à la police en Corse en 1983, le commissaire divisionnaire Broussard reçoit une délégation relativement réduite, principalement centrée sur le maintien de l’ordre et la réquisition des forces de police et de gendarmerie. Il s’agit cependant d’une délégation de pouvoir qui accorde un transfert plein et entier des compétences des préfets de département vers le préfet délégué. Dès l’origine, le préfet délégué a toutefois éprouvé des difficultés à se faire reconnaître comme une autorité hiérarchique de la gendarmerie nationale. C’est ainsi que M. Charles Hernu, ministre de la Défense, avait demandé au commandant de légion de gendarmerie de Corse de communiquer au préfet délégué au même titre qu’aux deux préfets de département les renseignements relatifs aux mouvements nationalistes corses.

Dès la création de l’institution en Corse, la complexité du dispositif va donc se manifester. Mis en place pour favoriser la coopération entre policiers et gendarmes en plaçant à leur tête un préfet et non un membre de l’un de ces corps, qui serait inévitablement rejeté par l’autre, le préfet délégué de Corse est, à la différence de ses collègues du continent, placé auprès de deux préfets. Les services qui sont sous ses ordres peuvent donc être tentées de solliciter des deux préfets de département des instructions contraires aux siennes.

Cette situation se compliquera suite à la réforme mise en place par le décret du 13 septembre 1989 qui modifie le décret relatif aux pouvoirs du préfet délégué pour la police en lui substituant un préfet adjoint pour la sécurité. Chargé d’assister le préfet territorial dans " la direction et le contrôle des services de police ainsi que la coordination opérationnelle de l’ensemble des forces participant à la sécurité ", il ne dispose plus que d’une délégation de signature et non d’une délégation de pouvoir.

L’exposé des motifs du décret est significatif de l’affaiblissement de la fonction au profit des préfets de département : " La délégation de pouvoir dont disposent les préfets délégués pour la police a eu pour effet de dessaisir les préfets de département de leurs responsabilités dans l’exercice de l’une des fonctions premières de l’Etat, la sécurité des citoyens. Il s’en est suivi, l’expérience l’a montré, un risque permanent de confusion. Cette situation, préjudiciable à l’efficacité administrative, est par ailleurs difficilement conciliable avec le principe, affirmé par la loi du 7 mars 1982, de l’autorité du préfet sur l’ensemble des services locaux de l’Etat ".

La logique de l’institution s’en est trouvée affaiblie : le préfet adjoint jouera dès lors peu ou prou le rôle d’un directeur de cabinet commun aux deux préfets de Corse. Dans ce cadre, le préfet adjoint exerce les compétences au nom du préfet de chaque département, ceux-ci pouvant à tout moment décider en lieu et place du délégataire. Ceci étant dit, le rôle de coordination et d’information demeure, le rôle d’impulsion étant davantage tributaire de la personnalité des préfets en poste et de leur volonté de collaborer entre eux que du cadre juridique de leurs compétences respectives.

Soucieux de renforcer le rôle du préfet adjoint pour tenir compte de la situation difficile de l’île, M. Charles Pasqua a souhaité préciser à nouveau les attributions de cette autorité administrative. Il a ainsi expliqué devant la commission les circonstances de l’élaboration de la circulaire du 31 octobre 1994 concernant les responsabilités et les pouvoirs du préfet adjoint pour la sécurité en Corse : " Dès septembre 1993, je souhaitais qu’une décision forte du gouvernement confirme le rôle prééminent du préfet adjoint chargé de la sécurité en ce domaine. D’arbitrages en arbitrages, en raison des réticences tenaces du garde des sceaux au titre des missions de police judiciaire, du ministre de la Défense au titre de la gendarmerie et du ministre du Budget au titre de la douane, mon souhait de voir les fonctions de ce préfet chargé de la sécurité définies par décret n’a pu être suivi d’effets. En réalité, le décret est devenu une circulaire, signée le 31 octobre 1994. Il a donc fallu plus d’un an pour que ce texte, frappé d’une faiblesse juridique congénitale, voie le jour ".

Le régime juridique du préfet adjoint pour la sécurité en Corse n’a par la suite pas été directement affecté par les modifications réglementaires intervenues dans ce domaine :

  le décret du 18 mars 1993 relatif aux préfets délégués pour la sécurité et la défense auprès des zones de défense a réduit la liste des départements dotés d’un préfet adjoint de sept à trois (les Bouches-du-Rhône et les deux départements corses) ;

  le décret du 11 juillet 1996 dispose que le ministre de l’Intérieur peut désigner le préfet de zone de défense pour coordonner l’action des préfets dans le cas de crise menaçant l’ordre public et affectant plusieurs départements ;

  le décret du 3 juin 1998 met en place un régime dérogatoire pour le préfet de la Corse : le pouvoir de coordination en cas de crise, précédemment détenu par le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, lui est transféré pour les deux départements de l’île.

Ces réformes successives ont donc placé l’île dans une situation singulière : le préfet adjoint pour la sécurité de Corse est le seul préfet placé sous l’autorité conjointe de deux préfets de plein exercice, l’un d’entre eux disposant par ailleurs de pouvoirs spéciaux en cas de crise, sans être pour autant à la tête d’une zone de défense. Aussi, le maintien de cette fonction illustre-t-il avant tout la volonté de l’Etat de répondre au délicat problème du maintien de l’ordre en Corse en assurant dans un contexte difficile la coordination de forces nombreuses réparties sur deux départements distincts.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr