A) UN ARSENAL JURIDIQUE PARTICULIER

La France s’est dotée en 1986 d’un arsenal juridique spécifique pour lutter contre le terrorisme à la suite de la vague d’attentats commis sur son sol par des terroristes du Moyen-Orient. Rappelons que treize actions criminelles revendiquées par un certain " comité de solidarité avec les prisonniers arabes " avaient entraîné onze morts et 275 blessés. La loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 définissait pour la première fois la notion d’acte de terrorisme et surtout y attachait des règles de procédure spéciales en vue de renforcer les prérogatives des enquêteurs.

Ce dispositif a été modifié à plusieurs reprises, en mars 1994 avec l’entrée en application du nouveau code pénal, en janvier 1995 pour allonger les délais de prescription de l’action publique et des peines, en juillet 1996 pour étendre le champ des infractions et en décembre 1996 pour autoriser, sous strictes conditions, les perquisitions de nuit.

La législation antiterroriste a ainsi été perfectionnée au fil des années dans le souci permanent de s’adapter à l’évolution des menaces pesant sur la sécurité de nos concitoyens.

* La définition des actes de terrorisme

*

La loi du 9 septembre 1986 n’avait pas créé d’incriminations nouvelles, se bornant à désigner les infractions de droit commun qui seraient poursuivies, instruites et jugées selon les règles particulières de procédure qu’elle a instituées " lorsqu’il est constaté qu’elles sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ".

Cette liste est désormais fixée par l’article 421-1 du code pénal qui pose toujours cette condition mais a élevé les actes de terrorisme au rang d’infractions autonomes, plus sévèrement sanctionnées que les infractions de même nature commises dans des circonstances communes. Etendue par la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme, elle comprend :

 les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport ;

 les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que certaines infractions informatiques ;

 les infractions en matière de groupes de combats et de mouvements dissous ;

 la fabrication ou la détention de machines, engins meurtriers ou explosifs ;

 la fabrication, la détention, le stockage, l’acquisition et la cession d’armes biologiques ou à base de toxines ;

 la production, la vente, l’importation ou l’exportation de substances explosives ;

 l’acquisition, la détention, le transport ou le port illégitime de substances explosives ou d’engins fabriqués à l’aide des dites substances ;

 les infractions à la législation sur les armes et les munitions des première et quatrième catégories ;

 le recel du produit de l’une des infractions précédemment mentionnées.

De plus, la loi du 22 juillet 1996 a consacré la spécificité de l’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, en créant un nouvel article 421-1 du code pénal.

* Des peines plus sévères

*

Aux termes de l’article 421-3 du code pénal, le maximum de la peine privative de liberté encourue se trouve relevé d’un degré, aussi bien en matière criminelle qu’en matière correctionnelle pour les actes de terrorisme visés à l’article 421-1. Ainsi, la réclusion criminelle à perpétuité est encourue lorsque l’infraction est normalement punie de trente ans de réclusion. La peine est de trente ans de réclusion pour les infractions punies de quinze ans, de quinze ans pour celles punies de dix ans, de dix ans pour celles punies de sept ans, de sept ans pour celles punies de cinq ans d’emprisonnement.

Cependant, ce principe d’élévation d’un degré dans l’échelle des peines n’est pas respecté lorsque l’infraction est normalement punie d’un emprisonnement de trois ans au plus ; dans cette hypothèse, la peine est portée au double.

L’on peut observer que certaines infractions, de nature correctionnelle en droit commun, deviennent des crimes lorsqu’elles sont qualifiées d’actes de terrorisme. Tel est, par exemple, le cas de la destruction à l’aide d’une substance explosive n’ayant entraîné aucun dommage corporel : punie de dix ans d’emprisonnement aux termes de l’article 322-6 du code pénal, elle serait alors sanctionnée de quinze ans de réclusion criminelle.

Quant à l’association de malfaiteurs en vue de préparer un acte de terrorisme, elle est passible de dix ans d’emprisonnement et de 1 500 000 francs d’amende.

* La compétence concurrente des juridictions locales et des juridictions parisiennes

*

Depuis l’origine, les infractions en matière de terrorisme obéissent à des règles particulières de procédure pénale ; elles aussi ont été complétées à plusieurs reprises depuis 1986 pour renforcer le dispositif. Pour la clarté de l’exposé, on distinguera les règles de compétence des règles de procédures.

Les articles 706-16 à 706-22 du code de procédure pénale prévoient la centralisation à Paris des affaires de terrorisme. A cet effet, le procureur de la République, les juges d’instruction et les juridictions de jugement parisiens se sont vus attribuer une compétence concurrente de celle qui résulte des règles de droit commun (lieu de commission de l’infraction, résidence de l’une des personnes soupçonnées d’avoir participé à l’infraction ou lieu d’arrestation de l’une de ces personnes).

L’objectif n’était pas de " déposséder " les juridictions territorialement compétentes mais de créer une compétence supplémentaire. La loi du 9 septembre 1986 n’a donc conféré aucune prééminence aux juridictions parisiennes.

En pratique, la saisine de la juridiction parisienne est réalisée selon des modalités différentes en fonction du moment où elle intervient. Il convient en effet de distinguer la saisine initiale de la procédure de dessaisissement après l’ouverture d’une information judiciaire.

Dans le premier cas, le parquet de Paris fait jouer auprès du parquet local sa compétence nationale concurrente. Cette saisine s’opère selon une procédure informelle avec l’accord du procureur de la République et, en cas de problème, du procureur général. Elle est confirmée et formalisée à la suite des échanges téléphoniques nécessaires par la transmission d’une note écrite de saisine du parquet de Paris au parquet local qui accepte de se dessaisir. Cette modalité de saisine s’applique lorsque le parquet de Paris évoque des faits de terrorisme immédiatement ou presque immédiatement après leur commission mais aussi en cas de saisine différée tant que le parquet initialement compétent n’a pas procédé à l’ouverture d’une information.

Cependant, il peut arriver qu’une information ait déjà été ouverte. En effet, le caractère terroriste d’une infraction peut ne pas être déterminé immédiatement, en l’absence de revendication ou lorsque l’authenticité de cette dernière paraît douteuse par exemple. De même, au cours d’une information ouverte pour des faits n’ayant pas de lien avec une action terroriste, des éléments nouveaux peuvent apparaître qui conduisent à reconsidérer la décision prise au départ d’exercer localement les poursuites. Une procédure de dessaisissement du juge d’instruction doit alors être envisagée, mais son initiative est réservée au procureur de la République local. Conformément à l’article 706-18 du code de procédure pénale, celui-ci va requérir le juge d’instruction de se dessaisir au profit de la juridiction d’instruction de Paris. La présentation de cette requête suppose évidemment que le parquet de Paris ait donné son accord.

Avant de statuer, le juge d’instruction avise la personne mise en examen ainsi que la partie civile et les invite à faire connaître leurs observations. L’ordonnance ne peut être rendue par le juge que huit jours au plus tôt après cet avis.

Une seule voie de recours est ouverte contre une telle ordonnance : dans un délai de cinq jours, le ministère public, la personne mise en examen ou la partie civile peuvent la déférer à la chambre criminelle de la cour de cassation. Celle-ci doit alors désigner dans un délai de huit jours à compter de la réception du dossier le juge chargé de continuer l’information. Si le dessaisissement est ordonné au profit du juge d’instruction de Paris, le parquet localement compétent adresse le dossier au procureur de la République de Paris.

L’hypothèse inverse peut également se présenter : le juge d’instruction de Paris se rend compte que les faits ne constituent pas un acte de terrorisme et ne relèvent pas de sa compétence à un autre titre. Selon l’article 706-19 du code de procédure pénale, le magistrat doit alors se déclarer incompétent, soit de son propre chef, soit sur requête du procureur de la République ou des parties.

La décision du juge est susceptible d’être déférée à la chambre criminelle de la cour de cassation selon les mêmes modalités que celles précisées plus haut. Si elle décide que le juge d’instruction n’est pas compétent, la cour de cassation peut soit désigner un autre juge d’instruction, soit estimer " dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice que l’instruction sera poursuivie au tribunal de Paris ". Mais, dans les deux cas, les dispositions procédurales spécifiques de la loi du 9 décembre 1986 cesseront de s’appliquer. Dès que l’ordonnance est devenue définitive, le procureur de la République de Paris adresse le dossier de la procédure à son homologue territorialement compétent.

Qu’il y ait ordonnance de dessaisissement ou ordonnance d’incompétence, le juge initialement saisi garde sa pleine compétence jusqu’à l’expiration du délai de cinq jours prévu pour le recours ou jusqu’à la date où l’arrêt de la chambre criminelle a été porté à sa connaissance. Dans le deux cas, les mandats de dépôt ou d’arrêt conservent leur force exécutoire et les actes de procédure intervenus toute leur valeur.

On verra ci-après que l’application des règles de dessaisissement a suscité des difficultés qui ont conduit à élaborer des critères précis pour caractériser les affaires terroristes permettant de les attribuer d’emblée aux juges spécialisés.

* Des règles de procédure spécifiques

*

Pour favoriser le rassemblement des preuves, rendre plus efficace l’action des enquêteurs, ceux-ci sont dotés de prérogatives plus larges dans le domaine de la garde à vue ainsi que pour le déroulement des perquisitions et saisies. En outre, les délais de prescription de l’action publique et des peines sont plus longs.

 La durée de la garde à vue peut être portée à quatre jours alors qu’habituellement son maximum est de quarante-huit heures. Cette décision de prolongation peut intervenir au cours d’une enquête préliminaire, d’une enquête pour crime ou délit flagrant, ainsi que pendant l’exécution d’une commission rogatoire. On observera que la durée maximale de la garde à vue est identique à celle prévue en matière de trafic de stupéfiants et qu’elle est inférieure à la règle qui prévaut dans d’autres Etats européens, comme la Grande-Bretagne (cinq jours) ou l’Espagne (sept jours). En outre, la prolongation supplémentaire de quarante-huit heures nécessite toujours l’autorisation préalable d’un magistrat du siège. La personne gardée à vue doit obligatoirement être présentée au magistrat avant que la décision ne soit prise. En revanche, elle ne peut s’entretenir avec un avocat qu’à l’expiration d’un délai de 72 heures de garde à vue et non de vingt heures, comme en droit commun.

 Le régime des perquisitions et saisies est également exorbitant du droit commun. Selon l’article 76 du code de procédure pénale, les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction ne peuvent être effectuées sans l’assentiment exprès de la personne chez laquelle l’opération a lieu. L’article 706-24 du même code permet de passer outre dans les affaires liées au terrorisme, si les nécessités de l’enquête le justifient. Sur requête motivée du procureur de la République, le président du tribunal de grande instance, ou le juge délégué par lui, peut accorder une autorisation qui aura les mêmes effets que l’assentiment de la personne intéressée.

L’article 706-24-1 du code de procédure pénale donne, en outre, au juge d’instruction le pouvoir de prescrire des perquisitions de nuit pour les actes de terrorisme punis d’au moins dix ans d’emprisonnement. Introduite une première fois dans le dispositif pour donner aux enquêteurs les mêmes prérogatives qu’en matière de trafic de stupéfiants et de proxénétisme, cette disposition avait été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996.

Elle a finalement été adoptée après l’attentat commis le 3 décembre 1996 à la station de RER de Port-Royal, sous forme d’un amendement au projet de loi relatif à la détention provisoire, devenu la loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996. Des conditions strictes entourent cette procédure ; les visites, perquisitions et saisies ne peuvent être effectuées qu’en cas d’urgence et pour la constatation d’actes de terrorisme les plus graves dans l’un des trois cas limitativement énumérés : une situation de flagrance, le risque immédiat de disparition des preuves ou des indices matériels ou " lorsqu’il existe des présomptions qu’une ou plusieurs personnes se trouvant dans les locaux où la perquisition doit avoir lieu se préparent à commettre de nouveaux actes de terrorisme ".

 Le délai de prescription de l’action publique et celui de la peine ont été allongés par la loi n° 95-125 du 8 février 1995. Pour les crimes, ces délais sont portés de dix à trente ans ; pour les délits, le délai de prescription de l’action publique est porté de trois à vingt ans et celui de la peine prononcée en cas de condamnation de dix à vingt ans.

B) DES STRUCTURES SPECIALISEES

La centralisation des poursuites a entraîné la création de structures spécialisées dans la lutte contre le terrorisme au sein du tribunal de grande instance de Paris, de la direction centrale de la police judiciaire et de la direction centrale des renseignements généraux du ministère de l’Intérieur. En effet, la spécificité des infractions pénales requiert une connaissance approfondie des milieux dans lesquels les terroristes opèrent et des moyens qu’ils utilisent. En outre, les investigations, tant policières que judiciaires, exigent de nombreux rapprochements entre les éléments matériels, les personnes et les groupes clandestins.

* Les structures judiciaires

*

Contrairement à la formule fréquemment employée, il n’existe pas " une section antiterroriste " au tribunal de grande instance de Paris regroupant juges d’instruction et magistrats du parquet, mais deux sections distinctes.

Au sein du parquet, c’est la section " terrorisme et atteintes à la sûreté de l’Etat " dite 14ème section ou section A6, à laquelle incombe l’engagement de l’action publique, le suivi des instructions et les poursuites en matière de terrorisme. Dirigée par Mme Irène Stoller, premier substitut, elle est composée de quatre magistrats exerçant leurs fonctions sous l’autorité du procureur de la République, M. Jean-Pierre Dintilhac. Ainsi que l’a souligné Mme Irène Stoller lors de son audition, la charge de travail de la section est très lourde. En outre, les locaux, enclavés dans ceux de la préfecture de police de Paris, auxquels ils appartenaient avant la création de la section en 1986, sont exigus et les matériels mis à sa disposition très anciens. Alors que la section a une compétence nationale et un nombre considérable de dossiers volumineux à traiter, elle ne dispose que d’un fax et d’une photocopieuse ! De même, les ordinateurs du secrétariat sont obsolètes et ne permettent aucune compatibilité avec ceux des magistrats.

Du côté de l’instruction, les affaires de terrorisme relèvent de la 4ème section, elle aussi composée de quatre magistrats : M. Jean-Louis Bruguière, premier vice-président chargé de l’instruction, Mme Laurence Le Vert, premier juge d’instruction, M. Gilbert Thiel, premier juge d’instruction, et M. Jean-François Ricard, juge d’instruction, qui ont chacun leur lot d’affaires corses.

Lors de son audition devant la commission, M. Jean-Louis Bruguière s’est lui-même défini comme un " primus inter pares " soulignant qu’il ne disposait d’aucun privilège, ni d’aucun pouvoir propre. Les juges étant par essence indépendants, le premier vice-président chargé de la coordination de la section n’a aucune autorité hiérarchique sur ses trois collègues, mais une " une simple autorité morale tout à fait acceptée et consentie par la totalité d’entre eux ". Il a également déclaré : " Nous sommes une petite unité et nous travaillons en parfaite cohésion, quoi que l’on ait pu en dire ici ou là, ce qui n’empêche pas que nous rencontrions quelques difficultés qui tiennent à des problèmes matériels évidents et non résolus depuis quelques années : alors que des moyens considérables sont consentis à d’autres secteurs, notamment aux affaires financières, - je ne dis pas que ce ne soit pas une bonne chose et même je m’en réjouis - il faut savoir que nous ne disposons pas de moyens informatiques. Nous avons notamment réclamé un système d’IAO qui fonctionne très bien et qui est tout à fait au point - la section financière en est dotée ainsi que certains magistrats de droit commun en charge d’affaires importantes comme celles de stupéfiants -, mais en vain, et nous fonctionnons encore de façon tout à fait classique, sur la base d’études de papiers avec des moyens matériels limités.

" Cela étant dit, nous avons la chance de pouvoir regrouper l’ensemble d’un contentieux, ce qui nous permet de pouvoir le gérer de façon centralisée et surtout, étant donné que nous sommes une petite équipe et que nous nous connaissons bien, nous avons la chance de pouvoir, au quotidien, en permanence, dans la confiance, discuter des affaires et répartir les rôles, car il est évident que personne ne peut tout faire tout seul. Dans cet esprit, j’ai personnellement essayé de développer, dans la limite des textes, un travail d’équipe par le biais de ce que l’on appelle la cosaisine.

" Je considère, en effet, que, dans le domaine judiciaire comme ailleurs, le travail solitaire n’est pas un travail efficient : on ne peut plus travailler seul ! Il faut donc travailler en équipe et cela pour deux raisons : premièrement, parce que cela démultiplie l’effort ; deuxièmement, parce que cela permet d’aller plus vite, alors que l’un des problèmes auxquels nous nous heurtons et qui est l’une des critiques justifiée faite à la justice est sa lenteur - notamment en justice pénale, les enquêtes sont souvent trop longues surtout quand il y a détention provisoire -, étant entendu qu’il existe des contraintes dont nous avons du mal à nous libérer, notamment au niveau matériel ".

La suite du rapport montrera que la réalité est parfois éloignée de cette présentation quelque peu idéalisée...

Il convient de signaler également que si la poursuite et l’instruction des dossiers de terrorisme sont confiés à des magistrats spécialisés, le jugement de ces affaires relève d’une juridiction de droit commun pour les délits.

Cependant la juridiction appelée à connaître des crimes de terrorisme est une cour d’assises composée uniquement de magistrats professionnels, afin de limiter l’effet des pressions ou des menaces pouvant peser sur les jurés. L’article 706-25 du code de procédure pénale précise en effet que pour le jugement des accusés majeurs, les règles relatives à la composition et au fonctionnement de la cour d’assises sont celles applicables en matière militaire lorsqu’il existe un risque de divulgation du secret de la défense nationale. Il s’agit donc d’une cour d’assises sans jurés, composée d’un président et de six assesseurs, tous désignés par le premier président de la cour d’appel. Il en est ainsi quelle que soit la juridiction compétente, celle de Paris ou une juridiction locale. La cour d’assises de Paris a jugé pour la première fois une affaire de terrorisme corse le 19 mars 1999 : il s’agissait d’une tentative d’attentat contre la chambre de commerce et d’industrie d’Ajaccio. Les trois accusés ont été condamnés à des peines de 10 ans de réclusion criminelle, 9 ans d’emprisonnement et 6 ans d’emprisonnement. Elle devrait siéger à partir du 16 novembre pour des attentats commis contre le centre de la fonction publique territoriale et la direction départementale de l’agriculture de la Corse-du-Sud et à partir du 22 novembre pour juger le meurtre commis contre un policier du RAID, M. René Canto.

* Les structures policières

*

L’auxiliaire privilégié de la section antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris et des juges d’instruction spécialisés est un service, également spécialisé, de la direction centrale de la police judiciaire : la 6ème division, devenue division nationale antiterroriste (DNAT) le 23 février 1998. Cette division ayant compétence sur l’ensemble du territoire peut intervenir soit seule, soit en cosaisine avec la gendarmerie ou le SRPJ local, dans le cadre d’enquêtes préliminaires ou de commissions rogatoires délivrées par le juge d’instruction. Elle comprend 70 fonctionnaires répartis en deux sections, l’une étant chargée de la répression du terrorisme international et de la lutte contre l’ETA, l’autre de la répression du terrorisme " interne ". Au sein de celle-ci, 10 fonctionnaires sont spécialisés sur le " séparatisme " corse ; à leurs côtés, travaillent depuis quelques mois en raison des nécessités des enquêtes judiciaires en cours, 18 autres agents. L’office central chargé des trafics d’armes, de munitions et de matières sensibles (nucléaires, biologiques ou chimiques) lui est rattaché.

En outre, la direction centrale des renseignements généraux a créé en son sein une sous-direction de la recherche qui travaille en liaison constante avec la DNAT. Comme l’a précisé M. Bernard Squarcini lors de son audition : " En 1990, j’ai créé, au sein de la sous-direction et plus spécialement au sein de la division "recherche", un groupe spécialisé dans les filatures et les surveillances sur le problème corse. En effet, ici et plus qu’ailleurs, il fallait absolument traiter le problème avec une certaine continuité et une spécialisation. Nous avions :

" - d’une part, une cellule "analyses" au niveau central qui savait apprécier l’état de la menace et suivait les grandes évolutions du mouvement nationaliste corse, puisque celui-ci était alors en proie à des mutations, parfois violentes suite à des dissidences internes,

" - d’autre part, un pendant opérationnel, qui consistait à essayer de prévenir des actions violentes dans l’hexagone comme en Corse ou, en cas d’échec, à essayer avec la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), d’identifier les auteurs et de les neutraliser suivant les règles procédurales en vigueur ".

C) L’APPLICATION DU DISPOSITIF ANTITERRORISTE EN CORSE

Depuis le 1er janvier 1993, 594 affaires ont été transférées au tribunal de grande instance de Paris, 303 en provenance du tribunal de grande instance d’Ajaccio et 291 en provenance du tribunal de Bastia. Parmi celles-ci, 571 se trouvaient au stade de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire. Elles ont donc été transmises par les parquets locaux à la section antiterroriste du parquet de Paris. Seules 23 affaires ont été " dépaysées " après avoir fait l’objet d’informations suivies par des magistrats instructeurs locaux.

L’activité de la section antiterroriste du parquet de Paris a connu une forte croissance au cours des années 1996 et 1997. Le nombre de saisines qui n’avait atteint que 126 entre 1993 et 1995 est passé à 172 en 1996 et 183 en 1997 pour retomber à 49 en 1998. Pour le premier semestre de l’année en cours, le parquet est saisi de 49 dossiers. La nature de ces affaires est retracée dans le tableau ci-dessous.

Nature des affaires

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

(1er semestre)

Attentats

30

24

41

138

170

26

34

Mitraillages

1

4

4

27

4

5

4

Assassinats (*)

1

0

0

1

1

1

0

Menaces, conférences de presse, opérations commando, etc.

10

6

5

6

8

17

3

Total des saisines

42

34

50

172

183

49

41

(*) Cette rubrique ne comprend pas les assassinats dont les juridictions locales ont été dessaisies à partir de 1996.

Source : parquet du tribunal de grande instance de Paris.

Ces données sont bien sûr liées à l’évolution de l’activité terroriste sur l’île ou sur le continent.

L’évolution du nombre des saisines s’explique par ailleurs par la politique suivie qui n’a, c’est le moins que l’on puisse dire, pas été linéaire en ce domaine. " En effet, on peut distinguer différentes périodes : tout d’abord, les juges antiterroristes ont eu à connaître d’un certain nombre de dossiers concernant notamment des attentats perpétrés en Corse - par exemple, en 1994, celui de Spérone et quelques autres - puis, dans une seconde période qui correspondait à une autre politique judiciaire, ces dossiers n’ont plus été dépaysés, la 14ème section ne les réclamait pas et ils restaient donc, pour l’essentiel, en Corse. C’est au milieu de l’année 1996, après l’attentat à la voiture piégée de Bastia, que l’on a, de nouveau modifié la donne, et que, de surcroît, bon nombre de dossiers qui touchaient à des assassinats perpétrés sur des nationalistes par des nationalistes, qui jusqu’alors étaient instruits en Corse, ont été dépaysés et sont venus enrichir le stock de la galerie Saint-Eloi." comme l’a très bien exposé le juge Gilbert Thiel lors de son audition.

Cette politique a effectivement pris un tour nouveau en 1996 lorsque le ministre de la Justice, M. Jacques Toubon, a décidé de procéder au dessaisissement des juridictions locales dans toutes les affaires qui opposaient les nationalistes entre eux. Comme il l’a souligné lui-même devant la commission d’enquête : " Ces affaires opposant des responsables ou des "militants" des deux grandes mouvances nationalistes, il n’était pas judicieux de penser qu’elles relevaient de conflits de droit commun entre les intéressés, qu’il s’agisse de conflits commerciaux ou crapuleux. Elles rentraient donc forcément dans le champ d’application de la loi de 1986. Telle fut la conclusion à laquelle j’ai abouti en procédant à une analyse tant juridique que politique ".

On verra ci-après que cette politique nouvelle a été mal ressentie par les juges en poste en Corse et a suscité un malaise profond et durable dont la commission d’enquête présidée par M. Jean Glavany s’était fait l’écho, mais qui semble désormais apaisé dans la mesure où des critères précis ont été établis d’un commun accord entre les parquets compétents. Cette initiative s’imposait d’autant plus dans le contexte de la politique mise en œuvre par la ministre de la Justice. Lors de son audition M. Bernard Legras, procureur général de Bastia, a souligné à juste titre : " Ainsi, nous avons établi des critères très précis nous permettant de régler désormais ces problèmes de dessaisissement vers la juridiction parisienne sans douleur. Il faut savoir que cela se place dans le contexte des déclarations du ministre de la justice, Mme Guigou, qui a annoncé à son arrivée qu’il n’y aurait plus d’instructions dans les dossiers individuels ; donc les arbitrages qui, jusque là, étaient faits par le ministère de la justice lorsqu’il y avait conflit de compétence, ne pouvaient logiquement plus relever de l’administration centrale et il convenait que les magistrats chargés de l’action publique, à Paris et en Corse, mettent en place des critères et un protocole permettant à l’avenir d’éviter tout dysfonctionnement ".

La centralisation va en s’accélérant. A l’heure actuelle, pratiquement tout le contentieux terroriste corse est traité à Paris.

Les critères déterminés d’un commun accord sont les suivants :

 l’existence d’une revendication authentifiée ;

 le fait que la cible soit un bâtiment public, même en l’absence de revendication ou avant que celle-ci soit révélée ;

 le modus operandi et les moyens employés selon leur importance, le type d’explosif utilisé...

Les deux procureurs de la République, celui d’Ajaccio et celui de Bastia, sont en contact permanent avec la 14ème section du parquet de Paris : " Sur chaque attentat, le substitut local, qui est le premier informé, se rapproche du substitut parisien et ils mettent en application les critères. En cas d’hésitation, les procureurs sont saisis et en cas d’hésitation de leur part, les procureurs généraux sont saisis ce qui, je crois, ne s’est produit qu’à deux reprises en un an et demi... " ainsi que l’a précisé M. Bernard Legras.

La centralisation des poursuites et l’utilisation plus intense du dispositif antiterroriste depuis 1996 ont eu pour corollaire un investissement plus fort de la DNAT dans les enquêtes concernant les affaires corses.

Le nombre de saisines par le parquet du tribunal de grande instance de Paris de cette division spécialisée est ainsi passé de 4 en 1993 à 14 en 1996 et 27 en 1998. Pour le premier semestre de l’année en cours, il s’établit déjà à 9 saisines.

Il faut bien sûr y ajouter les saisines décidées par les magistrats instructeurs spécialisés. Le tableau figurant ci-après retrace l’évolution des saisines de la DNAT depuis 1994 en distinguant les enquêtes préliminaires diligentées par le parquet des saisines décidées par les magistrats instructeurs.

ÉVOLUTION DES SAISINES DE LA DIVISION NATIONALE ANTITERRORISTE

DNAT

DNAT - SRPJ Ajaccio

DNAT - Gendarmerie

Parquet

Instruction

Parquet

Instruction

Parquet

Instruction

1994

2

6

 

12

 

 

1995

2

3

 

 

 

 

1996

14

15

 

 

 

 

1997

13

17

 

 

 

1

1998

27

63

 

3

 

 

1999

(1er semestre)

9

31

 

6

 

 

Source : direction centrale de la police judiciaire.

A la lecture de ces données statistiques, il apparaît clairement que l’action de la DNAT en Corse s’est amplifiée à partir de 1996 et que la plupart des enquêtes lui ont été confiées par les magistrats instructeurs spécialisés dans la lutte antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris.

Les juges d’instruction parisiens l’ont ainsi saisie de 145 enquêtes, dont 121 pour les seules années 1997, 1998 et 1999. L’on peut aussi observer que le nombre de cosaisines avec les services locaux est extrêmement faible. Si l’on excepte l’année 1994, seules 9 enquêtes ont été confiées conjointement au SRPJ et à la DNAT au cours des dernières années et une seule à la DNAT en cosaisine avec la gendarmerie. L’on peut donc considérer qu’il existe une véritable prééminence du service de police spécialisé parisien dans les enquêtes relatives à la lutte contre le terrorisme corse.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr