Le drame qui a touché le préfet Claude Erignac suivi de l’incarcération du préfet Bonnet en mai dernier soulèvent un certain nombre d’interrogations sur les missions de l’administration préfectorale et sur son articulation avec l’appareil gouvernemental. La question du maintien en Corse d’un préfet adjoint pour la sécurité est également posée dans la mesure où sa mission de coordination des forces de sécurité s’exerce avec difficulté.

A) REPENSER LES LIENS ENTRE LE GOUVERNEMENT ET L’AUTORITE PREFECTORALE

Alors que l’autorité préfectorale a été récemment mise en cause au travers de sa responsabilité pénale dans plusieurs affaires dont celle du stade de Furiani, l’affaire des paillotes a ouvert un débat sur la nature même des missions du corps préfectoral et sur ses liens avec l’autorité centrale.

Le discours prononcé par Chaptal devant le Corps législatif à propos de la création de l’institution préfectorale en l’an VIII révèle l’ampleur des mutations qui ont affecté l’institution : " Le préfet ne connaît que le Ministre, le Ministre ne connaît que le préfet... Il ne discute point les ordres qu’on lui transmet... Le préfet transmet des ordres au sous-préfet, celui-ci aux maires, de manière que la chaîne d’exécution descende sans interruption du Ministre à l’administré avec la rigidité du fluide électrique ".

Depuis le premier Empire, la décentralisation et la déconcentration ont profondément modifié le sens de la mission préfectorale. Le décret du 10 mars 1982 relatif aux pouvoirs des préfets et à l’action des services et organismes publics de l’Etat dans les départements dispose ainsi en son article 1er que le préfet " est le représentant direct du Premier ministre et de chacun des ministres ". N’exerçant plus la tutelle des collectivités locales, il a en revanche désormais vocation à assurer la direction de l’ensemble des services déconcentrés de l’Etat dans le département. Le préfet de région a pour sa part un rôle de coordination interdépartementale en matière d’aménagement du territoire et a désormais vocation à participer à la mise en œuvre de certaines politiques communautaires. Il n’en demeure pas moins que les préfets restent administrativement rattachés au ministère de l’Intérieur et qu’ils sont au niveau départemental les principaux responsables de la mission du maintien de l’ordre public.

Cette situation héritée d’une époque où le ministère de l’Intérieur disposait d’attributions extrêmement larges est aujourd’hui moins justifiée. Elle a en tout cas pu poser problème dans la situation de crise qu’a traversée la Corse à la suite de l’assassinat du préfet Erignac. En effet, la nécessité pour le gouvernement de marquer son soutien au préfet Bonnet et la volonté concomitante de gérer le dossier corse de manière interministérielle ont conduit celui-ci à rendre compte de son action tant à Matignon qu’au ministère de l’Intérieur. Une telle situation fragilise incontestablement l’efficacité de la chaîne de commandement : elle crée ce que les spécialistes de l’organisation appellent des marges d’incertitude qui laissent à l’autorité subordonnée la possibilité de jouer sur la pluralité des autorités de contrôle pour disposer d’une autonomie plus grande que celle prévue par le cadre institutionnel.

Le cas de la Corse ouvre donc plusieurs pistes de réflexion en vue de faire évoluer l’institution préfectorale. Son rattachement aux services du Premier ministre apparaît logique, dans la mesure où le préfet a de plus en plus vocation à mettre en œuvre à l’échelon déconcentré des politiques transversales intéressant plusieurs ministères. Dans ce cadre, le maintien de l’ordre public n’apparaîtrait plus comme l’activité dominante des préfets, mais comme l’un des volets de l’action de l’Etat dans les départements. Des " directeurs départementaux de la sécurité " pourraient ainsi diriger, sous l’autorité des préfets, l’ensemble des services déconcentrés en charge de l’ordre public. Rattachés au ministère de l’Intérieur, ils auraient vocation à coordonner l’action de l’ensemble des forces de sécurité dans le département. Un lien plus étroit entre ces fonctionnaires et l’autorité judiciaire pourrait dans le même temps être envisagé : soit en conférant la qualité d’officier de police judiciaire à ces directeurs départementaux, soit en les plaçant sous la double autorité du préfet et du procureur de la République. Un nouvel équilibre pourrait donc être trouvé entre l’exécutif et l’autorité judiciaire à l’échelon déconcentré.

Le rattachement des préfets à Matignon aurait, en outre, le mérite de clarifier leur rôle sur le terrain, tout en permettant de renforcer leur contrôle au niveau central. En effet, leur rattachement au ministère de l’Intérieur ne donne pas pour autant à ce ministère un quelconque pouvoir de contrôle sur le volet de l’action des préfets n’intéressant pas l’ordre public ou l’administration générale, alors même que ces attributions revêtent une importance croissante. Par ailleurs, le cas du préfet Bonnet a montré la difficulté pour le gouvernement d’exercer un contrôle sur son représentant, dès lors que celui-ci répond à plusieurs autorités, qui plus est situées à un niveau différent au sein de la hiérarchie gouvernementale.

Ce rattachement aux services du Premier ministre pourrait en conséquence se doubler de la création d’un corps d’inspection pluridisciplinaire à vocation interministérielle et dont l’une des missions serait de contrôler l’action des préfets. L’actuelle inspection générale de l’administration, dépêchée en Corse après l’incendie des paillotes, apparaît en effet davantage comme un corps de contrôle des services préfectoraux que des préfets eux-mêmes. La création de ce nouveau corps d’inspection comblerait donc un vide réel, que l’affaire des paillotes a révélé, en posant la question de la capacité du gouvernement à connaître des actes des préfets en poste sur l’ensemble du territoire national.

Les problèmes de coordination entre les services de sécurité constatés par la commission en Corse se posent sur l’ensemble du territoire et appellent donc une réflexion sur l’organisation générale de ces services. Ils doivent également conduire à s’interroger sur le rôle d’une administration préfectorale de plus en plus partagée entre ses missions traditionnelles de maintien de l’ordre public et ses fonctions nouvelles de coordination et d’impulsion des services de l’Etat à l’échelon régional et départemental.

B) REVOIR L’INSTITUTION DU PREFET ADJOINT POUR LA SECURITE

En attendant d’éventuelles réformes d’ampleur touchant à la coordination des forces de sécurité et aux missions de l’administration préfectorale, la question du maintien d’un préfet adjoint pour la sécurité se pose. Le haut degré de violence qui règne dans l’île et l’existence de deux départements sur un territoire faiblement peuplé ont, en effet, justifié la mise en place de cette institution spécifique qui a d’ailleurs été supprimée sur le reste du territoire national.

Il est pour le moins paradoxal que le principal argument plaidant en faveur du maintien d’un poste de préfet supplémentaire dans une région comportant un peu plus de 250 000 habitants se fonde sur l’existence de deux départements et du besoin de coordination né du découpage administratif. Il est clair que si la décision datant de 1975 de partager l’île en deux n’avait pas été prise, l’organisation de l’administration préfectorale aurait gagné en lisibilité, en simplicité et en efficacité.

Les différentes auditions effectuées par la commission ont en tout cas souligné la fragilité des dispositions définissant les prérogatives du préfet adjoint pour la sécurité. Le caractère effectif du pouvoir de cette autorité est avant tout tributaire de la volonté du préfet de région et du préfet de la Haute-Corse qui restent maîtres de l’étendue de leur délégation de signature. Chaque nouveau mouvement préfectoral crée en conséquence une incertitude quant à la portée des prérogatives exercées par le titulaire de cette fonction.

Cette instabilité n’est pas de nature à résoudre dans la durée les problèmes de coordination qui se posent dans l’île. Dans le même temps, comme l’a souligné M. Jean-Pierre Lacroix, préfet de Corse : " l’on constate qu’il est nécessaire d’avoir un lien fort entre la Haute-Corse et la Corse-du-Sud. La coordination ne doit pas être assurée simplement par le colonel commandant la légion de gendarmerie, par le directeur régional des renseignements généraux, par le chef du service régional de la police judiciaire, qui sont les seuls responsables à l’échelon régional et qui peuvent de ce fait avoir une vision globale de la Corse - c’est pourquoi je leur demande de venir me voir de temps à autre. Il me paraît tout à fait souhaitable de ne pas laisser cette coordination à des services qui, vous l’avez dit tout à l’heure, ont eu quelquefois maille à partir ".

Le retour au droit commun bute donc sur l’existence de deux départements dans l’île. Cette situation devra à terme être modifiée par une réforme institutionnelle appropriée qui puisse mettre fin à la suradministration actuelle. En attendant, d’autres solutions peuvent être envisagées comme alternative au maintien du préfet adjoint pour la sécurité.

La première consiste à décharger le préfet de la Haute-Corse de ses missions d’ordre public pour les confier au préfet de région qui aurait dès lors compétence en matière de police administrative sur l’ensemble de la Corse. Il devrait dans ce cas disposer d’un directeur de cabinet chevronné afin de l’assister dans cette mission. Cette configuration aurait le mérite de simplifier la chaîne de commandement des forces de sécurité dans l’île. Elle aurait en revanche pour inconvénient de placer l’action du préfet de région sous le sceau du maintien de l’ordre et de la répression, ce qui risque d’occulter les autres volets de son action et de celle des services de l’Etat placés sous son autorité.

La seconde solution consiste en la création d’un véritable préfet de police déchargeant les deux préfets de l’île de toutes leurs prérogatives en matière d’ordre public, y compris en matière de sécurité routière et de protection civile. Ce nouveau préfet aurait compétence sur l’ensemble du territoire de l’île et se substituerait aux deux préfets sans dépendre d’une quelconque délégation de signature. Une telle institution, proche dans son principe de celle existant à Paris, nécessite une réforme législative.

Sans doute la suppression du poste de préfet adjoint pour la sécurité souvent envisagée, jamais réalisée, est difficile à mettre en œuvre dans la mesure où une telle décision pourrait être interprétée comme le signe d’une moindre volonté des pouvoirs publics de lutter contre la délinquance régnant dans l’île. Il n’empêche que cette structure ne peut répondre dans la durée aux objectifs qui ont justifié sa création. Il convient donc soit de la supprimer, soit de la renforcer. Encore faut-il avoir à l’esprit que son existence n’a de justification que dans le cadre institutionnel actuel, marqué par le partage de l’île en deux départements.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr